Le
Ministère De L'homme Esprit
Louis Claude de Saint Martin
INTRODUCTION
Toutes les fois qu'un homme de désir se sent pressé de faire entendre
sa voix aux mortels, il ne peut s'empêcher de s'écrier : ô
vérité sainte, que leur dirai-je ! Tu as fait de moi comme une
malheureuse victime, destinée à soupirer en vain pour leur bonheur.
Tu as allumé en moi un feu cuisant, qui corrode à la fois tout
mon être.
J'éprouve pour le repos de la famille humaine un zèle, ou plutôt
un besoin impérieux qui m'obsède et qui me consume.
Je ne puis, ni l'éviter, ni le combattre, tant il me tourmente et me
maîtrise.
Pour comble de maux, ce zèle infortuné est réduit à
se nourrir de sa propre substance, et à se dévorer lui-même,
faute de trouver à assouvir la faim que tu m'as donnée de la paix
des âmes.
Il se termine sans cesse par des sanglots qui étouffent les sons de ma
voix.
Il ne me laisse point de relâche, si ce n'est pour me plonger, le moment
d'après, dans de nouvelles douleurs, et me laisser en proie à
de nouveaux gémissements.
Et c'est dans cet état que tu me presses d'élever ma voix parmi
mes semblables ! ! ! ! !
Comment d'ailleurs me ferai-je entendre des hommes du torrent !
Je n'ai à leur offrir que des principes ; et ils se répondront
à eux-mêmes par des opinions, pour ne pas dire par des illusions
insensées, et dont le prestige ne leur laissera pas même apercevoir
leur mauvaise foi.
Je ne peux élever aucun édifice qui n'ait pour base leur être
impérissable, et tout rayonnant de l'éternelle splendeur, et le
dernier terme de leur science, est de s'assimiler à l'inerte et impuissante
poussière.
Je voudrais, en faisant renaître en eux l'orgueil de leur titre, les animer
du glorieux désir de renouveler leur alliance avec l'universelle unité,
et ils se sont armés contre cette unité, et semblent ne veiller
que pour l'effacer du nombres des êtres.
Je souhaiterais, en ne faisant usage auprès d'eux que de la parole de
vie, les amener à ne pas employer eux-mêmes un seul mot qui ne
fût vivifié par cette intarissable puissance qui vivifie tout ;
et à force d'avoir méconnu cette parole de vie, et d'avoir voulu
se passer de son secours, ils ont transformé toutes leurs langues en
autant d'instruments de confusion et de mort.
Mais avant tout, n'ai-je pas à me purger de mes propres souillures !
N'ai-je pas à prononcer solennellement mon divorce avec mes infidélités
! N'ai-je pas à m'assainir et à me diviniser moi-même avant
de songer à assainir et à diviniser les autres !
Que lui répond la vérité ? "La timidité est
aussi une souillure ; c'est même la plus préjudiciable des souillures,
et celle qui peut donner naissance à tous les autres égarements".
Prends confiance en celui qui te guide ; c'est cette confiance qui te purifiera.
Ne laisse pas éteindre ce zèle qui te poursuit ; fais qu'il ne
te soit pas donné en vain : qui te garantirait qu'il se rallumât
?
Tu crains que les hommes ne profitent pas de tes paroles ! Ils sont tous dans
l'indigence de la vérité. Que sais-tu si tu ne feras pas sentir
à quelques-uns de tes frères le besoin qui les dévore à
leur insu ? Peu d'entre eux sont assez gangrenés pour fuir cette vérité
volontairement ; tu ne saurais calculer le pouvoir d'un zèle pur, alimenté
par la confiance.
Et puis, quel est le pêcheur, qui, la ligne à la main, s'attende
à prendre tout ce qui nage dans le fleuve ? Quand il a pêché
quelques petits poissons pour faire son repas, il s'en va content.
Dans tous les cas, porte tes regards au-delà de cette terre passagère,
où l'homme de désir est condamné à semer ses oeuvres.
Elle est pour la véritable agriculture la saison des frimas et des vents
orageux.
Ce n'est pas dans cette saison-là que tu dois t'attendre à la
récolte.
Le laboureur ne sème que pour l'avenir ; ne vois comme lui dans ton travail
que l'heureux terme de la moisson ; c'est là le moment où la terre
et le propriétaire te paieront de tes sueurs.
Alors cet homme de désir se résigne et dit : "Je sais que
tu es un Dieu caché et enveloppé de ta propre gloire ; mais tu
ne veux pas que ton existence soit inconnue ; et tu ne cherches qu'à
faire briller devant nous tes puissances, pour nous apprendre à te révérer
et à t'aimer.
Sois donc le maître de ma volonté et de mon oeuvre ! Sois le maître
de ceux qui viendront s'instruire à mes paroles !
Que n'es-tu le maître de tous les mouvements des âmes des hommes,
comme tu l'es par tes puissances de tous les mouvements de la nature, et de
toutes les régions qui n'ont pas repoussé ta main bienfaisante
!"
Celui qui va publier cet ouvrage a partagé quelque fois les angoisses
des hommes de désir ; il en partage les vux pour le bonheur de
la famille humaine, et il va essayer de porter les regards des mortels sur le
tableau de ce qu'il regarde comme étant la source de leurs maux, et sur
l'objet qu'ils auraient à remplir dans l'univers, en qualité d'images
du principe suprême ; c'est donc à l'homme qu'il adresse le fruit
de ses veilles.
Oui, homme qui n'est plus qu'une source d'amertume, puisque tu ne répands
qu'une lumière de douleur ; homme, objet le plus cher pour mon cur,
après cette souveraine source, qui n'est sans doute composée que
de l'amour même, puisque son témoin le plus éloquent est
ce doux et sublime privilège qu'elle m'a donné de pouvoir t'aimer,
c'est toi-même que j'appelle aujourd'hui à seconder mon entreprise
; c'est toi que je convoque à la plus légitime comme à
la plus respectable des associations, celle qui a pour but d'exposer devant
mes semblables le tableau de leurs véritables titres et de faire, que
frappés par la grandeur de leur origine, ils ne négligent rien
pour faire revivre leurs privilèges, et pour recouvrer leur illustration.
Lecteurs, vous vous abuseriez cependant si vous ne cherchiez ici que des objets
récréatifs, et n'ayant pour but que de vous distraire ; espérez
encore moins de n'avoir à y contempler que des peintures flatteuses et
mensongères, qui nourrissent vos illusions et votre amour propre. Assez
d'autres, sans moi, se feront les adulateurs et les complices de vos déceptions.
Je viens exercer auprès de l'homme, mon semblable, un ministère
plus véridique et plus sévère ; je viens y exercer l'important
ministère de l'homme. Or la famille humaine n'est point comme les rois
qu'on encense, et qu'on abuse par de trompeuses louanges ; et l'homme qui va
vous parler, honore trop son espèce, et se respecte trop lui-même
pour faire jamais envers un homme et envers son frère, le rôle
dissimulé d'un courtisan.
Avant de poursuivre, voyez donc si vous vous sentez le courage et la force de
joindre vos accents aux miens, pour déplorer les maux qui nous sont communs.
Le bonheur qui devait appartenir à notre espèce ne se montre plus
parmi nous que comme un phénomène et un prodige. Nos larmes sont
aujourd'hui les seuls signes de notre fraternité ; nous ne sommes plus
parent que par l'infortune. Voilà cette fatale redevance pour laquelle
nous sommes tous devenus solidaires, au lieu de cette paix héréditaire
à laquelle nous aurions tous eu des droits, si nous n'avions pas laissé
égarer nos titres originels.
Eh ! Comment la connaîtrions-nous cette paix ! Il n'y a pas une joie humaine
; que dis-je, pas un seul des mouvements de l'homme qui n'ait l'aveuglement
pour base, et les gémissements pour résultats.
Homme, rappelle un instant ton jugement. Je veux bien t'excuser pour un moment
de méconnaître encore la sublime destination que tu aurais à
remplir dans l'univers ; mais au moins ne devrais-tu pas t'aveugler sur le rôle
insignifiant que tu y remplis pendant le court intervalle que tu parcours depuis
ton berceau jusqu'à ta tombe.
Jette un coup d'il sur ce qui t'occupe pendant ce trajet. Pourrais-tu
croire que ce fût pour une destination si nulle, que tu te trouverais
doué de facultés et de propriétés si éminentes
? Ne serais-tu né si pénétrant, si grand, si vaste dans
les profondeurs de tes désirs et de ta pensée, que pour consumer
ton existence à des occupations si fastidieuses par leur périodisme
; si ténébreuses et si bornées dans leur objet ; enfin
si contraires à ta noble énergie, par le caprice, qui seul semble
les tenir dans sa dépendance et en être l'arbitre souverain ?
Ce sublime privilège de la parole, surtout, crois-tu qu'il ne te soit
donné que pour entretenir journellement tes semblables du détail
de tes monotones occupations, et de l'historique de ta vie bestiale ; que pour
les étourdir par ta bruyante éloquence à justifier tes
fureurs ou tes délires ; ou que pour les tromper et les égarer,
par les innombrables et abusives fictions de ta pensée ?
Si un simple coup d'il te suffit pour te désabuser sur le frivole
et coupable usage de tes facultés, un simple coup d'il doit te
suffire aussi pour te désabuser sur les résultats que tu en retires.
Pèse tous ces résultats dans la balance, tu n'en trouveras pas
un qui ne t'échappe, ou qui ne demeure au-dessous de tes espérances
; qui ne te nourrisse d'inquiétudes, ou qui ne finisse par te coûter
des larmes.
Quelle est donc cette région, où rien de ce qui est nous, n'accomplit
sa loi, et à nous ne goûtons pas une joie qui ne nous trompe !
Oui, un prestige dominateur, et comme constitutif, semble composer l'atmosphère
où nous sommes plongés. Nous sommes réduits à respirer
sans cesse et presque exclusivement cette vapeur d'illusion qui nous environne,
et que nous nous transmettons ensuite les uns aux autres, après l'avoir
infectée encore de notre propre corruption ; ou si nous voulons nous
en garantir, il faut que nous nous condamnions à suspendre le jeu de
toutes nos facultés, et à exister dans une entière immobilité.
Dans les Alpes, voyez ce chasseur qui quelquefois est surpris et enveloppé
soudain d'une mer de vapeurs épaisses où il ne peut pas seulement
apercevoir ses propres pieds, ni sa propre main ; et où il est obligé
de s'arrêter là où il se trouve, faute de pouvoir faire
en sûreté un seul pas. Ce que ce chasseur n'est que par accident
et par intervalle, l'homme l'est ici-bas continuellement et sans relâche.
Ses jours terrestres sont eux-mêmes cette mer de vapeurs ténébreuses
qui lui dérobent la lumière de son soleil, et le contraignent
à demeurer dans une pénible inaction, s'il ne veut pas, au moindre
mouvement se briser et se plonger dans des précipices.
Hommes prompts à juger, sans doute mon écrit ne doit pas s'attendre
auprès de vous à un succès très éclatant.
Vous ne me pardonnerez pas de croire tout à fait à une vérité,
puisque à force d'enseigner le doute, vous ne nous permettez tout au
plus que des demi-croyances, pour ne pas dire que vous ne nous en permettez
aucune.
Si cependant j'avais le bonheur de faire quelque bien, je me consolerais facilement
de ne point faire de bruit ; je me croirais même amplement récompensé
et je ne me plaindrais point de la sentence de mes juges ; d'autant que s'ils
m'avaient cru digne d'être enrôlé sous leurs drapeaux, il
m'aurait fallu aussi prendre parti pour les opinions qui les dominent, et pour
les principes qu'ils professent ; or, je n'aurais pas pu servir longtemps sous
de pareilles enseignes.
D'ailleurs si je dois renoncer à l'encens du plus grand nombre, ma cause
ne sera pas perdue pour cela, parce qu'elle a le droit d'être portée
devant un tribunal, fixe et compétent, dont les jugements ne sont point
exposés aux vacillations des opinions humaines.
Peut-être même que le temps n'est pas éloigné où
les Européens jetteront les yeux avec empressement sur des objets que
la plus grande partie d'entre eux n'envisagent qu'avec défiance, et même
qu'avec mépris. Leur édifice scientifique n'est point assez solide
pour ne pas devoir subir avant peu quelques révolutions ; ils en sont
déjà à reconnaître dans les corps organisés
ce qu'ils appellent une attraction élective, expression qui les mènera
loin, quelque soin qu'ils prennent de ne vouloir pas appeler la vérité
par son nom.
Les richesses littéraires de l'Asie viendront aussi à leur secours.
Quand ils verront les nombreux trésors que la littérature indienne
commence à nous offrir ; quand ils parcourront tout ce que nous promettent
les recherches asiatiques de la société de Calcutta ; le Mahabharata,
recueil de seize poèmes épiques, contenant 100 000 stances sur
la mythologie, la religion et la morale des Indiens, et sur leur histoire ;
l'Oupnek'hat, traduit par M. Anquetil, et qui contient des extraits des Védas,
etc. ils pourront être frappés des rapports qu'ils apercevront
entre les opinions orientales et celles de l'occident sur les points les plus
importants.
Les uns pourront chercher dans cette mine les correspondances des langues par
les alphabets, les inscriptions et les monuments.
Les autres pourront y apercevoir les bases de toute la théogonie fabuleuse
des Egyptiens, des Grecs et des Romains.
D'autres enfin y trouveront surtout des similitudes frappantes avec tous les
dogmes publiés depuis quelques siècles par les divers spiritualistes
de l'Europe, qu'ils ne soupçonneront pas d'avoir été les
apprendre dans l'Inde.
Mes écrits alors leur paraîtront probablement moins obscurs et
moins repoussants, puisqu'ils y découvriront ces mêmes dogmes répandus
dans des lieux si distants, et à des époques si éloignées
les unes des autres.
En attendant que ces richesses théosophiques de l'Asie me soient plus
connues, et que je puisse moi-même en retirer d'utiles clartés,
je dois prévenir qu'elles ne pourront pas plus que les autres livres
porter l'homme au-delà du spiritualisme spéculatif ; il n'y a
que le développement radical de notre essence intime qui puisse nous
conduire au spiritualisme actif.
Aussi c'est sur cette base indispensable que repose l'ouvrage que je publie
aujourd'hui, ainsi que tous ceux que j'ai publiés antérieurement.
Descartes a rendu un service essentiel aux sciences naturelles en appliquant
l'algèbre à la géométrie matérielle. Je ne
sais si j'aurai rendu un aussi grand service à la pensée, en appliquant
l'homme, comme je l'ai fait dans tous mes écrits, à cette espèce
de géométrie vive et divine qui embrasse tout, et dont je regarde
l'Homme-Esprit comme étant la véritable algèbre, et l'universel
instrument analytique ; ce serait pour moi une satisfaction que je n'oserais
pas espérer, quand même je me permettrais de la désirer.
Mais un semblable rapprochement avec ce célèbre géomètre,
dans l'emploi de nos facultés, serait une conformité de plus à
joindre à celles que nous avons déjà lui et moi, dans un
ordre moins important, et parmi lesquelles je n'en citerai qu'une seule, qui
est d'avoir reçu le jour l'un et l'autre dans la belle contrée
connue sous le nom du jardin de la France.
PREMIÈRE PARTIE
De la Nature
L'intelligence humaine, à force de ne se fixer que sur les choses de
l'ordre externe, dont elle ne parvient pas même à se rendre un
compte qui la satisfasse, se ferme bien plus encore sur la nature de son être,
que sur celle des objets visibles qui l'environnent ; et cependant, dès
que l'homme cesse un instant de porter ses regards sur le vrai caractère
de son essence intime, il devient bientôt entièrement aveugle sur
l'éternelle source divine dont il descend, puisque si cet homme, ramené
à ses éléments primitifs, est le témoin par excellence
et le signe positif par lequel cette source suprême et universelle puisse
être connue, elle doit s'effacer de notre esprit, dès qu'on fait
disparaître le véritable miroir qui ait la propriété
de nous la réfléchir.
Quand ensuite de louables écrivains et d'estimables défenseurs
de la vérité veulent essayer de prouver qu'il y a un Dieu, et
déduire de son existence toutes les conséquences qui en résultent,
ne trouvant plus cette âme humaine assez régulièrement harmonisée
pour leur servir de témoignage, ils se reportent sur la nature et sur
des spéculations puisées toutes dans l'ordre externe. C'est pour
cela que dans nos siècles modernes, nombre d'excellents esprits ont employé
toutes les ressources de la logique, et ont mis à contribution toutes
les sciences extérieures, pour tâcher d'établir solidement
l'existence de la Divinité ; et cependant, malgré ces nombreux
témoignages, jamais l'athéisme n'a eu plus de vogue et n'a autant
étendu son empire.
Ce serait donc déjà une grande gloire pour notre espèce,
comme ce serait une grande sagesse dans la Providence, que toutes les preuves
prises dans l'ordre de ce monde fussent si défectueuses. Car si ce monde
avait pu nous offrir des témoignages complets de la Divinité,
elle se serait contentée de ce témoin ; et elle n'aurait pas eu
besoin de créer l'homme. En effet, elle ne l'a créé que
parce que l'univers entier, malgré toutes les magnificences qu'il étale
à nos yeux, n'aurait jamais pu manifester les véritables trésors
divins.
Aussi quelles autres couleurs on remarque dans les arguments des grands écrivains,
défenseurs de l'existence de Dieu, lorsqu'ils prennent pour preuve et
pour base de leurs démonstrations cet homme lui-même, sinon tel
qu'il est, au moins tel qu'il devrait être ! Leurs témoignages
acquièrent alors une force réelle, une abondance et une plénitude
qui satisfait à la fois toutes nos facultés. Ces témoignages
qu'ils puisent dans l'homme, sont doux et semblent nous parler le langage de
notre propre nature.
Ceux qu'ils puisent dans l'ordre externe de ce monde sont froids et secs, et
paraissent comme un langage à part et dont il nous faut faire une laborieuse
étude : d'ailleurs, plus ces témoignages froids et secs sont décisifs
et péremptoires, plus ils humilient nos antagonistes, et leur font, en
quelque sorte, haïr leurs vainqueurs.
Ceux, au contraire, qui sont puisés dans la nature de l'homme, quand
même ils obtiendraient une victoire complète sur l'incrédule,
ne lui occasionneraient cependant point d'humiliation, puisqu'ils le mettraient
à portée de sentir et de partager toute la dignité attachée
à sa qualité d'homme.
En outre, celui qui ne serait point subjugué par ces sublimes témoignages,
pourrait tout au plus les couvrir quelquefois de ses dérisions ; mais
d'autres fois il pourrait bien aussi regretter intérieurement de ne savoir
pas atteindre à leur supériorité, et certainement il ne
pourrait jamais s'indigner, ni même murmurer contre la main qui les lui
aurait présentés ; ce qui est suffisant pour nous montrer avec
quel soin nous devrions scruter l'être de l'homme, et constater la sublimité
de son essence, pour pouvoir démontrer l'essence divine, puisque après
lui, rien dans le monde ne peut nous en offrir une démonstration immédiate.
Aussi, malgré la célébrité des beaux génies
qui ont fait la glorieuse entreprise de défendre la Divinité par
les simples lois de la nature, il n'y a pas une de leurs démonstrations
prises dans cet ordre externe, qui ne laisse quelque chose à désirer,
non pas par l'insuffisance de ceux qui les ont avancées, mais par l'ordre
nécessairement limité dans lequel ils les ont puisées,
et parce qu'elles ne peuvent tout au plus prouver, dans le suprême Agent,
que ce qui n'est, pour ainsi dire, que la moins saillante de ses facultés,
savoir, la puissance.
Je n'en excepte ni les preuves géométriques de Leibnitz, ni l'axiome
fondamental de la mécanique de Newton, ni les raisonnements de Nieuwentyt
sur cet axiome, ni les superbes observations d'autres auteurs distingués,
soit sur la combinaison des chances à l'infini qui cependant n'opèrent
rien, soit sur le mouvement qui, tendant à s'étendre dans tous
les sens, est commandé, dans sa direction, par une force supérieure.
Mais je ne choisirai ici qu'un seul exemple de ce genre, et ce sera l'objection
de Crouzas, au sujet de la combinaison régulière qui aurait eu
enfin son tour dans la suite infinie des temps, et qui dès lors admettrait
une infinie régularité dans la confusion, puisque ce serait supposer
que toutes les combinaisons différentes à l'infini se seraient
succédées par ordre.
L'objection est forte sans doute, et quoiqu'il y ait loin de là au terme
où l'on voudrait amener l'incrédule, je suis cependant persuadé
qu'elle peut le tenir en échec ; mais en même temps je crois qu'elle
ne tire tout son avantage que de la fausse supposition sur laquelle elle repose.
Les incrédules et les athées s'arrêtent peu à cette
longue et vague série de combinaisons antérieures à la
formation des choses. Leur esprit, qui a besoin de fixer un point de vue plus
déterminé, ne s'accommoderait pas longtemps de cet aperçu
ténébreux, et qui suppose même déjà quelque
pouvoir existant d'où ces séries puissent recevoir leur puissance,
leur rang et leur cours.
Aussi ils se portent tout de suite à quelque chose de plus positif, c'est-à-dire,
à l'éternité du monde, n'importe même qu'il ait ou
non changé plusieurs fois de forme pendant cette longue durée,
parce qu'ils ne peuvent admettre l'éternité du monde sans admettre
aussi l'éternité de ce mouvement qui est une de leurs ressources,
et parce qu'ils veulent la regarder comme la cause opérante de toutes
les formes et de tous les phénomènes qui, selon leur système,
se sont succédés et se succéderont éternellement
dans le monde. Ainsi, se réfugiant, comme ils le font, dans l'idée
de l'éternité du monde, toute la série des combinaisons
successives ne les atteint plus et manque tout son effet.
Ce ne serait donc plus que sur la nature de ce mouvement prétendu qu'on
pourrait les attaquer, et encore ce ne serait pas une chose aisée de
les battre sur cet article, parce que tous les mouvements quelconques de cet
univers ayant des lois fixes, lors même qu'ils n'ont pas un cours uniforme,
pourraient, selon ces incrédules, être une suite du mouvement éternel
et primitif, ou être ce mouvement éternel lui-même.
J'avoue cependant qu'il doit leur être extrêmement difficile, pour
ne pas dire impossible, de concevoir et de nous faire comprendre, comme éternel
et sans commencement, ce monde matériel que nous voyons, ainsi que tout
ce qui le compose, parce que le premier attribut que nous présente l'idée
d'une source éternelle, qui serait Dieu, est celui d'être une chose
parfaite : au lieu que ce monde, malgré les merveilles qu'il renferme,
nous offre l'idée d'une chose dont la perfection est incomplète
et mêlée d'incohérences et d'oppositions très répugnantes,
quoique les doctes se soient réduits à nier ces incohérences
ou à les dissimuler, quand ils n'ont pas pu les expliquer.
Au reste, ceux qui croient Dieu éternel, seraient-ils plus en état
de comprendre cette éternité divine et de la démontrer,
s'ils ne s'appuyaient que sur des témoignages pris dans le temps ; et,
quelque forte que fût leur persuasion ne seraient-ils pas dans un grand
travail, s'ils voulaient, par des moyens aussi inférieurs, porter l'esprit
de l'homme au sommet de cette imposante vérité ?
Je pense donc que les incrédules et les athées ne nient pas un
principe éternel, mais seulement qu'ils le transposent : ils veulent
que ce principe soit dans la matière ; les défenseurs de la vérité
veulent qu'il soit hors de la matière. C'est en cela que consiste toute
la difficulté, ainsi que je l'ai écrit dans ma Lettre à
un ami sur la révolution française.
Mais je crois que pour leur faire adopter le principe divin, éternel
et supérieur à l'univers, l'argument tiré des séries
infinies des combinaisons est insuffisant, comme étant trop facile à
neutraliser de la part de ceux qu'il attaque.
J'en pourrais dire autant de celui tiré des mouvements indéterminés,
comparés aux mouvements réguliers que nous présente la
marche universelle de tout ce qui se meut dans le monde, puisque ces mouvements
indéterminés ne s'offrent jamais à nos yeux.
Enfin j'en pourrais dire autant de celui tiré du mouvement infini en
ligne droite que suppose l'axiome de Newton ; car ce phénomène,
quoiqu'il ne soit point nié par les mathématiciens, n'existe cependant
que métaphysiquement, et il n'y a pas un seul exemple dans la nature,
puisque même le moindre projectile ne peut procéder dans son cours
sans décrire une parabole.
Je crois donc, je le répète, que pour atteindre le but en question,
toutes les ressources tirées de l'ordre de ce monde et de la nature,
sont précaires et fragiles.
En effet, comme nous venons de le voir, nous prêtons à ce monde
des suppositions, pour arriver à un être fixe et en qui tout est
vrai ; nous lui prêtons des vérités abstraites et figuratives,
pour établir un être réel et entièrement positif
; nous prenons à témoin des substances non intelligentes, pour
monter à un être qui est l'intelligence même ; des substances
qui n'aiment point, pour démontrer celui qui n'est qu'amour ; des substances
liées dans des limites, pour faire connaître celui qui est libre
; enfin des substances qui meurent, pour expliquer celui qui est la vie.
Ne craignons-nous point qu'en nous livrant à cette imprudente et fragile
tentative, nous ne nous remplissions nous-mêmes de toutes les défectuosités
inhérentes aux moyens dont nous nous servons, au lieu de démontrer
à nos antagonistes tous les trésors de celui que nous voudrions
faire honorer ?
Nous allons voir naître de tout ceci une clarté qui pourra paraître
extraordinaire, mais qui n'en sera pas moins réelle ; c'est que si l'homme
(qui, remarquons-le bien, n'est point de ce monde) est un moyen sûr et
direct de démontrer l'essence divine ; si les preuves que nous tirons
de l'ordre externe de ce monde, sont défectueuses et incomplètes
; enfin, si les suppositions et les vérités abstraites que nous
prêtons à ce monde, sont prises dans l'ordre métaphysique,
et n'ont point d'existence dans la nature ; il résulte évidemment
que nous ne comprenons rien dans ce monde où nous sommes, que par les
lueurs du monde où nous ne sommes pas ; qu'il nous est bien plus facile
d'atteindre aux lumières et aux certitudes qui brillent dans le monde
où nous ne sommes pas, que de nous naturaliser avec les obscurités
et les ténèbres qui embrassent le monde où nous sommes
; qu'enfin, puisqu'il faut le dire, nous sommes bien plus près de ce
que nous appelons l'autre monde, que nous ne le sommes de celui-ci.
Il n'est même pas bien difficile de convenir que c'est par abus que nous
nommons l'autre monde le monde où nous ne sommes pas, et que c'est celui-ci
qui véritablement est l'autre monde pour nous.
Car si, à la rigueur, deux choses peuvent être autres respectivement
l'une pour l'autre, il y a cependant entre elles deux une priorité, soit
de fait, soit de convention, qui oblige de regarder la seconde comme autre par
rapport à la première, et non pas la première comme autre
par rapport à la seconde ; puisque ce qui est premier est un et ne peut
offrir de différence, comme n'ayant pas de point de comparaison antérieur
à soi ; au lieu que ce qui est second, trouve avant soi ce point de comparaison.
