Le
Chemin Vers Dieu
Sedir
IL ne faut
voir en ces quelques idées qu'un essai pour revêtir d'une forme
moderne les immuables et mystiques certitudes que la poussière des
civilisation déforme devant nos regards et nous empêche d'étreindre.
Il me semble que beaucoup d'opinions peuvent se mettre d'accord, avec un
peu de tolérante impartialité. Si je parle des mondes invisibles
et de la prière, que le rationaliste ne me tienne pas pour superstitieux.
Si j'admire les dogmes et le culte du catholicisme, que le socialiste ou
le libertaire ne me traite pas de clérical. Si j'affirme la réalité
du miracle, ou la grandeur de la Vierge, que le protestant ne referme pas
cette brochure.
Si j'accorte peu d'importance pratique à l'exégèse,
que le moderniste ne hausse pas les épaules. Si j'admets que la pluralité
des existence soit possible, si j'espère que toute créature
sera sauvée, si je regrette le pullulement des petites dévotions
machinales, que le catholique ne se scandalise pas; saint Irénée,
saint François de Sales, le Curé d'Ars ont été
du même avis sur ces points. Si je proclame Jésus de Nazareth
unique Fils de Dieu, venu en chair et ressuscité corporellement,
que les néo-spiritualistes et les amateurs d'occultisme ne protestent
*
Tout le monde aujourd'hui parle d'un renouveau religieux. Enfanté
par la crainte de la mort, entretenu par un utilitarisme égoïste,
dirigé par l'ambition, il n'est réel que chez bien peu d'entre
nous. N'est-elle pas du Curé d'Ars, cette terrible exclamation :
" Oh ! que le prêtre est quelque chose de grand ! S'il se comprenait,
il mourrait ! ".
Jamais un plus grand nombre de prières liturgiques n'ont été
récitées; jamais un plus grand nombre de fidèles n'ont
reçu tous les jours la communion; jamais les médailles, les
indulgences, les formules pieuses n'ont été répandues
avec autant de prodigalité. Et pourtant jamais les dévotes
n'ont été plus médisantes, les cupides plus rapaces,
les luxurieux plus dévergondés.
Osera-t-on dire que c'est Jésus qui ne tient pas Ses promesses ?
A une douzaine de pauvres hommes, frustes et malhabiles, Jésus donna
les pouvoirs les plus formidables que l'orgueil ait jamais pu rêver.
Guérir les corps, guérir les âmes. Quel médicament
? presque rien, une seule onde imperceptible de compassion. Mais ces hommes
étaient des disciples. Ils ne convoitaient plus aucune beauté
de l'immense Nature, plus aucune forme de tout ce qui existe; ils ne désiraient
plus que Ce qui est. Leurs propres disciples ensuite, et les disciples de
ces disciples persistèrent dans l'abnégation; l'Esprit resta
sur eux et les miracles continuèrent de jaillir sous leurs mains
vénérables. Mais après, qu'advint-il ? Pourquoi les
paroles du Maître ne guérissent-elles plus les malades, ne
clarifient-elles plus les coeurs souillés ?
Irai-je donc vers la philosophie, vers la science, pour remplacer l'ineffable
Verbe auquel la terre se raccroche depuis deux mille ans ? Attendez, attendez,
me disent les princes de l'intelligence; nous n'avons pas fini notre enquête;
il nous manque quelques milliards de faits. Attendre ? Mais mon âme
se meurt d'incertitude, de fatigue et d'anémie !
Certainement l'École et l'Église sont de très grandes,
de très précieuses éducatrices. Mais elles ne procurent
pas à tous cette paix profonde qui est la signature du Vrai; le long
de leurs routes on rencontre l'inquiétude et la désillusion;
donc ces routes ne sont pas directes.
Jésus seul indique la route directe. Ceux qui L'ont pris pour guide,
après avoir essayé d'autres chemins, l'affirment.
Il dit - vous qui ne Le croyez pas, écoutez cela - Il ose dire :
" Venez à moi, vous tous qui peinez et qui êtes accablés
! ". Pourquoi donc allez-vous à d'autres avant une tentative
d'aller à Lui ?
Réfléchissons un peu là-dessus, avant de vouloir résoudre
des questions plus complexes.
