Lettres inédites de Jules Doinel à J-K. Huysmans


16 rue du Croissant, Paris
Mon cher et Grand Maître.


Je vous envoie le Républicain Orléanais journal mal pensant, mais enfin journal qui, malgré nos divergences de vue, accepte et paye mes chroniques; celle-ci vous est dédiée.
De plus, ce numéro contient un article sur vous, lequel n'est pas de moi; mais où ils ont essayé de rendre leur matérialisme aimable. J'ai échoué à la Vérité. G. Bois a fait l'article.
Votre livre est une merveille. Vous savez que j'ai pleuré souvent en le lisant. Je l'ai prôné ici et en ai fait acheter pas mal. C'est bon pour Orléans. Quand j'aurai un peu de loisir, je le consacrerai à un article pour le Rép. Comme il est lu à 15 000 exemplaires, ce sera bon. On m'y laisse d'ailleurs et bien entendu, toute liberté.
Mon Lucifer sera publié en volume cette année - Chose rare ! deux éditeurs me le demandent. Cela me surprend, moi provincial, mais cela me prouve qu'il fait son trou. Un journal espagnol le reproduit sans daigner demander la permission. J'ai trouvé l'article de Sarcey sur En Route bien plat.
A bientôt, à mon premier voyage à Paris, cher et Grand Maître, avec mes admirations affectueuses.
Jules Doinel.


Orléans, 8 avril 91
Monsieur Huysmans
Il rue de Sèvres
(En-tête biffée ) : Conseil de l'Ordre du Grand Orient de France. Orléans,
le 11 avril 91
Monsieur,
J'allais, quand j'ai reçu ce matin, la lettre que vous voulez bien m'écrire, vous envoyer une indication que peut-être d'ailleurs vous connaissez déjà, au sujet de Melchisédech, dont vous parlez dans le feuilleton d'hier.
Permettez-moi de vous indiquer dans la revue des Etudes Juives des mois de Juillet - Septembre et Octobre - Décembre 1882, une très curieuse étude de Friedlaender sur la secte des Melchissédechiens. Ce sont des gnostiques qui voient en Lui une hypostase divine. Mais surtout comme sources je vous reporterai aux Philosophonoumena, édition Cruice 1860, in 80 pages 391 et 505. au chapitre Allos Théodotos et au paragraphe Eteroi Théodotoi (ces deux titres en caractères grecs dans le texte). Enfin, Monsieur, dans la Pistis Sophia attribué au grand Valentin, le chef le plus éminent de la Très Sainte Gnose chrétienne, vous trouverez un curieux passage sur Lui. Il est qualifié d'héritier de la Lumière (Migne. Patrologie. Tome 23. p. 1203).
Dans le Livre du combat d'Adam (même tome. pp. 368-377), il y a un long développement sur Melchisédech.
Quand j'eus réuni tous les documents que j'ai découverts ici sur le Maréchal, et dont Mr de Maulde a fait un usage trop restreint, je me proposais de les publier. Je le ferai un jour en citant votre remarquable interprétation si vivante, si vécue, si vraie. Un autre point à faireressortir serait peut-être de noter dans cette âme mystique pour le mal comme pour le bien, l'influence posthume et surnaturelle de la bienheureuse Jeanne d'Arc. Je suis sûr qu'il y a eu une opération psychologique dans l'âme du Maréchal, dirigée par l'âme vivante et sainte de la libératrice.
J'ai pris la liberté de vous citer dans ma préface à la Glose gnostique de St Jean l'Etoile de Jhouney, numéro qui paraîtra en mai).
Veuillez me le pardonner. Si vous avez besoin de quelques renseignements sur Jeanne d'Arc, le Maréchal, ou tous autres, je suis entièrement à votre disposition.
Agréez Monsieur mes sentiments de haute considération et de dévouement.
T Jules Doinel

Monsieur Huysmans 11 rue de Sèvres. Paris
Mormant ( Seine et Marne) !e 14.4.91
C'est en voyage que j'ai reçu votre lettre, Monsieur et cher Maître, je trouverai votre livre à mon retour à Orléans. Je l'ai déjà acheté, mais l'exemplaire que vous m'envoyez sera celui que je garderai. L'autre sera pour madame la comtesse Batowska qui connaît Johannès de Lyon, (l'abbé Boulon ( sic ), je crois ) et qui sera vivement intéressée. C'est une femme des plus distinguées comme esprit et des plus élevée, comme aspirations. Je prépare une étude à fond sur Là-bas pour l'Etoile. Je désire que ce livre magistral soit connu par nos gnostiques. Maintenant j'attends avec impatience ce Livre blanc qui sera une révélation. Quand vous l'écrirez j'aurai à votre disposition les manuscrits d'une sainte morte en 1816 à Marseille - Marie Madeleine Verdier - une Ste Thérèse inconnue, que dans son pays le peuple appelle encore la Sainte. Vous y lirez des choses merveilleuses, qui semblent écrites par Catherine de Sienne ou Marie d'Agréda. Je suis arrivé chez un bouquiniste où je les ai sauvés de la destruction. Il mettait la main à ces manuscrits pour les déchirer, quand je suis entré dans son échoppe à Orléans. Les idiots de péres ignorantins qui les tenaient d'un st. prêtre, le père Rodet bien connu sous la Restauration, les avaient vendus au poids. Une voix secrète m'avait guidé dans cette rue.
Ils sont 5 mis in-4o. Peut-être un jour les publierai-je. Il y a des choses admirables.
Adieu, mon cher Maître, Dieu vous garde et croyez à ma sincère affection et à mon respect.
Jules Doinel.
Je serai de retour à Orléans le 1er mal.

