De
l'ensemble de mes travaux sur le symbolisme du masque, je ne prétends
apporter ici qu'une très modeste esquisse, défectueuse peut-être
sur bien des points. D'autres feront mieux.
Le masque dans le Martinisme est présent dès le degré
d' « Associé », il est verticalement le premier effet vestimentaire
dans notre Ordre et c'est à ce titre qu'on peut dire qu'il est fondamental.
Aussi, avant de lever le voile sur le symbolisme du masque, il serait bon
de reformuler ce qu'est un symbole et sa fonction.
Un symbole est un médiateur entre le monde physique et le monde de
la pensée. C'est un langage ou plutôt un méta-langage
qui dépend bien sûr de la culture et du contexte dans lequel
on l'emploie. Depuis les travaux de Jung en psychanalyse, les symboles ont
repris une place importante dans la vie de notre société matérialiste,
ce qui est en soi un bon signe de son évolution vers le monde de l'esprit,
la spiritualité.
Les fonctions du symbole dans la tradition ésotérique sont multiples.
Dans un premier temps, le symbole évoque tout en voilant, il structure
alors notre pensée et permet ainsi de faire en nous les prises de conscience
qui mènent au « Connais-toi, toi-même ». Par principe,
un symbole n'est jamais vraiment interprété, car sa partie voilée
est beaucoup plus importante que sa partie visible; le symbole, disait L.C.de
Saint Martin en parlant des Nombres, n'exprime que l'étiquette du sac,
et ne donnera pas communément la substance de la chose. Cette substance,
comment l'obtenir? Eh bien, tout simplement, par recoupement entre divers
symboles dans une même tradition, ou avec d'autres traditions, quand
notre perception personnelle de ce symbole est assez solide. Les symboles
jettent des ponts dans la conscience de l'individu .Ils permettent des associations
d'idées qui favorisent l'éveil de la conscience.
Après cette brève explication du symbole, voyons maintenant
notre sujet qui est Le symbolisme du masque.
Revêtir sa jeunesse de quelque costume élégant, éclatant
et fantastique, cacher son visage sous un masque d'expression immobile, assumer
une personnalité nouvelle, de tous inconnus; devenir un autre, un autre
plus libre et plus léger, déchargé des soucis habituels
et s'exaltant de sa métamorphose, c'est cueillir la joie que toujours
donne à l'homme l'oripeau (vêtement usé qui a conservé
un reste de splendeur), mais aussi l'inquiétude vague que lui donne
le masque. Inquiétude ? Eh oui: ce n'est pas sans cause que dans l'antiquité
romaine, les jours carnavalesques, «Les Saturnales» étaient
placés sous les auspices de Saturne, le Dieu planétaire auquel
toute la tradition attribue une humeur inquiète et chercheuse.
Inquiétude ? oui, puisqu'il s'agit de cacher sa personnalité
sous l'apparence d'une autre très différente, de déguiser
sa propre réalité, d'augmenter au maximum la distance entre
sa vie intérieure et son activité extérieure, de créer
une personne superposée à la sienne.
Mais déjà une personne, n'est-ce pas un masque ? Dans le théâtre
antique, l'acteur portait toujours un masque dont la bouches étaient
un porte-voix, et ce masque se nommait « per sona » (personne):
la voix sonnait à travers lui. Ainsi, si l' homme est une personne,
c'est que le masque lui a donné son nom. Un héros de tragédie
était toujours en relation avec le monde divin ou le monde démoniaque.
Pour frayer avec les êtres surnaturels, il portait toujours un masque;
il leur présentait de lui-même une apparence rituelle, façonnée
selon les canons d'un art hiératique (c'est-à-dire conforme
d'une tradition liturgique). Dans toute l'Afrique, le sorcier, pour évoquer
les puissances ténébreuses, revêt un costume solennel
et fantasmagorique, et cache son visage sous un masque.
La nature même pose un masque à la créature humaine pour
une entrée dans la vie comme pour une entrée dans la mort. Elle
modèle le masque de la femme enceinte; elle sculpte d'un doigt tragique,
avec l'os et la chair, ce masque prémonitoire, lisible comme des lettres
familières, des hommes que va saisir la griffe de la mort.
Plus loin encore, plus haut, monte le symbole du masque. La théologie
dit que Dieu est personnel, proposition qui choque fort ceux qui n'entendent
pas la langue française. Elle a conservé au mot «personnel»
son sens fondamental de «masqué». Elle signifie que Dieu
est masqué par le monde, c'est-à-dire incommunicable. Pour la
théologie catho-lique, le monde est le masque de Dieu.
Pour le Martiniste, le masque est une chose destinée à masquer
la personnalité et à augmenter au maximum la distance entre
l'initié et le monde profane, c'est donc une aide pour créer
la personnalité idéale, c'est aussi l'un des trois outils dont
l'Initié se sert pour entrer dans la voie tracée par les Supérieurs
Inconnus et bénéficier de leurs influences. L'Initié
doit-il alors se cacher ? Uniquement au monde profane, à ses Frères
il se présente sans contrainte, tel qu'il est.
Qu'enseigne alors le masque à l'Initié ? II enseigne que la
connaissance est impersonnelle et n'est connue que par ses manifestations.
Elle ne peut être personnifiée comme individualité.
Qu'elle est l'origine du masque? Dans les tragédies, les divinités
mêmes étaient sensées parler par le masque de l'acteur.
Aussi l'homme a été amené à associer le masque
à des communications avec d'autres mondes. Avec nous il est devenu
le symbole de cette communication.
Le langage direct est incapable d'exprimer pleinement et complètement
la pensée. S'il répond aux besoins immédiats de l'homme,
il est néanmoins insuffisant pour présenter en un grand ensemble
une idée.
Ainsi, de réflexion en méditation, au fil du temps, se tissera
dans notre conscience une structure, un tissu, un réseau d'association
d'idées qui relèveront progressivement la substance du symbolisme
du masque.