État
de surabondance d'être des trois vertus théologales (c'est-à-dire
qui ont Dieu pour objet) : la Foi, l'Espérance et la Charité,
c'est cette dernière qui est la plus importante, et fondamentale de
l'enseignement de Jésus ; en effet, foi et espérance peuvent,
spontanément et sans effort, être des sentiments éprouvés
par les humains, sujets à des variations, alors que la charité
est d'abord un état d'origine divine, donc immuable, et exige de l'être
humain qui désire s'y hausser, une tension de tout l'être vers
Dieu et les autres, et puis des actes.
Car étymologiquement le mot charité, traduction du mot grec
agapè et du latin caritas - de carus, cher -, est utilisé par
les écrivains du Nouveau Testament pour désigner la vertu christique
par excellence, c'est-à-dire l'AMOUR SPIRITUEL ET DIVIN / mot choisi
spécifiquement en opposition au mot grec Eros qui désigne, lui,
l'amour humain : amour-désir-convoitise, le plus souvent. Ce terme
d'agapè, qui signifiait d'abord affection, se retrouve d'ailleurs dans
le mot français agapes, représentant à l'origine les
repas pris, en évocation de la Cène, par les apôtres unis
par l'Amour Divin de leur Maître, terme que nous, frères et Soeurs
de cet Ordre, employons aussi pour désigner un repas fraternel où
nous nous sentons unis par un lien spirituel commun. La charité a évidemment
aussi un sens dérivé et plutôt abâtardi que je ne
développerai pas ici et qui est synonyme d'aumône, de bienfaisance
- tous actes qui ne signifient RIEN s'ils ne sont accomplis avec au coeur
un véritable Amour pour les autres. "Celui qui n'a pas d'ailes
d'amour suprême ne peut faire voler au ciel son aimer" (c'est-à-dire
son acte d'aimer, sa charité) comme le disait Raymond Lulle dans son
beau livre L'Arbre de Philosophie d'amour. Ainsi donc, la charité au
sens noble du terme est l'AMOUR DE DIEU POUR SES CREATURES : amour suprême,
surabondant, du Père qui envoie son fils sur la terre puis du Christ
Jésus qui meurt d'amour pour sauver les hommes de la matière.
La charité, c'est également ce lien qui, par extension, sanctifie
les hommes entre eux, quand ils sont en union étroite avec Dieu, qui
leur inspire le vrai Amour; et comme le disait saint-Jean, l'apôtre
bien-aimé : "Aimons-nous ; que la charité fraternelle remplisse
nos coeurs, et elle commencera en nous, cette UNITE DIVINE qui doit faire
notre éternel bonheur". L'unité, en effet, en et par Celui
qui nous dépasse, doit être l'Amour. Cette interprétation
de la charité, cette traduction de charité par Amour divin,
est bien celle de Pascal dans sa phrase :?"La distance infinie des corps
aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à
la charité, car elle est surnaturelle". Oui, il ne faut pas se
le cacher, en tant que vertu divine, donc d'essence surnaturelle, rien n'est
plus difficile à atteindre et surtout à pratiquer par les humains
de manière continue. Et c'est pourtant là que réside
tout le fondement de l'enseignement de Jésus, et ce qui peut sauver
les hommes de l'anéantissement. Ainsi que le rappelle Alice BAILEY
dans son beau livre De Bethlehem au Calvaire : "Jésus chercha,
de toutes les façons possibles, à attirer l'attention des hommes
sur le fait que l'amour (la charité) est la caractéristique
de la divinité", et le merveilleux Raymond Lulle disait très
justement : "Celui qui a la charité s'élève à
la seigneurie de toutes choses" ; un autre écrivain (Blondel)
est encore plus explicite: "La charité est l'organe de la parfaite
connaissance". Parfaite connaissance, en effet : quand on possède
la charité, on est parvenu au sommet, et il n'est besoin d'absolument
rien d'autre, ni de science ni de dons intellectuels; l'Amour-Charité
est tout puissant et éternel, il est l'essence même de Dieu.
Mais écoutons également l'admirable définition qu'en
a faite le Disciple Paul de Tarse, dont je ne citerai que l'essentiel : "Mes
frères, quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges
même, si je n'ai pas la charité, je ne suis que comme un airain
sonnant et une cymbale retentissante. Quand j'aurais le don de prophétie,
quand je pénétrerais tous les mystères, quand je posséderais
toutes les sciences ; et quand j'aurais toute la foi possible jusqu'à
transporter les montagnes, si je n'ai la charité, je ne suis rien et
quand je distribuerais tout mon bien pour nourrir les pauvres, quand je livrerais
mon corps pour être brûlé, si je n'ai la charité,
tout cela ne me sert de rien. La charité est patiente, elle est douce
et bienfaisante, la charité n'est point envieuse ; elle n'est point
précipitée ; elle ne s'enfle point d'orgueil ; elle n'est point
dédaigneuse ; elle ne cherche point ses propres intérêts
; elle ne se pique ni ne s'aigrit point, elle ne pense point le mal, elle
ne se réjouit point de l'injustice, mais elle se réjouit de
la vérité ; elle supporte tout, elle croit tout, elle espère
tout, elle souffre tout. La charité ne finira jamais, alors que les
prophéties s'anéantiront, que les langues cesseront et que la
science sera abolie (...) comme tout ce qui est imparfait" . Et Saint-Paul
conclut : "Des trois vertus, la foi, l'espérance et la charité,
c'est la charité qui est la plus excellente des trois". Dans cette
belle définition de la charité, Saint-Paul fait bien comprendre
que tout ce qui est d'origine humaine, donc imparfait, sera un jour aboli,
mais que la vraie charité-amour ne finira jamais, car son origine est
divine, donc immuable.
