De
la triple vie de l'homme
selon le mystère des trois principes de la manifestation divine
Jacob Boehme
Trad. Louis-Claude de Saint-Martin
De
l'origine de la vie ; de l'éternelle génération de
l'Essence divine
1. Si nous voulons considérer le commencement de notre vie, et le
comparer à l'éternelle vie qui nous est promise, nous ne pouvons
ni dire ni trouver que dans cette vie extérieure nous soyons dans
notre demeure, car nous voyons le commencement et la fin de cette vie extérieure,
et avec cela l'entière dissolution et corruption de notre corps.
En outre, nous ne savons ni ne voyons aucune retour dans cette vie, et nous
n'en avons non plus aucune promesse de la part du suprême et éternel
bien.
2. Puisqu'il y a donc en nous une vie qui est éternelle et impérissable,
avec laquelle nous nous portons vers le suprême bien ; de plus, une
vie de ce monde laquelle est périssable et finie, et en outre une
vie dans laquelle se tient la source et l'original de la vie, (et) où
se trouve le plus grand danger de l'éternelle perdition, il nous
est essentiel de considérer le commencement de la vie d'où
toutes ces choses procèdent et tirent leur origine.
3. Et lorsque nous considérons la vie et ce qu'elle est, nous voyons
qu'elle est un feu brûlant qui consume, et lorsqu'elle n'a plus rien
consumé, elle s'éteint comme cela se voit dans tous les feux.
Car la vie tire sa nourriture du corps, et le corps la tire des aliments
; car si le corps n'a plus d'aliments, il est consumé par le feu
de la vie, de manière qu'il se ferme et se sèche, comme fait
une fleur des champs qui n'a point d'eau.
4. Mais puisqu'il y a en outre dans l'homme une vie éternelle et
impérissable, c'est-à-dire l'âme qui est aussi un feu,
et doit avoir sa nourriture aussi bien que la vie mortelle élémentaire
; nous devons également considérer qu'elle est sa source et
son aliment, ce que c'est qui lui donne sa nourriture, de manière
qu'elle ne puisse jamais s'éteindre.
5. Et troisièmement, nous trouvons que dans la vie de notre âme
il y a encore un appétit plus grand pour une vie plus élevée
et meilleure ; savoir, pour le plus suprême bien, qui est appelé
la vie divine, en ce que l'âme ne se contente pas de sa propre nourriture,
mais qu'elle désire avec un grand attrait et une grande ardeur, ce
bien suprême et parfait, non seulement pour des délices, mais
comme pressée par le besoin de se nourrir.
6. Et alors nous apercevons dans une grande science, et dans une vraie connaissance
que chaque vie désire pour nourriture sa mère, d'où
la vie est née. C'est ainsi que le bois est la mère du feu,
laquelle le feu désire, et s'il est séparé de sa mère
il s'éteint. Ainsi la terre est la mère des arbres et des
plantes, et ils la désirent ; ainsi l'eau avec les autres éléments
est la mère de la terre, et sans cela elle resterait dans la mort,
et il ne croîtrait en elle ni métaux, ni arbres, ni plantes,
ni herbes.
7. Nous voyons particulièrement que la vie élémentaire
consiste dans un bouillonnement, qu'elle est une ébullition, et que
quand elle ne bout plus elle s'éteint. Nous savons aussi que la constellation
allume les éléments, que les étoiles sont le feu des
éléments, que le soleil enflamme les étoiles, de façon
qu'il y a un travail et un bouillonnement l'un dans l'autre ; mais la vie
élémentaire prend fin et est périssable, au lieu que
la vie de l'âme est éternelle.
8. Si donc elle est éternelle, elle doit aussi tenir de l'Éternel,
comme le cher Moïse en a écrit avec raison. Dieu a soufflé
à l'homme un souffle vivant, et l'homme est devenu une âme
vivante.
9. Mais nous ne pouvons pas dire, sur ce que l'homme consiste en une triple
vie, que chaque vie existe séparément avec une forme particulière
; mais nous trouvons que ces vies sont les unes dans les autres, et cependant
que chacune a son opération dans son régime, c'est-à-dire
dans sa mère. Car comme Dieu le Père est tout, puisque tout
sort de lui, qu'il est présent en tout lieu, et est le complément
de toute chose, et que la chose ne le comprend pas, qu'ainsi la chose n'est
pas Dieu, ni son esprit, ni sa vraie essence divine, de manière qu'on
ne peut dire d'aucune chose saisissable : cela est Dieu, ou bien Dieu est
ici plus présent qu'ailleurs ; tandis que, cependant, il est réellement
présent, il contient les choses et les choses ne le contiennent point
; car il ne demeure pas dans les choses, mais en soi-même dans un
autre principe.