Pour se diriger, l'homme se sert de sa conscience et de sa raison. S'il
est honnête, il cherche à réduire les empiètements
de ses intérêts et de ses instincts, en s'aidant des lumières
scientifiques, philosophiques et religieuses. Je dis : s'il est honnête,
car pour un homme malhonnête, les durs chocs en retour du
Destin sont les seuls procédés qui puissent amollir ses égoïsmes,
en les transformant petit à petit.
Les gens de bien, ceux qui s'inquiètent d'autre chose que de leur
coffre-fort ou de leur place; ceux qui pensent parfois à d'autres
enfants qu'à leurs enfants, qui sentent, même rarement, même
superficiellement, le poids de la souffrance générale, c'est
à ceux-là que je m'adresse, en leur rappelant la force immense
des convictions partagées, des énergies mises en commun et
des élans ingénus vers un idéal unique.
*
Une conscience toute pure apercevrait en elle-même la Route, la Vérité,
la Réalité. Mais il n'y a pas de conscience sans tache sur
la terre. C'est pourquoi nous interrogeons les faits, les livres et les
hommes.
Or, la science, en tant que constatation des faits, ne peut nous fournir
d'autre règle de vie que la loi du plus fort.
La philosophie, en tant que collection d'idées, n'aboutit qu'à
la morale humaine du bien effectué par raison. Epictète et
Marc-Aurèle, cela engendre l'orgueil, un orgueil très haut,
mais très pernicieux, parce qu'il invite à s'isoler de la
masse.
La religion restera toujours séparée de la science et de la
philosophie, parce que sa racine est ailleurs que dans les faits ou dans
l'intelligence. On peut bien bâtir une philosophie scientifique, ou
une religion philosophique. C'est bâtir sur le sable; les conclusions
de la science ne changent-elles pas tous les vingt ans, et si la philosophie,
en soi, répond à un besoin de l'intelligence et affirme la
réalité de la pensée, les systèmes philosophiques
ne se réfutent-ils pas les uns les autres ? Dans ce chaos d'approximations
et de synthèses provisoires, une âme forte, une âme simple,
une âme éprise d'absolu retrouvera toujours la déception
du vide métaphysique.
*
De telles âmes portent en secret la certitude de leur immortalité,
la certitude de Dieu, la certitude d'un avenir de bonheur et de liberté.
Elles refusent de se perdre dans l'indéfini du savoir humain; elles
refusent également toutes les petites idolâtries, tous les
petits opportunismes, parasites tenaces qui épuiseraient le christianisme
si Jésus n'était le Chef du christianisme.
Elles n'admettent pas le protestantisme trop rationaliste de ces pasteurs
qui ne croient plus à l'intervention divine. Que vaut une religion
sans surnaturel, dans une civilisation qui a reculé si loin les limites
du possible naturel ?
Quant aux spiritualistes laïques, comme Tolstoï; quant aux sectes
plus ou moins mystérieuses, filles de l'Orient plein de ruses, les
" simples " dont je parle n'y aperçoivent que des échafaudages
adroits, certes, mais fragiles et dangereux.
Les théologiens affirment que Dieu est démontrable. Sans doute.
Mais qu'est-ce qu'une foi basée seulement sur la raison ? Si l'on
cherche des motifs de vivre, des forces contre la douleur, des moyens pour
faire de soi un chef-d'oeuvre, il faut une vue de Dieu directe, personnelle,
jaillie de nos entrailles. Il faut que Dieu nous parle au coeur.
Or, il y a deux coeurs dans notre coeur, deux coeurs et une pensée.
Un coeur de Ténèbres, de matière et d'égoïsme
: notre Moi; un coeur de Lumière, d'esprit et de charité :
notre Ame. La pensée, elle, n'est qu'un miroir; elle reflète
les actes du coeur prépondérant.
Dans ce sanctuaire intime, dans ce coeur double qui travaille surtout au-delà
de notre conscience s'élaborent nos visions du monde, nos motifs
d'agir, et ces buts réels de nos fatigues, dont nos buts apparents
ne sont que les étincelles éparpillées.
Dans ce sanctuaire Dieu nous parle; dans ce sanctuaire notre intelligence
s'organise; de ce sanctuaire jaillissent les énergies par lesquelles
nous venons à bout de l'impossible, nous nous haussons Au de nous-mêmes,
nous remportons sur la mort - sur n'importe quelle sorte de mort - une victoire
éclatante dans le moment même qu'elle paraît nous écraser.