Dans cette épître, on note que Saint-Paul fait de la charité
un sentiment, par exemple lorsqu'il dit "la charité est patiente,
douce et bienfaisante, point envieuse ...", sans doute pour se rendre
plus compréhensible à ses interlocuteurs. Toutefois, je pense
avec le Maître de la Fraternité Blanche Universelle, Mikhaël
AIVANHOV que, après avoir été un sentiment et être
parvenue à son stade ultime le plus vrai, la charité-amour est,
et doit être plus un état immuable, un état de surabondance
d'être qu'un sentiment, forcément soumis aux vicissitudes : état
purifié du Nouvel Homme, état de celui qui est parvenu par le
dépouillement, le sacrifice, le renoncement, en un mot par l'oubli
total de soi, au vrai bonheur permanent pour soi et les autres, que procurent
l'amour et la lumière spirituelle, état qui finit par irradier
la lumière, la répandre de proche en proche, et donc créer
l'unité, par une sorte d'osmose : "Il faut que nous devenions
lumière pour que le monde s'éclaire", disait Maurice Zundel.
C'était l'état permanent de Jésus-Christ - et de quelques-uns
de ses humbles disciples sur la terre , entre autres le Maître Philippe,
le Père Antoine pour ne citer qu'eux. Comme Jésus, tous les
deux étant dans cet état de pureté de cur, de disponibilité
totale et d'amour généreux, ils avaient reçu d'En-Haut
le don de guérir les malades, malades de l'âme surtout, et ils
irradiaient tant d'amour que ces guérisons pouvaient même avoir
lieu à distance et collectivement. Ils ne s'appartenaient plus, ils
s'étaient fait don, sans retour. Cet état d'amour présuppose,
au départ, la tension permanente dont parlait Paul SEDIR, tension vers
le divin, qui n'a rien de commun avec ce que l'on appelle la tension nerveuse,
mais qui est au contraire décontraction et abandon aux forces divines,
car il faut avoir fait le vide total en soi avant de se laisser emplir, illuminer
par l'Amour, comme le conseille bien la formule : "Se purifier, recevoir,
donner".
Mais pour parvenir au tout premier échelon de cet état d'être
maximum, il existe des recettes pratiques, si j'ose m'exprimer aussi prosaïquement.
Par exemple, les esprits un peu ... à l'étroit, ou chagrins,
mélancoliques naturellement - donc assez égocentriques - ou
dépressifs, devront faire un effort sur eux-mêmes, qui paraîtra
tout simple à certains, bien à tort : changer, d'abord d'état
physique, en faisant un effort conscient de purification de leur organisme,
point essentiel, le corps étant le support de l'âme; en suivant
un régime sain approprié, en se rappelant que la viande intoxique
et rend agressif, et qu'il est peu charitable pour un adepte de la charité
de manger ses amis et frères animaux ...; et en pratiquant l'exercice
physique indispensable, discipline qui rend sain et joyeux, hatha yoga ou
simple gymnastique suédoise entre autres. Ce sera un premier pas vers
une purification, et tout le reste arrivera alors plus facilement. N'oublions
pas, après tout, ce sage précepte : "Charité bien
ordonnée commence par soi-même". Cette quête vers
l'Amour-charité m'a toujours paru correspondre, en effet, davantage
à un élan vital joyeux, à une surabondance de tout l'être
(imagine-t-on une charité rétrécie ou revêche?),
plutôt qu'à une ascèse voulue mais difficilement acceptée
par soi-même ; à un entraînement naturel de tout l'être
vers le bien, le beau, l'aimable, qui corresponde à un état
naturel de joie, plutôt qu'à un précepte plus ou moins
religieux à observer de manière un peu intellectuelle, avec
la notion d'obligation. Et je ne puis m'empêcher de penser que ce devait
être l'état dans lequel vivait un Saint-Jean, si pétri
d'amour, ou un Saint-François d'Assise qui portait au cur tant
de charité-amour naturelle pour toutes créatures, humaines,
animales, végétales et cosmiques. Car je pense qu'il faut d'abord
s'être libéré, unifié, être heureux et en
paix avec soi, s'être amplifié aux limites de l'être, avant
de pouvoir répandre l'Amour-charité qui est surabondance naturelle
et consciente, et joyeusement consentie dans le Service des autres.
Je citerai enfin l'admirable phrase de Mikhaël AIVANHOV, beaucoup plus
explicite dans sa simplicité que tout ce que j'essaie de dire : "Pour
comprendre ce qu'est véritablement l'amour, il faut réaliser
qu'il n'est pas un sentiment, car le sentiment est obligatoirement sujet à
des variations selon qu'il s'adresse à telle ou telle personne, mais
qu'il est un état de conscience indépendant des êtres
et des circonstances. Aimer, ce n'est donc pas avoir un sentiment pour quelqu'un,
mais faire toutes choses avec amour : parler, marcher, manger, respirer, étudier,
avec Amour ; c'est avoir accordé tous ses organes, toutes ses cellules
et toutes ses facultés pour qu'ils vibrent à l'unisson dans
la lumière et dans la paix. Toutes les manifestations de notre être
sont alors imprégnées d'ondes, de fluides divins. L'Amour est
un état de conscience permanent : le jour, la nuit, l'homme vit dans
cet état, il est prêt à tout faire dans la joie, et tout
ce qu'il fait est une mélodie".