Orléans, le 14 mai
Mon cher Maître,
J'ai le plaisir de vous envoyer un article sur Là-bas. Evidemment, il n'est pas à la hauteur du Livre, mais veuillez accepter l'intention. Kant a dit quelque part que la bonne volonté était le tout de l'âme.
L'Étoile aurait veut-être rechigné, en effet. De plus, le Républicain orléanais tirant à 10 mille exemplaires, il y a chance que l'article vous fasse un peu de réclame pour votre éditeur. J'en annonce un second.
Et, je vous prie, si cela se peut, de vouloir bien faire envoyer un exemplaire de Là-bas au rédacteur en chef, Mr Paul Prévôt qui a pris l'article avec un courtois empressement. Je sais que l'Univers la Gazette et le Monde ont grogné. Mais il ne m'en chaut, et ce m'est tout un !
Quant à vous poursuivre ce serait le moyen de faire enlever plusieurs milliers de Là-bas. Je pense toutefois qu'on ne sera pas assez sot pour cela. Mais chi lo sà ?
Avez-vous la pensée de faire convertir Mde Chantelouve dans votre Livre blanc ?
Ce serait bien intéressant. Je vous recommande aussi Césaire d'Heisterbach. Vous y trouverez d'admirables légendes mystiques.
Veuillez croire, mon cher Maître, à mes sympathies et à ma sincère admiration
T Jules Doinel.

J. K. Huysmans sur Jules Doinel extraits Inédits de sa correspondance


Au même, du 24 avril 1895
Les articles de la Vérité qui vous intéressent sont du bon Doinel, archiviste du Loiret, l'ancien évêque gnostique de Montségur (!!). Il s'est converti et me l'a annoncé dans une lettre montée de ton où il y a ces phrases "mon pallium de patriarche gnostique orne l'autel de Ste Philomène, à Ars, mes insignes de haut dignitaire de la franc-maçonnerie, sont appendus aux pieds de Jeanne d'Arc, etc. etc. ".
Doinel est un homme très instruit et très Intelligent. Si, au point de vue pittoresque, je suis un peu contrit d'apprendre qu'il n'y a plus d'Évêque gnostique, aux autres points de vue, je suis heureux de voir que ce brave homme est rentré en Dieu.

A dom Besse, du 5 juin 1895
Le Livre de Doinel a paru. Il est un peu pâteux et ne nous apprend rien de bien neuf: Ce qui est plus confondant c'est que le parti Luciférien fait un (sic) revue de propagande, le "Palladium". C'est un tissu de blasphèmes -c'est surtout d'une incommensurable bêtise. Ça n'a, du reste, aucun succès et personne ne s'en occupe. Diana Vaughan qui la dirige va fonder une chapelle luciférienne dans notre quartier, mais elle n'obtiendra pas plus de succès.


A Adolphe Berthet (Jules Esquirol), du 2 janvier 1901
On m'a dit que Doinel l'ex-patriarche gnostique, Evêque (!) de Monségur, qui s'était converti à la religion, était de nouveau retombé dans ses erreurs.
Quand vous verrez votre jeune toqué, renseignez-vous donc là-dessus; il doit, lui, le savoir.
Doinel était l'ancien archiviste de la Préfecture d'Orléans.

Au même, du 15 janvier 1902
Merci, cher Ami, de vos renseignements et de l'homélie cocasse qui les accompagne. Le pauvre Doinel ! Son orgueil n'a pu supporter d'être simple chrétien sans panache, et le voilà redevenu le Mangin religieux qu'il fùt (sic) ! -
C'était décidément un studieux, mais un bien pauvre homme.


Au même, du 2 mars 1902
L'on m'affirme que Synésius n'est nullement Doinel, lequel ne se serait pas déconverti. Tâchez donc de tirer quand vous en aurez le temps cette affaire au clair.
Synésius doit être Fabre des Essarts, qui lui a succédé, comme patriarche.
Le même épiscopal a-t-il certitude que ledit Doinel ait reversé dans la Gnose ?


Au même, du 22 mars 1903
Le Synesius est un employé du Ministre de l'Instruction Publique, franc-maçon, successeur de Doinel, Évêque de Montségur ! Je l'ai vu, c'est une sorte de cuistre aimable.


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