*
Le caractère essentiel de l'être humain n'est pas la faculté
de connaître, mais la faculté d'aimer. L'Amour agit au fond
de nous-mêmes avant l'Intelligence. Pour comprendre quelque chose
consciemment, il faut d'abord aimer cette chose inconsciemment. Le chimiste
ne découvre rien dans ses cornues, s'il n'a en lui la vocation de
la chimie. Et l'ignorant peut, par ses intuitions, dépasser le savant,
s'il admire et s'il aime les créatures avec une ferveur plus intense.
Pascal a vigoureusement décrit cette faculté mystique de l'Amour,
qui s'ignore soi-même et qui ne devient consciente qu'après
avoir traversé le prisme mental.
Tout est Amour dans l'univers. Tout procède de l'Amour; tout retourne
à l'Amour, après d'innombrables vicissitudes parmi les royaumes
de la Haine. La lutte pour la vie est l'école de l'Amour essentiel.
Les êtres passent d'une béatitude antérieure ignorante
à une béatitude ultérieure définitive, consciente
et omnisciente, par le moyen de travaux multiples dont l'ensemble constitue
la vie universelle et les existences particulières.
Ceci a lieu sur ce petit globe terrestre, et aussi-pourquoi pas ? -- sur
les millions de planètes dont les astronomes ne sont point encore
parvenus à établir le catalogue complet.
*
Aux positivistes je dirai que l'âme est immortelle, que nos morts
sont vivants et tout près de nous. Car il y a d'autres espaces dans
l'Univers que l'espace terrestre et d'autres modes d'agrégation des
molécules matérielles que ceux de notre physique.
Je leur dirai que Dieu existe comme entité individuelle; qu'Il Se
préoccupe non seulement de la direction générale des
mondes, mais aussi de notre direction particulière, à chacun;
qu'Il peut intervenir dans nos petits malheurs; que le miracle existe; et
que si Renan déclare le contraire, c'est qu'il n'a pas voulu se mettre
dans les conditions propres à observer ce phénomène.
Je dirai aux catholiques que Dieu ne S'irrite jamais, ne punit jamais, ne
condamne jamais définitivement. Quand les hommes s'obstinent dans
le mal, Il laisse aller les choses et ce sont les chocs en retour que nous
appelons faussement la colère divine.
Je dirai aux catholiques qu'il y a en effet dans la création un enfer
et un paradis, comme il y a un nadir et un zénith; l'un et l'autre
sont perpétuels; les êtres passent de l'un à l'autre,
selon leurs travaux et leurs besoins, mais ils n'y restent jamais perpétuellement.
Partout où l'on travaille, où l'on souffre, c'est une forme
de l'enfer; partout où l'on se repose, c'est une forme du paradis.
Je leur dirai que ce catholicisme est la plus belle, la plus haute, la plus
complète des religions; qu'il les mène certainement à
ce Dieu qu'ils adorent, le seul vrai Dieu, le plus trahi de tous les dieux.
Je leur demanderai de relire la Passion de Notre Jésus, du Jésus
de toute l'humanité; qu'ils regardent où se trouvent aujourd'hui
et Ponce-Pilate et Caïphe; et qu'ayant vu, ils se retournent vers le
Christ, toujours crucifié, avec une foi plus ardente et un dévouement
total.
Je dirai aux rationalistes de l'Église protestante, aux spiritualistes
de toute école que ce Jésus est plus qu'un homme, et-plus
qu'un dieu; qu'Il Se manifeste sans prendre aucun intermédiaire à
quiconque veut bien aller vers Lui par l'accomplissement de Ses préceptes;
que leur science ne sera jamais qu'une bribe; que le surnaturel existe,
en dehors de tout ce qui reste d'inconnu dans le naturel.
Et à tous je dis ces choses, simplement pour qu'ils les entendent
au moins une fois. Car je sais que toute activité est utile, et que
tout homme suit en définitive la voie qu'il est capable de suivre,
pour le moment. Toutes les voies mènent à la voie étroite
de l'Évangile, où marche l'Amour.