Tel est le cas des deux mondes en question. En effet, je laisse au lecteur à
comparer les lumières et les certitudes que nous trouvons dans l'ordre
métaphysique, ou dans ce que nous appelons l'autre monde, avec les obscurités,
les approximations et les incertitudes que nous trouvons dans celui que nous
habitons ; et je le laisserai également prononcer si le monde où
nous ne sommes pas n'a pas quelques droits à la priorité sur celui
où nous sommes, tant par les perfections et les connaissances qu'il nous
offre, que par le rang d'ancienneté qu'il paraît avoir sur ce monde
d'un jour où nous sommes emprisonnés.
Car il n'y a que les esclaves de l'ignorance et des jugements précipités,
qui pourraient imaginer de faire descendre l'esprit de la matière, et
par conséquent ce que nous appelons l'autre monde de celui-ci, tandis
que celui-ci paraîtrait au contraire dériver de l'autre, et ne
venir qu'après lui.
Ainsi donc si le monde où nous ne sommes pas, enfin si ce que nous appelons
l'autre monde, a, dans tous les genres, la priorité sur celui-ci, c'est
vraiment ce monde-ci, ou le monde où nous sommes, qui est l'autre monde,
puisqu'il a avant lui un terme de comparaison dont il est la différence
; et ce que nous appelons l'autre monde, étant un ou le premier, entraîne
nécessairement avec soi-même tous ses rapports, et ne peut être
qu'un modèle et non pas un autre monde.
Cela nous montre également combien l'Homme-Esprit doit se trouver extraligné
en étant emprisonné par les éléments matériels,
et combien ces éléments matériels ou ce monde-ci est insuffisant
pour signaler la Divinité : aussi, rigoureusement parlant, nous ne sortons
jamais de l'autre monde ou du monde de l'Esprit, quoique si peu de gens croient
à son existence. Nous ne pouvons douter de cette vérité,
puisque, même pour faire valoir les preuves que nous tirons de la matière
ou de ce monde-ci, nous sommes obligés de lui prêter les qualités
de l'esprit ou de l'autre monde. La raison en est que tout tient à l'esprit,
et que tout correspond à l'esprit, comme nous le verrons par la suite.
Ainsi la seule différence qu'il y ait entre les hommes, c'est que les
uns sont dans l'autre monde en le sachant, et que les autres y sont sans le
savoir : or voici, à ce sujet, une échelle progressive.
Dieu est dans l'autre monde en le sachant, et il ne peut pas ne pas le croire
et ne pas le savoir, puisque lui-même étant l'Esprit universel,
il est impossible qu'il y ait pour lui, entre cet autre monde et lui, quelque
séparation.
Les esprits purs sentent bien qu'ils sont dans l'autre monde, et ils le sentent
perpétuellement et sans interruption, parce qu'ils ne vivent que de la
vie de cet autre monde ; mais ils sentent qu'ils ne sont que les habitants de
cette autre vie, et qu'un autre qu'eux en est le propriétaire.
L'homme, quoiqu'étant dans ce monde terrestre, est bien toujours dans
cet autre monde qui est tout ; mais tantôt il en ressent la douce influence,
tantôt il ne la sent pas ; souvent même il ne ressent et ne suit
que l'impulsion du monde mixte et ténébreux qui est comme coagulé
au milieu de cet autre monde, et qui est, par rapport à cet autre monde,
comme une plaie, une loupe ou une apostume. De là vient qu'il y a si
peu d'hommes qui croient à cet autre monde.
Enfin les esprits égarés, dont l'homme réfléchi
peut se démontrer invinciblement l'existence par la simple lumière
de sa raison, et sans le secours des traditions, en sondant jusqu'au vif cette
source du bien et cette source du mal qui se combattent dans lui et dans sa
pensée ; ces esprits égarés, dis-je, sont bien aussi dans
cet autre monde, et ils croient à cet autre monde.
Mais non seulement ils ne sentent pas sa douce influence, non seulement ils
ne goûtent pas non plus le repos et le rafraîchissement que le monde
apparent lui-même laisse passer jusqu'à l'homme ; mais ils ne connaissent
l'autre monde que par l'inépuisable supplice que leur cause la fontaine
âpre qu'ils ont ouverte, et ils ne connaissent celui-ci que par le poids
que ses puissances laissent tomber sur eux. Si l'homme, par sa négligence,
leur laisse goûter quelque moment de répit, ce n'est que pour un
temps, et, à chaque instant, il leur faut rendre au centuple ces biens
mal acquis ou usurpés.
Quelle idée devons-nous donc nous faire de cette nature, ou de cet univers
qui nous rend si aveugles sur cet autre monde, ou sur ce monde spirituel, soit
bon, soit mauvais, dont nous ne sortons point ? On peut le savoir en deux mots.
Sans le monde spirituel mauvais, la nature serait une durée éternelle
de régularité et de perfection ; sans le monde spirituel bon,
la nature serait une durée éternelle d'abomination et de désordre.
C'est la sagesse ou l'amour suprême qui, pour tempérer l'éternité
fausse, a jugé à propos d'y opposer un rayon de l'éternité
vraie. Le mélange de ces deux éternités compose le temps
qui n'est ni l'une ni l'autre, et qui cependant offre une image successive de
l'une et de l'autre, par le bien et le mal, par le jour et la nuit, la vie et
la mort, etc.
L'amour suprême n'a pu employer ainsi à cette uvre que des
puissances descendues de l'éternité vraie ; voilà pourquoi,
d'un côté, tout est mesuré dans le temps ; et de l'autre
pourquoi le temps, soit général, soit particulier, doit nécessairement
passer.
Mais comme l'éternité vraie est, pour ainsi dire, sortie d'elle-même
pour contenir l'éternité fausse, et qu'au contraire l'éternité
fausse a été forcée par là de rétrograder
; voilà pourquoi nous avons tant de peine à reconnaître
dans le temps ces deux éternités qui n'y sont à leur place
ni l'une ni l'autre ; voilà pourquoi il est si difficile de prouver le
Dieu complet par cette nature où tout est morcelé et mixte, et
où les deux éternités ne se montrent que sous le voile
externe de la corruptible matière.
Dans l'état d'apathie où l'homme se plonge par ses propres illusions
journalières, et par ses études appliquées uniquement à
l'ordre externe de la nature, il ne voit pas en elle la source de sa régularité
apparente, ni la source cachée de son désordre ; il s'identifie
avec cet univers extérieur ; il ne peut se défendre de le prendre
pour un monde et même pour un monde exclusif et seul existant.
Aussi, dans cet état de choses, l'idée qui a le plus de peine
à trouver accès dans l'homme, est celle de la dégradation
de notre espèce, ainsi que de l'altération de la nature elle-même
dans laquelle il se trouve placé, et sur laquelle les droits qu'il devait
exercer ne le touchent plus à force de les avoir laissé tomber
en désuétude ; et il a fini par confondre cette nature aveugle
et ténébreuse, avec lui-même et avec sa propre essence.
Cependant, s'il voulait considérer un instant l'ordre externe sous une
face plus vraie et plus profitable, une simple remarque lui servirait pour lui
faire observer à la fois et la dégradation effective de son espèce,
et la dignité de son être, et sa supériorité sur
l'ordre externe.
Les hommes pourraient-ils nier la dégradation de leur espèce,
quand ils voient qu'ils ne peuvent exister, vivre, agir, penser, qu'en combattant
une résistance ? Notre sang a à se défendre de la résistance
des éléments ; notre esprit, de celle du doute et des ténèbres
de l'ignorance notre cur, de celle des faux penchants ; tout notre corps,
de celle de l'inertie ; notre acte social, de celle du désordre, etc.
Une résistance est un obstacle ; un obstacle dans la classe de l'esprit
est une antipathie et une inimitié ; mais une inimitié en action
est une puissance hostile et combattante : or cette puissance étendant
sans cesse ses forces autour de nous, nous tient dans une situation violente
et pénible, dans laquelle nous ne devrions pas être, et hors de
laquelle cette puissance serait pour nous comme inconnue et comme n'existant
pas, puisque nous sentons intérieurement que nous sommes faits pour la
paix et le repos.
Non, l'homme n'est pas dans les mesures qui lui seraient propres ; il est évidemment
dans une altération. Ce n'est pas parce que cette proposition est dans
les livres, que je dis cela de lui ; ce n'est pas parce que cette idée
est répandue chez tous les peuples ; c'est parce que l'homme cherche
partout ce lieu de repos pour son esprit ; c'est parce qu'il veut conquérir
toutes les sciences, et jusqu'à celle de l'infini, quoiqu'elle lui échappe
sans cesse, et qu'il aime mieux la défigurer et l'accommoder à
ses ténébreuses conceptions, que de se passer d'elle ; c'est parce
que, pendant son existence passagère sur cette terre, il semble n'être
au milieu de ses semblables que comme un lion vorace au milieu des brebis, ou
comme une brebis au milieu des lions voraces ; c'est que, parmi ce grand nombre
d'hommes, à peine en est-il un qui se réveille pour autre chose
que pour être la victime ou le bourreau de son frère.
Néanmoins l'homme est un grand être ; car s'il n'était pas
grand, comment aurait-il pu se trouver dégradé ? Mais indépendamment
de cette preuve de l'ancienne dignité de notre être, voici ce que
la réflexion aurait pu faire naître dans la pensée de l'homme,
pour lui montrer même aujourd'hui sa supériorité sur la
nature.
La nature astrale et terrestre opère les lois de la création,
et n'a pris naissance et n'existe que par la virtualité de ces lois.
Le végétal et le minéral ont à eux l'effet de ces
lois, car ils renferment les propriétés de toutes les essences
élémentaires, astrales et autres, et cela avec plus d'efficacité
et de développement que les astres eux-mêmes, qui contiennent seulement
une moitié de ces propriétés, et que la terre qui n'en
contient que l'autre moitié.
L'animal a l'usage de ces lois de la création, puisqu'il est chargé
de se substanter, de se reproduire, et de s'entretenir, et qu'en lui résident
tous les principes qui lui sont nécessaires pour concourir au maintien
de son existence.
Mais l'Homme-Esprit a à la fois l'effet, l'usage et la libre direction
ou manipulation de toutes ces choses. Je ne veux donner de tout ceci qu'un exemple
de matière, et même très commun, mais au moyen duquel la
pensée pourra monter plus haut dans celui qui en sera susceptible.
Cet exemple sera, 1.) un champ de blé qui a en soi-même l'effet
de toutes ces lois de la nature. 2.) Un animal broutant, qui a l'usage de ce
blé, et qui peut s'en nourrir. 3.) Un boulanger qui a en soi la direction
et la manipulation de ce blé, et qui peut en faire du pain ; ce qui indique
très matériellement que toutes les puissances de la nature ne
sont que partielles pour les êtres qui la constituent, mais que l'Homme-Esprit
embrasse à lui seul l'universalité de ces puissances.
Quant à tous ces droits matériels que l'Homme possède et
que nous avons terminés à la manipulation du boulanger, si nous
nous portons en pensée dans la région réelle de l'homme,
nous pressentirons, sans doute, que tous ces droits se peuvent justifier d'une
manière plus vaste et plus virtuelle encore, en sondant et découvrant
les merveilleuses propriétés qui constituent l'Homme-Esprit, et
quelles sont les hautes manipulations qui en peuvent provenir.
Car si l'homme a si évidemment le pouvoir d'être ouvrier et manipulateur
des productions terrestres, pourquoi ne pourrait-il pas être aussi ouvrier
et manipulateur des productions de l'ordre supérieur ? Il doit pouvoir
comparer ces productions divines avec leur source, comme il a le pouvoir de
comparer l'effet total de la nature avec la cause qui l'a formée et qui
la dirige, et il est le seul qui ait ce privilège.
Toutefois l'expérience seule peut donner l'idée de ce droit sublime,
et encore cette idée même doit-elle sans cesse paraître nouvelle
à celui qui y serait le plus accoutumé.
Mais hélas ! l'homme connaît ses droits spirituels, et il n'en
jouit pas ! A-t-il besoin d'autre preuve pour attester sa privation, et par
conséquent sa dégradation ?
Homme, ouvre donc un instant les yeux ; car avec tes jugements inconséquents,
non seulement tu ne recouvreras pas tes privilèges, mais tu pourras encore
moins les anéantir. Les êtres physiques ne cessent même de
te donner des leçons qui devraient t'instruire. Les animaux sont tout
cur ; et il est bien clair que quoiqu'ils ne soient pas des machines,
ils n'ont cependant point d'esprit, puisqu'il est comme distinct d'eux, hors
d'eux et à côté d'eux. Ils n'ont point, par cette raison,
à établir comme nous une alliance entre eux et leur principe.
Mais vu la régularité de leur marche, on ne peut nier, à
la honte de l'homme, que l'ensemble des êtres non libres ne manifeste
une alliance plus suivie et plus complète que celle que nous sommes les
maîtres de former en nous-mêmes avec notre principe. On pourrait
même aller jusqu'à dire qu'excepté l'homme, l'universalité
des êtres se montre à nous comme autant de curs dont Dieu
est l'esprit.
En effet, le monde ou l'homme égaré veut être tout esprit,
et croit pouvoir se passer de son vrai cur, ou de son cur sacré
et divin, pourvu qu'il mette avant son cur animal et sa superbe.
Dans Dieu, il y a aussi un cur sacré et un esprit, puisque nous
sommes son image ; mais ils ne font qu'un, comme toutes les facultés
et puissances de cet être souverain.
Or, nos droits peuvent aller jusqu'à former, comme la suprême sagesse,
une éternelle et indissoluble alliance entre notre esprit et notre cur
sacré, en les unissant dans le principe qui les a formés ; et
même ce ne sera qu'à cette condition indispensable que nous pourrons
espérer de nous rendre de nouveau images de Dieu, et c'est en y travaillant
que nous nous confirmons dans la conviction douloureuse de notre dégradation,
et dans la certitude de notre supériorité sur l'ordre externe.
Mais en travaillant à nous rendre de nouveau images de Dieu, nous obtenons
l'avantage inexprimable, non seulement de faire disparaître par intervalle
notre privation et notre dégradation ; mais en même temps celui
d'approcher et de jouir réellement de ce que les hommes avides de gloire
appellent l'immortalité ; car le désir vague de l'homme du torrent,
de vivre dans l'esprit des autres, est la preuve la plus faible et la plus fausse
de toutes celles que le vulgaire emploie en faveur de la dignité de l'âme
humaine.
En effet, quoique l'homme soit esprit, quoique dans tous ses actes, soit réguliers,
soit désordonnés, il ait toujours un mobile spirituel quelconque,
et que dans ce qui émane de lui, il ne puisse jamais travailler que par
l'esprit et pour l'esprit ; cependant il n'est porté à ce désir
d'immortalité que par un mouvement d'amour-propre, et par le sentiment
présent d'une supériorité sur les autres, et d'une admiration
de leur part, dont le tableau actuel, le frappe et le remue ; et s'il ne voit
pas jour à effectuer ce tableau, son désir et les uvres
qui en sont souvent les suites courent le risque de se ralentir.
Aussi peut-on assurer que ce mouvement-là repose plutôt sur une
velléité d'immortalité, que sur une véritable conviction,
et la preuve qu'on en peut donner, c'est que ceux qui se livrent à ce
mouvement, sont communément ceux qui, pour le réaliser, n'ont
que des uvres temporelles à produire ; ce qui annonce assez que
la base sur laquelle ils s'appuient est dans le temps, attendu que les fruits
indiquent l'arbre.
S'ils avaient une véritable conviction de cette immortalité, ce
serait en cherchant à travailler dans le Dieu réel et pour le
Dieu réel, et par conséquent en s'oubliant eux-mêmes, qu'ils
donneraient une preuve authentique de cette conviction ; et en même temps
leurs espérances de vivre dans l'immortalité, ne seraient point
déçues, parce qu'ils sèmeraient alors dans un champ où
ils seraient bien sûrs de retrouver leur grain ; au lieu que ne travaillant
que dans le temps, et ne semant que dans l'esprit des hommes, dont une partie
aura bientôt oublié leurs uvres, et dont l'autre n'en aura
peut-être jamais connaissance, c'est s'y prendre de la manière
la plus désavantageuse et la plus maladroite pour s'établir, comme
ils s'en flattent, dans les demeures de l'immortalité.
Si nous voulions un peu réfléchir, nous verrions qu'il se présenterait
tout auprès de nous des preuves péremptoires de notre immortalité.
Il ne faut en effet que considérer la disette habituelle et continuelle
où l'homme laisse son esprit ; et cependant cet esprit ne s'éteint
pas pour cela. Il s'échauffe, il se dévoie, il se livre à
des erreurs, il devient méchant, il devient fou, il fait du mal au lieu
du bien qu'il devrait faire, mais proprement il ne meurt pas.
Si nous traitions nos corps avec la même maladresse et la même négligence
; si nous les laissions jeûner aussi exactement et d'une manière
aussi absolue, ils ne feraient pas le mal, ils ne feraient pas le bien, ils
ne feraient rien, ils mourraient.
Un autre moyen d'apercevoir au moins des indices de notre immortalité,
ce serait d'observer que sous tous les rapports, l'homme marche journellement
ici bas à côté de sa fosse, et que ce ne peut être
que par un sentiment quelconque de son immortalité, que dans tous ces
cas il cherche à se montrer supérieur à ce danger.
C'est ce que l'on peut dire des guerriers, qui à chaque moment peuvent
recevoir le coup de la mort. C'est ce qu'on peut dire de l'homme corporel, qui
en effet peut à tout instant être retiré de ce monde : il
n'y a d'autre différence, sinon que le guerrier n'est pas nécessairement
la victime de ce danger, et que plusieurs en réchappent ; au lieu que
les hommes naturels y succombent tous, sans qu'il leur soit possible de s'en
préserver.
Mais il y a dans ces deux classes la même tranquillité, pour ne
pas dire la même insouciance, qui fait que le guerrier et l'homme naturel
vivent comme si le danger n'existait pas pour eux. C'est-à-dire, que
leur insouciance même est un indice qu'ils sont comme pleins de l'idée
de leur immortalité, quoiqu'ils marchent l'un et l'autre sur le bord
de leur fosse.
Sous le rapport spirituel, le danger pour l'homme est encore plus grand, et
son insouciance est encore plus extrême ; non seulement l'Homme-Esprit
marche sans cesse à côté de sa fosse, puisqu'il est toujours
près d'être englouti ou dévoré par l'immortelle source
du mensonge ; mais même y en a-t-il beaucoup parmi l'espèce humaine
qui ne marchent pas continuellement dans leur fosse ? et l'homme aveugle ne
s'occupe pas même des moyens d'en sortir, et ne s'informe pas si jamais
il en sortira !
Quand il a le bonheur d'apercevoir un seul instant qu'il marche dans cette fosse,
c'est alors qu'il a une preuve spirituelle bien irrésistible de son immortalité,
puisqu'il a spirituellement la preuve de son épouvantable mortalité,
et même de ce que nous appelons figurément sa mort. Or, comment
pourrait-il sentir le tourment et l'horreur de sa mortalité spirituelle,
s'il n'avait pas en même temps le sentiment énergique de son immortalité
?
Ce n'est que dans ce contraste que se trouve son supplice ; comme les douleurs
physiques ne se sentent que par l'opposition du désordre et du dérangement
avec la santé. Mais ce genre de preuve ne peut également s'acquérir
que par l'expérience, et elle est un des premiers fruits du travail de
la régénération ; car si nous ne sentons pas notre mort
spirituelle, comment pourrons-nous songer à appeler la vie ?
C'est là aussi où nous apprenons de nouveau, qu'il y a un être
encore plus malheureux sans doute, c'est le prince du mensonge, puisque sans
lui nous n'aurions pas même idée de lui, attendu que chaque chose
ne peut être révélée que par elle-même, comme
on a pu le voir dans l'esprit des choses
Non seulement il marche sans cesse dans sa fosse, non seulement il n'aperçoit
jamais qu'il marche dans cette fosse, puisqu'il lui faudrait pour cela le secours
d'un rayon de lumière ; mais en nous approchant de cette fosse, nous
sentons qu'il y est dans une dissolution et une corruption continuelles, c'est-à-dire
qu'il y est perpétuellement dans la preuve et le sentiment effectif de
sa mort ; que jamais il ne conçoit la moindre espérance d'en être
délivré, et qu'ainsi son plus grand tourment est le sentiment
de son immortalité.
Au reste, mes écrits antérieurs ont assez établi la dignité
de notre être, malgré notre avilissement dans cette région
de ténèbres.
Ils ont assez appris à distinguer l'homme, cet illustre malheureux, d'avec
la nature entière, qui est sa prison, en même temps qu'elle est
son préservatif.
Ils ont assez indiqué la différence des pouvoirs mutuels que le
physique et le moral ont l'un sur l'autre, en observant que le physique n'a
sur le moral qu'un pouvoir passif qui ne consiste qu'à l'obstruer, ou
à le laisser simplement dans sa mesure naturelle, tandis que le moral
a sur le physique un pouvoir actif, ou celui de créer, pour ainsi dire,
dans ce physique, malgré notre dégradation, mille dons, mille
talents qu'il n'aurait point eus par sa nature.
Quoique je ne me flatte pas du bonheur d'avoir persuadé beaucoup de mes
semblables de notre lamentable dégradation, depuis que je m'occupe de
défendre la nature de l'homme, cependant j'ai souvent tenté cette
entreprise dans mes écrits, et même je me plais à croire
qu'à cet égard la tâche est remplie de ma part, quoiqu'elle
ne le soit pas de la part de tous ceux qui m'ont lu.
Ces écrits ont assez montré combien la suprême sagesse dont
l'homme descend, a multiplié pour lui les voies qui pourraient le faire
remonter vers sa région primitive ; et après avoir fondé
ces bases sur l'être intégral et radical de l'homme, de manière
qu'il ne puisse pas les suspecter, et qu'au contraire il puisse à tout
moment les vérifier lui-même par ses propres observations, ils
lui ont peint l'univers entier céleste et terrestre, les sciences de
tout genre, les langues, les mythologies et les traditions universelles des
peuples, comme étant autant de dépositions qu'il peut consulter
à sa volonté, et qui lui rendront un témoignage authentique
de toutes ces vérités fondamentales.
Ils ont surtout appuyé sur une précaution indispensable, quoiqu'universellement
négligée, celle de ne regarder tous les livres traditionnels quelconques
que comme des accessoires postérieurs à ces vérités
importantes qui reposent sur la nature des choses, et sur l'essence constitutive
de l'homme.
Ils ont essentiellement recommandé de commencer par s'assurer soi-même,
et en soi-même, de ces vérités premières et inexpugnables,
sauf ensuite à recueillir dans les livres et dans les traditions, tout
ce qui pourra venir à l'appui de ces vérités, sans jamais
se laisser aveugler, jusqu'à confondre les témoignages avec le
fait, qui doit d'abord être constaté dans sa propre existence,
avant d'admettre les dépositions testimoniales, puisque là où
il n'y aurait point de faits avérés, les témoins ne peuvent
prétendre ni à aucune confiance, ni à aucun emploi.
Je n'ai plus à démontrer à l'homme son effroyable transmigration
; je l'ai dit : un seul soupir de l'âme humaine est sur ce point un témoignage
plus positif et plus péremptoire que toutes les doctrines de l'ordre
externe, et que tous les balbutiements, et toutes les bruyantes clameurs de
la philosophie de l'apparence.
Prêtres de l'Inde, vous avez beau étouffer par vos chants fanatiques,
et par le son tumultueux de vos instruments, les cris de la veuve que vous brûlez
sur vos bûchers, en est-elle moins en proie aux plus horribles supplices
? et est-ce à elle que vos impostures et vos atroces acclamations feront
oublier ses douleurs ?
Non, il n'y a que ceux qui se font matière, qui se croient dans leur
mesure naturelle. Après ce premier écart de leur esprit, le second
en devient comme une suite nécessaire : car la matière, en effet,
ne connaît point de dégradation ; dans quelque état qu'elle
se trouve, elle n'a que le caractère de l'inertie. Elle est ce qu'elle
doit être. Elle ne fait point de comparaisons. Elle ne s'aperçoit
ni de son ordre, ni de son désordre.
Les hommes qui se font matière, ne discernent pas plus qu'elle ces contrastes
si marqués et si repoussants attachés à leur existence.
Mais la nature est autre chose que la matière, elle est la vie de la
matière ; aussi a-t-elle un autre instinct et une autre sensibilité
que la matière ; elle s'aperçoit de sa propre altération,
et elle gémit de son esclavage.
C'est pour cela que si les hommes égarés se contentaient de se
faire nature, ils ne douteraient pas de leur dégradation ; mais ils se
font matière. Aussi ils n'ont plus pour guide et pour flambeau que l'aveugle
insensibilité de la matière, et sa ténébreuse ignorance.
D'ailleurs ce qui fait demeurer au rang des fables cet âge d'or dont la
poésie et la mythologie nous offrent de si belles descriptions, c'est
que ces descriptions sembleraient nous retracer des jouissances auxquelles nous
aurions participé jadis, ce qui n'est point ; au lieu qu'elles nous retracent
seulement les droits que nous pourrions même recouvrer aujourd'hui à
ces jouissances, si nous faisions valoir les ressources qui sont toujours inhérentes
à notre essence. Et moi-même, lorsque je parle si souvent du crime
de l'homme, je n'entends parler que de l'homme général d'où
toute la famille est descendue.
Aussi, comme je l'ai exposé dans le tableau naturel, nous avons des regrets
au sujet de notre triste situation ici-bas ; mais nous n'avons point de remords
sur la faute primitive, parce que nous n'en sommes point coupables ; nous sommes
privés, mais nous ne sommes pas punis comme le coupable même. C'est
ainsi que les enfants d'un grand de la terre et d'un illustre criminel, qui
lui seront nés après son crime, pourront être privés
de ses richesses et de ses avantages temporels, mais ne seront pas, comme lui,
sous la loi de la condamnation corporelle, et même peuvent toujours espérer
par leur bonne conduite d'obtenir grâce, et de rentrer un jour dans les
dignités de leur père.
J'ai suffisamment montré aussi dans mes écrits, que l'âme
humaine était encore plus sensible que la nature qui, dans le fait, n'est
que sensitive. C'est pourquoi j'ai dit que cette âme humaine, ramenée
à sa sublime dignité, était le véritable témoin
de l'agent suprême, et que ceux qui ne savaient prouver Dieu que par le
spectacle de l'univers, n'employaient là qu'une démonstration
précaire et fragile, puisque l'univers est dans la servitude, et que
l'esclave n'est point admis en témoignage.
J'ai assez fait connaître que la pensée de l'homme ne pouvait vivre
que d'admiration, comme son cur ne pouvait vivre que d'adoration et d'amour.
