Réponse
A Une Demande Du Directeur
De La Revue "L'écho Du Merveilleux"
Sedir
15 Octobre 1910
Monsieur et
cher Confrère,
Vous me demandez d'indiquer la direction générale des quelques
travaux que j'ai publiés concernant l'ésotérisme; et,
si se n'était l'expérience que je vous sais des goûts
du public, je craindrais fort qu'au vu des premières lignes de cette
lettre, les lecteurs de l'Écho du Merveilleux ne tournent la page
en toute hâte, car mon nom ne doit pas leur dire grand-chose.
Je ne suis qu'un étudiant isolé; je n'appartiens à
aucune association de chercheurs, à aucune fraternité ésotérique
ou religieuse visible; et les quelques amis qui partagent ma manière
de voir quant à l'occultisme, ont la chance d'être ignorés
et la sagesse de vouloir l'incognito.
J'ai touché à beaucoup de sujets depuis 1887, époque
où ces études ont commencé à me passionner.
Les commodités matérielles, le temps, les livres m'ont fait
défaut; tandis qu'une chance imméritée mettait sur
ma route les représentants autorisés de toutes les traditions.
Les convenances m'ont toujours interdit de raconter à tout le monde
des choses que ces hommes obscurs, mais extraordinaires, considéraient
comme devant rester secrètes.
Des rabbins m'ont communiqué des manuscrits inconnus; des alchimistes
m'ont admis dans leurs laboratoires; des soufis, des bouddhistes, des taoïstes
m'ont emmené, pendant de longues veilles, dans les séjours
de leurs dieux; un brahmane m'a laissé copier ses tables de mantrams,
un yoghi m'a donné les secrets de contemplation. Mais, un soir, après
une certaine rencontre, tout ce que ces hommes admirables m'avaient appris
est devenu, pour moi, comme la vapeur légère qui monte, au
crépuscule, de la terre surchauffée.
Tous mes petits livres d'ésotérisme, tous mes articles dans
les revues d'occultisme, tous mes cours à l'École hermétique,
furent forcément semés de lacunes et de réticences;
ces essais arides ont eu, au moins, le mérite d'attirer l'attention
des chercheurs, et de provoquer des travaux plus complets. Pour mon compte,
avec quelques compagnons, j'ai fait le tour de tous les ésotérismes
et exploré toutes les cryptes avec la plus fervente sincérité,
avec le plus vif espoir de réussir. Mais aucune des certitudes enfin
saisies ne m'a paru la Certitude.
J'ai eu très tôt la chance de connaître les illuminés
occidentaux, surtout L.-C. de St-Martin et, par lui, le génial Jacob
Boehme, dans l'oeuvre touffue duquel sont en raccourcies: la théosophie
prékrishnaïque, la philosophie allemande et la philosophie moderne;
de là, je vins aux mystiques : commune illusion qui nous fait chercher
bien loin les trésors que la Providence présente à
portée de notre main. Nous ne courons qu'après ce que nous
croyons être caché; nous ne connaissons rien de notre propre
religion, elle ne nous intéresse pas; et, cependant, son dogme et
sa liturgie sont l'exposé le plus complet du savoir intégral
qu'il y ait actuellement sur la terre; ce que les théologiens ont
écrit n'est pas la vingtième partie des vérités
que ces formules renferment. Tout est dans le catholicisme, aussi bien la
science du minéral que celle de l'âme, l'art du prince comme
celui du médecin, le pouvoir du thaumaturge comme les combinaisons
du sociologue.
L'opinion que j'exprime ici n'est pas celle d'un fidèle de l'Église
de Rome, mais d'un disciple direct de l'Évangile, auquel on tend
trop à substituer, aujourd'hui, les religions orientales comme pseudo-tabernacles
de l'unique Vérité.
C'est ainsi que je fus conduit à faire connaître Boehme, Gichtel,
Law, ces mystiques si généralement ignorés en France
et qui s'élèvent, à mon avis, aussi haut que les docteurs
et les saints les plus célèbres.
Mais, si Boehme et saint Jean de la Croix se ressemblent, Swedenborg et
Paracelse diffèrent et s'opposent comme le catholicisme, le babisme,
l'islamisme, le bouddhisme, le brahmanisme et tutti quanti. Il ne faut pas
mettre de la sentimentalité dans l'examen des notions théosophiques.
Il n'est pas vrai que les religions soient unes; si cela était, leurs
adeptes ne s'entretueraient point alors, ni par le glaive, ni par la calomnie.
Les phrases à trémolos des unificateurs à outrance
naissent d'un vice de logique. Tout est un dans l'Absolu, disent-ils, donc
les formes du relatif sont unes également. Eh bien ! non : la Trimourti
n'est pas la Trinité chrétienne ni le ternaire pythagoricien;
Jésus et le Bouddha ne sont pas le même principe, ni deux fonctions
du même principe; la Gnose et l'Évangile ne conduisent pas
au même but.
Il faut lire dans les textes ce qui y est, et non ce que l'on souhaiterait
y lire; il faut observer, dans les expériences spirituelles, ce qui
a lieu, et non pas ce qu'un soi-disant maître affirme devoir se produire;
il ne faut jamais abandonner son droit d'examen.
C'est pour cela que j'ai écrit le "Fakirisme", les "Lettres
magiques" et la "Médecine occulte".
D'où vient cette certitude, dira-t-on, et de quel droit cette allure
d'autorité ? L'intellectualité contemporaine comprend peu
le mystique. Je ne me donne pas comme tel; ce mot représente à
mes yeux quelque chose de si élevé que je n'en fais que mon
idéal. Serais-je à moi-même mon propre critérium
?
Non; je sais seulement que le Père est tout. Et les hommes croient
que le Père n'est rien ou presque rien. Pourquoi si, deux mille ans
en arrière, Quelqu'un allait par les routes, prenant les âmes
d'un simple regard et les assumant jusqu'au seuil de la Lumière incréée,
pourquoi ne pourrait-II pas renouveler, quand il Lui plairait, ces cures
spirituelles, au gré des rencontres qu'II provoque le long des chemins
mystérieux de l'Invisible?
Mon Dieu est l'Absolu, l'essence de l'Absolu et, comme tel, Il est plus
près de moi que le plus beau des dieux, que la plus tendre des épouses
; il suffit de ne plus écouter les créatures pour entendre
Sa Voix miraculeuse, il suffit de ne plus désirer les créatures
pour sentir Sa toute-puissante, Son ineffable douceur.
On crie : Lao-Tze, Moïse, Pythagore, Saint Denis l'Aréopagite,
les Rose-Croix, ce n'est rien; ce sont des flammèches; ils n'ont
pas vu la milliardième partie de ce qui est à voir, et ils
ont mis des gardes et construit des murs entre notre Père et nous
! Cela n'est pas vrai; il n'y a rien entre l'homme et Dieu que la perversion
volontaire de l'homme. Apprendre que l'on ne sait rien, expérimenter
que l'on ne peut rien, vérifier que le Ciel est là, en nous,
que l'Ami nous entoure sans cesse de Ses bras bénis, voilà
la leçon de Jésus. C'est cela que j'ai voulu dire en publiant
les "Conférences sur l'Évangile", le "Bréviaire
mystique", le "Devoir spiritualiste", les "Forces mystiques",
les "Initiations".
Yvon Leloup, dit Sédir