L'HOMME DE DÉSIR
Louis-Claude de Saint-Martin
Pourquoi toutes les eaux que le globe renferme communiquent-elles les unes aux autres ?
Pourquoi ne font-elles que circuler et passer alternativement par des gouffres infects et par des filières pures qui les clarifient ?
Pourquoi l'air qui remplit l'atmosphère suit-il la même loi, en s'introduisant dans nos poumons et dans les canaux des plantes ?
Pourquoi tous les fluides de la nature ne font-ils que passer d'un lieu à un autre, pour l'avantage de tout ce qui existe ?
Pourquoi sont-ils comme si nous nous les prêtions mutuellement, que nous bussions tous la même liqueur, et que nous ne fissions que nous passer la coupe ?
C'est pour nous apprendre que telle est la loi de l'esprit sur nous ; et que toute l'atmosphère de l'intelligence est contiguë.
Unité suprême et universelle, oui, nous participons tous à la même pensée. Le même esprit circule dans tous les êtres pensants, nous puisons sans cesse à la même source.
Nos esprits se communiquent par notre nourriture intellectuelle, comme nos corps se communiquent par la circulation des éléments. Comment serions-nous donc séparés de la vie ? Tout est vivant. Comment aurions-nous de l'inimitié pour les hommes ? Nous sommes tous assis à la même table, et nous buvons tous dans la coupe de la fraternité.
Les hommes ne cherchent pas les œuvres vives. Tout ce qu'ils font, tout ce qu'ils écrivent, leurs occupations, leurs traités scientifiques, ne sont point dirigés vers la vie.
Tandis qu'un seul instant d'activité pourrait les mettre en union avec le vrai, pour ne jamais s'en séparer !
Force naturelle de l'homme, tu te concentres, tu t'absorbes, mais tu ne te détruis pas par les accidents involontaires. L'orage passé, tu te trouves la même, et tu as de plus les trésors de l'expérience.
Tu soupires après la paix universelle ? Le pendule a été mis en mouvement depuis le crime. Ses oscillations ne peuvent diminuer que par progression.
Il faut attendre la fin des siècles, pour que le pendule marque son dernier battement, et que les êtres rentrent dans le repos.
Quelle surprise pour ceux qui, dans leur passage terrestre, auront cru qu'il n'y avait rien au-delà, et qui auront méconnu la circulation universelle !
Dieu serait-il si patient, s'il n'avait des moyens d'étonner la postérité humaine, quand elle arrive à la région de la vie et de la lumière ?
Quand elle arrive à cette région où elle peut contempler ce fluide simple et fixe, principe et source de tous les mouvements, et portant partout la plénitude de la vie ?
Où prendre l'idée des lumières et des clartés qui accompagnent la naissance de l'homme ? Nous ne sommes ici bas que nageant sous une ombre, et dans l'atmosphère des images.
Sagesse, tu dois être si belle que le pervers lui-même deviendrait ton ami, s'il pouvait appercevoir le moindre de tes rayons.
Ma vie sera un cantique continuel, puisque les puissances de mon Dieu sont sans borne.
Je le louerai, parce qu'il a formé l'ame humaine de l'extrait de ses propres vertus.
Je le louerai, puisque tous les êtres pensants sont les témoins vivants de son existence.
Je le louerai, puisque l'âme humaine se manifeste comme lui par la parole.
Je le louerai, parce qu'il n'abandonne pas l'homme dans sa misère.
Je le louerai, parce qu'il le dirige comme une mère tendre dirige son enfant, et lui fait essayer ses premiers pas.
Je le louerai, parce qu'il a donné à l'homme le pouvoir d'employer les animaux même à la culture de la terre.
Hommes, cessez de ne prouver Dieu que par la nature matérielle. Vous ne prouvez par-là que le Dieu puissant et fécond.
Et si cette nature matérielle avoit déja accompli tous ses types, et qu'elle n'existât plus, comment prouveriez-vous donc celui qui l'a formée ?
Et si vous la rendez éternelle, donnez-lui donc aussi, comme à votre Dieu, l'intelligence et la sainteté. Annulez donc tous les types qu'elle doit offrir, et qui dès-lors deviennent superflus.
Et les désordres évidents qu'elle annonce, comment les expliquerez-vous, si elle n'a ni la liberté ni la pensée ?
Les cieux annoncent la gloire de Dieu ; mais son amour et sa sagesse, c'est dans le cœur de l'homme qu'en est écrit le véritable témoignage.
C'est dans l'extension sans borne de notre être immortel, que se trouve le signe parlant du Dieu saint et sacré, et du Dieu bienfaisant à qui sont dus tous nos hommages.
L'univers peut passer, les preuves de mon Dieu n'en seront pas moins immuables, parce que l'âme de l'homme surnagera sur les débris du monde.
Si vous éteignez l'àme humaine, ou si vous la laissez se glacer par l'inaction, il n'y a plus de Dieu pour elle, il n'y a plus de Dieu pour l'univers.
Je tiendrai mon âme en activité, pour avoir continuellement en moi la preuve de mon Dieu.
Je la tiendrai occupée à la méditation des lois du seigneur.
Je la tiendrai occupée à l'usage et à l'habitude de toutes les vertus.
Je la tiendrai occupée à se régénérer dans les sources vivifiantes.
Je la tiendrai occupée à chanter toutes les merveilles du seigneur, et l'immensité de sa tendresse pour l'homme.
Quels instants pourront lui rester qui ne soient pas remplis par la prière ? Ma vie sera un cantique continuel, puisque la puissance et l'amour de mon Dieu sont sans borne.
Dès que je m'approcherai du seigneur pour le louer, il m'enverra le sanctificateur.
Le sanctificateur m'enverra le consolateur.
Le consolateur m'enverra l'ami de l'ordre.
L'ami de l'ordre m'enverra l'amour de la maison de mon Dieu.
L'amour de la maison de mon Dieu, m'enverra la délivrance : et les ténèbres se sépareront de moi, pour être à jamais précipitées dans leurs abîmes.