Et j'ajoute ici que ces droits sacrés se partageant dans l'espèce
humaine entre l'homme qui est plus enclin à admirer, et la femme qui
l'est plus à adorer, perfectionnent ces deux individus l'un par l'autre
dans leur sainte société, en rendant à l'intelligence de
l'homme la portion d'amour dont il manque, et en couronnant l'amour de la femme
par les superbes rayons de l'intelligence dont elle a besoin ; que par là
l'homme et la femme se trouvent ralliés visiblement sous la loi ineffable
de l'indivisible unité.
(Ceci, pour le dire en passant, expliquerait pourquoi le lien conjugal emporte
partout avec lui-même un caractère respectable, excepté
aux yeux de ceux qui sont dépravés, et pourquoi ce même
lien, malgré notre dégradation, est la base de l'association politique,
celle de toutes les lois morales, l'objet de tant de grands et de petits événements
sur la terre, en même temps que le sujet de presque tous les ouvrages
de littérature, soit de l'Épopée, soit des pièces
de théâtre, soit des romans ; enfin, pourquoi le respect porté
à ce lien, ainsi que les atteintes qui lui sont faites, deviennent, sous
tous les rapports civils et religieux, une source d'harmonie ou de désordres,
de bénédictions ou d'anathèmes, et semblent lier au mariage
de l'homme le ciel, la terre et les enfers ; car il serait étonnant qu'il
résultât de là de si grands effets, si cette unité
conjugale n'avait pas eu primitivement, par son importance, le pouvoir de décider
du bonheur ou du malheur du cercle des choses et de tout ce qui peut avoir des
rapports avec l'homme. Aussi ce mariage, le péché l'a rendu sujet
à des conséquences bien fâcheuses pour l'homme et la femme.
Ces conséquences consistent à ce que tout étant dévoyé
pour l'être spirituel de l'un et de l'autre, cela oblige leur esprit à
sortir de lui-même, s'ils veulent parvenir mutuellement à cette
unité sainte qui leur est destinée par leur alliance. Aussi il
n'y a pas jusqu'aux entretiens, encouragements et exemples qu'ils ne se doivent
respectivement pour se soutenir, et pour que par ce moyen-là la femme
rentre dans l'homme dont elle est sortie, que l'homme étaye la femme
de la force dont elle a été séparée, et pour que
lui-même puisse retrouver cette portion d'amour qu'il a laissée
sortir de lui. Oh ! si le genre humain savait ce que c'est que le mariage, il
en aurait à la fois un désir extrême et une frayeur épouvantable
; car il est possible aux hommes de se rediviniser par là, ou de finir
par se perdre tout à fait. En effet, si les époux priaient, ils
se rétabliraient dans le jardin d'Eden ; et s'ils ne prient pas, je ne
sais comment ils pourraient se supporter, tant est grande l'infection et la
corruptibilité qui nous constituent tous aujourd'hui, soit au moral,
soit au physique ; surtout si à leurs propres imperfections et fragilités
morales et physiques, ils joignent les néants corrosifs et destructeurs
de l'atmosphère du monde frivole qui attire continuellement tout en dehors,
puisqu'il ne sait pas vivre en lui-même et de lui-même).
J'ai assez fait remarquer que nous étions les seuls sur la terre qui
jouissions de ce privilège d'admirer et d'adorer, sur lequel doit reposer
le mariage de l'homme ; que cette seule idée démontrait à
la fois notre supériorité sur tous les êtres de la nature,
la nécessité d'une source permanente d'admiration et d'adoration,
pour que notre besoin d'admirer et d'adorer pût se satisfaire ; et enfin
nos rapports et notre analogie radicale avec cette source, pour que nous pussions
discerner et sentir ce qui dans elle est capable d'attirer notre admiration
et nos hommages.
Je me suis assez expliqué sur les livres, en disant que l'homme était
le seul livre écrit de la main de Dieu ; que tous les autres livres qui
nous sont parvenus, Dieu les avait commandés, ou bien les avait laissé
faire ; que tous les autres livres quelconques ne pouvaient être que des
développements et des commentaires de ce texte primitif, et de ce livre
originel ; qu'ainsi notre tâche fondamentale et de première nécessité
était de lire dans l'homme, ou dans ce livre écrit de la propre
main de Dieu.
Je me suis également expliqué sur les traditions, en disant que
chaque chose devait faire sa propre révélation ; qu'ainsi, au
lieu de ne prouver la chose religieuse que par des traditions écrites
ou non écrites, ce qui est la seule ressource des instituteurs ordinaires,
nous aurions droit d'aller puiser directement dans les profondeurs que nous
portons avec nous-mêmes, puisque les faits les plus merveilleux ne sont
que postérieurs à la pensée ; qu'ainsi il aurait fallu
s'occuper de l'Homme-Esprit et de la pensée, avant de s'occuper des faits,
et surtout des faits simplement traditionnels ; que par là nous aurions
pu faire germer ou sortir de sa propre révélation, et le baume
restaurateur dont nous avons tous un besoin indispensable, et la chose religieuse
elle-même qui ne doit être que le mode et la préparation
de ce baume souverain ; mais qui ne doit jamais se mettre à sa place,
comme elle l'a fait si souvent en passant par la main des hommes.
J'ai assez fait sentir que c'était là l'unique voie sûre
d'atteindre aux témoignages naturels, positifs et efficaces, auxquels
seule notre intelligence puisse donner véritablement sa confiance.
Ainsi, je puis me dispenser de revenir sur ces premiers éléments,
d'autant que si l'on observe avec attention les dispositions diverses où
se trouve la pensée des hommes, on reconnaîtra qu'il faut bien
moins songer à ramener les êtres endurcis, qu'à leur arracher
quelques-unes de leurs proies ; surtout quand on réfléchira combien
le nombre de ces êtres endurcis est réduit, en comparaison de ceux
qui sont encore susceptibles de recouvrer la vue ; car c'est une chose frappante
que les détracteurs de la vérité soient comme un infiniment
petit à l'égard de ceux qui la défendent, ne fût-ce
que maladroitement ; ils sont dans un rapport bien moindre encore à l'égard
de ceux qui la croient, fût-ce même sans la connaître, comme
c'est le cas le plus général.
D'ailleurs, un auteur allemand, dont j'ai traduit et publié les deux
premiers ouvrages, savoir, l'Aurore naissante et les trois principes, peut suppléer
amplement à ce qui manque dans les miens. Cet auteur allemand, mort depuis
près de deux cents ans, nommé Jacob Boehme, et regardé
dans son temps comme le prince des philosophes divins, a laissé dans
ses nombreux écrits, qui contiennent près de trente traités
différents, des développements extraordinaires et étonnants
sur notre nature primitive ; sur la source du mal ; sur l'essence et les lois
de l'univers ; sur l'origine de la pesanteur ; sur ce qu'il appelle les sept
roues ou les sept puissances de la nature ; sur l'origine de l'eau ; (origine
confirmée par la chimie, qui enseigne que l'eau est un corps brûlé)
; sur le genre de la prévarication des anges de ténèbres
; sur le genre de celle de l'homme ; sur le mode de réhabilitation que
l'éternel amour a employé pour réintégrer l'espèce
humaine dans ses droits, etc.
Je croirai rendre un service au lecteur en l'engageant à faire connaissance
avec cet auteur ; mais en l'invitant surtout à s'armer de patience et
de courage pour n'être pas rebuté par la forme peu régulière
de ses ouvrages, par l'extrême abstraction des matières qu'il traite,
et par la difficulté qu'il avoue lui-même avoir eue à rendre
ses idées, puisque la plupart des matières en question n'ont point
de noms analogues dans nos langues connues.
Le lecteur y trouvera que la nature physique et élémentaire actuelle
n'est qu'un résidu et une altération d'une nature antérieure,
que l'auteur appelle l'éternelle nature ; que cette nature actuelle formait
autrefois dans toute sa circonscription, l'empire et le trône d'un des
princes angéliques, nommé Lucifer ; que ce prince ne voulant régner
que par le pouvoir du feu et de la colère, et mettre de côté
le règne de l'amour et de la lumière divine, qui aurait dû
être son seul flambeau, enflamma toute la circonscription de son empire
; que la sagesse divine opposa à cet incendie une puissance tempérante
et réfrigérante qui contient cet incendie sans l'éteindre,
ce qui fait le mélange du bien et du mal que l'on remarque aujourd'hui
dans la nature ; que l'homme formé à la fois du principe de feu,
du principe de la lumière, et du principe quintessentiel de la nature
physique ou élémentaire, fut placé dans ce monde pour contenir
le roi coupable et détrôné ; que cet homme, quoiqu'il eût
en soi le principe quintessentiel de la nature élémentaire, devait
le tenir comme absorbé dans l'élément pur qui composait
alors sa forme corporelle ; mais que se laissant plus attirer par le principe
temporel de la nature que par les deux autres principes, il en a été
dominé, au point de tomber dans le sommeil, comme ledit Moïse ;
que se trouvant bientôt surmonté par la région matérielle
de ce monde, il a laissé, au contraire, son élément pur
s'engloutir et s'absorber dans la forme grossière qui nous enveloppe
aujourd'hui ; que par là il est devenu le sujet et la victime de son
ennemi ; que l'amour divin qui se contemple éternellement dans le miroir
de sa sagesse, appelée par l'auteur, la vierge SOPHIE, a aperçu
dans ce miroir, dans qui toutes les formes sont renfermées, le modèle
et la forme spirituelle de l'homme ; qu'il s'est revêtu de cette forme
spirituelle, et ensuite de la forme élémentaire elle-même,
afin de présenter à l'homme, l'image de ce qu'il était
devenu et le modèle de ce qu'il aurait dû être ; que l'objet
actuel de l'homme sur la terre est de recouvrer au physique et au moral sa ressemblance
avec son modèle primitif ; que le plus grand obstacle qu'il y rencontre
est la puissance astrale et élémentaire qui engendre et constitue
le monde, et pour laquelle l'homme n'était point fait ; que l'engendrement
actuel de l'homme est un signe parlant de cette vérité, par les
douleurs que dans leur grossesse les femmes éprouvent dans tous leurs
membres, à mesure que le fruit se forme en elles, et y attire toutes
ces substances astrales et grossières ; que les deux teintures, l'une
ignée et l'autre aquatique, qui devaient être réunies dans
l'homme et s'identifier avec la sagesse ou la SOPHIE, (mais qui maintenant sont
divisées), se recherchent mutuellement avec ardeur, espérant trouver
l'une dans l'autre cette SOPHIE qui leur manque, mais ne rencontrent que l'astral
qui les oppresse et les contrarie ; que nous sommes libres de rendre par nos
efforts à notre être spirituel, notre première image divine,
comme de lui laisser prendre des images inférieures désordonnées
et irrégulières, et que ce sont ces diverses images qui feront
notre manière d'être, c'est-à-dire, notre gloire ou notre
honte dans l'état à venir, etc.
Lecteur, si tu te détermines à puiser courageusement dans les
ouvrages de cet auteur, qui n'est jugé par les savants dans l'ordre humain,
que comme un épileptique, tu n'auras sûrement pas besoin des miens.
Mais si, sans avoir percé dans toutes les profondeurs qu'il peut offrir
à ton intelligence, tu n'es pas au moins affermi sur les principaux points
que j'ai fait passer en revue devant tes yeux ; si tu doutes encore de la sublime
nature de ton être, quoiqu'au simple examen que tu en voudras faire, tu
puisses en apercevoir en toi des signes si tranchants ; si tu n'es pas également
convaincu de ta dégradation écrite en lettres de feu dans les
inquiétudes de ton cur, aussi bien que dans les ténébreux
délires de ta pensée ; si tu ne sens pas que ton oeuvre absolue
et exclusive, est de consacrer tous tes moments à la réhabilitation
de ton être dans la jouissance active de tous ces antiques domaines de
la vérité qui devraient t'appartenir par droit d'héritage,
ne va pas plus loin, mon écrit n'a point pour objet d'établir
de nouveau toutes ces bases ; elles l'ont été précédemment
avec solidité.
J'ai droit de supposer ici toutes ces données admises, et il ne s'agit
plus maintenant de les prouver, mais d'apprendre à nous en servir : en
un mot, cet ouvrage-ci n'est point un livre élémentaire : j'ai
payé ma dette en ce genre. Celui-ci exige toutes les notions que je viens
de t'exposer ; et il ne pourra convenir qu'à ceux qui les ont, ou à
ceux qui au moins n'en sont pas venus au point de s'en déclarer absolument
les adversaires.
Je m'y occuperai principalement à contempler les sublimes droits originels
qui nous furent accordés par la main suprême ; et en même
temps à déplorer avec mes semblables la condition lamentable où
il languit, comparée à sa destination naturelle.
Toutefois je lui peindrai aussi les consolations qui lui restent, et surtout
l'espoir qu'il peut concevoir encore de redevenir ouvrier du seigneur, conformément
au plan primitif ; et cette partie de mon oeuvre ne sera pas la moins attachante
pour moi, tant je souhaiterais qu'au milieu des maux qui le rongent, loin de
se décourager et de se livrer au désespoir, il cherchât
d'abord à faire naître en lui la force de les supporter, même
de les vaincre, et de s'approcher assez de la vie, pour que la mort rougît
de honte d'avoir cru pouvoir le subjuguer, et faire de lui sa proie et sa victime
; tant je souhaiterais en outre qu'il remplît en esprit et en vérité,
l'objet pour lequel il a reçu l'existence !
Vous tous qui lirez cet ouvrage, vous tous même qui vous laisserez entraîner
au goût d'écrire, apprenez cependant à réduire à
leur juste valeur, et vos propres livres, et les livres de vos semblables ;
apprenez que toutes ces productions ne doivent se regarder que comme des peintures,
et que les peintures, pour avoir quelque prix, supposent, avant elles, et des
modèles réels dont elles nous transmettent les véritables
traits, et des faits substantiels et positifs dont elles nous transmettent le
récit.
Oui, les annales de la vérité ne doivent être que les recueils
de ses éblouissantes clartés et de ses prodiges, et l'homme qui
aurait le bonheur d'être appelé à être véritablement
son ministre, ne devrait jamais écrire qu'après avoir agi virtuellement
sous ses ordres, et que pour nous retracer les merveilles qu'il aurait opérées
en son nom.
Telle a été dans tous les temps la marche des ministres de la
chose divine, en esprit et en vérité. Ils n'ont jamais écrit
que d'après des uvres. Ainsi telle devrait être la marche
de l'homme, puisqu'il est spécialement destiné à l'administration
de la chose divine.
Aussi, que sont ces énormes amas de livres produits par la fantaisie
et l'imagination humaine, et qui non seulement n'attendent point pour se montrer,
qu'ils aient des uvres à peindre, mais se présentent à
nous avec la puérile et coupable prétention de tenir lieu de toutes
les uvres, et de tous les prodiges !
Que sont tous ces écrivains qui ne cherchent qu'à nous rendre
les contribuables de leur bruyante et vaine renommée, au lieu de se sacrifier
eux-mêmes à notre véritable utilité ? Que sont tous
ces faux amis de l'homme, qui consentent bien à lui parler de la vertu
et de la vérité, mais qui ont grand soin de le laisser en paix
dans l'inaction et le mensonge, tant ils craindraient que s'ils cherchaient
à l'en arracher par leurs austères paroles, il ne se retirât
de leur école, qu'il ne mît par là un obstacle à
leur gloire, et qu'il ne les condamnât à l'oubli, en les réduisant
au silence ?
Homme ! Homme ! laisse-là ces livres si infructueux pour toi, et jette-toi
dans la voie des oeuvres, si tu es assez heureux pour comprendre le vrai sens
de ce mot. Jettes-y toi au prix de tes sueurs et de ton sang, et ne prends point
la plume que tu n'aies à nous retracer quelque découverte dans
l'ordre de la véritable science ; quelqu'expérience instructive
dans les oeuvres de l'esprit, ou quelque glorieuse conquête opérée
sur le royaume du mensonge et des ténèbres.
C'est là ce qui fait que les livres des véritables administrateurs
de la chose divine, offrent dans tous les temps à l'homme de désir,
un esprit de vie toujours prêt à étancher la soif qu'il
a de la vérité ; ils sont comme ces belles routes qui servent
de communication entre de grandes villes, et qui offrent à la fois d'intéressants
aspects, de bienfaisants asiles, et même de vigilants défenseurs
contre les dangers et les gens mal intentionnés. Ils sont comme ces coteaux
riants et féconds, posés par la main de la nature au long des
fleuves qui les fertilisent, et auxquels ils procurent, à leur tour,
d'utiles limites pour que le navigateur puisse faire sur leurs ondes un voyage
aussi paisible qu'enchanteur.
Aussi tous les hommes de Dieu sont comptables au monde de toutes leurs pensées.
Car s'ils sont véritablement hommes de Dieu, il ne leur en vient aucune
qui n'ait pour but le perfectionnement des choses, et l'extension du règne
du Maître.
Autant donc celui qui n'est pas administrateur des choses divines, doit se défier
de ses pensées, et en épargner la connaissance aux autres hommes
; autant celui qui est au nombre de ces administrateurs, doit-il avec soin recueillir
les siennes, et les répandre dans le commerce de l'esprit des hommes,
ne fussent-elles que comme des germes que le Maître lui envoie pour ensemencer
le jardin d'Eden.
Il rendra un compte sévère de tous ceux de ces germes qu'il aura
reçus, et qui, par sa négligence et sa tiédeur, ne seront
pas parvenus à leur floraison, et n'auront point orné la demeure
de l'homme.
Mais si les livres des administrateurs de la chose divine peuvent rendre tant
de services à la famille humaine, que ne devrait-elle donc pas attendre
de l'homme lui-même, s'il s'était réhabilité dans
la jouissance de ses droits naturels ? Les livres des administrateurs de la
chose divine ne sont que comme les belles routes qui servent de communication
entre de grandes villes. L'homme est lui-même une de ces grandes villes
; l'homme est le livre primitif, il est le livre divin ; les autres livres ne
sont que les livres de l'Esprit. Ces autres livres ne font que contenir les
eaux du fleuve ; l'homme tient en quelque sorte à la nature de ces eaux
elles-mêmes.
Hommes, mes frères, lisez donc sans relâche dans cet homme, dans
ce livre par excellence ; ne rejetez pas pour cela la lecture de ces autres
livres écrits par les administrateurs de la chose divine, et qui peuvent
vous rendre journellement de si grands services ! Avec tous ces puissants moyens
qui vous sont offerts, ouvrez les régions de la nature, ouvrez les régions
de l'esprit, ouvrez les régions mêmes de la divinité, que
nous pouvons appeler d'avance les régions de la parole ; et venez ensuite
nous raconter toutes les merveilles vivifiantes et salutaires que vous aurez
rencontrées dans ces régions où tout est merveille.
Mais n'oubliez pas que, dans l'état d'aberration où l'homme se
trouve, vous avez une tâche plus pressante encore à remplir auprès
de vos semblables, que de leur composer des livres : ce serait de faire en sorte,
par vos efforts et vos désirs, qu'ils acquissent des oreilles pour les
entendre. C'est là ce qu'il y a de plus urgent pour l'espèce humaine.
Si son intelligence ne marche pas en proportion avec vos écrits, vous
ne lui rendrez aucun service, vous n'aurez fait qu'une oeuvre morte ; et votre
propre contemplation, ou votre propre admiration, sera malheureusement pour
vous tout le fruit que vous retirerez de votre entreprise.
Que dis-je, l'intelligence de l'homme ? Serait-ce même avec les plus parfaits
des livres qu'elle pourrait s'ouvrir ? Elle s'est obscurcie, elle s'est assimilée
à celle de l'enfance. L'enfant, comme le sauvage, ne peut rien comprendre
que par des signes substantiels ou même grossiers, et que par la vue de
l'objet même qu'on veut lui faire connaître. Sa pensée n'est
encore que dans ses yeux. Ne cherchez pas à traiter l'intelligence de
l'homme autrement que celle de l'enfant et du sauvage. Développez en
lui et devant lui les puissances actives de la nature, les puissances actives
de l'âme humaine, les puissances actives de la Divinité, si vous
voulez qu'il connaisse Dieu, l'homme et la nature. Sa raison est morte sur tous
ces objets ; vous perdrez tous vos soins, si vous vous bornez à lui en
parler.
En effet, il est comme passé le temps des livres. L'homme est blasé
par leur abondance, comme ces hommes intempérants à qui les mets
les plus succulents ne font plus aucune impression.
Il est comme passé, non seulement le temps des livres produits par la
fantaisie et l'imagination humaine ; mais même on pourrait dire qu'il
est comme passé aussi le temps des livres des hommes de Dieu ; car les
livres produits par la fantaisie humaine leur ont ôté leur prix,
et ont presque annulé totalement leur pouvoir ; et il n'y a plus que
des oeuvres imposantes qui puissent réveiller la terre de son assoupissement.
On sait que les extrêmes se touchent : aussi l'homme et le sauvage, en
retombant, par leur état d'enfance et d'ignorance, dans l'impossibilité
d'être réveillés autrement que par des oeuvres imposantes,
nous retracent, en sens inverse, la véritable et primitive nature de
l'homme, qui aurait été continuellement alimentée par d'imposantes
merveilles, et qui n'a été réduite à faire des livres
et à en lire, que quand elle a eu perdu de vue les vivants modèles
qui n'auraient pas dû cesser d'agir devant ses yeux.
Enfin, le temps marche vers sa vieillesse : l'âge de l'esprit doit s'avancer,
puisque des prodiges opérés par la puissance suprême, sont
les seuls moyens qu'elle ait aujourd'hui à employer pour se faire reconnaître
et respecter des mortels.
Voilà pourquoi je vous ai tant engagés à vous jeter dans
la voie des oeuvres, si toutefois vous vous y sentez appelés ; sinon
priez au moins pour que le Maître envoie des ouvriers.
Mais si vous êtes du nombre de ces ouvriers, n'oubliez pas, quand vous
aurez ouvert les régions de la nature, les régions de l'esprit,
les régions même de la Divinité : quand vous viendrez nous
en raconter les merveilles, quand vous prendrez la plume pour nous les décrire
; n'oubliez pas, dis-je, à quel prix vous en aurez obtenu la connaissance
; n'oubliez pas que vous n'avez acquis le droit d'en parler, qu'après
avoir versé dans ces laborieuses et utiles recherches vos sueurs et votre
sang ; n'oubliez pas même que vous ne devez pas cesser, en les décrivant,
de verser ces sueurs et ce sang pour recueillir de nouvelles perles dans cette
mine inépuisable à laquelle vous êtes condamnés de
travailler tous les jours de votre vie.
Votre tâche est double aujourd'hui ; vos consolations ont la douleur pour
mère et pour compagne. Les sons de l'allégresse ne se séparent
plus pour vous d'avec les sons des gémissements. Nous avons beau les
distinguer ; ils sont liés puissamment les uns aux autres, et toutes
les jouissances même de votre esprit ne permettent pas à vos sanglots
de s'interrompre.
De tous les titres qui peuvent servir à caractériser l'homme ramené
à ses éléments primitifs, nous n'en trouvons point qui
remplisse mieux toute l'étendue de la pensée, et qui satisfasse
autant les vastes et louables désirs de l'âme humaine, que celui
d'améliorateur universel. Car elle éprouve, cette âme humaine,
un besoin pressant jusqu'à l'importunité de voir régner
l'ordre dans toutes les classes et dans toutes les régions, pour que
tous les points de l'existence des choses concourent et participent à
cette souveraine harmonie qui peut faire éclater la gloire majestueuse
de l'éternelle unité.
C'est même le pressentiment secret de cette universelle et éternelle
harmonie qui a entraîné, dans tous les temps, des hommes célèbres
à regarder l'état actuel de la nature comme étant éternel,
malgré les maux et les désordres dans lesquels elle est plongée.
Oui, tout est éternel dans les bases fondamentales des choses, mais non
pas dans la douleur et dans cette horrible confusion qui se montrent dans toutes
les parties de la nature : oui, il y a sans doute une nature éternelle,
où tout est plus régulier, plus actif et plus vivant que dans
celle où nous sommes emprisonnés ; et la plus forte preuve que
la nature actuelle où nous sommes emprisonnés n'est plus éternelle,
c'est qu'elle souffre et qu'elle est la demeure de la mort dans tous les genres,
tandis qu'il n'y a d'éternel que la vie.
Aussi, je veux bien en convenir, vous m'enseignez de grandes et d'utiles doctrines,
vous, estimables écrivains, qui, par vos préceptes, ramenez l'homme
à la charité fraternelle, au zèle de la maison de Dieu,
et au soin de sortir de cette fange terrestre, sans s'être souillé
de son infection.
Mais avez-vous porté jusqu'à sa mesure complète le sens
de ces louables et salutaires documents ? Pour moi, je sens qu'il leur manque
encore quelque chose pour remplir l'immensité des désirs qui me
dévorent. Les prières et les vérités qui nous sont
données et enseignées ici-bas sont trop petites pour nous ; ce
ne sont que les prières et les vérités du temps : nous
sentons que nous sommes faits pour autre chose.
Je conçois que la charité fraternelle semble n'avoir rien de plus
sublime à exercer que de pardonner à nos ennemis, et de faire
du bien à ceux qui nous haïssent. Mais les hommes qui ne nous haïssent
pas, ceux même qui nous sont inconnus et qui le seront toujours pour nous,
notre charité serait-elle condamnée, à leur égard,
à l'inaction ? ou bien se bornerait-elle à ces prières
vagues dont on parle quand on se dit qu'il faut prier pour tous les hommes ?
En un mot, l'espèce humaine toute entière, soit passée,
soit présente, soit future, ne peut-elle pas être l'objet de notre
véritable bienfaisance ?
J'avoue que le zèle de la maison de Dieu semble n'avoir rien de plus
saint que de publier les lois divines, et de les faire honorer encore plus par
notre exemple que par nos prédications. Mais ce Dieu si éminemment
cher à toutes les facultés de notre être, ce Dieu qui pourrait
porter, à tant de titres, le nom de : notre père par excellence,
n'a-t-il pas un cur qui est peut-être dans l'angoisse et la souffrance
de ce que toutes les merveilles qu'il a semées dans l'homme et dans l'univers
nous sont cachées par des nuages ténébreux ? Et devrions-nous
nous donner un moment de relâche, que nous ne lui eussions procuré
le repos ?
Enfin le devoir de nous garantir de cette fange terrestre semble n'avoir rien
de plus important pour nous que de rentrer dans notre mère-patrie, sans
avoir rien pris des murs et des coutumes de cette terre d'iniquité.
Mais après avoir échappé à ses souillures, ne serait-il
pas plus beau encore de neutraliser son venin corrosif, ou même de le
transmuer en un baume vivificateur ? Ne nous est-il pas recommandé de
faire du bien à nos ennemis ? Et pouvons-nous nier que, sous plusieurs
faces, la nature ne soit de ce nombre ?
Quant à ceux que l'on nomme les ennemis de Dieu, c'est à Dieu,
et non à nous, à leur faire la justice qu'ils méritent
; et même ne nous arrêtons pas à ce que Dieu nous paraît
déclarer une guerre ouverte et implacable à ceux que l'on nous
désigne sous le nom de ses ennemis. Dieu n'a point d'ennemis : il est
trop doux et trop aimable pour pouvoir jamais en avoir. Ceux qui se disent des
ennemis de Dieu, ne sont que les ennemis d'eux-mêmes, et ils sont sous
leur propre justice.