Nos travaux, nos fatigues, nos passions, nos désirs, nos haines,
nos indifférences sont des écoles de l'Amour. Nous devons
apprendre l'Amour : à nous d'abord, à tout ce que nous croyons
être notre moi, à tous les êtres autour de nous, au-dessous,
au-dessus de nous; c'est le seul but de la vie, c'est le seul pourquoi de
la création.
Mais cette attitude mystique doit jaillir spontanément du profond
de nous-mêmes; les livres des sages, les exemples des saints ne le
font éclore que si nous avons déjà travaillé
profondément le sol de notre esprit. C'est une initiation, une régénération,
une naissance nouvelle, annonciatrice de cette troisième et définitive
naissance, par laquelle on devient enfant de Dieu et l'on possède
le Ciel, même au fond de l'Enfer, je veux dire au fond de la douleur.
Or, toute naissance suppose une mort. Notre être, étant composé
de bien d'autres choses que d'un corps de matière, peut subir bien
d'autres morts que la mort physique. Mais ce ne sont jamais que des douleurs
transformatrices et toute agonie appelle une joie et un progrès.
Un changement intellectuel, une crise sentimentale, une vue neuve, cela
veut dire la mort de quelque chose dans le psychisme et la naissance de
quelque autre chose, jusqu'alors endormie.
*
Tout désir satisfait amène une désillusion. Si l'homme
voulait entrer dans le dessein de Dieu, il entreprendrait les travaux de
la vie pour eux-mêmes, pour agrandir cette vie; mais nous ne sommes
pas capables d'une telle abnégation dans le devoir; nous ne voulons
nous donner de la peine que moyennant un profit personnel. Alors la Nature
nous traite en enfants; elle nous montre l'appât des jouissances :
l'amour aux passionnés, la richesse aux cupides, la gloire aux ambitieux,
la science aux intelligents, la quiétude des petites rentes aux médiocres.
Et, pour conquérir ces mirages, toutes les fatigues nous paraissent
douces. Mais, à l'heure de la mort, en dépit de notre égoïsme,
nous avons tout de même été utiles.
Peu à peu, nous apprenons à travailler, non plus pour nous,
mais pour le bien général.
Ainsi la souffrance est vraiment un bienfait. La joie de vivre aussi est
un bienfait. Ces deux soeurs viennent tour à tour visiter notre esprit.
Elles changent seulement de costumes jusqu'à ce que nous apercevions,
derrière elles, leur mère toujours jeune : la Vie. Et notre
être total se développe en tous sens, comme un arbre robuste
qui résiste aux autans et qui, par ses racines profondes comme par
ses rameaux étalés au soleil, extrait de la terre et du ciel
le double aliment de sa croissance séculaire.
*
Les fatigues et les peines et leurs pères, les désirs, ne
sont que des entraînements pour un effort définitif, les rejetons
d'un désir primordial, perpétuel et permanent. Il faut le
savoir et le proclamer : tout être humain porte en son coeur la passion
de Dieu; tout être humain doit comprendre la souffrance universelle;
tout être humain n'accomplit qu'un seul travail : la conquête
de l'Absolu.
Nous autres, les mystiques, nous devons parler de Dieu à tout le
monde; nous devons ne jamais contraindre personne; nous devons nous vouer,
avant tout, à l'oeuvre fraternelle.
Tout le monde est appelé à devenir un mystique; et ce n'est
pas Dieu qui tarde à lancer cet appel, c'est nous qui nous rendons
sourds volontairement.
Dieu, certes, pourrait arracher nos mains de dessus nos oreilles; mais Il
ne veut de nous qu'un service librement consenti. Il attend. Il a l'éternité
pour attendre, au besoin. Nos incartades, de plus en plus graves, finissent
fatalement par nous attirer une réaction assez sévère
pour nous déconcerter. Dans l'histoire de l'âme la plus criminelle,
un malheur surgit toujours, assez soudain, assez douloureux, assez déchirant,
pour tout dévaster en elle, pour la rejeter vers le vide primitif,
pour que tout croule de ce qui était son orgueil et sa force.
Mais, derrière ces ruines, le réel apparaît. Et ce Réel-là,
nous savons d'expérience qu'il est un être, qu'il est ce Jésus,
au nom de qui on a semé tant de mensonges. Nous savons qu'Il est
le seul véridique, le seul indulgent, le seul parfaitement, immuablement
notre Ami.
