Du Prochain
Emmanuel Swedenborg


Du Prochain.
Puisqu'il a été résolu que la Doctrine de la Charité serait placée devant les Chapitres du Livre de l'Exode, il faut d'abord dire ce que c'est que le Prochain, car c'est à son égard que la Charité doit être exercée ; en effet, si l'on ne sait pas quels sont ceux qui sont le Prochain, la Charité peut être exercée, sans distinction, de la même manière à l'égard des méchants qu'à l'égard des bons ; de là, la Charité n'est point la Charité, car les méchants, d'après le bien qu'on leur fait, font du mai au prochain, mais les bons lui font du bien.
La commune opinion, aujourd'hui, c'est que tout homme est également le prochain, et qu'on doit faire du bien à quiconque a besoin de secours ; mais il est de la prudence Chrétienne de bien examiner quelle est la vie de l'homme, et d'exercer la charité selon cette vie ; l'homme de l'église interne fait cela avec distinction, par conséquent avec intelligence ; au contraire, l'homme de l 'église externe, ne pouvant pas discerner les choses de cette manière, le fait sans discernement.


Les Anciens ont réduit en Classes le Prochain, et nommé chaque Classe suivant les noms de ceux qui paraissent dans le inonde devoir être secourus de préférence aux autres ; ils ont enseigné aussi de quelle manière la Charité devait être exercée à l'égard de ceux qui sont dans une Classe, et à l'égard de ceux qui sont dans une autre ; et ils ont ainsi réduit en ordre la Doctrine, et selon cette doctrine la vie ; de là, la Doctrine de leur église contenait les Lois de la vie ; et par là ils voyaient quel était tel on tel homme de l'église, qu'ils nommaient frère, mais avec une distinction dans le sens interne selon les exercices de la charité d'après la Doctrine réelle de l'église, ou d'après la Doctrine altérée car chacun, parce qu'il veut paraître exempt de tout reproche, défend sa propre vie, et par conséquent ou il explique ou il change en sa propre faveur les Lois de la Doctrine.


Les distinctions du Prochain, que l'homme de l'église doit absolument connaître pour qu'il connaisse la qualité de la charité, sont en rapport avec le bien qui est chez chacun ; et comme tout Bien procède du Seigneur, le Seigneur est, dans le sens suprême et au degré le plus éminent, le Prochain de Qui procède l'origine ; de là résulte que chacun est le Prochain en proportion de ce qu'il a du Seigneur chez lui, et comme nul ne reçoit de la même manière le Seigneur, c'est-à-dire, le bien qui procède du Seigneur, c'est pour cela que l'un n'est pas le Prochain de la même manière que l'autre ; en effet, tous ceux qui sont dans les cieux diffèrent quant au bien, et de même tous ceux qui sont dans les terres : il n'y a jamais chez deux personnes un bien absolument un et le même ; il faut qu'il soit différent, afin que chacun subsiste par soi. Mais tous ces biens différents, par conséquent toutes les distinctions du Prochain, qui sont en rapport avec la réception du Seigneur, c'est-à-dire, avec la réception du Bien qui procède du Seigneur, jamais aucun homme, ni même aucun Ange, ne peut les connaître ; on peut seulement les connaître dans le commun, par conséquent connaître les genres et quelques-unes de leurs espèces ; et le Seigneur ne requiert de l'homme de l'église pas d'avantage que de vivre selon ce qu'il sait.


D'après cela, il est maintenant évident que la qualité du Bien Chrétien détermine à quel degré chacun est le Prochain ; en effet, le Seigneur est présent dans le Bien, parce que le Bien Lui appartient, et il est présent selon la qualité du Bien ; et comme l'origine du Prochain doit être tirée du Seigneur, c'est pour cela que les distinctions du Prochain sont en rapport avec la présence du Seigneur dans le Bien, ainsi avec la qualité du Bien.
Que le Prochain soit selon la qualité du Bien, c'est ce qu'on voit clairement par la parabole du Seigneur sur l'homme qui tomba entre les mains des voleurs, et fut laissé par eux à demi mort ; un Prêtre passa outre, et un Lévite aussi ; mais un Samaritain, après avoir bandé ses plaies et y avoir versé de l'huile et du vin, le plaça sur sa propre monture, le conduisit dans une hÙtellerie, et prit, soin de lui ; celui-ci, ayant exercé le bien de la Charité, est appelé le Prochain, Lue, X.29 à 37 par là, on peut savoir que ceux qui sont dans le bien sont le Prochain : ceux qui sont dans le mal) sont il est vrai le Prochain, mais sous un rapport tout autre ; et parce qu'il en est ainsi, on doit leur faire du bien d'une autre manière : mais quant à ceux-ci, d'après la Divine Miséricorde du Seigneur, il en sera parlé dans la suite.


Puisque la qualité du Bien est ce qui détermine de quelle manière chacun est le Prochain, c'est l'amour qui le détermine ; car il n'y a aucun Bien qui n'appartienne à l'amour, de là procède tout Bien, et de là existe la qualité du Bien.
Que ce soit l'Amour qui fasse qu'il y a Prochain, et que chacun soit le Prochain selon la qualité de son amour, c'est ce que l'on voit clairement par ceux qui sont dans l'amour de soi ; ceux-là reconnaissent pour le Prochain ceux qui les aiment le plus, c'est-à-dire, en tant qu'ils sont des leurs, ainsi, en tant qu'ils sont en eux ; ils les embrassent, leur donnent des baisers, leur font du bien et les appellent frères ; bien plus même, comme ils sont méchants, ils disent que ceux-ci sont le, Prochain de préférence aux autres ; et ils considèrent les autres comme Prochain, selon que les autres les aiment ; ainsi, selon la qualité et la quantité de l'amour : de tels hommes tirent d'eux-mêmes l'origine du prochain, par cette raison que c'est l'amour qui détermine.
Ceux, au contraire, qui ne s'aiment pas de préférence aux autres, comme sont tous ceux qui appartiennent au Royaume du Seigneur, tireront l'origine du Prochain de Celui qu'ils doivent aimer par-dessus toutes choses, par conséquent du Seigneur ; et ils auront chacun pour Prochain selon la qualité de l'amour envers le Seigneur. Ceux donc qui aiment les autres comme eux-mêmes, et il plus forte raison ceux qui, comme les Anges, aiment les autres plus qu'eux mêmes tirent tous du Seigneur l'origine du Prochain ; car, dans le Bien est le Seigneur lui-même puisque le Bien procède de Lui : par là aussi l'on petit voir que la qualité de l'amour doit déterminer qui est le Prochain. Que le Seigneur soit dans le Bien, c'est ce que le Seigneur enseigne lui-même dans Matthieu, car ´ Il dit à ceux qui ont été dans le Bien, qu'ils Lui ont donné à manger qu'ils Lui ont donné à boire, qu'ils L'ont recueilli, qu'ils L'ont vêtu, qu'ils L'ont visité, et qu'ils sont venus en prison vers Lui; et ensuite, qu'en tant qu'ils ont fait cela à l'un de ces plus petits de ses frères, ils le Lui ont fait à lui-même ªXXV. 34 à 40.
D'après ce qui vient d'être dit, on voit maintenant d'o l'homme de l'église doit tirer l'origine du Prochain ; et que chacun est le Prochain dans le même degré où il est plus proche du Seigneur, et que, comme le Seigneur est dans le, Bien de la charité, le Prochain est selon la qualité du Bien, par conséquent selon la qualité de la Charité.

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