Homme de désir, je viens m'entretenir avec toi sur ces différents
privilèges qui constituent l'éminente dignité de l'homme,
quand il est régénéré. Que ton intelligence seconde
les efforts de la mienne. Les droits que je défends peuvent être
réclamés par tous mes semblables. Nous aurions dû avoir
tous primitivement la même tâche, celle de développer le
grand caractère d'améliorateurs, comme étant émanés
de l'auteur de toute bienfaisance et de tout ce qui est bon. Homme de désir,
je ne sais que trop que ton intelligence peut être obscure ; mais je ne
te ferai jamais l'injure de dire qu'avec une volonté bien prononcée,
avec une marche régulière et conforme à cette volonté,
tu ne puisses obtenir de ton souverain principe les clartés qui te manquent,
et qui reposent sur tes titres originels.
L'on voit clairement ici qu'il y a plusieurs tâches à remplir dans
la carrière spirituelle. La plupart des hommes qui se présentent
pour la parcourir, n'y cherchent, soit des vertus, soit des connaissances, que
pour leur propre amélioration et leur propre perfectionnement. Heureux
encore ceux qui, en y venant, sont pénétrés de ces bons
sentiments ! Et combien ne serait-il pas à souhaiter que ce bonheur fût
commun à tous les individus de la famille humaine !
Mais ces hommes de bien, ces hommes pieux, même ces hommes éclairés,
s'ils réjouissent le Père de famille en cherchant à être
admis parmi ses enfants, ils le réjouiraient encore davantage en cherchant
à être admis parmi ses ouvriers ou ses serviteurs : car ceux-ci
lui peuvent rendre de véritables services ; les autres se bornent à
en rendre à eux-mêmes.
Quoique je sois bien loin de pouvoir me compter au nombre de ces sublimes ouvriers
ou de ces puissants serviteurs, cependant ce sera d'eux dont je m'occuperai
principalement dans cet écrit, m'étant déjà occupé
amplement, selon mes faibles moyens, de ce qui pouvait concerner les simples
enfants du Père de famille.
J'engage donc de nouveau l'homme de désir à considérer
le champ du Seigneur, et à chercher à y travailler selon ses forces,
et selon l'espèce d'ouvrage auquel il sera propre, soit aux uvres
vives, s'il lui est donné d'en opérer ; soit au développement
de la nature de l'homme, s'il lui est donné d'en apercevoir les profondeurs
; soit même à arracher les ronces et les épines que les
ennemis de la vérité et les faux docteurs ont semées et
sèment tous les jours sur l'image humaine de l'éternelle sagesse.
Car c'est être aussi en quelque sorte ouvrier du Seigneur, que d'instruire
ses semblables de leurs véritables devoirs et de leurs véritables
droits : c'est être utile à l'agriculture, que de préparer
et mettre en état les instruments du labourage ; seulement il faut avoir
grand soin d'examiner scrupuleusement ce que l'on est en état de faire
dans tous ces genres. Celui qui prépare ou distribue des instruments
aratoires, répond de ce qu'il fournit, comme le semeur répond
de ce qu'il sème.
Mais, comme il est impossible d'être véritablement ouvrier dans
le champ du Seigneur, sans être renouvelé soi-même et réintégré
dans ses droits, je retracerai souvent aussi les voies de restauration par lesquelles
nous devons nécessairement passer pour pouvoir être admis au rang
des ouvriers.
Je dois également un avis à tous mes frères, en les invitant
à se mettre en état d'être employés parmi les ouvriers
du Seigneur.
Le commun des hommes, quand ils entendent parler des uvres vives et spirituelles,
ne conçoivent autre chose par là que l'idée de voir des
esprits ; ce que le monde ténébreux appelle voir des revenants.
Dans ceux qui croient à la possibilité de voir des esprits, cette
idée n'enfante souvent que la terreur ; dans ceux qui ne sont pas sûrs
de l'impossibilité d'en voir, cette idée n'enfante que la curiosité
; dans ceux qui sur cela récusent tout, cette idée n'enfante que
le mépris et les dédains, tant de ces opinions en elles-mêmes,
que de ceux par qui elles sont mises au jour.
Je me crois donc obligé de dire à ceux qui me liront, que l'homme
peut avancer infiniment dans la carrière des uvres vives spirituelles,
et même atteindre à un rang élevé parmi les ouvriers
du Seigneur, sans voir des esprits.
Je dois dire en outre à celui qui, dans la carrière spirituelle,
chercherait principalement à voir des esprits, que non seulement en y
parvenant, il ne remplirait pas le principal objet de l'uvre, mais qu'il
pourrait encore être très loin de mériter d'être au
rang des ouvriers du Seigneur.
Car s'il faisait tant que de croire à la possibilité de voir des
esprits, il devrait croire à la possibilité d'en voir de mauvais
comme de bons.
Ainsi pour être en mesure, il ne lui suffirait pas de voir des esprits
; mais il lui faudrait en outre pouvoir discerner d'où ils viennent,
pour quel objet ils viennent, si leur mission est louable ou illégitime,
utile ou funeste, et il lui faudrait examiner d'ailleurs et avant tout, si,
lui-même, dans le cas où ils seraient de la classe la plus parfaite
et la plus pure, il se trouverait en état d'accomplir les uvres
dont ils pourraient le charger pour le vrai service de leur Maître.
Le privilège et la satisfaction de voir des esprits ne seront jamais
que très accessoires relativement au véritable objet que l'homme
peut avoir dans la carrière des uvres vives, spirituelles, divines,
et en étant admis parmi les ouvriers du Seigneur ; et celui qui aspire
à ce sublime ministère, n'en serait pas digne s'il ne s'y portait
que par le faible attrait, ou la puérile curiosité de voir des
esprits ; surtout si pour obtenir ces témoignages secondaires, il se
reposait sur les mains incertaines de ses semblables, et particulièrement
de ceux qui n'auraient que des puissances partielles, que des puissances usurpées,
ou même que des puissances de corruption.
Quel est parmi les différents privilèges de l'âme humaine,
celui que nous devons chercher d'abord à mettre en valeur comme étant
le plus éminent de tous, et celui sans lequel nos autres droits seraient
comme nuls ? C'est celui de pouvoir retirer Dieu, pour ainsi dire, de la magique
contemplation où il est, de ses intarissables merveilles, qui ont été
éternellement devant lui, qui naissent éternellement de lui, qui
sont lui, et desquelles il ne peut pas plus se séparer, qu'il ne peut
se séparer de lui-même.
C'est de l'arracher en quelque sorte à l'impérieux et attachant
attrait qui l'entraîne éternellement vers lui-même, et qui
fait que ce qui est, se détourne continuellement de ce qui n'est pas,
et se porte continuellement vers ce qui est, comme par un effet nécessaire
d'une naturelle analogie.
C'est de le réveiller et de le faire sortir, s'il est permis de s'exprimer
ainsi, de cet enivrement que lui fait sentir perpétuellement la vive
et mutuelle impression de la douceur de ses propres essences, et le délicieux
sentiment que lui fait éprouver l'active source génératrice
de sa propre existence. C'est enfin d'attirer ses regards divins sur cette nature
extralignée et ténébreuse, afin que par leur pouvoir vivifiant,
ils lui rendent son ancien éclat.
Mais quelle est la pensée qui pourrait pénétrer jusqu'à
lui, si elle n'était redevenue analogue avec lui ? Quelle est la pensée
qui pourrait opérer sur lui cette espèce de réveil, si
elle n'était redevenue vive comme lui ? Quelle est la pensée qui
pourrait faire jaillir de lui des fleuves doux et restaurateurs, si elle n'était
redevenue douce et pure comme lui ? Quelle est la pensée qui pourrait
se réunir à ce qui est, si elle n'était redevenue semblable
à celui qui est, en se séparant de tout ce qui n'est pas ? Quel
est celui qui pourrait être admis dans la maison du père et à
l'intimité du père, s'il ne s'était pas montré comme
étant le véritable enfant de ce père ?
Homme, si tu trouves ici le plus sublime de tes droits qui est de faire sortir
Dieu de sa propre contemplation, tu trouves aussi à quelle condition
tu peux parvenir à exercer un pareil droit. Si tu parvenais jamais à
réveiller ce Dieu suprême et à l'arracher à sa propre
contemplation, crois-tu que ce fût pour toi une chose indifférente
que l'état où il te trouverait ?
Que ton être redevienne donc un nouvel être ! Que chacune des facultés
qui te constituent soit revivifiée jusque dans ses racines les plus profondes
! que l'huile vive et simple se subdivise en une immensité infinie d'éléments
purificateurs, et qu'il n'y ait rien en toi qui ne se sente stimulé et
réchauffé par un de ces éléments régénérateurs
et toujours vivant par eux-mêmes !
S'il n'y avait pas un agent puissant et consolateur, qui pût t'aider à
devenir comme lui le fidèle enfant de ton Père céleste,
comment pourrais-tu atteindre au moindre degré de ta régénération
? Aussi tu n'ignores pas que cet agent existe, puisqu'il n'est autre chose que
ce foyer vivant sur lequel reposait ton être lors de ton origine, et qui
ne t'a pas plus abandonné qu'une mère n'abandonne son fils dans
quelqu'affliction qu'il se trouve. Unis-toi à lui sans réserve
et sans délai, et aussitôt tes souillures vont disparaître,
et ta disette va cesser.
Mais cependant le poids de l'uvre ne cessera pas pour cela de se faire
sentir, et même il pourra devenir encore plus pesant pour toi ; car lorsque
le poids de la main de Dieu est sur l'homme, et que ce n'est pas pour sa punition,
il faut que ce soit pour l'avancement de l'uvre.
En effet, Dieu ayant destiné l'homme à être l'améliorateur
de la nature, ne lui avait pas donné cette destination sans lui donner
l'ordre de l'accomplir ; il ne lui avait pas donné l'ordre de l'accomplir
sans lui en donner les moyens ; il ne lui en avait pas donné les moyens
sans lui donner une ordination ; il ne lui avait pas donné une ordination
sans lui donner une consécration ; il ne lui avait pas donné une
consécration sans lui promettre une glorification ; et il ne lui avait
promis une glorification, que parce qu'il devait servir d'organe et de propagateur
à l'admiration divine, en prenant la place de l'ennemi donc le trône
était renversé, et en développant les mystères dé
l'éternelle sagesse.
Mais il y a deux espèces de mystères. L'une renferme les mystères
naturels de la formation des choses physiques, de leurs lois et de leur mode
d'existence, aussi bien que de l'objet de cette existence. L'autre renferme
les mystères de notre être fondamental et de ses rapports avec
son principe.
Le but final d'un mystère en général ne peut pas être
de rester entièrement inaccessible. soit à l'intelligence, soit
à ce doux sentiment d'admiration pour lequel notre âme est faite,
et que nous avons déjà reconnu comme étant pour notre être
immatériel un aliment de première nécessité.
Le but du mystère de la nature est de nous élever par la découverte
des lois des choses physiques, à la connaissance des lois et des puissances
supérieures par lesquelles elles sont gouvernées. La connaissance
de ce mystère de la nature et de tout ce qui la constitue ne doit donc
pas nous être interdit même aujourd'hui, et malgré notre
chute ; sans quoi le but final de ce mystère serait manqué.
Le but final du mystère des choses divines et spirituelles, qui est lié
avec le mystère de notre être, est de nous émouvoir et d'exciter
en nous le sentiment de l'admiration, de la tendresse, de l'amour et de la reconnaissance.
Le mystère de ces choses divines et spirituelles doit donc pouvoir percer
jusque dans notre être fondamental lui-même, sans quoi ce double
mystère qui nous lie aux choses divines, et qui lie les choses divines
avec nous, manquerait absolument tout son effet.
Mais il y a une grande différence entre ces deux sortes de mystères.
Le mystère de la nature peut entrer dans nos connaissances, mais la nature
par elle-même touche faiblement, ou même point du tout, notre être
essentiel et fondamental ; et si nous éprouvons tous du plaisir en la
contemplant et en pénétrant dans ses mystères, c'est qu'alors
nous montons plus haut qu'elle, et que nous nous élevons, par son moyen,
jusqu'à des régions vraiment analogues avec nous, tandis qu'elle
paraît n'être là que comme un fanal qui nous indique bien
le chemin de ces hautes régions, mais ne peut par lui-même nous
en communiquer les douceurs.
Au contraire, ces choses divines et spirituelles touchent infiniment plus nos
facultés aimantes et admirantes, qu'elles ne se prêtent à
toutes les avidités de notre intelligence ; il semble même que
ce soit pour nous ménager une plus vaste mesure de cette admiration,
qu'elles ne se livrent pas, selon notre gré, à nos perceptions
; car si nous les soumettions ainsi à notre connaissance, nous ne les
admirerions plus autant, et par conséquent nous aurions moins de plaisir,
puisque s'il est vrai que notre bonheur soit d'admirer, il est vrai aussi qu'admirer
c'est moins connaître que sentir, ce qui fait que Dieu et l'esprit sont
si doux et en même temps si peu connus.
On peut dire par la raison opposée, que la nature est plus froide pour
nous, parce qu'elle est plus propre à être connue qu'à être
sentie ; ainsi les plans de la sagesse sont disposés de manière
que les choses sur lesquelles repose notre véritable plaisir, ne se livrent
point assez à notre intelligence pour faire tarir notre admiration, et
que les choses qui ne sont point principalement destinées à nourrir
notre admiration, c'est-à-dire, à nos véritables plaisirs,
comme ayant moins d'analogie avec nous, nous permettent en quelque sorte une
espèce de dédommagement dans les plaisirs de l'intelligence.
Par la manière dont les hommes ont administré ces deux différents
domaines, ils ont laissé dessécher ces deux sources qui nous auraient
produit des fruits délectables chacune selon son genre, c'est-à-dire,
que la philosophie humaine qui a traité des sciences de la nature, à
force de ne marcher qu'à leur surface, nous a empêchés de
les connaître, et ne nous a pas mis dans le cas de goûter même
les plaisirs de l'intelligence qu'elles eussent été toujours prêtes
à nous procurer ; et que les instituteurs des choses divines, à
force de les rendre ténébreuses et inabordables, nous ont empêché
de les sentir, et par conséquent nous ont privé de l'admiration
qu'elles nous auraient infailliblement apportée, si on les eût
laissé approcher de nous. Le complément de la perfection du mystère
est de réunir dans une juste et harmonieuse combinaison, ce qui peut
à la fois satisfaire notre intelligence et nourrir notre admiration ;
c'est celui dont nous aurions joui perpétuellement si nous avions conservé
notre poste primitif. Car la porte par où Dieu sort de lui-même,
est la porte par où il entre dans l'âme humaine.
La porte par où l'âme humaine sort d'elle-même, est la porte
par où elle entre dans l'intelligence.
La porte par où l'intelligence sort d'elle-même, est la porte par
où elle entre dans l'esprit de l'univers.
La porte par où l'esprit de l'univers sort de lui-même, est celle
par où il entre dans les éléments et dans la matière.
C'est pourquoi les savants qui ne marchent point par toutes ces voies, n'entrent
jamais dans la nature.
La matière n'avait point de porte pour sortir d'elle-même, ni pour
entrer dans aucune autre région plus inférieure qu'elle ; voilà
pourquoi l'ennemi ne pouvait avoir d'accès dans aucune région
régulière, soit matérielle, soit spirituelle.
Au lieu de veiller soigneusement à son poste, l'homme ne s'est pas contenté
d'ouvrir toutes ces portes à ses ennemis ; mais ensuite il les a fermées
sur lui, de façon qu'il se trouve dehors, et que les voleurs sont dedans.
Est-il de situation plus lamentable ?
On voit pourquoi les superbes titres qui firent de l'homme primitif un être
si privilégié, auraient rendu son ministère si important
dans l'univers, puisqu'il aurait pu y faire connaître cette divine unité
triple, avec laquelle nombre d'observateurs ont fait remarquer notre similitude,
nous enseignant par là que nous ne serions pas ainsi son image, si nous
n'avions pas le droit de la représenter. Aussi il n'est pas jusqu'aux
anges qui n'eussent été grandement intéressés à
ce que l'homme remplît le poste qui lui avait été confié.
En effet, de même que les êtres animés répandus dans
la nature, ne connaissent en lui-même, ni l'esprit de cet univers, ni
les germes des végétaux qui ne sont que le résultat et
l'expression sensibilisée des propriétés de cet esprit
de l'univers, et qu'ils ne connaissent toutes ces choses que dans les saveurs
des fruits dont ils se nourrissent ; de même les anges ne connaissent
le père que dans le fils. Ils ne le connaissent ni dans lui-même,
ni dans la nature, qui, surtout depuis la première altération,
est bien plus rapprochée du père que du fils, par la concentration
qu'elle a éprouvée ; et ils ne peuvent le comprendre que dans
la divine splendeur du fils, lequel à son tour n'a son image que dans
le cur de l'homme, et ne l'a point dans la nature.
Voilà pourquoi l'homme qui, lors de son origine dans l'univers, était
lié principalement au fils, ou à la source du développement
universel, connaissait le père à la fois et dans le fils et dans
la nature. Et voilà pourquoi les anges recherchent tant la compagnie
de l'homme, puisque c'est lui qu'ils croient encore en état de leur faire
connaître le père dans la nature. Ils sont fondés à
le croire, puisque c'est à nous que le père s'est rendu visible,
et que ses éternelles merveilles se sont montrées sous ce phénomène
temporel qui constitue la nature périssable.
Notre tâche serait donc, depuis l'époque où Adam a été
retiré du précipice où il était tombé, de
découvrir par tous nos moyens possibles, les merveilles éternelles
du père, manifestées dans la nature visible ; et cela nous est
d'autant plus possible, que le fils qui les contient toutes, et qui les ouvre
toutes, nous les a rendues en incorporant nos premiers parents dans la forme
naturelle que nous portons aujourd'hui, et qu'il en a apporté la clef
avec lui quand il s'est fait semblable à nous.
Oh ; combien de choses profondes nous pourrions enseigner, même aux anges,
si nous rentrions dans nos droits ! et il ne faudrait pas s'étonner de
cette idée, puisque selon saint Paul (1.ere cor. ch. 6 : 3. ), nous devons
juger les anges. Or, le pouvoir de les juger suppose le pouvoir de les instruire.
Oui, les anges peuvent être administrateurs, médecins, redresseurs
des torts, guerriers, juges, gouvernants, protecteurs, etc. ; mais sans nous,
ils ne peuvent être profonds dans la connaissance des merveilles divines
de la nature.
Ce qui s'y oppose, c'est non seulement parce qu'ils ne connaissent le père
que dans la splendeur du fils, et qu'ils ne renferment pas dans leur enveloppe,
comme le premier homme, des essences qui soient prises dans la racine de cette
nature ; mais aussi parce que nous leur fermons en nous l'il central,
ou l'organe divin par lequel ils auraient le moyen de considérer les
trésors du père dans les profondeurs de la nature ; et c'est là
la raison pour laquelle les hommes de Dieu pourraient et devraient en instruire
ces anges, et développer devant leurs yeux les profondeurs qui sont cachées
dans la corporisation de la nature, et dans toutes les merveilles qu'elle renferme.
C'est aussi pour cela que dans la carrière des sciences et des lettres,
les hommes mettent au premier rang ceux qui découvrent les grandes lois
de la nature ; et dans la carrière religieuse, ceux qui ont été
revêtus des grandes puissances de l'esprit.
Depuis la dégradation, ces précieux privilèges de pénétrer
dans les profondeurs de la nature, et d'en devenir pour ainsi dire les possesseurs,
nous ont été rendus en partie ; ils devaient même former
comme un héritage inhérent à la nature de l'homme, en ce
qu'ils constituaient sa vraie richesse et ses propriétés originelles
; et les testaments des patriarches nous en ont fourni de nombreux exemples.
Mais les hommes de la pure matière ont transposé le sens de ces
droits sublimes, aux simples testaments des biens de la terre. Toutefois on
aurait pu leur objecter avec beaucoup de raison, qu'un homme ne pouvait disposer
d'un bien qu'il ne posséderait plus au moment de sa mort, et avant même
que le testateur pût exécuter ses dispositions.
C'était donc sur de vraies possessions que la loi des testaments devait
tomber, parce que là, le testateur investit ses successeurs d'un droit
vivant qu'il ne perd point pour cela, et qu'il emporte avec lui dans une région
où ce droit doit s'accroître encore au lieu de diminuer ; et c'est
là où la pensée peut s'étendre et s'enrichir en
considérant les testaments des patriarches.
L'homme est l'arbre, Dieu en est la sève. Il n'est pas étonnant
que quand la sève vive coule en lui, elle transforme chacune de ses branches
en de nouveaux arbres ; il n'est pas étonnant non plus que si des branches
sauvages sont entées sur ces rameaux, elles participent bientôt
à ses excellentes propriétés.
Oui, l'homme, depuis la chute, a été posé de nouveau sur
la racine vive qui doit opérer en lui toutes les végétations
spirituelles de son principe. C'est pour cela que s'il s'élevait jusqu'à
la source vive de l'admiration, il pourrait en communiquer, par sa seule existence,
les vifs témoignages.
C'est aussi le seul moyen par lequel les plans divins peuvent se remplir, puisque
l'homme est né pour être le principal ministre de la Divinité
; car aujourd'hui même le corps matériel que nous portons est bien
supérieur à la terre. Notre esprit animal est bien supérieur
à l'esprit de l'univers par sa jonction avec notre esprit animique, qui
est notre vraie âme ; et notre esprit animique est bien supérieur
aux anges.
Mais l'homme s'abuserait s'il prétendait avancer dans l'uvre de
l'Homme-Esprit, sans avoir réavivé en lui cette sève sainte
qui s'est comme épaissie et congelée par l'universelle altération
des choses.
Ainsi, homme de désir, il faut que tout ce que tu as laissé se
coaguler et s'obscurcir en toi, se dissolve et se révèle aux yeux
de ton esprit. Tant que tu y apercevras la moindre tache, et que la moindre
substance y opposera une barrière à tes regards, n'aie point de
relâche que tu n'aies dissipé cet obstacle : plus tu perceras dans
les profondeurs de ton être, plus tu reconnaîtras sur quelle base
l'uvre repose.
Il n'y a que cette base, retaillée de nouveau, qui puisse servir de fondement
à ton édifice. Si elle n'est pas unie et d'aplomb, jamais cet
édifice ne pourra s'élever. Non, ce n'est que dans la lumière
interne de ton être, que la Divinité et les puissances merveilleuses
qui la suivent partout, puissent se faire sentir de toi dans leur vive efficacité.
Si tu n'oses pas habiter toi-même dans cet asile, si tu ne peux y faire
pénétrer tes regards, ou si tu crains même de les y porter,
tant ils auraient de peine à y rencontrer un libre accès, comment
voudrais-tu que la Divinité y fût plus à son aise que toi,
et qu'elle s'accommodât mieux que toi à tes propres ténèbres
et aux obstacles qui te repoussent, elle qui est si entièrement et si
radicalement pure et lumineuse ; elle qui ne peut développer les merveilles
de son existence que dans des atmosphères qui soient affranchies de toute
entrave, et qui soient libres comme elle-même ?
La science de la vérité ne ressemble point aux autres sciences
: elle devait n'être que jouissance autrefois pour l'homme, aujourd'hui
elle n'est plus pour lui qu'une bataille ; et c'est ce qui fait que les doctes
et les savants du monde n'en ont pas même la moindre idée, parce
qu'ils la confondent avec leurs notions ténébreuses, et qui s'acquièrent
par un inactif enseignement.
L'univers est sur son lit de douleurs, et c'est à nous, hommes, à
le consoler. L'univers est sur son lit de douleurs, parce que, depuis la chute,
une substance étrangère est entrée dans ses veines, et
ne cesse de gêner et de tourmenter le principe de sa vie ; c'est à
nous à lui porter des paroles de consolation qui puissent l'engager à
supporter ses maux ; c'est à nous, dis-je, à lui annoncer la promesse
de sa délivrance et de l'alliance que l'éternelle sagesse vient
faire avec lui.
C'est un devoir et une justice de notre part, puisque c'est le chef de notre
famille qui est la première cause de la tristesse de l'univers ; nous
pouvons dire à l'univers que c'est nous qui l'avons rendu veuf : n'attend-il
pas à chaque instant de la durée des choses, que son épouse
lui soit rendue ?
Oui, soleil sacré, c'est nous qui sommes la première cause de
ton inquiétude et de ton agitation. Ton oeil impatient ne cesse de parcourir
successivement toutes les régions de la nature ; tu te lèves chaque
jour pour chaque homme ; tu te lèves joyeux, dans l'espérance
qu'ils vont te rendre cette épouse chérie, ou l'éternelle
SOPHIE, dont tu es privé ; tu remplis ton cours journalier en la demandant
à toute la terre avec des paroles ardentes où se peignent tes
désirs dévorants. Mais le soir tu te couches dans l'affliction
et dans les larmes, parce que tu as en vain cherché ton épouse
; tu l'as en vain demandée à l'homme ; il ne te l'a point rendue,
et il te laisse séjourner encore dans les lieux stériles, et dans
les demeures de la prostitution.
Homme, le mal est encore plus grand. Ne dis plus que l'univers est sur son lit
de douleurs ; dis : l'univers est sur son lit de mort ; et c'est à toi
de lui rendre les derniers devoirs ; c'est à toi à le réconcilier
avec cette source pure dont il descend, cette source qui n'est pas Dieu, mais
qui est un des éternels organes de sa puissance, et dont l'univers n'eût
jamais dû être séparé ; c'est à toi, dis-je,
de le réconcilier avec elle, en le purgeant de toutes les substances
de mensonge dont il ne cesse de s'imprégner depuis la chute, et à
le laver d'avoir passé tous les jours de sa vie dans la vanité.
Il ne les eût pas vus s'écouler ainsi dans la vanité, si
tu fusses resté toi-même dans le siège de la splendeur où
tu avais été placé par ton origine, et chaque jour tu aurais
oint l'univers d'une huile de joie qui l'eût préservé de
l'infirmité et de la douleur ; tu aurais fait pour lui ce qu'il fait
aujourd'hui pour toi en te procurant journellement la lumière et les
fruits des éléments auxquels tu t'es assujetti, et qui sont nécessaires
à ton existence. Approche-toi donc de lui, demande-lui de te pardonner
sa mort ; car c'est toi qui la lui as donnée.
Homme, le mal est encore plus grand. Ne dis plus que l'univers est sur son lit
de mort ; dis que l'univers est dans le sépulcre, que la putréfaction
s'est emparée de lui, et qu'il répand l'infection par tous ses
membres, et c'est à toi de te le reprocher. Sans toi, il ne serait pas
ainsi descendu dans la tombe ; sans toi, il ne répandrait pas ainsi l'infection
par tous ses membres.