*
Cette vision se nomme dans le langage religieux, le repentir; et la qualité
du travail qui s'ensuit s'appelle la renonciation.
Les livres des sages sont pleins de sentences sur le renoncement. Mais il
y a le renoncement de l'orgueil dédaigneux; il y a l'humble renoncement
de l'Amour, qui balbutie dans les larmes et qui se prosterne.
Il se découvre un coeur ignoré qui aurait tant voulu demeurer
pur; il s'accuse et il s'abandonne avec courage au Destin justicier. Dès
lors sa vie ne sera plus qu'expiation. Depuis les prosaïques travaux
de son corps jusqu'aux plus rares efforts de son esprit, il convertira toutes
les fatigues en un sacrifice perpétuel. Tel est, en nous, l'enfantement
du Divin. La valeur de nos oeuvres s'en trouve accrue jusqu'à l'infini,
puisque, par cette volonté constante de saisir Dieu, le disciple
Le touche en effet. Il tâche à mettre dans ses oeuvres toutes
ses forces et toute son âme, mais
il en abandonne le bénéfice à ses frères autour
de lui.
Ce magnifique effort s'accommode de toutes les mentalités, de toutes
les positions sociales, de toutes les sortes d'énergies. Il n'exige
qu'un coeur ardent et une intention pure. Ainsi, en effet, tout homme chemine
vers son Idéal, puisque Dieu est, entre autres choses et d'abord,
la totalité des idéals du genre humain.
Toute créature se nourrit de ce que la Nature lui offre d'analogue
à elle. Le corps physique se nourrit d'aliments matériels;
l'intelligence se nourrit d'idées; l'âme, étincelle
du Verbe, ne peut se nourrir que du Verbe.
Le Verbe, c'est la puissance divine descendant chez les créatures
et se donnant à elles. Il est le sacrifice innombrable et parfait.
Le sacrifice sera donc aussi la nourriture de notre âme. Chaque fois
que nous nous serons privés de quelque chose au profit d'un être,
notre âme grandira. Accepter, rechercher la dernière place,
le mépris, la difficulté, la pauvreté, tout ce que
les hommes craignent et fuient, voilà la nourriture spirituelle du
disciple de Jésus. Le sacrifice est sa vie; l'Amour en est la flamme.
Il donne sans cesse : son argent, son temps, sa science, son habileté,
son affection; il offre tout cela à quiconque le lui demande; la
sensation même de la présence divine qui le béatifie,
il la donnerait pour soulager n'importe lequel de ses frères.
*
Car, peu à peu, son esprit pénètre dans un monde de
gloire où tout respire la paix, l'allégresse et l'harmonie.
Peu à peu le Maître du monde devient pour lui un Ami au lieu
d'un Seigneur. Peu à peu, la Vie parle directement à sa conscience,
cette Vie que ni le savant ni le philosophe ne peuvent saisir. Peu à
peu, les forces divines descendent, le miracle devient possible, le mystère
se dépouille de ses voiles.
On rencontre, en effet, des hommes que rien ne distingue de la foule; ils
ont un métier, une famille comme tout le monde; cependant, lorsqu'on
entre dans leur confiance, on les voit accomplir des choses extraordinaires,
on leur entend dire des vérités profondes. Mais, faiseurs
de miracles ou voyants, ils offrent cette particularité étonnante
qu'ils ne semblent pas tenir à leurs privilèges. Et ce détachement,
c'est le signe qu'ils appartiennent à Dieu, qu'ils sont dans la Vérité.
Le disciple vrai du Christ n'est donc ni un solitaire, ni un contemplatif;
c'est un actif; il doit s montrer entreprenant comme les plus courageux,
également impassible dans le succès ou dans l'échec,
ouvert à tout, s'intéressant à tout, mais tournant
tout dans le sens de Dieu. La forme de son existence, telle que son éducation,
ses aptitudes et son milieu la déterminent, reste la même.
C'est la qualité de cette existence qu'il transmue, par son zèle,
par son amour, embrassant dans une constante étreinte toute la Nature
et tout le Ciel.
Pour accomplir une telle mission, il faut que le disciple s'oublie lui-même.
qu'il oublie qu'il s'est oublié. Il faut, tout le jour, qu'il sorte
de soi, vers ses frères. Il faut, la nuit, qu'il rentre en soi, pour
retrouver Dieu et entendre Jésus.
