Comment on doit entendre que chacun
est pour soi le Prochain
Emmanuel Swedenborg
Comment on
doit entendre que chacun est pour soi le Prochain.
On dit communément, dans la conversation, que chacun est pour soi-même
le prochain, c'est-à-dire, que chacun doit d'abord s'occuper de soi
; la Doctrine de la Charité enseigne ce qu'il en est à cet
égard - Chacun est pour soi le prochain, non au premier rang mais
au dernier ; il y a, à un rang antérieur, les autres qui sont
dans le bien ; à un rang encore antérieur, la société
de plusieurs ; à un rang encore antérieur, la patrie ; à
un rang encore antérieur l'église ; et à un rang encore
antérieur, le Royaume du Seigneur ; enfin, par-dessus tous et par-dessus
toutes choses, il y a le Seigneur.
Cet adage, que chacun est pour soi le prochain et doit d'abord s'occuper
de soi, doit être entendu ainsi : Chacun doit d'abord songer pour
soi à avoir les nécessités de la vie, c'est-à-dire,
là nourriture, le vêtement, le logement, et plusieurs autres
choses qui sont absolument nécessaires dans la vie civile où
l'on est ; et cela, non seulement pour soi, mais aussi pour les siens ;
et non seulement pour le temps présent, mais aussi pour l'avenir:
si l'homme ne pourvoit pas pour lui aux nécessités de la vie,
il ne peut être en état d'exercer la charité à
l'égard du prochain ; car il manque de tout.
La fin fait connaître comment chacun sera pour soi le prochain, et
s'occupera d'abord de soi ; si la fin est d'être plus riche que les
autres, seulement pour les richesses, ou pour la volupté, ou pour
la prééminence, et autres choses semblables, Il fin est mauvaise
; celui donc qui croit, d'après une celle fin, qu'il est pour soi
le prochain, se nuit pour l'éternité ; mais si la, fil) est
d'acquérir des richesses à cause des nécessités
de la vie, pour soi-même et pour les siens, afin d'être en état
de faire le bien selon les préceptes de la doctrine de la charité,
on veille à soi-même pour l'éternité. La fin
elle-même fait J'homme, parce que la fin est l'amour de l'homme, car
chacun a pour fin ce qu'il âme.
On peut encore voir ce qu'il en est par ceci, qui est semblable : Chacun
doit s'occuper de son corps pour la nourriture et le vêtement, c'est
d'abord ce qu'on doit faire, mais pour celte fin, qu'on ait un mental sain
dans un corps sain ; et chacun doit s'occuper de son mental pour la nourriture,
c'est-à-dire, pour les choses qui appartiennent à l'intelligence
et à la sagesse, polir cette fin, que le mental soit par suite en
état de servir le Seigneur ; celui qui agit ainsi veille bien à
ses intérêts éternels ; au contraire, celui qui s'occupe
de son corps seulement pour le corps, et sans penser à la santé
du mental, et celui qui s'occupe de son mental pour des choses qui n'appartiennent
ni à l'intelligence ni à la sagesse, mais qui y sont opposées,
ceux-là veillent
mal à leurs -intérêts éternels. D'après
cela, on voit clairement comment chacun doit être pour soi le prochain,
c'est-à-dire qu'il doit l'être non au premier rang mais au
dernier, car la fin doit être non pour lui mais 'pour les autres ;
et où est la fin, là est le premier rang.
Il en est encore de cela, comme de celui qui construit une maison ; il doit
d'abord poser le fondement, mais le fondement sera pour la maison et la
maison sera pour l'habitation : de même chacun doit d'abord s'occuper
de soi, non pour soi mais pour être en état de servir le prochain,
par conséquent la Patrie, l'église, et par-dessus toutes choses
le Seigneur: celui qui croit qu'il est pour lui même le prochain,
au premier rang, est semblable à celui qui regarde comme fin le fondement
et non la maison et l'habitation, tandis que cependant l'habitation est
la fin même première et dernière, et que la maison avec
le fondement est seulement un moyen pour la fin.
Ce qui vient d'être dit des richesses s'applique aussi aux honneurs
dans le monde ; chacun peut avoir aussi en vue les honneurs, toutefois non
à cause de soi, mais à cause du prochain ; celui qui les a
en vue à cause de soi-même veille mal à ses intérêts,
mais celui qui les a en vue à cause du prochain y veille bien . en
effet, celui qui tourne les fins vers soi-même se tourne vers l'enfer,
mais celui qui tourne les fins de soi vers le prochain se tourne vers le
ciel.