Sais-tu pourquoi ? c'est que tu t'es rendu toi-même son sépulcre
; c'est qu'au lieu d'être pour lui le berceau perpétuel de sa jeunesse
et de sa beauté, tu l'as enseveli dans toi comme dans un tombeau, et
tu l'as revêtu de ta propre putréfaction. Injecte promptement dans
tous ses canaux l'élixir incorruptible, car c'est à toi de le
ressusciter ; et malgré l'odeur cadavéreuse qu'il exhale de toutes
parts, tu es chargé de le faire renaître.
La lumière naturelle même, ce superbe type qui nous reste de l'ancien
monde, n'a-t-elle pas en elle une force dévorante qui consume tout ?
Aussi nos lumières artificielles que nous employons pour la remplacer,
ne peuvent subsister qu'aux dépens des substances qui les alimentent.
Aussi nous n'aurions point dû avoir de ces lumières-là,
et elles sont une monstruosité pour la nature. Aussi n'y aurait-il point
d'insectes qui se brûlassent à la lumière naturelle, comme
ils se brûlent à nos lumières artificielles qu'ils prennent
pour elle, parce que les êtres naturels ne connaissent pas ce qui est
désordonné.
Oui, nos industries elles-mêmes sont une preuve des maux que nous avons
faits au monde, puisque ces maux et nos industries se trouvent sortir de la
même source, et voilà comment la nature est universellement notre
victime. Oh ! comme elle se plaindrait cette nature, si elle pouvait s'exprimer,
du peu de bien que lui procurent les vaines sciences des hommes, et tout l'échafaudage
des pénibles travaux qu'ils font pour la mesurer, la décrire et
l'analyser pendant qu'ils auraient en eux les moyens de la guérir et
de la consoler !
Mais l'homme n'est-il pas lui-même sur son lit de douleur ? N'est-il pas
sur son lit de mort ? N'est-il pas dans le sépulcre et en proie à
la putréfaction ? Qui le consolera ? qui lui rendra les derniers devoirs
? qui le ressuscitera ?
L'ennemi fut ambitieux dès le commencement, parce qu'il lisait dans les
merveilles de la gloire, et qu'il voulut en détourner la source vers
lui et la dominer. L'homme ne commença point ses écarts par ce
crime, car il ne devait parvenir aux merveilles de la gloire, qu'à mesure
qu'il aurait rempli sa mission, et il ne connaissait point encore ces merveilles
au moment où il reçut l'existence. Mais il commença ses
écarts par la faiblesse, comme font encore aujourd'hui tous ses enfants
dans leur bas âge, où les objets d'ambition ne les touchent point
; et cette faiblesse fut de s'être laissé frapper, attirer et pénétrer
par l'esprit de l'univers, tandis que le malheureux homme était d'un
ordre et d'une région au-dessus de la région de ce monde.
Quand il fut descendu à ce degré inférieur, l'ennemi eut
beau jeu pour lui faire naître les idées de l'ambition qu'il n'aurait
pas eues sans cela, et sans qu'on lui parlât de ces objets d'ambition
qui lui étaient inconnus. Ainsi par son premier écart, il fut
victime de sa faiblesse ; par le second, il fut à la fois victime et
dupe de celui qui avait intérêt de l'égarer, et il devint
entièrement assujetti à ce monde physique, dont il aurait dû
être le dominateur.
C'est alors que ses crimes se sont accrus dans une mesure à laquelle
il ne peut plus penser sans frayeur. Oui, homme, tu es devenu mille fois plus
coupable depuis ta chute : dans ta chute, tu devins dupe et victime ; mais depuis
ta chute, tu es devenu instrument universel du mal, tu es devenu l'esclave absolu
de ton ennemi, et combien de fois même ne finis-tu pas par être
son complice ?
Et c'est dans cet état que tu aurais cependant à aller visiter
l'univers sur son lit de mort, et à lui rendre la vie qui lui manque,
sans oublier que le plan primitif de ta destination originelle resterait encore
à remplir !
O homme ! arrête-toi au milieu des abîmes où tu t'es plongé,
si tu ne veux pas t'y plonger encore davantage. Songe que ton oeuvre était
simple en sortant des mains de ton principe ; songe qu'elle est devenue triple
par tes imprudences et tes abominations ; car tu as désormais, premièrement,
à te régénérer toi-même ; secondement, à
régénérer l'univers ; troisièmement, à monter
ensuite au rang d'administrateur des trésors éternels, et à
admirer les vivantes merveilles de la Divinité.
Dans l'ordre physique, nous voyons que les remèdes ne viennent qu'après
les maladies, et les maladies qu'après la santé. Or si dans cet
ordre là, les maladies font naître ou découvrir les remèdes,
il faut qu'il en soit de même dans l'ordre spirituel et moral de l'homme
; et si dans ce genre sa santé a aussi précédé son
état d'infirmité, il faut également que ses infirmités
lui fassent chercher des remèdes analogues, comme les médecins
en cherchent pour nos maladies physiques.
Le premier degré de la cure que l'homme a à opérer sur
lui-même, est donc de séparer de lui toutes ces humeurs viciées
et secondaires qui se sont accumulées sur lui depuis la chute ; et ces
humeurs sont celles qui se sont fixées sur l'espèce humaine par
les divers égarements de la postérité du premier homme
; celles que nous tenons de nos parents par les fausses influences des générations
dépravées ; enfin, celles que nous laissons nous-mêmes accumuler
sur nous par nos négligences et nos prévarications journalières.
Tant que nous n'avons pas chassé de nous toutes ces diverses humeurs,
nous ne pouvons pas seulement commencer à marcher dans la ligne de notre
restauration, qui consiste particulièrement à traverser l'épaisse
région de ténèbres où la chute nous a précipités,
et à faire renaître en nous l'élixir naturel avec lequel
nous pourrions ranimer les sens de l'univers qui est évanoui.
Ainsi, homme, une nouvelle condition se présente ici, si tu veux poursuivre.
Il ne s'agit plus de savoir si tu es convaincu de la nature spirituelle de ton
être ; de tes rapports essentiels avec ton principe ; de ta dégradation
par un écart, primitif volontaire ; de cet ardent amour de ta source
génératrice qui l'a engagée, lors de ta chute, et qui l'engage
encore tous les jours à venir te trier au milieu des immondices les plus
dégoûtantes ; (merveille que l'homme du torrent, et qui ne se retourne
point, ne saurait comprendre, quoiqu'il la sente, comme l'enfant qui fait une
chute sent bien la main qui le relève, mais ne la peut voir sans se retourner)
; enfin, de l'immensité des témoignages de toute espèce
qui déposent en faveur de ces vérités fondamentales, et
prouvées par elles-mêmes ; il ne s'agit plus, dis-je, de s'arrêter
à tous ces points, sans lesquels je t'avais prévenu de ne pas
aller plus loin, et sans lesquels, par conséquent, tu ne serais pas probablement
venu jusqu'ici.
Mais il s'agit de voir si tu as purgé ton être de toutes les immondices
secondaires que nous amassons tous journellement depuis la chute, ou au moins
si tu te sens l'ardeur de t'en délivrer à quelque prix que ce
soit, et de ranimer en toi cette vie éteinte par le crime primitif, sans
laquelle tu ne peux être ni le serviteur de Dieu, ni le consolateur de
l'univers.
Tâche même de sentir que peut-être la seule science qu'il
y aurait à étudier, serait de devenir sans péché
; car si l'homme en était là, il se pourrait qu'il manifestât
naturellement toutes les sciences et toutes les lumières.
Sonde-toi donc profondément sur ces nouvelles conditions, et si non seulement
tu n'as pas chassé de chez toi tous les fruits de tes écarts secondaires,
mais même si tu n'as pas déraciné en toi jusqu'au moindre
penchant étranger à l'uvre, je te le répète
formellement, ne va pas plus loin : l'uvre de l'homme demande des hommes
nouveaux. Ceux qui n'en sont pas là essaieraient en vain d'entrer dans
la construction de l'édifice ; en présentant ces pierres à
leur place, on verrait qu'elles n'ont ni le poli, ni les dimensions requises,
et on les renverrait à l'atelier jusqu'à ce qu'elles fussent en
état d'être employées.
Il y a un signe pour savoir si l'on a réellement fait ce dépouillement
dont je viens de parler.
C'est d'observer si l'on se sent au-dessus de toute autre crainte et de toute
autre inquiétude quelconque que celle de n'être pas universellement
anastomosé avec l'impulsion et l'action divine.
C'est quand, bien loin de regarder nos maux particuliers dans ce monde comme
des malheurs, nous avouons que nous n'en pouvons pas éprouver qui ne
nous soient dus, et que tous ceux que nous n'éprouvons pas sont autant
de grâces que l'on nous fait, et autant de ménagements que l'on
a pour notre faiblesse ; de façon qu'avant de nous plaindre de ce qu'on
nous enlève nos joies et nos consolations dans ce monde, nous devrions
commencer par remercier de ce qu'on ne nous les a pas enlevées plutôt,
et de ce qu'il en est encore qu'on veut bien nous laisser.
Supposant donc remplies ces deux classes de conditions que nous venons d'exposer,
voici quelle est l'initiative à la régénération
de l'homme dans ses droits, vertus et titres primitifs.
Nous voyons que dans nos corps matériels, nous éprouvons souvent
des douleurs dans des membres que nous n'avons plus : or, comme dans ce qui
constitue notre véritable corps, nous n'avons plus un seul de nos membres,
le premier témoignage que nous puissions avoir de notre existence d'êtres
spirituels, c'est de sentir, soit successivement, soit tout à la fois
des douleurs vives dans tous ces membres que nous n'avons plus.
Il faut que la vie régénère tous les organes que nous avons
laissé dépérir ; et elle ne le peut qu'en les substituant
par sa puissance génératrice à tous les organes étrangers
et débiles qui nous constituent aujourd'hui.
Il faut que nous sentions l'esprit nous sillonner de la tête aux pieds,
comme avec de robustes socs de charrue qui arrachent en nous les vieux troncs
d'arbres, les racines entrelacées dans notre terre, et tous les corps
étrangers et nombreux qui s'opposent à notre végétation
et à notre fertilisation.
Il faut que tout ce qui est entré en nous par la voie du charme et de
la séduction, en sorte par la voie de la douleur et du déchirement
: or, ce qui est entré en nous n'est rien moins que l'esprit de cet univers
même avec toutes ses essences et toutes ses propriétés ;
elles y ont fructifié avec abondance ; elles s'y sont transformées
en sels corrosifs, en humeurs infectes, et tellement coagulées, qu'elles
ne peuvent se séparer de nous que par des curatifs violents et des transpirations
excessives.
Homme, ces essences et ces propriétés de l'univers se sont emparées
de tout ton être ; voilà pourquoi les douleurs vives de la régénération
doivent se faire sentir dans tout ton être, jusqu'à ce que ces
bases fausses et sources de tes écarts, de tes ténèbres
et de tes angoisses, étant disparues, elles puissent être remplacées
par l'esprit et les essences d'un autre univers, dont tu aies à attendre
des fruits plus doux et plus salutaires, c'est-à-dire, par les fruits
du premier et véritable univers, ce que Jacob Boehme désigne sous
le nom de l'élément pur.
Car en observant simplement ta situation physique dans ce monde, tu ne peux
douter que toutes ces bases douloureuses ne soient en toi, et ne te constituent
par les besoins journaliers qu'elles te font sentir, et les soins continuels
qu'elles te donnent.
On voit en effet que tes jours sont employés à te mettre au-dessus
du froid, au-dessus du chaud, au-dessus des ténèbres, même
au-dessus de ces astres élevés que tu sembles soumettre à
ton empire par tes sciences hardies, et par les ressources de tes instruments
d'optique et d'astronomie.
Cela prouve assez que ta place n'était pas d'être au-dessous de
toutes ces intempéries, de toutes ces influences qui te tourmentent,
ni au-dessous non plus de tous ces superbes ouvrages de la nature, qui, malgré
leur magnificence, sont obligés de ne prendre rang qu'après toi
parmi les êtres.
Comme c'est dans ton être même le plus intérieur que toutes
ces bases étrangères se sont implantées ; c'est aussi dans
ton être le plus intérieur que les véritables douleurs doivent
se faire sentir ; c'est là où se développe douloureusement
le sens réel de l'humilité et de la contrition qui nous fait gémir
de nous trouver liés à des essences aussi peu relatives à
nous.
C'est là où tu apprends à te promener dans l'univers comme
dans un chemin bordé de sépulcres, où tu ne peux faire
un pas sans entendre des morts qui te demandent la vie.
C'est là où, par tes gémissements et tes souffrances, tu
attires sur toi la substance du sacrifice, sur laquelle le feu du Seigneur ne
peut manquer de descendre, et doit à la fois consumer la victime et vivifier
le sacrificateur en le remplissant de puissants appuis, ou de continuelles virtualités
pour poursuivre l'universalité de son oeuvre.
Car c'est par l'union de cette vive et douce substance du sacrifice avec nous,
que notre régénération commence ; les douleurs purifiantes
dont nous venons de parler n'en pouvant être que l'initiative, puisqu'elles
ont pour objet de retrancher de nous ce qui nous nuit, mais non pas de nous
donner ce qui nous manque.
Lors donc que nous nous sentons tout déchirés par ces cuisantes
amputations, et que le sang coule par toutes nos plaies, c'est le moment où
le baume salutaire vient l'étancher, qu'il se porte à toutes nos
blessures et s'injecte dans tous nos canaux.
Or, comme c'est la vie même que ce baume nous apporte, nous ne tardons
pas à nous sentir renaître dans toutes nos facultés, dans
toutes nos vertus, et dans tous les principes actifs de notre être.
Car tous ces principes actifs de notre être sont tellement oppressés
par le poids de l'univers, et tellement desséchés par le feu qui
les brûle intérieurement, qu'ils attendent, dans l'ardeur de leur
impatience, le seul rafraîchissement qui puisse leur rendre le mouvement
et l'activité.
Ce rafraîchissement se fait petit avec les petits. Aussi commence-t-il
très faiblement pour l'homme qui est si faible et si petit ; il porte
le soin et l'amour jusqu'à se faire enfant avec nous, puisque nous sommes
moins que des enfants, et qu'il faut généralement qu'à
chaque acte de notre croissance, il prenne un degré voisin du nôtre.
Il fait avec nous comme une mère avec son enfant qui se serait blessé,
ou qui souffrirait dans quelque membre ; elle occupe toutes ses pensées
à chercher les moyens de le guérir ; elle se porte pour ainsi
dire toute entière dans ses blessures et dans ses membres souffrants.
Mais elle s'y porte en prenant comme la forme, et en se substituant elle-même
à ce qui est altéré et brisé dans son fils ; enfin,
elle s'y porte en quelque façon avec l'industrie de son amour créateur
; et pour cette industrieuse tendresse, il n'y a rien de trop pénible,
rien de trop petit ; tout ce qui peut être bon lui paraît nécessaire.
Ces moyens de tout genre, et gradués selon toutes les mesures, agissent
dans les langues restauratrices, et dirigées par la vraie parole. Les
diverses merveilles qu'on y rencontre renferment plus ou moins de cette activité
appropriée aux besoins des époques où elles ont paru.
Car ce rafraîchissement après lequel nous languissons tous, quoiqu'il
puisse entrer directement en nous, ne dédaigne cependant pas d'y entrer
aussi par toutes sortes de voies ; et les langues restauratrices avec toutes
les dénominations et expressions qu'elles renferment, sont un des moyens
qu'il chérit le plus, et qu'il emploie de préférence.
On ne s'étonnera point de la nécessité que cette force
vivante et active entre en nous, pour nous disposer à son oeuvre. Quiconque
connaît l'état des choses, sent qu'il faut que nous devenions vifs
et puissants pour que cette oeuvre s'accomplisse, puisque le mal est une puissance,
et non pas une simple histoire.
Ce n'est point par des discours qu'on détruit son règne, soit
dans la nature, soit dans l'esprit des hommes.
Aussi les hommes et les docteurs ont beau discourir, le mal ne fuit pas pour
cela ; au contraire, il ne fait que plus de progrès à l'ombre
de cet apparent palliatif.
Dans cet état de mort où languit l'univers, et toutes les régions
déchues, s'il n'y avait pas une substance de vie répandue partout,
est-ce que les choses pourraient subsister, dans quelque genre et de quelque
ordre qu'elles fussent ? C'est sûrement cette substance de vie qui empêche
leur destruction, et qui les soutient au milieu de toutes les secousses et des
ébranlements qu'elles éprouvent continuellement.
C'est elle qui soutient la nature contre les forces ennemies qui la harcèlent
; c'est elle qui soutient le monde universel, malgré les ténèbres
qui l'environnent, comme c'est le soleil qui soutient la terre, malgré
les nuages qui nous le dérobent si souvent.
C'est elle qui soutient les nations politiques, malgré les désordres
et les ravages qu'elles ne cessent d'exciter entre elles et contre elles-mêmes.
C'est elle qui soutient l'homme au milieu des ignorances, des extravagances,
et des abominations qu'il ne cesse de verser autour de lui.
Cette substance de vie ne peut être que l'éternelle parole qui
ne cessant de se créer elle-même, comme les écrits de Boehme
l'ont amplement enseigné, ne cesse aussi de soutenir, par ses puissances,
toutes les régions qu'elle a créées.
Cette substance est ensevelie partout dans des abîmes profonds, et soupire
à chaque instant après sa délivrance, et cela sans que
la nature le sache ; et c'est parce que cette substance de vie ne cesse de gémir,
que les choses subsistent malgré l'étendue et la continuité
des abominations qui les souillent, les environnent et les arrêtent ;
et ces maux sont tels, que si nous les racontions aux esprits, nous les ferions
pleurer et ils s'en iraient de douleur.
Mais comme l'âme ou le foyer radical de l'homme est le premier et le principal
siège de cette substance, c'est en lui qu'elle cherche spécialement
à se développer et à se montrer. Et si l'homme concourait
avec elle par son action persévérante ; s'il sentait qu'il n'est,
par sa nature première, rien moins qu'un oratoire divin où la
vérité voudrait pouvoir à toute heure venir offrir l'encens
pur à l'éternelle source de toutes choses, il n'est pas douteux
qu'il verrait bientôt cette substance de vie étendre en lui de
nombreuses racines, et répandre sur lui et tout autour de lui de nombreux
rameaux chargés de fleurs et de fruits.
Bientôt les esprits enivrés de ces douceurs que nous leur procurerions,
porteraient la charité jusqu'à oublier les maux que nous leur
aurions faits auparavant par nos écarts ; car chacun des actes de cette
substance est une floraison qui doit commencer par la racine de notre être,
ou par ce qu'on peut appeler notre germe animique ; de là elle passe
à la vie de notre esprit ou de notre intelligence, et ensuite à
la vie de notre corps, et chacune de ces choses étant liée à
sa région correspondante, chaque floraison qui se fait en nous se doit
communiquer à son atmosphère particulière.
Mais comme cette substance ne peut opérer dans ces trois actes que pour
nous donner partout une vie nouvelle, elle ne peut faire ce grand oeuvre que
par une triple transmutation, et en nous donnant une nouvelle âme, un
nouvel esprit et un nouveau corps.
Cette transmutation ne se peut faire que par de douloureuses opérations,
parce qu'elle ne peut procéder que par un combat de ce qui est sain contre
ce qui est malade, et par l'acte physique de la volonté vraie, contre
notre volonté qui est fausse.
Aussi nos volontés n'opèrent rien si elles ne sont pas comme injectées
de la volonté divine elle-même, qui est la seule qui veuille le
bien, et qui puisse le produire ; remarque simple en apparence, mais qui n'en
est pas moins féconde et spirituelle.
C'est par ces différents actes que la vie parvient à substituer
à l'essence corrompue de notre âme, de notre esprit et de notre
corps, une essence pure.
Par là, notre désir ne fait qu'un avec le désir divin,
ou avec ce que je pourrais appeler la faim divine pour la manifestation et le
règne de la vérité dans l'univers ;
Par là notre intelligence ne fait qu'un avec l'il divin qui voit
en arrière de soi comme en avant ;
Par là enfin, notre corps laissant s'anéantir en lui toutes les
substances de mensonge, de corruption et de souillure qui le constituent, les
sent remplacer par des substances diaphanes, qui font que, dans tous ces points,
il est comme le transparent d'autant de clartés et de merveilles divines,
de même que les corps matériels sont les transparents des merveilles
naturelles ; et voilà ce que doivent espérer ceux qui croient
que cette substance de vie n'est point une substance stérile.
En outre, s'ils croient qu'elle n'est pas une substance stérile, voilà
la tâche qui leur est imposée à tous, s'ils veulent recouvrer
leur première existence et en accomplir la destination.
Comment cette substance de vie serait-elle une substance stérile ? Elle
provient, et participe du mouvement générateur, de ce mouvement
sans temps, dans lequel par conséquent les mobiles ne peuvent pas être
séparés, sans quoi il y aurait un intervalle ; mais dans lequel
cependant les mobiles ne peuvent pas n'être point distincts, sans quoi
il n'y aurait point de vie ni de diversité de merveilles.
Homme, homme qui est capable de concevoir de semblables sublimités, anime-toi
; car il t'est donné aussi de les atteindre, et de tellement les identifier
avec tout ton être, que leur région et la sienne ne soient qu'une
même région, et n'aient qu'une même langue.
C'est alors que la faim divine s'empare de l'homme ; et cette faim divine, en
nous faisant clairement sentir là distinction de nos deux substances,
ranime toute notre ardeur, et coordonne tous nos mouvements.
Nous ne respirons plus que pour un seul objet, celui de ne pas laisser faner
et s'éteindre la substance de vie que cette faim divine nous fournit
de jour en jour avec plus d'abondance ; celui enfin d'empêcher que cette
substance divine ne tombe dans les fers et sous le joug des tyrans qui habitent
en nous.
Tel devrait être même l'esprit de notre régime alimentaire
; et si l'homme était prudent, il ne se permettrait jamais de prendre
ses repas matériels, qu'il n'eût commencé à ressusciter
en lui la faim divine, et qu'il ne l'eût sentie.
Par là il éviterait cet inconvénient si funeste et si fréquent
dans nos ténèbres, par lequel nous étouffons de plus en
plus cette faim divine en nous, par nos aliments, tandis que nos aliments ne
seraient censés devoir nous servir qu'à renouveler nos forces
corporelles, pour chercher ensuite plus ardemment cette faim divine, et pour
en supporter le feu lorsqu'elle viendrait à s'allumer en nous dans toute
sa vigueur, et à tellement nous substanter, que notre faim corporelle
en devînt moins pressante à son tour.
Aussi y a-t-il deux degrés dans ce régime alimentaire. L'un remis
à l'industrie de nos intentions spiritualisées, et qui devrait
être celui de tous les jours, sans que cependant il y ait des temps, des
heures, des aliments à lui interdire, ou à lui marquer, puisque
c'est cette industrie qui doit tout régler.
L'autre, celui de l'uvre active lorsqu'elle nous emploie, et qu'elle juge
à propos de nous prendre à son service, parce qu'alors elle nous
sert à la fois de guide et de soutien.
Ce que je viens de dire là au sujet du premier degré de notre
régime alimentaire, se peut dire de tous les autres actes de notre vie
temporelle, auxquels nous ne devrions jamais nous livrer, que nous n'eussions
auparavant réveillé en nous la faim divine, puisque cette faim
divine devant nous procurer la vraie substance de vie, nous ne devons pas avoir
d'autre but, d'autre attrait, d'autre pensée que de ne jamais laisser
passer cette faim divine, par laquelle seule se peuvent manifester en nous les
merveilles de Dieu, mais au contraire, de nous occuper sans cesse de la ranimer,
afin qu'elle ait la délicieuse joie de se rassasier de la substance de
vie.
Je ne te surprendrai point, homme, en te disant ici, que cette substance de
vie ne se trouve que dans les douleurs d'une angoisseuse amertume, ou dans une
profonde et complète désolation sur nos écarts, sur nos
privations, sur les écarts et les réelles privations de nos semblables,
sur les malheurs de ceux qui souffrent et plus encore, sur les malheurs de ceux
qui ne souffrent point ; sur l'état sépulcral de la nature, et
sur les lamentables et continuelles douleurs aiguës de l'universelle parole
qui cherche par nous à rétablir partout l'équilibre et
la plénitude, tandis qu'à la manière d'être que nous
nous sommes créée par le crime, nous tenons le cur de Dieu
lui-même en nous, comme sur son lit de mort, et comme dans le tombeau
le plus infect. Or, pourquoi la désolation est-elle ainsi la source génératrice
de la substance de vie ? C'est qu'il n'y a que cette désolation qui soit
aujourd'hui pour nous la source génératrice de la parole, comme
nous voyons que dans nos maladies, ce sont nos souffrances qui nous arrachent
des cris, et que ce n'est que de ces cris que naissent les soulagements et les
secours qu'on nous apporte.
C'est pour cela que l'homme qui est appelé à l'uvre, n'a
plus besoin de se transplanter ni de changer de lieu, parce que le mal et le
remède se trouvent partout, et l'homme n'a autre chose à faire
que de crier. Car ce n'est point le changement de lieu terrestre qui nous est
utile, c'est le changement de lieu spirituel.
Aussi sans bouger de notre place matérielle, devrions-nous sans cesse
considérer douloureusement le lieu spirituel, froid et ténébreux,
que nous habitons, pour aller établir notre demeure dans un lieu spirituel
plus chaud, plus lumineux, et plus salutaire.
C'est depuis que nous nous sommes assujettis aux climats de l'esprit, que nous
sommes exposés à ces différentes températures. Nous
étions faits primitivement pour le climat pur et uniforme, où
la température est douce et le printemps perpétuel.
Dès que nous remarquons que l'univers n'a point de parole, il n'est pas
difficile d'observer que c'est là une des principales causes du tourment
qu'il éprouve.
Car ces langueurs qui le fatiguent, ce poison pestilentiel qui le ronge et que
nous avons reconnu comme n'étant entré dans ces substances, que
par la faute et la négligence de l'homme, tous ces obstacles, dis-je,
ne lui seraient pas sensibles, s'il n'était dans la privation de la parole,
parce qu'elle aurait par elle-même tout le pouvoir nécessaire pour
empêcher qu'ils n'approchassent, ou pour les dissiper s'ils étaient
une fois approchés.
C'est donc cette privation qui fait réellement que la nature est dans
une tourmente perpétuelle, ou dans ce que les hommes de l'esprit ont
appelé la vanité.
Ils savaient, ces hommes-là, que la parole devait tout remplir, et ils
gémissaient de ce qu'il y avait quelque chose où cette parole
ne se montrait point.
Ils savaient que l'univers étant vide et sans parole, ne pouvait rien
signifier pour eux, puisque Dieu seul était plein et signifiait tout
; qu'ainsi ce qui ne participe pas à la plénitude de son être
divin, ne peut montrer que l'opposé de ses universelles propriétés.
Ils savaient que l'homme ne pouvait prier sans préparation, c'est-à-dire,
sans que son atmosphère ne fût remplie de la parole, ou bien, dans
le sens vaste et complet, sans que la parole ne fût rendue à l'univers.