Où puisera-t-il tant de force ?
Dans l'Amour, alimenté du sacrifice. Charité, humilité,
prière : voilà la devise du vrai mystique. Là se cachent
tous les secrets et tous les dons. Toutes les autres méthodes de
culture spirituelle sont factices. Car la vérité, c'est la
vie; la vie, c'est l'Amour. Ces serviteurs de Dieu, ces soldats du Christ,
ces laboureurs de l'Esprit sont les seuls hommes qui, dès cette terre,
peuvent étreindre leur idéal.
Rappelez-vous les émotions les plus exquises, les sensations les
plus grandioses, les conceptions les plus vastes que vous ayez pu éprouver
ou élaborer. Tout cela n'est plus qu'insipide, banal et mesquin,
en face des extases et des illuminations qu'un seul regard du Christ dispense
à Ses amis. Conciliez l'immense et l'infinitésimal, rassemblez
en votre âme la saveur de la toute-puissance et celle de la toute-tendresse,
peut-être obtiendrez-vous une image de l'atmosphère où
respire le disciple.
Vous concevrez pourquoi certains hommes semblent immuables parmi les situations
les plus diverses; pourquoi ils ne s'étonnent de rien jusqu'à
paraître insensibles, tout en ne ménageant aucune peine pour
adoucir même la souffrance d'une plante; pourquoi enfin un simple
regard, reçu d'eux comme en passant, nous émeut jusqu'au tréfonds.
Ces amateurs d'impossible, s'étant voués à Jésus,
assument les martyres toujours recommençants que le monde réserve
aux apôtres du divin. Ils sont énigmatiques et ils inspirent
confiance.
Ils regardent les choses sous un angle inconnu et leur vision ne leur fournit
que des motifs d'indulgence et de pitié. Les autres sont de pierre;
eux sont de feu; ils se consument, ils incendient autour d'eux. Ils æ
taisent beaucoup, mais leur parole est opérante; ils se cachent pour
faire le bien; mais, ayant encore dans les yeux la magnificence de l'Éternité,
ils donnent à chaque minute, à chaque être qui passe,
sa vraie valeur : une valeur infinie.
*
Tel est l'état du vrai disciple; tel est le chemin direct pour aller
à Dieu; voilà la méthode la plus fructueuse pour aider
nos frères.
Il est possible, au sein des pires malheurs, de garder la paix. Il est possible
que quelques paroles tombées de notre bouche redonnent le courage
au vaincu. Il est possible qu'à notre demande le Ciel distribue la
santé. détourne l'accident, attendrisse un coeur endurci.
Il est possible que l'Au-delà dévoile ses mystères.
Si vous le voulez, le Christ vous prendra avec Lui; vous consumant aux fatigues
de la charité, vous ressusciterez sans cesse par les flammes de la
prière. Vous serez dans le Ciel en vivant sur la terre, et vous répandrez
autour de vous l'atmosphère du Ciel.
Mais il faut vouloir vous-mêmes. Nul ne peut faire le travail à
votre place. Nul ne peut vous apporter l'eau des fontaines éternelles-sauf
le Christ en personne.
*
Cette eau arrive à notre coeur par la conscience et à notre
intellect par l'Évangile.
Une patiente et ferme discipline morale clarifie la première et,
dans la mesure de cette purification, la lecture de l'Évangile nourrit
notre cerveau. L'Évangile contient tout; toute science, divine ou
humaine, secrète ou patente, spéculative ou pratique. Les
secrets des astres y sont écrits, comme ceux de l'âme humaine;
ceux du microbe et ceux du génie; ceux de l'art comme ceux des mathématiques.
L'homme n'a pas besoin d'un autre homme pour se désaltérer
à ces sources, car personne n'est aussi proche de Dieu que soi-même.
Nul besoin d'intermédiaires, nul besoin d'autre rite que la simple
et confiante demande, d'un autre culte que la charité, d'une autre
discipline que l'Amour fraternel.
Toutes ces choses sont expérimentables; elles sont certaines. Le
devoir de ceux qui les constatent est d'inviter leurs frères aux
mêmes essais. Tous les hommes sont conviés au même Banquet.
Afin que se réalise, dans la plus large mesure, cet ordre divin qui
est en même temps un souhait et une prière; " Comme Je
vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres ".