En
Guise De Commentaire De La Traduction Du Sépher
Fabre d'Olivet
L'amour.
Adam parle :
Mon amour, dans Eden, était pur et simple comme moi ; c'était
un sentiment mêlé avec ma vie, qui ne me paraissait pas en
être distinct. Je n'aurais pu cesser d'aimer, quand je l'aurais voulu.
L'amour était comme le principe de mon être, et la lumière
de ma vie. A présent, au contraire, mon être en est devenu
le principe, et ma vie s'en est détachée. J'ai connu comme
un sentiment libre ce que je ne connaissais que comme un mode d'existence.
Le règne hominal.
Adam est ce que j'ai appelé le règne hominal [...] C'est l'Homme
conçu abstractivement : c'est-à-dire la masse générale
de tous les hommes qui composent, ont composé ou composeront l'humanité
; qui jouissent, ont joui, ou jouiront, de la Vie humaine ; et cette masse
ainsi conçue comme un seul être, vit d'une vie propre, universelle,
qui se particularise et se réfléchit dans les individus des
deux sexes. Considéré sous ce rapport, Adam est mâle
et femelle.
Soit qu'Adam se conçoive dans son essence universelle ou particulière,
Eve est toujours sa faculté créatrice, sa force efficiente,
sa volonté propre, au moyen de laquelle il se manifeste à
l'extérieur. Dans le principe de son existence universelle, Eve n'est
pas distinguée de la faculté créatrice universelle
dont émane Adam. Ce n'est qu'au moment de sa distinction, qu'Adam
devient un être indépendant et libre, et qu'il peut exercer
à l'extérieur, selon sa volonté propre, sa force efficiente,
créatrice. C'est toujours par Eve qu'Adam se modifie en bien ou en
mal. Eve fait tout en lui ou hors de lui.
Caïn et Abel.
Caïn et Abel sont les deux forces primordiales de la nature élémentaire.
Ce sont les deux premiers êtres cosmogoniques produits par Eve, après
que, par un certain mouvement vers la nature élémentaire,
elle a perdu son nom d'Aïsha, qui désignait la nature intellectuelle
d'Adam, pour prendre celui d'Eve, qui n'exprime plus que la vie matérielle
de cet être universel. C'est dans cette vie matérielle que
Caïn et Abel ont pris naissance, et que leurs principes, qui y étaient
en puissance d'être, dès l'origine des choses, sont passés
en acte pour produire tout ce qui doit à l'avenir constituer cette
vie. Caïn peut être conçu comme l'action de la force compressive,
et Abel comme celle de la force expansive. Ces deux actions, selon la force
desquelles tout existe dans la nature, issues de la même source, sont
ennemies dès le moment de leur naissance. Elles agissent incessamment
l'une sur l'autre, et cherchent à, se dominer réciproquement,
et à se réduire à leur propre nature. L'action compressive,
plus énergique que l'action expansive, la surmonte toujours dans
l'origine ; et l'accablant pour ainsi dire, compacte la substance universelle
sur laquelle elle agit, et donne l'existence aux formes matérielles
qui n'étaient pas auparavant.
En personnifiant [...] on a transformé en fait historique [...] un
acte cosmogonique qui a commencé à l'origine de la vie élémentaire,
qui dure encore, et qui durera jusqu'à ce que cette vie fasse place
à une autre.
Souffrance des animaux.
Malheureux animaux ! vous partagez encore Avec les fils d'Adam son destin
rigoureux. Comme nous, sans avoir goûté la triste pomme ! Comme
nous, sans avoir acquis plus de savoir. Byron.
Adam parle à Caïn :
... Je fis ce qu'il (Nahash) voulut ; mais, comme je te l'ai assez raconté,
l'effet épouvantable qui suivit mon acte criminel fut très
loin de répondre à notre attente. Le cours que suivait ma
vie dans l'éternité s'arrêta ; tout s'arrêta autour
de moi ; et je vis avec une indescriptible stupeur que les productions de
mon Eden et toutes les créatures que j'y avais mises, consolidées
par une force qui m'était inconnue, ne dépendaient plus des
actes de ma volonté. Un mouvement rétrograde avait tout envahi.
Emporté avec tout le reste dans ce mouvement épouvantable,
c'est en vain que j'essaierais de te peindre mon angoisse. Elle est autant
au-dessus de ton imagination que toutes les forces réunies de tous
les hommes sont au-dessus de la force d'un homme. C'est au milieu de cette
angoisse que la voix du Très-Haut se fit entendre à moi, et
que sa miséricorde daigna y mettre un terme en changeant, par sa
toute-puissance, le mode de mon existence, que rien autre ne pouvait changer.
Alors je pris des formes analogues à celles que mes productions avaient
prises. Je devins corporel comme elles. L'Eternel Dieu aurait pu sans doute
anéantir mes productions ; mais comme la souffrance, qui était
la suite inévitable de ma faute, ne pouvait se guérir qu'en
se divisant à l'infini, et que, plus elle était partagée
et divisée, plus elle devenait supportable, et tendait d'autant plus
vite à s'effacer, il daigna faire concourir à ma guérison
toute la nature corporelle qui était mon ouvrage. Ainsi la masse
des douleurs qui devait peser à l'avenir sur la totalité des
hommes à naître de moi, fut allégée dans un très
grand degré par le partage qui en fut fait sur les animaux. Ce fut
un grand acte de miséricorde de sa part en faveur de l'humanité
; car, je le répète, les animaux pouvaient être anéantis
; mais, en tant que mon ouvrage, ils ne pouvaient pas continuer à
vivre de ma vie sans en partager les vicissitudes. Ils n'étaient
pas plus innocents que mes descendants ne le sont et ne le seront ; car,
encore une fois, tous ces êtres, sous quelque point de eue qu'on les
considère, ne sont que moi, que moi-même, dont l'unité
est passée à la diversité.
Ainsi donc, désirer que les animaux n'éprouvassent aucune
fatigue, et n'eussent aucune douleur, ce serait désirer que les hommes
en supportassent davantage, ce qui ne serait ni juste, ni pieux : car tous
ont la même origine, à cette différence seule que celle
de l'homme est plus noble, et tend plus directement à l'immortalité.
[...]
... C'est que non seulement les animaux partagent les souffrances d'Adam,
et qu'ils les allègent en les partageant, mais que ce Nahash lui-même,
ce souverain des esprits, comme il s'intitule, Lucifer ou Satan comme tu
voudras l'appeler, les partage aussi et qu'il les allège de la même
manière.
L'espace et le temps.
... Car surtout considère
Que l'Espace et le Temps sont les seuls éternels. (Byron.)
" Non, Nahash, vous dit-il (Adam), non : l'Espace et le Temps ne sont
pas les seuls immuables, puisque l'Espace, comme vous devriez le savoir,
n'est qu'un mode de l'Immensité ; et le Temps, qu'un moment de l'Eternité.
Et, si vous le pouvez, jetez les yeux dans cette profondeur, et considérez
ce que je vous ai déjà dit : qu'après avoir été
induit par vous à cueillir le fruit de la science, ma vie à
son aurore, qui s'avançait d'un cours majestueux et doux dans l'Eternité,
s'arrêta tout à coup et prit un mouvement rétrograde.
Elle rentra donc dans la nuit d'où elle était sortie, et ce
fut l'Espace ; elle recula donc dans l'Eternité, et ce fut le Temps.
"
Souffrance des hommes et son remède.
Adam parle :
... Ce moyen, mon fils, était de changer le mode de mon existence,
de mettre dans l'Immensité l'Espace, dans l'Eternité le Temps,
et, ce qui est plus admirable encore, de réduire l'unité à
la divisibilité. C'est ce qui fut fait. Ainsi ma souffrance, qui
sans cela eût été unique et éternelle, devint
temporelle et fractionnelle. D'universel je devins particulier ; et la division
qui devait avoir lieu dans mon essence commença. Cette division,
qui s'est manifestée à ta naissance et à celle d'Abel,
s'effectue par la génération. Un grand charme y est attaché
par l'Eternel Dieu, et c'est sans doute un de ses plus grands bienfaits
; car, pour que ce moyen de guérison pût opérer, il
fallait qu'il fût irrésistible, comme je te l'ai dit. "
... Aucune de ces fractions ne pourra dire qu'elle est innocente, puisqu'elle
ne sera pas née dans l'innocence ; elle ne pourra pas dire qu'elle
est condamnée, puisqu'il n'y a pas eu condamnation, mais seulement
remède appliqué à un mal auquel cette fraction avait
participé avec le Tout dont elle faisait partie. Et si cette fraction,
effrayée comme tu l'es maintenant, de cette mort à laquelle
elle est soumise, comme tout ce qui dépend de l'Espace et du Temps,
se rebelle contre elle, elle fera preuve d'ignorance de plus d'une manière
; car tous les moyens nécessaires lui seront donnés, selon
la position où elle se trouvera, pour qu'elle sache que la mort n'est
qu'une simple mutation, un changement d'état conduisant de la diversité
à l'unité, de la même manière que la naissance
conduit de l'unité à la diversité. Il est même
possible que cette fraction de moi-même, si elle s'épure aux
rayons de l'Intelligence, parvienne à saisir dans mon sein toute
la vérité que je possède, et comprenne aussi bien que
je le comprends que naître et mourir ne sont que la manifestation
de ce mouvement mystérieux qui porte de l'Immensité à
l'Espace, et de l'Espace à l'Immensité ; de l'Eternité
au Temps, et du Temps à l'Eternité : en sorte que pour elle
la naissance et la mort ne seront plus autre chose qu'un changement d'état,
un passage de l'état d'essence à celui de nature, ou de l'état
de nature à celui d'essence.