Aussi ils se lamentaient dans leur tristesse, et ils disaient au nom de l'homme
: l'univers, ce superbe tableau que nous admirerions avec transport, si nous
ne sentions pas ce qui lui manque, l'univers n'a point la parole, il ne peut
prendre part à la prière ; il est même un obstacle à
la prière, puisque nous ne pouvons prier qu'au milieu de nos frères.
Hélas ! nous ne pourrons donc prier à loisir que quand l'univers
sera passé ! et il nous faudra attendre la fin des choses, pour pouvoir
donner un libre cours à cette ardeur qui nous oppresse ! Qui pourrait
tenir à cette douleur ! et ils passaient leurs jours dans cette angoisse.
Homme, puisque tu es dans l'univers, il n'est pas une seule des tourmentes qu'il
éprouve que tu ne puisses sentir et partager à ton tour, puisque
ton corps même participe aux influences et aux diverses températures
dont les éléments sont à la fois les sources et les instruments.
Oui, tu es susceptible d'éprouver les douleurs de l'univers, puisque
c'est toi qui as été capable de les occasionner ; et ce n'est
qu'autant que tu seras admis à participer à ses douleurs, que
tu pourras concourir au développement de ses facultés comprimées
: ce ne peut être que par des mouvements coordonnés avec ses souffrances,
que tu parviendras à le ramener à la joie, et que ta prière
pourra espérer de recouvrer un libre cours.
Il faudra bien même un jour que tu entres aussi dans les tourmentes de
l'esprit et dans les tourmentes de Dieu et de la parole, tant dans l'ordre particulier
que dans l'ordre universel ; car les droits de ton être t'appellent à
agir également par des mouvements coordonnés dans ces deux régions
; et c'est alors que tu avanceras dans ta renaissance, et que l'uvre s'agrandira
pour toi.
L'homme trouve communément quelque chose de solennel et de majestueux
dans des lieux solitaires, couverts de forêts ou arrosés de quelque
vaste fleuve ; ces tableaux sérieux et imposants semblent accroître
leur empire sur lui quand il les contemple dans l'ombre et le silence de la
nuit.
Mais il peut aussi en recevoir d'autres impressions, et y faire des observations
d'une autre espèce ; c'est que le silence de tous ces objets porte sur
l'âme une empreinte lamentable, et qui nous montre clairement la véritable
cause de ce que nous avons désigné ci-dessus par le nom de la
vanité.
En effet, toute la nature ressemble à un être muet, qui peint de
son mieux, par ses mouvements, les principaux besoins dont il est dévoré,
mais qui manquant de parole, laisse toujours son expression bien au-dessous
de ses désirs, et laisse toujours percer au travers de sa joie même,
quelques traits sérieux et tristes qui nous empêchent de jouir
de la nôtre complètement.
Aussi sent-on réellement au milieu de ces grands objets, que la nature
s'ennuie de ne pouvoir parler, et une langueur qui l'emporte sur la mélancolie,
vient succéder en nous à l'admiration, quand nous ouvrons notre
âme à cette pénible pensée.
C'est assez nous faire comprendre que tout devrait parler, comme aussi la persuasion
que tout devrait parler, nous donne celle que tout devrait être fluide
et diaphane, et que l'opacité et la stagnation sont les causes radicales
du silence et de l'ennui de la nature.
Qu'est-ce que c'est donc que ton séjour, homme, au milieu de tous ces
objets qui ne manifestent ni joie ni parole ? Et ce besoin si impérieux
que tu sens de la parole et de la joie, ne te montre-t-il pas quel est son terme,
quel est le but qui t'attend quand tu seras délivré de la prison
de cette nature, comme aussi quelle est l'espèce d'emploi que tu as à
exercer dans l'univers, si tu conserves toujours l'intention et l'espoir d'en
être le consolateur ?
Etudie la transsudation universelle de la nature ; cette huile d'amertume t'apprendra
assez puissamment que toute cette nature n'est qu'une douleur concentrée.
Mais quoique la nature soit condamnée à l'ennui et au silence,
observe cependant qu'elle parle plus haut le jour que la nuit ; vérité
que la moindre expérience te confirmera, et ton intelligence t'en apprendra
aisément la raison ; elle t'apprendra que le soleil est le verbe de la
nature, que quand il la prive de sa présence, elle ne jouit plus de l'usage
de ses facultés ; mais que quand il vient lui rapporter la vie par sa
parole de feu, elle redouble ses efforts pour manifester tout ce qui est en
elle.
Tous les êtres qui la composent se disputent alors à qui prouvera
le mieux le zèle et l'activité qui le pressent, pour concourir
par son action, à la louange et à la gloire de cette ineffable
source de la lumière. Ils nous indiquent assez par là le travail
que nous devons faire dans cet univers, et ce qui nous attend lorsque nous serons
sortis de cette maison de change, qui n'est rien moins que le sépulcre
de l'éternité, et où nous avons pour tâche de changer
nos monnaies étrangères contre la monnaie du pays, c'est-à-dire
la mort contre la vie.
Consolez-vous, hommes de désir, si le silence de la nature est la cause
de l'ennui qu'elle manifeste, rien ne peut devenir pour vous plus éloquent
que ce silence ; car c'est le silence de la douleur, et non celui de l'insensibilité.
Plus vous observerez attentivement cette nature, plus vous reconnaîtrez
que si elle a ses moments de tristesse, elle a aussi ses moments de joie, et
il n'est donné qu'à vous de les découvrir et de les apprécier.
Elle sent la vie circuler secrètement dans ses veines ; et même
elle est prête à entendre par votre organe les sons de la parole
qui la soutient et l'oppose à l'ennemi comme une barrière insurmontable.
Elle cherche dans vous le feu vivant qui s'exhale de cette parole, et qui veut
apporter par vous un baume salutaire dans toutes ses plaies.
Oui, quoique l'homme terrestre n'aperçoive que le silence et l'ennui
de la nature, vous, hommes de désir, vous êtes sûrs que tout
chante en elle, et prophétise par de sublimes cantiques sa délivrance.
Aussi vous avertissez dans votre saint zèle, et par les ordres souverains,
qu'il faut auparavant que tout chante dans l'homme pour coopérer à
cette délivrance, et pour que tous les hommes de la terre puissent un
jour dire comme vous : tout chante dans la nature.
Vous êtes comme les précurseurs de ce règne de vérité
après lequel soupire l'ordre des choses. Vous marchez dans cette progression
majestueuse et divinement restauratrice, qui rend à chaque époque
la progression opposée si criminelle.
C'est par là que le mal dévorant la substance de vie à
chacune de ces grandes périodes qui ont commencé dès l'origine
des choses et ne finiront qu'à la dernière heure, ne cesse de
s'engraisser de l'iniquité jusqu'à ce que ses mesures étant
combles, il soit livré à l'exécution de son jugement.
Car pendant la durée du temps, il n'est qu'en privation ; et encore a-t-il
su bien étendre les limites de sa prison en corrompant son geôlier,
qui était le seul par lequel il pouvait parvenir à avoir connaissance
de ce qui se passait au dehors.
Mais au milieu de ces douloureux progrès de l'ennemi, vous triomphez
d'avance, parce que vous voyez marcher aussi la progression restauratrice vers
son terme de gloire et de victoire.
Vous la voyez d'avance prononcer l'arrêt d'exécution sur le criminel
qui l'ignore encore et l'ignorera jusqu'au moment de son supplice définitif.
Enfin vous la voyez d'avance chanter dans toute la nature et dans l'âme
des hommes de vérité, les cantiques de jubilation qui couronneront
tous ses désirs et tous les travaux de la prière. Car s'il est
vrai que tout chante dans la nature, il est encore plus vrai que tout y prie,
puisque tout y est dans le travail et dans la tourmente.
Comment pouvoir être employé au soulagement d'un être, sans
connaître auparavant la structure et la composition de cet être
? Et comment en connaître réellement la composition et la structure
si l'on ne connaît pas les diverses substances qui le constituent, ainsi
que les qualités et les propriétés attachées à
ces substances ? Enfin, comment connaître les qualités et les propriétés
attachées à ces substances, si l'on ne connaît pas les sources
radicales d'où ces substances tirent leur origine ?
Au lieu de scruter profondément ces bases radicales, les hommes ont laissé
errer vaguement leur pensée sur des questions oiseuses qui ne pouvaient
rien leur apprendre, et les écartaient d'autant des vraies sentiers qu'ils
auraient dû suivre. Telle est, par exemple, cette puérile question
de la divisibilité de la matière qui retient comme dans l'enfance
toutes les écoles.
Ce n'est point la matière qui est divisible à l'infini ; c'est
la base de son action, ou, si l'on veut, les puissances spiritueuses de ce qu'on
peut appeler l'esprit de la matière ou de l'esprit astral. Ces puissances
sont innombrables. Dès l'instant qu'elles doivent se transformer en caractères
et figures sensibles, elles ne manquent pas de substances pour cela, puisqu'elles
en sont imprégnées et qu'elles les produisent de concert avec
le pouvoir élémentaire auquel elles s'unissent. C'est par là
qu'ici-bas tout ce qui existe, se crée la substance de son propre corps.
Or, la petitesse infinie des corps, telle que dans certains insectes, ne doit
point surprendre. quoiqu'ils soient complètement organisés pour
leur espèce. Tous les corps ne sont qu'une réalisation du plan
de l'esprit astral et de la puissance spiritueuse particulière opérative
de chaque corps ; et c'est ici qu'il faut se pénétrer d'une vérité
qui est que, dans toutes les régions, l'esprit ne connaissant point d'espace,
mais seulement de l'intensité dans ses vertus radicales. il n'y a pas
une seule puissance spiritueuse de l'esprit, qui, quand même elle ne se
rendrait pas sensible matériellement, ne le soit selon l'élément
caché, ou selon la corporisation supérieure que nous avons présentée
précédemment sous le nom de l'éternelle nature.
Le passage de cette région-là à la région matérielle
n'a lieu que par la plus extrême concentration et atténuation de
cette puissance spiritueuse de l'esprit, sur laquelle le pouvoir élémentaire
étend ses droits pour lui aider à former son corps ou son enveloppe.
Ce pouvoir élémentaire a une puissance complète dans sa
région ; il l'exerce avec un empire universel sur toutes les bases spiritueuses
qui se présentent à lui : elles et lui ne se joignent que par
leur minimum, qui ici se trouve en sens inverse, puisque l'un est le minimum
de l'atténuation, et l'autre, le minimum de la croissance ou du développement.
La base spiritueuse opère à son tour par son action vive une réaction
sur le pouvoir élémentaire ; ce qui fait qu'à mesure que
cette base se développe, le pouvoir élémentaire se développe
aussi pour la poursuivre, comme on le voit à la croissance des arbres
et des animaux.
Quand cette base a acquis par ce moyen un degré de force qui l'affranchisse
de l'empire du pouvoir élémentaire, elle s'en sépare ;
ce qui se voit à toutes les floraisons, à toutes les manifestations
des odeurs, des couleurs, ou enfin à la maturité de toutes les
productions. Chacune abandonne son matras lorsqu'il n'a plus le pouvoir de la
retenir, et alors ce matras retombe dans son minimum, pour ne pas dire dans
son néant, puisqu'il n'a plus de bases spiritueuses qui le réactionnent.
Ainsi, premièrement, la matière n'est pas divisible à l'infini,
en la considérant sous le rapport de la divisibilité de sa substance,
opération que nous avons démontrée ailleurs ne pouvoir
pas même commencer, comme on le voit aux corps organiques qui ne peuvent
se diviser sans périr ; secondement, elle n'est pas même divisible
à l'infini dans chacune de ses actions particulières, puisque
chacune de ces actions particulières cesse dès que la base spiritueuse
qui lui sert de sujet, est retirée ; aussi la limite de cette action
est la retraite et la disparition de cette même base.
Quant à cette divisibilité, considérée abstractivement
et dans notre pensée, elle a encore moins de possibilité, puisque
ce n'est que notre propre conception qui sert de base à cette prétendue
matière que nous nous forgeons continuellement ; et en effet, tant que
notre esprit présente à la matière un pareil substratum
ou un pareil germe, cette matière s'en empare dans notre pensée,
et lui sert de forme et d'enveloppe.
Ainsi, tant que nous nous arrêtons à cette divisibilité,
ou que nous en concevons les résultats sensibles, nous trouvons cette
divisibilité possible et réelle, puisque la forme sensible suit
toujours la base que nous lui offrons ; mais dès que nous détournons
les yeux de notre esprit de ce foyer d'action dont nous ne nous rapprochons
qu'intellectuellement, cette forme disparaît, et il n'y a plus pour lui
ni pour nous de divisibilité de la matière.
Si les doctes anciens et modernes depuis les Platon, les Aristote, jusqu'aux
Newton et aux Spinoza, avaient su faire attention que la matière n'est
qu'une représentation et une image de ce qui n'est pas elle, ils ne se
seraient pas tant tourmentés, ni tant égarés pour vouloir
nous dire ce qu'elle était.
Elle est comme le portrait d'une personne absente ; il faut absolument connaître
le modèle pour pouvoir s'assurer de la ressemblance. Sans quoi ce portrait
ne sera plus pour nous qu'un ouvrage de fantaisie, sur lequel chacun fera toutes
les conjectures qu'il lui plaira, sans que l'on soit sûr qu'il y en ait
une de vraie.
Néanmoins dans cette série de la formation des êtres qui
vient de nous occuper, il y a un point important qui se refuse à notre
connaissance ; c'est le magisme de la génération des choses, et
encore ne s'y refuse-t-il que parce ce que nous cherchons à atteindre,
par l'analyse, ce qui en soi n'est appréhensible que par une impression
cachée ; et même on peut dire que sur ce point Jacob Boehme a levé
presque tous les voiles en développant à notre esprit les sept
formes de la nature, jusque dans la racine éternelle des êtres.
Le vrai caractère du magisme est d'être le médium et le
moyen de passage de l'état de dispersion absolue ou d'indifférence,
que Boehme appelle abyssale, à l'état de sensibilisation quelconque
caractérisée, soit spirituelle, soit naturelle, tant simple qu'élémentaire.
La génération ou ce passage de l'état insensible à
l'état sensible est perpétuelle. Elle tient le milieu entre l'état
dispersé et insensible des choses, et leur état de sensibilisation
caractérisée, et cependant elle n'est ni l'un ni l'autre, puisqu'elle
n'est, ni la dispersion comme l'état abyssal, ni la manifestation développée
comme la chose que cette génération veut nous transmettre et nous
communiquer.
Dans ce sens, la nature actuelle a son magisme ; car elle renferme tout ce qui
est au-dessus d'elle en dispersion, ou toutes les essences astrales et élémentaires
qui doivent contribuer a la production des êtres ; et en outre, elle renferme
toutes les propriétés cachées du monde supérieur
à elle, et vers lequel elle tend à rallier toutes nos pensées.
Dans ce sens, chaque production particulière de la nature a aussi son
magisme ; car chacune d'elles en particulier, telle qu'une fleur, un sel, un
animal, une substance métallique, est un médium entre les propriétés
invisibles et insensibles qui sont dans sa racine, dans son principe de vie,
ou dans ses essences fondamentales, et entre les qualités sensibles qui
émanent de cette production, et qui nous sont manifestées par
son moyen.
C'est dans ce médium que s'élabore et se prépare tout ce
qui doit sortir de chaque production ; or, c'est ce lieu de préparation,
c'est ce laboratoire enfin dans lequel nous ne pouvons pénétrer
sans le détruire, et qui par cette raison est un véritable magisme
pour nous, quoique nous puissions connaître le nombre des ressorts qui
concourent à le produire, et même la loi qui en dirige l'effet.
Le principe de cette marche cachée est fondé sur la génération
divine elle-même, où le médium éternel sert à
jamais de passage à l'infinie immensité des essences universelles.
C'est dans ce passage que ces essences universelles s'imprègnent respectivement,
afin qu'après cette imprégnation, elles se manifestent, dans leur
vive ardeur, avec toutes leurs qualités individuelles, et avec celles
qu'elles se sont communiquées les unes et les autres par leur séjour
dans ce médium, ou dans ce lieu de passage.
Or, sans ce médium, sans ce lieu de passage, il n'y aurait rien de manifesté,
rien qui pût nous être appréhensible ; ainsi tous les médium
de la nature actuelle, tous ceux de la nature spirituelle ne sont que des images
de ce médium éternel et primitif ; ils ne font que nous en répéter
la loi, et voilà comment tout ce qui est dans le temps, est le démonstrateur,
le commentateur et le continuateur de l'éternité.
Car l'éternité, ou ce qui est, doit se regarder comme étant
le fond de toutes choses. Les êtres ne sont que comme les cadres, les
vases, ou les enveloppes actives où cette essence vive et vraie vient
se renfermer pour se manifester par leur moyen.
Les uns, tels que tout ce qui compose l'univers, manifestent les puissances
spiritueuses de cette suprême essence. Les autres, tels que l'homme, en
manifestent les puissances spirituelles, c'est-à-dire, ce qu'il y a de
plus intime dans cette essence une, ou dans cet être de tous les êtres.
Ainsi, quoique nous ignorions la génération des choses, cependant
toutes les connaissances auxquelles nous tendons, et dont nous nous prévalons
quand nous les avons obtenues, n'ont que l'essence vraie pour base et pour objet
: ainsi les beautés de la nature, et les propriétés utiles
et suaves, qui depuis que Dieu l'a retenue dans sa chute, se trouvent encore
dans cette nature, malgré sa dégradation, tiennent aussi à
cette essence vraie, et peuvent encore lui servir d'organe, de cadre et de conducteur.
Lors donc que nous prenons le change sur l'existence de ces objets, comme le
font sans cesse les fausses sciences, c'est que nous ne nous donnons pas la
peine et le temps de chercher en eux cette essence vraie qui y doit être,
et qui ne tend qu'à se faire connaître ; encore moins pourrions-nous
alors la ranimer dans ceux de ces objets où elle se trouverait assoupie
; et c'est par là que nous prolongeons les maux que nous avons faits
à la nature, tandis que nous devrions nous occuper de les soulager.
Répétons-le donc, s'il était vrai que l'univers fût
sur son lit de mort, comment pourrions-nous apporter du soulagement à
l'univers, si nous ignorons non seulement ce qui constitue l'univers, mais même
les rapports que doivent avoir entre elles toutes les différentes parties
qui le composent, et les différents rouages qui forment l'ensemble de
cette grande machine et en facilitent les mouvements ?
Mais quoique l'homme s'occupe journellement à rétablir dans son
petit cercle, l'harmonie et le tempérament parmi les éléments
et les puissances de l'univers qui sont en combat ; quoiqu'il cherche à
faire disparaître autour de lui cette pénible discordance qui travaille
la nature, cependant l'idée de concourir au soulagement de l'univers,
est sans doute une conception qui surprendra, et qui au premier abord paraît
être exagérée et surpasser de beaucoup nos pouvoirs, tant
l'instruction commune, et surtout le poids de l'univers lui-même, qui
nous oppresse et nous accable, répand un voile épais sur nos véritables
droits.
Toutefois la simple idée de connaître la structure et la composition
de l'univers, quel a été le mode de sa formation, et ce que peuvent
être ces différents corps qui circulent dans l'espace avec une
marche si imposante, cette idée, dis-je, ne doit pas être en bute
aux mêmes reproches.
Car on peut dire que dans tous les siècles, l'étude de ces questions
a été l'objet de la curiosité et des recherches des hommes
avides de connaissances, quoique dans tous les siècles il semble n'être
résulté que de médiocres lumières de ces importantes
recherches, si l'on juge simplement par les doctrines diverses que la renommée
nous a transmises sur ces matières.
En effet, les philosophes de l'Antiquité qui en ont parlé, ne
paraissent pas avancer beaucoup sur cet objet nos connaissances, et c'est nous
apprendre peu de choses que de venir nous dire, les uns, comme Thalès,
que l'univers devait son origine à l'eau ; les autres comme Anaximène,
qu'il la devait à l'air ; d'autres, comme Empédocle, qu'il était
composé de quatre éléments qui se faisaient entre eux une
guerre continuelle, mais sans pouvoir jamais se détruire, en supposant
toutefois, je le répète, que nous puissions juger de pareilles
doctrines, dénuées pour nous de tous les développements,
qui jadis pouvaient justifier leurs partisans et leurs auteurs.
Il n'est pas jusqu'aux qualités d'Anaximandre, et même jusqu'aux
formes plastiques des Stoïciens, sur lesquelles je ne crusse devoir suspendre
mon jugement. J'accorderai volontiers qu'elles peuvent paraître très
obscures, mais je craindrais de m'avancer trop en les taxant hautement de folies
et de rêveries philosophiques. Ce n'est pas dans de pareilles contestations
qu'il est permis de porter des sentences par défaut, et si ces folies
apparentes ont été combattues par les incrédules, comme
on le croit, ce n'a été peut-être qu'en substituant à
de simples obscurités des absurdités démontrées.
Aussi les opinions des modernes ont peu étendu nos connaissances sur
ces grandes questions : car que nous apprennent et le système de Telliamed
qui fait tout provenir de la mer, et les monades de Leibniz, et les molécules
intégrantes et les agrégats de la physique de notre siècle,
qui sous de nouveaux noms, ne sont que les atomes d'Épicure, de Leucippe
et de Démocrite ?
L'esprit de l'homme, ou ne pouvant percer dans ces profondeurs avec autant de
succès qu'il le désirerait, ou ne pouvant faire concevoir aux
autres hommes le vrai sens des progrès qu'il y faisait, et des découvertes
qu'elles lui offraient, s'est rejeté dans tous les temps vers l'étude
des lois qui dirigent la marche extérieure, soit du globe que nous habitons,
soit celle de tous les autres globes accessibles à notre vue : c'est
ce qui nous a valu, dans les siècles anciens et modernes, toutes les
connaissances astronomiques dont nous jouissons.
Quoique ces superbes connaissances, qui se sont si étonnamment étendues
de nos jours, tant par le secours des instruments perfectionnés, que
par celui des merveilles modernes de l'analyse algébrique, nous aient
procuré une jouissance d'autant plus douce, qu'elle a pour base la rigueur
de la démonstration ; cependant, comme elles ne nous apprennent que les
lois externes de l'univers, elles ne semblent ne nous remplir complètement,
qu'autant que nous étouffons et paralysons le désir secret que
nous nourrissons tous d'un aliment plus substantiel.
Aussi, malgré les brillantes découvertes de Kepler sur les lois
des corps célestes, Descartes, qui lui-même s'est rendu si célèbre
par l'application qu'il a faite de l'algèbre à la géométrie,
cherchait encore la cause et le mode des mouvements célestes et de la
marche des astres.
Tandis que Kepler démontrait, Descartes cherchait à expliquer
: tant l'esprit de l'homme a d'attrait pour connaître non seulement le
cours de ces grands corps de la nature, et la durée et les lois de leurs
mouvements périodiques, mais encore la cause mécanique de ces
mouvements ; et c'est ce qui néanmoins a mené ce beau génie
à ces infortunés tourbillons qu'on a rejetés, sans avoir
encore rien mis en leur place. Car la connaissance des lois astronomiques, et
l'attraction elle-même embrassent les règles du mouvement des astres,
et n'en expliquent pas le mécanisme.
Des hommes célèbres, postérieurs à Descartes, ont
cherché à pénétrer encore plus avant que lui dans
les profondeurs de l'existence des corps célestes : en effet, il n'a
essayé que d'en expliquer le mécanisme ; mais pour eux, ils ont
cherché à en expliquer l'origine et la formation primitive.
Je n'entends point parler ici de Newton ; car, malgré la beauté
de sa découverte sur la pesanteur et l'attraction qui s'appliquent si
heureusement à toutes les parties du système théorique
de l'univers, il ne nous a offert cependant là qu'une loi secondaire
qui suppose auparavant dans les plus petites parties des corps de la nature,
une loi primaire dont cette pesanteur est dérivée, et qui ne peut
en être que l'organe, comme elle n'en est que le résultat.
Mais je veux parler de Buffon qui, aux yeux des savants du premier rang (Exposition
du système du monde par Laplace, tome 2, page 298), a essayé le
premier, depuis la découverte du vrai système des mouvements célestes,
de remonter à l'origine des planètes et des satellites. Il suppose
qu'une comète, en tombant sur le soleil, en a chassé un torrent
de matière qui s'est réunie au loin en divers globes plus ou moins
grands et plus ou moins éloignés de cet astre. Ces globes sont,
selon Buffon, les planètes et les satellites qui, par leur refroidissement,
sont devenus opaques et solides.
Le savant Laplace n'admet point cette hypothèse, parce qu'il trouve qu'elle
ne satisfait qu'au premier des cinq phénomènes dont il fait l'énumération,
même page 298. Mais il essaie à son tour, page 301, de s'élever
à leur véritable cause, en ayant la modestie toutefois de ne présenter
qu'avec une sage défiance ce qui n'est point un résultat de l'observation
et du calcul.
Il se réduit, au sujet de cette véritable cause, à penser
que, pour avoir donné aux planètes, dans le même sens, un
mouvement presque circulaire autour du soleil, il faut qu'un fluide immense
ait environné cet astre comme une atmosphère ; il prétend
que l'atmosphère du soleil s'est primitivement étendue au-delà
des orbes de toutes les planètes, et qu'elle s'est resserrée successivement
jusqu'à ses limites actuelles.
Il prétend que la grande excentricité des orbes des comètes
conduit au même résultat, et qu'elle indique évidemment
la disparition d'un grand nombre d'orbes moins excentriques ; ce qui suppose
autour du soleil une atmosphère qui s'est étendue au-delà
du périhélie des comètes observables, et qui, en détruisant
les mouvements de celles qui l'ont traversée pendant la durée
de sa grande étendue, les a réunies au soleil.
Alors, dit-il, on voit qu'il ne doit exister présentement que les comètes
qui étaient au-delà dans cet intervalle ; que, comme nous ne pouvons
observer que celles qui approchent assez près du soleil dans leur périhélie,
leurs orbes doivent être fort excentriques ; mais qu'en même temps
on voit que leurs inclinaisons doivent offrir les mêmes inégalités
que si ces corps ont été lancés au hasard, puisque l'atmosphère
solaire n'a point influé sur leurs mouvements ; qu'ainsi la longue durée
des révolutions des comètes, la grande excentricité de
leur orbe et la variété de leurs inclinaisons s'expliquent très
naturellement au moyen de cette atmosphère.
Mais, se demande-t-il, comment a-t-elle déterminé les mouvements
de révolution et de rotation des planètes ? Il se répond
: que si ces corps avaient pénétré dans ce fluide, sa résistance
les aurait fait tomber sur le soleil ; qu'on peut donc conjecturer qu'ils ont
été formés aux limites successives de cette atmosphère,
par la condensation des zones qu'elle a dû abandonner dans le plan de
son équateur, en se refroidissant et se condensant à la surface
de cet astre... qu'on peut conjecturer encore que les satellites ont été
formés d'une manière semblable, par les atmosphères des
planètes ; enfin, que les cinq phénomènes qu'il a exposés
précédemment, découlent naturellement de ces hypothèses
auxquelles les anneaux de Saturne ajoutent un nouveau degré de vraisemblance.