10. De même aussi est l'âme de l'homme soufflée par Dieu
; elle demeure dans le corps, elle est environnée des étoiles
et de l'esprit élémentaire, non pas seulement comme un vêtement
couvre le corps, mais elle est imprégnée par les étoiles
et l'esprit élémentaire, comme la peste où une autre
maladie infecte l'esprit élémentaire, de manière qu'elle
empoisonne son corps, le fait décliner et périr. Alors la
source des étoiles se sépare aussi de l'âme, et se consume
elle-même, puisque la mère élémentaire se brise.
Alors l'esprit des étoiles n'a plus aucune nourriture, et c'est pour
cela qu'il se consume lui-même ; mais l'âme demeure dans la
nudité, car elle vie d'une autre nourriture.
11. Ainsi concevez-nous de cette manière. Quoique l'âme soit
emprisonnée par les étoiles et par l'esprit élémentaire,
de façon que leur travail agisse dans l'âme, cependant l'âme
a une autre nourriture et vit dans un autre principe, et est aussi d'une
autre essence ; car ses essences ne tiennent point de la constellation,
mais elles tirent leur origine et leur réunion corporelle de l'éternel
lien, de l'éternelle nature, qui est de Dieu le père, avant
la lumière de son amour, où il entre dans lui-même et
fait lui-même le second principe dans son amour, d'où il engendre
toujours, et d'éternité en éternité, sa parole
éternelle et son cur. Car là, le saint nom de Dieu se
produit lui-même sans cesse, et contient sa nature divine en soi-même
comme un esprit dans le second principe, et ne demeure en rien, mais seulement
et purement en lui-même.
12. Car quoique le lien de l'éternelle nature soit en lui, cependant
le divin esprit n'est point assujetti à ce lien, puisque c'est l'esprit
qui enflamme ce lien de la nature, afin qu'elle soit éclairée
et mue par la puissance de la lumière dans l'amour et dans la vie
de la parole du cur de Dieu, de manière qu'elle soit une sainte
joie et un paradis de l'esprit, qui est appelé Dieu.
13. De même aussi l'âme humaine est-elle à part du lien
de l'éternelle origine, tout en y demeurant éternellement,
et elle désire en soi-même de pénétrer jusqu'à
Dieu dans le second principe, et de se rassasier de la puissance de Dieu.
14. Mais puisque avec tout son être, avec ses propres essences, elle
ne peut pas plus entrer dans la lumière et la puissance de Dieu,
que l'éternelle nature ne peut pénétrer dans la lumière
de Dieu, de manière à se saisir de la lumière en propriété
et en puissance propre ; mais que la lumière brille hors de l'amour
dans son propre principe, dans l'éternelle nature, de façon
qu'ainsi la lumière demeure un maître de l'éternelle
nature, puisque l'éternelle nature ne peut la saisir, mais se réjouit
dans la lumière et produit au dehors ses merveilles dans la puissance
et l'intelligence de la lumière, où alors elles sont mises
en manifestation.
15. De même aussi l'âme de l'homme ne peut, avec ses essences,
pénétrer dans la lumière de Dieu pour la dominer ;
mais elle doit en elle-même, comme dans un second principe, pénétrer
en Dieu dans son amour. Car tu dois ici entendre une seconde nouvelle naissance
dans l'âme, en ce qu'elle ne doit pas seulement sortir hors de la
vie astrale et élémentaire, mais aussi hors de la source de
sa propre vie, et puiser sa volonté dans l'amour de Dieu si elle
y veut être ; et cette volonté puisée est reçue
de Dieu, et Dieu demeure dans cette volonté. Ainsi la lumière
et la vie divine viennent dans l'âme, et elle est enfant de Dieu ;
car elle demeure dans sa source et dans sa vie, comme Dieu lui-même
demeure dans la source de l'éternelle nature.
16. Ici maintenant nous concevons que hors de la lumière de Dieu,
(ou) du second principe, il y a dans l'éternelle nature une source
angoisseuse. Car le lien de la vie existe dans le feu ; mais si ce même
feu est imprégné et enveloppé par le saint amour divin,
la vie en soi-même se porte dans un autre principe, car un autre principe
lui est ouvert dans lequel elle vit, et le vivre est en Dieu, de même
que Dieu demeure en soi-même, et est cependant véritablement
tout, tout est provenu de sa nature. Mais tu ne dois pas entendre que tout
vienne de l'éternelle nature (seulement les âmes et les esprits
angéliques) ; mais de sa volonté créée qui a
un commencement, c'est-à-dire de l'externe ; c'est ce qui fait que
tous les êtres de ce monde son périssables.
17. Et nous trouvons ici au-dedans de notre âme, la grande et terrible
chute de nos premiers parents, ce qui fait qu'elle est entrée dans
l'esprit de ce monde dans une demeure étrangère, et a abandonné
la lumière divine dans laquelle elle était un ange et un enfant
de Dieu ; c'est pour cela qu'elle doit repasser dans une nouvelle naissance
dans la vie de Dieu.
