La Synarchie
SAINT-YVES D' ALVEYDRE
La
synarchie (l'invention de ce terme n'est pas due à Saint-Yves et elle
lui est antérieure) est un système socio-spirituel qui s'appuie
sur un ordre naturel appliqué à la vie des groupes humains et
des nations. Étymologiquement, synarchie est l'antonyme d'anarchie.
Saint-Yves distingue deux formes d'anarchie: l'anarchie d'en bas qui résulte
des dérèglements sociaux et se manifeste par le désordre
public, l'anarchie d'en-haut qui découle de la mauvaise gestion et
de l'irresponsabilité des gouvernants.
La synarchie ne prétend pas, du moins dans l'esprit de Saint-Yves ,
se substituer aux régimes existant et il démontrera comment
elle peut se développer aussi bien dans un contexte monarchique que
républicain.
Elle repose sur la séparation réelle entre les deux pôles
de la nation que sont l'Autorité et le Pouvoir. Chacun de ces deux
pôles se partage à son tour en trois fonctions. De l'Autorité
relèvent les fonctions d'enseignement et de culture (arts, lettres,
sciences, recherches), de Justice (élaboration des lois, garantie de
l'égalité, constitution) et d'économie (fixation de l'impôt
et réglementations commerciales). Au Pouvoir appartiennent les fonctions
de l'exécutif (magistrature, police), des finances (levée de
l'impôt, contrôles des échanges), des relations extérieures
(diplomatie, défense). Les fonctions judiciaire et économique
de l'Autorité contrôlent respectivement les fonctions exécutive
et financière du Pouvoir, cependant que la fonction culturelle reste
exclusivement l'apanage de l'Autorité et que celle des relations extérieures
demeure réservée au Pouvoir.
L'Autorité s'exerce au travers des délégations populaires
émanées des diverses classes de la société (un
peu dans l'esprit des États-Généraux) alors que le Pouvoir,
toujours soumis au contrôle de l'Autorité - c'est là la
règle fondamentale du système - est exercé par des fonctionnaires
recrutés sur examen et assermentés.
En résumé, ce modèle synarchique est à double
entrée : un binaire Autorité-Pouvoir et deux ternaires. C'est
pour cette dernière raison que Saint-Yves d'Alveydre qualifie souvent
la synarchie de loi sociale trinitaire judéo-chrétienne.
Pour développer ses thèses synarchiques, Saint-Yves d'Alveydre
a écrit et publié, entre 1882 et 1887, cinq ouvrages qui forment
l'ossature de sa pensée. En 1882, la Mission des Souverains est une
histoire critique de la papauté qui a bien trop souvent délaissé
sa mission spirituelle pour s'immiscer dans les affaires politiques et diplomatiques
des nations européennes en poursuivant des buts hégémoniques
; en 1883, la Mission des Ouvriers s'adressait, en cette époque qui
fut témoin de l'essor industriel en Europe, aux travailleurs, intellectuels
et manuels, entre les mains desquels Saint-Yves désirait remettre les
clefs de la promesse synarchique ; en 1884, la Mission des Juifs, est une
vaste fresque historique qui remonte jusqu'à sept mille cinq cents
ans avant Jésus-Christ avec la fondation de l'empire de Ram jusqu'à
la dispersion des Juifs, en l'an 70 de notre ère ; en 1886, la Mission
de l'Inde nous emmène à la découverte de l'Agarttha,
territoire sacré et secret de l'Inde où existerait une communauté
initiatique régie par un régime synarchique ; enfin, en 1887,
la France vraie ou Mission des Français, explore l'histoire de la France,
ses enchanements et ses rebondissements, depuis la première convocation
des États-Généraux par Philippe le Bel en 1302.
Ces cinq Missions représentent globalement un témoignage historique
au travers duquel Saint-Yves d'Alveydre tente d'exposer différentes
applications de la synarchie. Mais il constate aussi, non sans amertume, l'échec
de ces tentatives synarchiques trahies par les ambitions des uns et l'ignorance
des autres. Désespéré par l'adversité, Saint-Yves
ne pourra plus, comme nous l'avons vu, que confier le précieux message
synarchique aux travailleurs, forgerons de l'avenir.
Servis par une plume ardente et talentueuse, les Missions apparaissent comme
autant de pamphlets, genre littéraire qui sied à merveille à
Saint-Yves d'Alveydre et dans lequel il a toujours excellé.
Il n'est pas inconvenant d'affirmer que la synarchie alveydrienne se coule
dans la mouvance des courants utopiques qui fleurissaient notamment en Angleterre
aux XVIe et XVIIe siècles et qui n'est pas étrangère
à la fondation de la franc-maçonnerie en ses sources traditionnelles
et initiatiques. Par sa recherche d'une société idéale,
la franc-maçonnerie, elle-même, constitue une utopie, étant,
bien entendu, que l'utopie n'est pas de nature chimérique mais humaniste.