Observons ces deux hypothèses. Celle de Buffon, indépendamment
des défectuosités qui ont été remarquées
par le savant Laplace, offre une difficulté majeure, qui serait de savoir
d'où proviendrait cette comète qui aurait frappé le soleil
pour en faire sortir la matière des planètes, d'autant que les
planètes et les comètes sembleraient avoir eu une grande affinité
dans l'origine de leurs mouvements.
En effet, si ces deux ordres de corps célestes diffèrent par leur
excentricité, par la direction de leurs cours et par leurs inclinaisons,
ils se ressemblent par leur assujettissement aux mêmes lois de la pesanteur,
aux mêmes lois de l'attraction, et aux mêmes lois de proportionnalité
dans les vitesses et les distances, et dans l'égalité des aires
parcourues en temps égaux ; ce qui donne le moyen de calculer, par la
même méthode, le cours des comètes et celui des planètes,
et de leur appliquer également les magnifiques découvertes de
Kepler et de Newton.
Quant à l'hypothèse du savant Laplace, s'il reconnaît que
les cinq phénomènes dont il a fait mention, en découlent
naturellement, il doit avouer aussi que, malgré ces avantages que je
ne conteste pas, elle laisse cependant beaucoup de choses à désirer.
Dans le vrai, on ne concevra pas sans peine, comment l'atmosphère solaire,
qui n'a laissé se former les planètes qu'en se resserrant jusqu'à
ses limites actuelles, et qui n'a laissé, sans doute, nos comètes
se former également qu'en se retirant, puisqu'elle s'était étendue
primitivement au-delà du périhélie des comètes observables,
et que la grande excentricité de leurs orbes conduit, selon lui, aux
mêmes résultats ; on ne concevra pas, dis-je, comment l'atmosphère
solaire qui, d'après son hypothèse, s'est étendue au-delà
du périhélie des comètes observables, a cependant été
traversée pendant la durée de sa grande étendue, par un
grand nombre d'orbes moins excentriques dont elle a détruit les mouvements,
et qu'elle a réunis au soleil, puisque l'existence et la formation de
ces orbes ou de ces comètes, moins excentriques au sein de cette même
atmosphère, contrarierait son propre système.
On ne concevra pas pourquoi, si des comètes ont pu pénétrer
dans cette atmosphère solaire, les planètes, vu leur peu d'excentricité,
n'auraient pas pu y pénétrer et y trouver également leur
destruction, et même y circuler exclusivement jusqu'à ce qu'elles
fussent à leur tour précipitées sur la masse solaire, puisque
les unes et les autres, selon son hypothèse, doivent leur origine à
la même cause ; ce qui ferait que depuis longtemps nous ne devrions plus
avoir de planètes, d'autant qu'il est dit, page 301, qu'il faut que ce
fluide d'une immense étendue, ait embrassé tous les corps, c'est-à-dire,
les planètes et les satellites.
Enfin, on ne concevra pas comment les planètes ne devant leur formation
qu'à la retraite ou au resserrement de l'atmosphère solaire, après
qu'elles en auront été embrassées à leur tour, les
satellites devraient la leur à la retraite, ou au resserrement de l'atmosphère
de leur planète principale, puisque ces satellites paraissant être
absolument de la même nature que leur planète principale, sembleraient
avoir dû leur origine à une cause simultanée, et que l'atmosphère
solaire en se retirant et se resserrant, n'est pas censée laisser d'autre
atmosphère après soi.
Sans porter plus loin l'examen de ces hypothèses défectueuses,
je dirai qu'en général, ce qui nuit à la justesse et à
la vérité des hypothèses enfantées par l'esprit
humain, c'est le penchant secret qui l'entraîne à chercher aux
phénomènes de la nature un mécanisme uniforme et un élément
unique, comme lui paraissant ce qu'il y a de plus régulier et de plus
parfait.
En fait d'explications, celle qui est la plus parfaite, c'est celle qui est
la plus vraie, quelque multipliées et quelque compliquées que
puissent être les causes dont cette explication essaie de rendre compte.
L'oubli de cette vérité, on peut le dire, est ce qui a retardé
en tout genre le développement de nos connaissances, et il n'y a pas
une science qui n'en ait éprouvé et n'en éprouve peut-être
tous les jours un préjudice sensible.
De même que les progrès de l'astronomie ont souffert de l'opinion
où les savants ont été jusqu'à Kepler, que les astres
ne décrivaient que des orbes circulaires, parce que cette courbe était
regardée comme la plus parfaite et la plus simple ; de même la
persuasion de l'unité des causes radicales et des données qui
servent de base à la formation des astres et à leur mouvement,
pourrait retarder la connaissance des véritables sources dont ils dérivent.
Une autre observation qui vient à l'appui de celle-ci, et qui n'est pas
moins certaine, c'est que la loi des résultats extérieurs est
plus facile à saisir que celle des organes qui les transmettent, et celle
des organes qui les transmettent, plus facile à saisir que celle des
causes qui dirigent et constituent ces organes eux-mêmes ; parce qu'à
mesure qu'on pénètre au-delà de la surface des êtres,
leurs facultés sont plus prononcées et offrent par conséquent
plus de diversité et d'opposition.
C'est ainsi que pour déterminer la marche et les périodes que
les aiguilles d'une montre tracent sur son cadran, il suffit de les considérer
des yeux et d'en suivre les mouvements monotones, parce que, comme il n'y a
là qu'un seul fait, on n'a besoin aussi que d'une seule formule pour
le décrire et l'expliquer.
Si l'on veut pénétrer dans l'intérieur de la montre, on
va y trouver plusieurs agents divers, dont les lois seront nécessairement
plus nombreuses et l'explication moins simple que celle de la marche des aiguilles,
puisqu'il y a entre eux une sorte de combat et d'opposition.
Si l'on veut aller encore plus loin et scruter ce qui met en jeu tous les rouages
de cette montre, calculer la somme de mouvement, et celle de la force et de
la résistance qui gouvernent tous ces agents, et décomposer les
diverses substances qui sont employées à ce mécanisme pour
juger celles qui peuvent le mieux en remplir l'objet, on verra combien les branches
de la science vont se multiplier, et combien on serait éloigné
de la vérité, si l'on voulait embrasser ces différentes
branches dans une seule loi, et les soumettre à une seule explication.
C'est pour cela que quand le génie de l'homme a observé avec une
profonde attention les mouvements extérieurs des astres, il est parvenu
à ces découvertes admirables de nos siècles modernes, et
à ces magnifiques axiomes, par le moyen desquels, avec les lois les plus
simples, il a décrit la véritable marche des corps célestes.
Mais il ne s'est occupé là que du cadran de la montre ; et au
lieu de nous avoir donné ce que les savants appellent le vrai système
du monde, il ne nous en a réellement donné que l'itinéraire
; et encore dans cet itinéraire a-t-il oublié ce qu'il y aurait
de bien essentiel en fait de voyages, qui serait de nous dire d'où le
voyageur est parti et où il va.
Aussi, lorsque après avoir décrit les mouvements des corps célestes,
l'homme a voulu essayer de décrire leur mobilité organique et
primitive, c'est-à-dire pénétrer dans l'intérieur
de la montre, on voit par les deux hypothèses ci-dessus, combien il a
trouvé de difficultés et combien il est resté en arrière.
Ces difficultés se sont multipliées bien davantage encore pour
lui, lorsque ne se contentant pas de scruter la mobilité organique et
primitive des corps célestes, il a voulu se rendre compte de la formation
originelle de ces corps célestes eux-mêmes ; et les deux hypothèses
en question peuvent nous servir de témoignage.
Je ne crains point d'en répéter la raison ; c'est qu'à
mesure que nous pénétrons au-delà de la surface des opérations
de la nature, des mobiles divers se caractérisent, se prononcent, et
se refusant à l'unité de loi comme à l'unité d'action,
ils se refusent par conséquent à l'explication générale,
applicable à la monotonie et à l'uniformité des phénomènes
extérieurs qui ne sont que de serviles résultats.
Si les auteurs des deux hypothèses ci-dessus n'ont pas laissé
de les publier, quoiqu'elles fussent loin de nous expliquer le système
de l'origine des astres, j'oserai demander qu'il me soit permis à mon
tour d'en proposer une troisième, quand même elle ne devrait pas
avoir plus de succès. Je me déterminerai d'autant plus volontiers
à exposer cette hypothèse, qu'elle ne vient pas de moi, et que
par cette entreprise, je ne m'établis point le rival des deux auteurs
en question.
Toutefois cette hypothèse ne pourra pas mériter les reproches
des analystes, puisque à l'imitation des deux précédentes,
qui n'ont point prétendu être appuyées sur une démonstration
rigoureuse, elle ne se montrera point comme étant le fruit de l'observation
et du calcul.
D'ailleurs elle n'aura point pour objet de décrire le cours et les mouvements
des astres, ce qui serait aujourd'hui superflu, puisque dans ce genre nous devons
avouer que les sciences exactes ont porté les connaissances à
un point de perfection qu'il faut se contenter d'admirer, si l'on n'est pas
en état d'en étendre encore les limites, maïs qu'il n'est
plus permis de combattre et de contester.
Elle ne se montrera point non plus comme voulant expliquer l'espèce d'ébranlement
ou d'impulsion qui a pu mettre en mouvement les corps célestes, et cela
dans le sens où nous les voyons circuler. Pour faire cette tentative,
il me faudrait être d'accord avec les doctes du monde, sur l'objet de
savoir d'où ce monde vient et où il va, et c'est ce dont ils ne
s'occupent point, ne croyant pas possible d'en avoir connaissance. L'hypothèse
en question suivra donc simplement le principe exposé ci-dessus, relativement
à l'accroissement de l'énergie des propriétés des
êtres et du nombre de leurs lois, à mesure que nous pénétrons
dans leurs profondeurs.
Mais elle aura principalement pour but de présenter un aperçu
sur l'origine des corps célestes et la formation de ces masses que nous
appelons planètes ; et c'est alors qu'elle aura tous les droits d'user
du principe en question.
Avant d'exposer cette hypothèse, je dois rappeler que son auteur qui
est Jacob Boehme, était attaché à toutes les opinions que
nous avons énoncées précédemment sur l'existence
d'un principe universel, à la fois dominateur suprême et source
de tout ce qui est au nombre des êtres ; sur la nature de l'homme pensant
et distinct de la classe animale ; sur la dégradation de l'espèce
humaine, dégradation qui s'est étendue jusqu'à l'univers
lui-même, et a fait que cet univers n'est plus que comme notre prison
et notre tombeau, au lieu d'être pour nous une demeure de gloire, etc.
Il était persuadé, comme le savant Laplace, page 261, que tout
se tient dans la chaîne immense des vérités : voilà
pourquoi il emploie dans les développements de son système toutes
les bases et toutes les données qui embrassent l'universalité
des choses ; parce que nous aurions beau, par notre pensée, retrancher
une partie du système universel, et en faire un système à
part, nous ne pourrions jamais retrancher avec succès, de ce système
partiel, les ressorts qui le lient avec le système général.
Il croyait que la nature primitive, qu'il appelle l'éternelle nature,
et dont la nature actuelle, désordonnée et passagère, est
descendue violemment, reposait sur sept fondements principaux, ou sur sept bases
qu'il appelle tantôt puissances, tantôt formes, et même tantôt
roues, sources et fontaines spirituelles, parce qu'il écrivait dans un
temps où toutes ces dénominations n'étaient pas proscrites,
comme le sont de nos jours les formes plastiques, et les qualités des
anciens philosophes ; expressions toutefois qui n'ont peut-être pas été
plus entendues que ne le seront celles de notre auteur.
Il croyait que ces sept bases, ou ces sept formes, existaient aussi dans la
nature actuelle et désordonnée que nous habitons, mais qu'elles
n'y existaient que comme à la gêne, et contrariées par de
puissantes entraves, d'où elles tendaient avec effort à se dégager
pour vivifier les substances mortes des éléments, et produire
tout ce que nous voyons de sensible dans l'univers.
Ces sept qualités fondamentales, ou ces sept formes, il essaie de leur
donner des noms pour faire comprendre ce qu'il avoue n'en avoir point de suffisants
dans nos langues qui, selon lui, sont dégradées comme l'homme
et l'univers.
Je voudrais m'abstenir de présenter cette nomenclature, par la difficulté
qu'elle aura à trouver accès auprès du lecteur ; mais comme
sans elle on pourrait encore moins comprendre la formation originelle des planètes,
selon le système de l'auteur, je vais me déterminer à parler
son langage.
Il appelle donc astringence, ou puissance coercitive, la première de
ces formes, comme resserrant et comprimant toutes les autres. C'est ainsi que
tout ce qui, dans la nature, est d'une qualité dure, les os, les noyaux
des fruits, les pierres, lui paraissent appartenir principalement à cette
première forme ou à l'astringence. Il étend aussi cette
dénomination jusqu'au désir qui, dans tous les êtres, est
la base et la source de tout ce qu'ils opèrent, et qui, par sa nature,
attire et embrasse tout ce qui doit tenir à leur oeuvre, chacun dans
sa classe.
La seconde forme, il l'appelle le fiel ou l'amertume, et il prétend que
c'est elle qui, cherchant par son activité pénétrante à
diviser l'astringence, ouvre la voie de la vie, sans quoi tout resterait mort
dans la nature.
La troisième forme, il l'appelle l'angoisse, parce que la vie est comprimée
par la violence des deux puissances antérieures ; mais, dans leur choc,
l'astringence s'atténue, s'adoucit, et se tourne en eau, pour livrer
le passage au feu qui était renfermé dans l'astringence.
La quatrième forme, il l'appelle le feu, parce que du choc et de la fermentation
des trois premières formes, il s'élève au travers de l'eau
comme un éclair qu'il nomme éclair igné, chaleur, etc.
: ce qui s'accorde avec ce qui se passe sous nos yeux, lorsque le feu s'élance
en éclairs au travers de l'eau de nos nuées orageuses.
La cinquième forme, il l'appelle la lumière, parce que la lumière
ne vient qu'après le feu, comme nous l'observons dans nos foyers, dans
la pyrotechnie, et dans d'autres faits physiques.
La sixième forme, il l'appelle le son, parce qu'en effet le son vient
après la lumière, comme nous le voyons lorsqu'on tire une arme
à feu, ou, si l'on veut, comme nous sommes censés ne parler qu'après
avoir pensé.
Enfin la septième forme, il lui donne le nom de l'être, de la substance,
ou de la chose elle-même ; parce qu'il prétend que ce n'est qu'alors
qu'elle nous découvre le complément de son existence : et, en
effet, les oeuvres que nous faisons naître par notre parole, sont censées
être le complément de toutes les puissances qui les ont précédées.
Ces sept formes que, dans le cours de ses ouvrages, l'auteur applique à
la puissance suprême elle-même, à la nature pensante de l'homme,
à ce qu'il appelle la nature éternelle et primitive, à
la nature actuelle où nous vivons, aux éléments, aux animaux,
aux plantes, enfin à tous les êtres, chacun dans les mesures et
les combinaisons qui conviennent à leur existence et à leur emploi
dans l'ordre des choses ; ces formes, dis-je, il ne faut pas être étonné
qu'il les applique également aux planètes et aux autres corps
célestes quelconques qui tous renferment individuellement en eux ces
sept bases fondamentales, comme le fait la moindre production de l'univers.
En les appliquant à la nature des planètes, il les a appliquées
aussi à leur nombre ; et en cela il a partagé une opinion qui
a régné universellement sur la terre, et qui n'a disparu que depuis
les nouvelles découvertes, c'est-à-dire, près de deux siècles
après la mort de l'auteur.
Mais l'application qu'il a essayé de faire de sa doctrine au nombre prétendu
de sept planètes, n'était que secondaire à son système
; et si l'existence des sept formes ou des sept puissances était réelle,
son système demeurerait toujours dans son entier, quoique le nombre des
planètes à nous connues se soit augmenté depuis qu'il a
écrit, et puisse s'accroître encore à l'avenir.
En effet, lorsque l'on croyait aux sept planètes, rien n'était
plus naturel à cet auteur que de penser que chacune d'elles, quoique
renfermant en soi les sept formes en question, exprimait cependant plus particulièrement
une de ces sept formes, et tirait de là les caractères divers
que ces planètes elles-mêmes sembleraient annoncer par leurs apparences
extérieures, ne fût ce que par la diversité de leur couleur.
Quand même actuellement le catalogue des planètes dépasserait
le nombre de sept, la prédominance de l'une ou de l'autre des sept formes
de la nature, ne cesserait pas pour cela d'avoir lieu dans chacun de ces corps
célestes ; seulement plusieurs de ces planètes pourraient être
constituées de manière à offrir à nos yeux l'empreinte
et la prédominance de la même forme ou propriété.
Le nombre des fonctions ne varierait point, il n'y aurait que le nombre des
fonctionnaires qui s'étendrait, et cela sans doute avec des proportions
qui pourraient toujours aider à distinguer les grades des différents
fonctionnaires employés à la même fonction ; car ils ne
seraient probablement pas tous dans des degrés d'une égalité
absolue, puisque la nature ne nous présente rien de semblable. A présent
nous allons exposer l'hypothèse en question.
Selon l'auteur, la génération ou la formation originelle des planètes
et de tous les astres, n'a pas eu d'autre mode que celui selon lequel la vie,
et les merveilleuses proportions harmoniques de la suprême sagesse, se
sont engendrées de toute éternité.
Car, lorsque l'altération s'introduisit dans une des régions de
la nature primitive, la lumière s'éteignit dans cette région
partielle qui embrassait alors tout l'espace de la nature actuelle ; et cette
région qui est la nature actuelle, devint comme un corps mort, et n'eut
plus aucune mobilité.
Alors l'éternelle sagesse, que l'auteur appelle quelquefois amour, SOPHIE,
lumière, douceur, joie et délices, fit renaître dans le
lieu central, ou dans le cur de ce monde, un nouveau régime pour
en prévenir et en arrêter l'entière destruction.
Cette place, ce lieu central, est, selon l'auteur, le lieu enflammé de
notre soleil. De ce centre, ou de ce lieu, se sont engendrées et produites
toutes les espèces de qualités, formes ou puissances qui remplissent
et constituent cet univers, le tout selon les lois de l'éternelle génération
divine ; car il admet dans tous les êtres, et éternellement dans
la suprême sagesse, un centre où se fait une production, ou subdivision
septénaire. Il appelle ce centre le séparateur.
En outre, il regarde le soleil comme étant le foyer et l'organe vivificateur
de toutes les puissances de la nature, de même que le cur est le
foyer et l'organe vivificateur de toutes les puissances des animaux.
Il le regarde comme étant la seule lumière naturelle de ce monde,
et prétend que, hors ce soleil, il n'y a plus aucune véritable
lumière dans la maison de la mort ; et que, quoique les étoiles
soient encore les secrets dépositaires d'une partie des propriétés
de la nature primitive et supérieure, et quoiqu'elles luisent à
nos yeux, cependant elles sont fortement enchaînées dans le bouillonnement
âpre du feu, qui est la quatrième forme de la nature ; aussi elles
portent tout leur désir vers le soleil, et prennent de lui tout leur
éclat. (Il ne connaissait point alors l'opinion reçue, qui fait
de toutes les étoiles autant de soleils ; opinion toutefois qui n'étant
point susceptible d'être soumise à un calcul rigoureux, laisse
la carrière libre à d'autres opinions).
Pour expliquer cette restauration de l'univers qui n'est que temporaire et incomplète,
il prétend que lors de l'altération, il se forma par la puissance
supérieure une barrière entre la lumière de l'éternelle
nature, et l'embrasement de notre monde ; que par là ce monde ne fut
alors qu'une vallée ténébreuse ; qu'il n'y avait plus aucune
lumière qui eût pu briller dans tout ce qui était renfermé
dans cette enceinte ; que toutes les puissances ou toutes les formes furent
comme emprisonnées là dans la mort ; que par la forte angoisse
qu'elles éprouvèrent, elles s'échauffèrent surtout
dans le milieu de cette grande circonscription, lequel milieu est le lieu du
soleil.
Il prétend que quand leur fermentation "angoisseuse" parvint
dans ce lieu au plus haut degré par la force de la chaleur, alors cette
lumière de l'éternelle sagesse, qu'il appelle amour, ou SOPHIE,
perça au travers de l'enceinte de séparation, et vint balancer
la chaleur ; parce qu'à l'instant la lumière brillante s'éleva
dans ce qu'il appelle la puissance de l'eau, ou l'onctuosité de l'eau,
et alluma le cur de l'eau, ce qui la rendit tempérante et restauratrice.
Il prétend que par ce moyen la chaleur fut captivée, et que son
foyer, qui est le lieu du soleil, fut changé en une convenable douceur,
et ne se trouva plus dans l'horrible angoisse ; qu'en effet, la chaleur étant
embrasée par la lumière, déposa sa terrible source de feu,
et n'eut plus le pouvoir de s'enflammer davantage ; que l'éruption de
la lumière, au travers de la barrière de séparation, ne
s'étendit pas plus loin dans ce lieu, et que c'est pour cela que le soleil
n'est pas devenu plus grand, quoique après cette première opération,
la lumière ait eu d'autres fonctions à remplir, comme on le verra
ci-dessous.
LA TERRE. Lorsque au temps de l'altération, la lumière s'éteignit
dans l'espace de ce monde, alors la qualité astringente fut, dans son
action la plus âpre et la plus austère, et elle resserra fortement
l'opération des autres puissances ou formes. C'est de là que proviennent
la terre et les pierres.
Mais elles ne furent pas encore rassemblées en masse, seulement elles
erraient dans cette immense profondeur ; et par la puissante et secrète
présence de la lumière, cette masse fut promptement conglomérée
et rassemblée de l'universalité de l'espace.
Aussi la Terre est-elle la condensation des sept puissances, ou des sept formes
; mais elle n'est regardée par l'auteur, que comme l'excrément
de tout ce qui s'est substantialisé dans l'espace, lors de l'universelle
condensation ; ce qui ne s'oppose point à ce qu'il se soit fait des condensations
d'un autre genre dans les autres lieux de l'espace.
Le point central, ou le cur de cette masse terrestre conglomérée,
appartenait primitivement au centre solaire. Mais maintenant cela n'est plus.
La Terre est devenue un centre particulier. Elle tourne, en vingt-quatre heures
sur elle-même, et en un an autour du soleil dont elle reçoit la
vivification, et dont elle recherche la virtualité. C'est le feu du soleil
qui la fait tourner. Lorsque à la fin de son cours elle aura recouvré
sa plénitude, elle réappartiendra de nouveau au centre solaire.
MARS. Mais si la lumière contint le feu dans le lieu du soleil, cependant
le choc et l'opposition de cette lumière occasionna aussi dans ce même
lieu une terrible éruption ignée, par laquelle il s'élança
du soleil comme un éclair orageux et effrayant, et ayant avec soi la
fureur du feu. Lorsque la puissance de la lumière passa de l'éternelle
source de l'eau supérieure au travers de l'enceinte de séparation
dans le lieu du soleil, et enflamma l'eau inférieure, alors l'éclair
s'élança hors de l'eau avec une violence effrayante : c'est de
là que l'eau inférieure est devenue corrosive.
Mais cet éclair de feu n'a pu s'élancer que jusqu'à la
distance où la lumière qui se portait aussi après lui et
le poursuivait, a eu le pouvoir de l'atteindre. C'est à cette distance-là
qu'il a été emprisonné par la lumière. C'est là
qu'il s'est arrêté, et il a pris possession de ce lieu ; et c'est
cet éclair de feu qui forme ce que nous appelons la planète de
Mars. Sa qualité particulière n'est autre chose que l'explosion
d'un feu vénéneux et amer qui s'est élancé du soleil.
Ce qui a empêché que la lumière ne l'ait saisi plutôt,
c'est l'intensité de la fureur de l'éclair, et sa rapidité
; car il n'a pas été captivé par la lumière avant
que la lumière l'eût tout à fait imprégné
et subjugué.
Il est là maintenant comme un tyran ; il s'agite et est furieux de ne
pouvoir pas pénétrer plus avant dans l'espace ; il est un aiguillon
provocateur dans toute la circonscription de ce monde : car il a en effet pour
emploi d'agiter tout par sa révolution dans la roue de la nature, ce
dont toute vie reçoit sa réaction.
Il est le fiel de toute la nature, il est un stimulant qui concourt à
allumer le soleil, comme le fiel stimule et allume le cur dans le corps
humain. De là résulte la chaleur à la fois dans le soleil
et dans le cur ; de là aussi la vie dans toutes choses prend son
origine.
JUPITER. Lorsque l'âpre éclair de feu fut emprisonné par
la lumière, cette lumière, par son propre pouvoir, pénétra
encore plus avant dans l'espace, et elle atteignit jusqu'au siège rigide
et froid de la nature. Alors la virtualité de cette lumière ne
put pas s'étendre plus loin, et elle prit ce même lieu pour sa
demeure.
Or, la puissance qui procédait de la lumière, était bien
plus grande que celle de l'éclair de feu ; c'est pour cela aussi qu'elle
s'éleva bien plus haut que l'éclair de feu, et qu'elle pénétra
jusqu'au fond dans la rigidité de la nature. Alors elle devint impuissante,
son cur étant comme congelé par la rigidité âpre,
dure et froide de la nature.
Elle s'arrêta là, et devint corporelle. C'est jusque-là
que la puissance de la vivante lumière s'étend maintenant hors
du soleil, et non pas plus loin ; mais l'éclat ou la splendeur qui a
aussi à soi sa virtualité, s'étend jusqu'aux étoiles
et pénètre le corps universel de ce monde.
La planète de Jupiter est provenue de cette puissance de la lumière
congelée ou corporisée, et de la substance de ce même lieu
où cette planète existe ; mais elle enflamme continuellement ce
même lieu par son pouvoir.
Toutefois Jupiter est dans ce lieu-là, comme un domestique qui doit sans
cesse valeter (pour son office) dans la maison qui ne lui appartient pas, tandis
que le Soleil a sa maison à soi. Hors lui, aucune planète n'a
sa maison à soi.
Jupiter est comme l'instinct et la sensibilité de la nature. Il est une
essence aimable et gracieuse ; il est la source de la douceur dans tout ce qui
a vie ; il est le modérateur de Mars, qui est un furieux et un destructeur.
SATURNE. Quoique Saturne ait été créé en même
temps que la roue universelle de la nature actuelle, cependant il ne tient point
son origine ni son extraction du Soleil ; mais sa source est l'angoisse sévère,
astringente et âpre du corps entier de ce monde.
Car comme la puissance lumineuse du Soleil ne pouvait pas détendre ni
tempérer la qualité âpre et rigide de l'espace, principalement
dans la hauteur au-dessus de Jupiter, dès lors, cette même circonférence
entière demeura dans une terrible angoisse, et la chaleur ne pouvait
pas s'éveiller en elle à cause du froid et de l'astringence qui
y dominaient.
Néanmoins, comme la mobilité avait gagné jusqu'à
la racine de toutes les formes de la nature par l'éruption et l'introduction
intérieure de la puissance de la lumière, cela fit que la nature
ne pouvait pas demeurer en repos ; aussi elle eut les angoisses de l'enfantement,
et la région rigide et âpre, au-dessus de la hauteur de Jupiter,
engendra de l'esprit de l'âpreté le fils astringent froid et austère,
ou la planète Saturne.