18. Mais comme cela n'était pas possible à l'âme, la
vie divine est venue de l'amour et de la grâce vers nous dans la chair,
et a pris de nouveau en soi notre âme humaine dans la vie divine et
dans la puissance de la lumière, afin que nous puissions, en une
nouvelle naissance, jusqu'à Dieu dans cette même vie (divine).
19. Car de même qu'avec l'âme d'Adam, nous sommes passés
tous hors de la vie divine, et que nous avons tous engendré et hérité
le mauvais suc de l'âme de nos parents comme d'une fontaine ; de même
la vie de Dieu en Christ nous a engendrés de nouveau, de façon
que dans la vie du Christ nous pouvons de nouveau entrer dans la vie de
Dieu.
20. Ainsi maintenant il arrive que notre âme est dans le lien de l'éternel
original, infectée par l'esprit de ce monde, et emprisonnée
par la colère de l'original dans la vie de l'éternel feu ou
de l'éternelle nature. C'est pour cela que nous devons tous, chacun
pour son propre compte, nous introduire avec notre âme dans la vie
du Christ vers Dieu, dans la nouvelle naissance, dans la vie et l'esprit
de Dieu. Et ici il n'y a rien à retirer de l'hypocrisie de la sainteté
extérieure, ni des propres uvres méritoires ; car la
pauvre âme ne peut être soulagée, à moins que
dans soi-même ou dans une volonté nouvellement créée,
elle n'entre par une ferme résolution dans la vie du Christ. Là
elle est reçue par Dieu et ses enfants dans le second principe avec
de grands honneurs, on lui donne le noble et cher trésor, ou la lumière
de la vie éternelle qui éclaire la source du feu de l'âme
dans le premier principe, où elle existe éternellement avec
ses essences substantielles ; son angoisse se change en amour, et son élèvement
et son enflammement, qui sont la vraie propriété du feu, devient
une humble et aimable joie dans de douces délices.
21. Et ainsi l'âme est la joie dans la vie divine ; ce que je pourrais
comparer à une lumière allumée, lorsque le lumignon
de la chandelle brûle et répand un doux éclat ; dans
cet éclat il n'y a aucun bouillonnement, mais une claire joie, et
cependant le lumignon enflammé continue de brûler. Toutefois
tu dois concevoir ceci comme n'y ayant aucune peine dans le lumignon brûlant,
mais une cause de l'éclat de la vie, puisqu'on ne peut comparer aucun
feu au feu divin ; car la nature divine d'où s'enflamme le feu de
la vie divine est imprégnée de l'amour de Dieu, de façon
que la lumière divine fait en soi un second principe, dans lequel
aucune nature n'est apercevable, car il est la fin de la nature.
22. C'est pourquoi l'âme dans ses propres essences ne peut saisir
la lumière de Dieu pour s'en emparer, car l'âme est un feu
dans l'éternelle nature, et n'atteint point la fin de la nature.
Car elle demeure dans la nature comme une créature produite de l'éternelle
nature ; et là cependant il n'y a aucune compréhensibilité,
mais un esprit en une forme septénaire ; quoique néanmoins
dans l'original il n'y ait pas sept formes de connues, mais seulement quatre,
lesquelles soutiennent l'éternel lien, et sont la source en angoisse
en quoi consiste ce qui est éternel. Et delà sont engendrées
toutes les autres formes, en quoi consiste Dieu et le royaume des cieux
; et dans les quatre formes est l'angoisse et la peine si elles sont seules
et nues, et là nous entendons le feu infernal et la colère
éternelle de Dieu.
23. Et quoique nous ne connaissions pas l'original de l'essence de Dieu,
puisqu'elle n'en a point ; cependant nous connaissons l'éternelle
génération qui n'a jamais eu de commencement, elle est encore
aujourd'hui ce qu'elle a été dès l'éternité
; c'est pourquoi nous pouvons bien comprendre ce que nous voyons aujourd'hui,
et que nous reconnaissons dans la lumière de Dieu. Et personne ne
doit nous juger ignorant, parce que Dieu nous donne à connaître
sa propre essence, ce que nous ne pouvons ni ne devons nier, sans exposer
notre salut éternel et sous peine de perdre la lumière divine
; car il est impossible à tout homme de la posséder, à
moins que Dieu, par sa grâce, ne la lui donne dans son amour ; et
si elle lui est donnée, alors l'âme demeure dans la connaissance
des merveilles de Dieu ; elle ne parle point de choses étrangères
et éloignées d'elle, mais des choses dans lesquelles elle
demeure, et d'elle-même ; car elle voit dans la lumière de
Dieu, de manière qu'elle peut se connaître elle-même.
[...à suivre]