Car il ne pouvait pas s'enflammer là cet esprit de chaleur d'où
résultent la lumière, l'amour et la douceur, et il n'y eut qu'un
engendrement de la rigidité, de l'âpreté et de la fureur.
Aussi Saturne est l'opposé de la douceur.
(J'observerai, en passant, que les anneaux de Saturne, détachés
du corps de la planète, et offrant, dans leur épaisseur, comme
des lézardes et des brisures, sembleraient seconder cette explication
de son origine dans l'âpreté et la rigidité. Le froid isole
les puissances génératrices, au lieu de les harmoniser ; il n'opère
que par contrainte, comme par intervalles et par saccades ; et même sur
les corps qu'il peut produire, il engendre des morcellements et comme des gerçures,
par une suite de la division et de la violence où sont ses puissances
productrices ).
Saturne n'est point lié à son lieu comme le Soleil ; ce n'est
point une circonscription étrangère, corporifiée dans l'immensité
de l'espace ; c'est un fils engendré de la chambre de la mort, de l'angoisse
rigide, âpre et froide.
Il est néanmoins un membre de la famille dans cet espace dans lequel
il fait sa révolution ; mais il n'a à soi que sa propriété
corporelle, comme un enfant quand sa mère lui a donné la naissance.
C'est lui qui dessèche et resserre toutes les puissances de la nature,
et qui amène par ce moyen chaque chose à la corporéïté
; c'est son pouvoir astringent, qui surtout engendre les os dans la créature.
De même que le Soleil est le cur de la vie, et une origine de ce
qu'on appelle les esprits dans le corps de ce monde ; de même aussi Saturne
est celui qui commence toute corporéïté. C'est dans ces deux
astres que réside la puissance du corps entier de ce monde. Hors de leur
puissance, il ne saurait y avoir dans le corps naturel de ce monde aucune créature
ni aucune configuration.
(Uranus ou Herschell, qui n'était pas connu du temps de l'auteur, et
qui est encore plus enfoncé dans l'espace de la rigidité et du
froid que Saturne, aura pu avoir, suivant la doctrine qu'on vient de voir, la
même origine que cette planète. Quant aux deux nouvelles planètes,
Cérès et Pallas qui sont entre Mars et Jupiter, elles peuvent
tenir plus ou moins de la cause originelle de leurs deux voisins, c'est-à-dire,
de la lumière et du feu).
VENUS. Vénus la gracieuse planète, ou le mobile de l'amour dans
la nature, tient son origine de l'effluve du Soleil.
Lorsque les deux sources de la mobilité et de la vie se furent élevées
du lieu du Soleil par l'enflammement de l'onctuosité de l'eau, alors
la douceur, par la puissance de la lumière, pénétra dans
la chambre de la mort par une imprégnation suave et amicale, en descendant
au-dessous de soi comme une source d'eau, et dans un sens opposé à
la fureur de l'éclair.
De là sont provenus la douceur et l'amour dans les sources de la vie.
Car lorsque la lumière du Soleil eut imprégné le corps
entier du Soleil, la puissance de la vie qui s'éleva de la première
imprégnation, monta au-dessus de soi comme quand on allume du bois, ou
bien lorsqu'on fait jaillir du feu d'une pierre.
On voit d'abord de la lueur, et de la lueur sort l'explosion du feu ; après
l'explosion du feu vient la puissance du corps enflammé ; la lumière,
avec cette puissance du corps enflammé s'élève à
l'instant au-dessus de l'explosion, et règne beaucoup plus hautement
et plus puissamment que l'explosion du feu ; et c'est ainsi qu'il faut concevoir
l'existence du Soleil et des deux planètes Mars et Jupiter.
Mais comme le lieu du Soleil, c'est-à-dire, le Soleil, ainsi que tous
les autres lieux, avaient en eux toutes les qualités à l'imitation
de ce qui existe dans l'éternelle harmonie, c'est pourquoi aussitôt
que ce lieu du soleil fut enflammé, toutes les qualités commencèrent
à agir et à s'étendre dans toutes les directions ; elles
se développèrent selon la loi éternelle qui est sans commencement.
Alors la puissance de la lumière, qui dans le lieu du Soleil avait rendu
souples et expansives comme de l'eau, les qualités ou formes astringentes
et amères, descendit au-dessous de soi comme ayant un caractère
opposé à ce qui s'élève dans la fureur du feu. C'est
de là qu'est provenue la planète Vénus, car c'est elle
qui dans la maison de la mort introduit la douceur, allume l'onctuosité
de l'eau, pénètre suavement dans la dureté, et enflamme
l'amour.
Dans Vénus, le régime radical ou la chaleur amère qui est
fondamentale en elle comme dans toutes choses, est désireuse de Mars,
et la sensibilité est désireuse de Jupiter ; la puissance de Vénus
rend traitable le furieux Mars ; elle l'adoucit, et elle rend Jupiter modéré
et retenu ; autrement la puissance de Jupiter percerait au travers de l'âpre
chambre de Saturne, comme au travers de la boîte osseuse des hommes et
des animaux, et la sensibilité se changerait en audace contre la loi
de l'éternelle génération.
Vénus est une fille du Soleil ; elle a une grande ardeur pour la lumière
; elle en est enceinte : c'est pourquoi elle a un éclat si brillant en
comparaison des autres planètes.
MERCURE. Dans l'ordre supérieur des lois harmoniques des sept formes
éternelles, Mercure est ce que l'auteur appelle le son. Ce son ou ce
mercure est aussi, selon lui, dans toutes les créatures de la terre,
sans quoi rien ne serait sonore, et même ne rendrait aucun bruit. Il est
le séparateur ; il éveille les germes dans chaque chose ; il est
le principal ouvrier dans la roue planétaire.
Quant à l'origine de Mercure dans l'ordre des planètes, l'auteur
l'attribue au triomphe remporté sur l'astringence par le pouvoir de la
lumière, parce que cette astringence, qui resserrait le son ou le mercure
dans toutes les formes et les puissances de la nature, l'a rendu libre en s'atténuant.
Ce Mercure, qui est le séparateur dans tout ce qui a vie ; qui est le
principal ouvrier dans la roue planétaire ; qui enfin est comme la parole
de la nature, ne pouvait dans l'enflamement prendre un siège éloigné
du Soleil qui est le foyer, le centre et comme le coeur de cette nature, parce
qu'étant né dans le feu, ses propriétés fondamentales
s'y opposaient et le retenaient auprès de ce Soleil, d'où il exerce
ses pouvoirs sur tout ce qui existe dans ce monde.
Il envoie ses puissances dans Saturne, et Saturne commence leur corporisation.
L'auteur prétend que Mercure s'imprègne et s'alimente continuellement
de la substance solaire ; que dans lui se trouve renfermée la connaissance
de ce qui était dans l'ordre supérieur, avant que la puissance
de la lumière eût pénétré au travers de l'enceinte
dans le centre solaire et dans l'espace de cet univers, (ce qui pourrait être
la cause secrète des recherches de tant de curieux sur le mercure minéral).
Il prétend en outre que mercure ou le son stimule et ouvre, surtout dans
les femmes, ce que dans tous les êtres il appelle la teinture, et que
c'est là la raison pour laquelle elles parlent si volontiers.
LA LUNE. L'auteur ne parle que de ce seul satellite. Il dit que lorsque la lumière
eut rendu matérielle la puissance dans le lieu du Soleil, la Lune parut,
comme cela s'était opéré pour la terre ; que la Lune est
un extrait de toutes les planètes ; que la terre lui cause de l'épouvante,
vu son effroyable état d'excrément depuis l'altération
; que la Lune, dans sa révolution, prend ou reçoit ce qu'elle
peut de la puissance de toutes les planètes et des étoiles ; qu'elle
est comme l'épouse du Soleil ; que ce qui est subtil et spiritueux dans
le Soleil, devient corporel dans la Lune, parce que la Lune concourt à
la corporisation, etc.
L'auteur ne parle point des comètes. Je les ai comparées, dans
l'esprit des choses, à des espèces d'aides de camp qui communiquent
dans l'exercice de leurs fonctions à tous les points d'une armée
et d'un champ de bataille. Cela pourrait diminuer notre surprise de voir se
tracer dans tous les sens les directions de ces comètes, ce qui n'est
point propre aux planètes.
D'ailleurs le système exposé ci-dessus, s'il était réel,
pourrait nous aider à concevoir l'origine de ces comètes et leur
destination. Car l'auteur nous fait assez entendre que la puissance de la lumière
a joué un grand rôle dans la formation de notre système
planétaire, comme la puissance du feu en a joué un principal dans
la formation des étoiles que l'auteur regarde comme étant dans
le bouillonnement âpre du feu.
Or, l'harmonie ne pouvant exister que dans l'union de la puissance du feu et
de celle de la lumière, les comètes auraient pu être originairement
composées de l'une et de l'autre, mais en degrés divers, comme
on pourrait le présumer à la grande variété de leurs
apparences et de leurs couleurs.
De là on pourrait imaginer que la fonction de ces comètes serait
de servir d'organes de correspondance entre la région solaire et la région
des étoiles ; et on pourrait s'affermir dans cette conjecture, en voyant
que dans leur périhélie elles s'approchent plus ou moins du soleil,
et que par l'immense excentricité de leurs ellipses elles peuvent porter
vers la région des étoiles la réaction solaire, et rapporter
au Soleil la réaction des étoiles.
Il ne serait pas même nécessaire que ces comètes approchassent
de près la région des étoiles quand elles monteraient vers
cette région ; comme nous voyons que lorsqu'elles viennent dans notre
région solaire, elles se tiennent même dans leur périhélie
à une assez grande distance du Soleil.
Telle est l'hypothèse que j'ai cru pouvoir exposer à côté
de celles des deux auteurs célèbres dont nous avons parlé
ci-dessus. Je ne l'ai présentée toutefois que très en abrégé.
Pour en donner une idée complète, il faudrait analyser tous les
ouvrages de l'écrivain qui l'a mise au jour ; et encore ne me flatterai-je
pas de la mettre par là à l'abri de toutes les objections.
Mais je pourrais dire aux savants en question ; que si elle avait des défectuosités.
les leurs en ont peut-être encore davantage, en ne nous offrant aucune
des bases vives qui semblent servir à la fois de principe et de pivot
à la nature ; qu'ils ont d'ailleurs assez de gloire dans celles de leurs
sciences qui ne sont point conjecturales, pour n'être point humiliés
si un autre avait frappé plus près du but dans celles qui ne sont
point l'objet de l'analyse.
Il y a plusieurs branches dans l'arbre de l'intelligence humaine ; toutes ces
branches, quoique distinctes, ne servent, au lieu de se nuire, qu'à étendre
nos connaissances.
Prenons une lyre pour exemple, et plaçons-la sous les yeux de plusieurs
hommes. L'un d'eux pourra m'en représenter exactement les dimensions
extérieures.
Si un autre va plus avant, et en démontant toutes les pièces de
cette lyre, me donne une idée juste de toutes les matières dont
elles sont composées, et de toutes les préparations et manipulations
qu'on leur a fait subir pour les rendre propres à remplir l'emploi qui
leur est destiné, cela n'empêchera point que la description qu'aura
faite le premier démonstrateur, ne soit très juste et très
estimable.
Enfin, si un troisième est en état de me faire entendre les sons
de la lyre et de charmer mon oreille par une harmonieuse mélodie, son
talent ne nuira pas davantage au mérite des deux démonstrateurs
précédents.
C'est pour cela que je présente avec confiance aux savants hommes dans
les sciences exactes, l'hypothèse dont il s'agit, parce que, malgré
le champ immense qu'elle embrasse, elle n'empêchera jamais que leurs découvertes
dans les faits astronomiques extérieurs ne soient de la plus grande importance,
et que les merveilleuses puissances de l'analyse ne les conduisent journellement,
et d'un pas assuré, dans la connaissance des lois fixes qui dirigent
non seulement les corps célestes, mais même tous les phénomènes
physiques de l'univers.
Et même plus ils feront de progrès dans ce genre, plus j'éprouverai
de satisfaction, persuadé, comme je le suis, que par là ils avanceront
d'autant vers la frontière des autres sciences, et qu'ils n'hésiteront
plus à former entre elles une alliance indissoluble, quand ils auront
reconnu qu'elles offrent tous les titres de la fraternité.
Je leur ferai remarquer en outre, que si malgré ses couleurs neuves et
inattendues, l'hypothèse en question laissait cependant encore des lacunes,
il ne faudrait pas en être étonné ; celui qui ouvre une
carrière extraordinaire, peut bien être pardonnable de ne pas la
parcourir toute entière.
L'histoire des sciences nous apprend que quoique la théorie du mouvement
de la terre eût fait disparaître la plupart des cercles dont Ptolémée
avait embarrassé l'astronomie, cependant Copernic en avait laissé
subsister plusieurs pour expliquer les inégalités des corps célestes.
Elle nous apprend que Kepler, égaré par une imagination ardente,
négligea d'appliquer aux comètes les superbes lois qu'il avait
trouvées sur le rapport du carré des temps des révolutions
des planètes et des satellites, et les cubes des grands axes de leurs
orbes, parce qu'il croyait, avec le vulgaire, que les comètes n'étaient
que des météores engendrés dans l'éther, et qu'il
négligea dès lors d'en étudier les mouvements.
Elle nous apprend enfin que Newton lui-même, malgré les trésors
qu'il a recueillis sur les phénomènes du système du monde,
sur les mouvements des comètes, sur les inégalités des
mouvements de la lune qui sont dues aux actions combinées du soleil et
de la terre sur ce satellite, n'a fait presque qu'ébaucher ces découvertes
; et que parmi les perturbations qu'il a observées dans les mouvements
de la lune, l'évection de cet astre a échappé à
ses recherches.
D'ailleurs, je leur dirai que si cette hypothèse était vraie,
quelques lacunes ou même quelques erreurs ne s'opposeraient point à
ce que l'on pût retirer quelques fruits de sa justesse, puisque même
dans la science des mouvements célestes, qui est une science exacte,
on a pu aller très loin et calculer juste, quoiqu'on ne connût
point tous les astres qui composent notre système planétaire.
C'est ainsi qu'avant la découverte des trois nouvelles planètes,
l'ignorance où l'on était de leur existence, n'empêchait
point que les astronomes ne sussent nous annoncer d'une manière assez
exacte le retour des comètes, parce que ces planètes inconnues
étant ou trop éloignées, ou trop petites, leur attraction
ne pouvait produire une perturbation sensible dans les comètes qui auraient
passé auprès d'elles.
Je ne laisserai point là l'article de l'astronomie, sans examiner la
conjecture généralement reçue que les autres planètes
ayant nombre de rapports de similitude avec la terre, sont très probablement
habitées comme elle.
J'ai dit dans l'esprit des choses, que la Terre n'en existerait pas moins, quand
même elle ne serait pas habitée, puisque cette propriété
qu'elle a d'être habitée, n'est que comme secondaire et étrangère
à son existence. Ainsi, quoique nous la voyions habitée, ce n'est
pas une raison décisive pour conclure que les autres planètes
le soient, malgré l'analogie qui autorise à en former la conjecture.
On peut aussi observer que la végétation n'est point pour la terre
une propriété constitutive et nécessaire, puisqu'on la
voit stérile dans plusieurs de ses climats, et puisque les sables et
les rochers, qui sont tous des substances terreuses, sont néanmoins le
symbole de la stérilité.
On voit en même temps que le Soleil est le moyen direct qui développe
en elle cette végétation, puisqu'elle végète en
raison de sa proximité de cet astre, et qu'elle est stérile lorsqu'elle
s'éloigne de lui ; mais on voit aussi que quand elle s'en approche trop,
et qu'il prend la prépondérance, elle se calcine, se convertit
en sable et en poussière, c'est-à-dire qu'elle devient stérile.
D'après cela on peut présumer qu'étant susceptible de végétation,
elle a été placée dans la série des planètes
au rang qu'il lui fallait, et à la juste proximité nécessaire
du Soleil, pour qu'elle pût remplir le plan secondaire de végétation
; et de là on pourrait induire que les autres planètes sont trop
près ou trop loin de lui pour végéter.
En outre, il y aurait sans doute relativement à la végétation
quelque grande lumière à recueillir de la différence de
densité des planètes ; et peut-être cette lumière
pourrait nous éclairer sur la nature même de ces corps célestes,
auxquels d'ailleurs nous ne pouvons guère refuser une identité
de substance fondamentale, puisque nous trouvons entre la Terre et les autres
planètes une analogie parfaite dans les lois de leurs mouvements, dans
les lois de leur pesanteur et dans les lois de leur attraction ; ce qui sert
de guide dans les superbes observations que l'astronomie et les mathématiques
font tous les jours sur la marche de ces grands corps, et sur toutes leurs propriétés
extérieures.
Mais en attendant la découverte de cette lumière, il nous faudrait
au moins supposer en général aux autres planètes une destination
individuelle et diverse, soit qu'elles fussent habitées ou non, si nous
voulions arriver à quelque chose de satisfaisant sur leur existence ;
car la stérilité probable des autres planètes, pour être
trop près ou trop loin du Soleil, semblerait une raison de plus pour
présumer qu'elles ne sont point habitées.
Or, aucun système sur ce point ne saurait être présenté,
qu'au préalable on ne supposât aussi une destination à l'univers,
et qu'on ne la connût ; et les sciences humaines la prétendent
impossible à connaître.
Par la même raison, on ne pourrait reconnaître une destination à
l'univers, que l'on ne fût bien d'accord sur la nature de l'homme, afin
de savoir si cette destination et l'homme n'auraient pas quelques rapports.
Or, les sciences humaines prétendent également que la nature de
l'homme est impossible à connaître, ou, pour mieux dire, elles
la confondent avec celle des bêtes ; ce qui replonge l'homme dans la mesure
ténébreuse et incertaine où ces mêmes sciences placent
la nature entière, c'est-à-dire, sous l'arrêt qui déclare
impossible la connaissance de la destination de cette nature.
Enfin, pour connaître la destination de l'homme, il faudrait aussi savoir
à quoi s'en tenir sur le principe général des choses, ou
sur cette suprême puissance à laquelle on a donné la dénomination
de Dieu, et les sciences humaines ont rayé cette puissance supérieure
de l'ordre des êtres. Peu encouragées par les écoles religieuses,
où on affirme plus qu'on n'explique, elles ont confondu le principe avec
l'abus que les hommes en faisaient, et les ont proscrits l'un et l'autre.
D'ailleurs les maîtres dans ces sciences humaines, appliquant avec tant
de succès leurs connaissances physiques, mathématiques et analytiques
aux propriétés extérieures de l'univers, n'employant que
ces moyens externes, étant enthousiasmés, avec raison, des résultats
que ces moyens leur procurent, non seulement ne connaissant pas d'autres moyens
que ceux-là, non seulement n'ayant pas besoin d'en connaître d'autres
pour l'objet externe qu'ils se proposent, mais refusant dédaigneusement
toute espèce d'observation qui sortirait de ce cercle où ils se
renferment ; comment parvenir, je ne dis pas à les naturaliser avec des
questions et des vérités d'un autre ordre que celles qui les occupent,
mais même à obtenir d'eux, à cet égard, un moment
d'audience et un instant d'attention ?
Je m'en tiendrai donc, au sujet des autres planètes, aux simples observations
que je viens de faire.
Néanmoins, condamné pour ainsi dire depuis que je pense, à
marcher dans des sentiers peu battus et remplis de ronces, je crois devoir me
soumettre encore à mon sort, en traitant selon mes forces l'important
sujet de la destination de notre globe. J'offrirai aux doctes de la terre quelques
voies de conciliation, qui, sans rien ôter de la gloire qu'ils méritent,
et sans rien rejeter des connaissances dont ils jouissent, pourront les engager
à convenir de la possibilité que le cercle où ils se renferment
fût moins exclusif, et moins resserré que leurs sciences ne l'annoncent.
Je tâcherai de leur faire observer que les régions où l'homme
a le droit et le besoin d'atteindre, ne doivent point être aussi inaccessibles
qu'ils le prétendent, et que même pour remplir la mesure de notre
intelligence, il nous faut un complément qu'ils ne nous donnent point,
malgré les merveilleuses découvertes dont ils nous enrichissent
journellement.
L'homme se fait souvent une objection remarquable sur la modique place que notre
Terre occupe parmi les corps célestes, et sur la supériorité
que dans l'ordre de sa destination nous sommes accoutumés à lui
donner, habitude dont l'immense spectacle de l'univers ne permettrait à
notre raison que l'orgueil pour explication, si nous ne prenions l'avis que
de nos yeux.
Les raisons qui engagent les observateurs à refuser à notre terre
une destination distinguée parmi les autres corps célestes, se
réduisent toutes à dire que nous nous trouvons sur une petite
planète presque imperceptible dans la vaste étendue du système
solaire, qui lui-même, d'après la découverte des nébuleuses,
et d'après l'opinion régnante, que les étoiles sont autant
de soleils, n'est qu'un point insensible dans l'immensité de l'espace.
Si la grandeur visible des êtres était le seul signe et la seule
règle pour juger de leur valeur réelle, cette objection serait
invincible. Mais nous avons bien des exemples qui prouvent que cette loi est
bien loin d'être universelle et sans exception.
L'il n'est pas l'organe qui occupe le plus de place dans le corps humain,
et cependant il ne tient pas le moindre rang parmi les autres organes, puisqu'il
est comme le gardien, la sauvegarde et l'éducateur de tout le corps.
Le diamant est comme d'une petitesse infinie par rapport à la masse terrestre,
et cependant il est pour nous de la plus grande valeur auprès de toutes
les autres matières terrestres beaucoup plus volumineuses que lui.
Ces simples réflexions ne font autre chose, je l'avoue, que d'arrêter
la difficulté et ne la résolvent pas. Passons donc à des
réflexions qui pour certains esprits pourront avoir un plus grand poids.
Mais comme selon les savants célèbres que j'ai cités ci-dessus,
toutes les vérités se touchent, je serai obligé d'employer
ici toutes les données que j'ai déjà présentées
et que j'ai supposées admises par le lecteur, comme elles sont admises
pour moi.
Je m'appuierai donc sur cet homme dégradé, dont je n'ai cessé
de rappeler l'altération et la situation humiliante.
Je m'appuierai à la fois sur l'amour et sur la justice suprême,
gravant tour à tour leurs décrets sur la triste demeure que nous
habitons.
Je m'appuierai enfin sur les privilèges religieux dont l'Homme-Esprit
peut développer en lui les puissants témoignages, sans emprunter
le secours d'aucune espèce de tradition, et qui étant inconnus
de l'Homme-Matière, prouvent au moins par là que la cause que
défend le matérialiste, n'est pas assez instruite pour prétendre,
de sa part, à un jugement décisif en sa faveur.
En partant du principe que l'homme est un être dégradé et
revêtu des habits de l'ignominie, nous pouvons sans inconséquence
regarder notre Terre comme étant pour nous une prison ou un cachot ;
et ici, indépendamment du torrent de misères humaines qui se répand
sans cesse sur tous les mortels, quel est l'homme qui en descendant dans son
être intime et secret, ne témoignerait pas en faveur de cette douloureuse
opinion ?
Or, si la Terre est une prison pour l'homme, il n'est pas étonnant qu'elle
soit peu remarquable parmi les autres astres ; car même selon les usages
de notre justice humaine, nous ne donnons pour prison aux détenus que
des lieux abjects et de médiocre étendue.
La Terre, qui n'est présentée par notre auteur allemand que comme
l'excrément de la nature, et qui d'après le principe de la dégradation
de l'homme, n'est qu'une prison, n'a pas besoin non plus d'être le centre
des mouvements des astres, comme l'ont cru les anciens et Tycho Brahé
; car un fumier et une prison ne sont pas ordinairement le centre ou le chef
lieu d'un pays.
Nous voyons en outre qu'à la vérité les gouvernements nourrissent
leurs prisonniers, mais qu'ils ne les nourrissent pas d'un pain recherché
et délicat ; aussi nous voyons que notre terre végète,
et est féconde et productrice, puisque, malgré notre qualité
de prisonniers, la justice suprême veut bien nous donner notre nourriture.
Mais en même temps nous voyons qu'en qualité de prisonniers, cette
justice suprême ne laisse produire naturellement à notre terre
que des fruits imparfaits, et qu'elle ne nous nourrit que d'un pain d'angoisse,
ou d'un pain sauvage, et que ce n'est qu'au prix de nos sueurs que nous améliorons
un peu notre genre de vie, comme dans nos justices humaines le prisonnier est
réduit aux aliments les plus grossiers, et n'a rien au-dessus de sa ration
qu'il ne le paye.
Si dans nos justices humaines les prisonniers sont réduits à une
si misérable existence, on voit de temps en temps aussi pénétrer
dans leur prison les secours de la bienfaisance et de la charité ; on
voit que journellement les consolations saintes et religieuses arrivent jusqu'à
eux, quelque infect que soit leur cachot. En un mot, il n'est pas jusqu'à
l'autorité la plus éminente, dont l'il et la compassion
ne visitent quelquefois ces demeures du crime, quelque vile que soit la condition
des coupables. Que doit-ce donc être lorsqu'il arrive que le prisonnier
a de proches rapports de parenté avec le souverain ?
Tout cela est un indice pour nous, que si, d'un côté, nous sommes
soumis à la sévérité d'un joug rigoureux, il est
tempéré de l'autre par le règne de l'amour et de la douceur,
comme en effet cela nous est figuré physiquement par le lieu qu'occupe
la Terre, étant placée, ainsi que chacun le sait, entre Mars et
Vénus.
Si l'Homme-Esprit voulait donc ouvrir les yeux, il reconnaîtrait bientôt
en lui-même les secours innombrables que la bienfaisance de la suprême
autorité divine fait arriver jusqu'à lui dans le lieu de sa détention.
Il verrait que si d'après la petitesse de la Terre, il avait eu tort
de la prendre pour le centre des mouvements célestes, cette méprise
était pardonnable, en ce qu'il devait être lui-même le centre
des mouvements divins dans la nature, et que tous ces torts prennent leur source
dans ce sentiment secret de sa propre grandeur, qui lui a fait mal à
propos appliquer à sa prison les privilèges qu'il ne devait appliquer
qu'à sa personne, et qui même ne laissaient plus que de tristes
souvenirs dans sa mémoire, au lieu des traces glorieuses qu'elles auraient
dû lui offrir.
Je crois donc que si l'Homme-Esprit suivait attentivement et avec constance
le fil secourable qui lui est tendu dans son labyrinthe, il parviendrait à
résoudre d'une manière positive tous les problèmes qui
existent encore sur la prison où il est renfermé.
Car les développements qu'il acquerrait par là lui feraient sentir
que s'il n'est plus aujourd'hui au premier rang des êtres de l'univers,
sous les rapports de la gloire, il est placé de nouveau à ce premier
rang en se considérant sous les rapports de l'amour, et que sa prison
ayant dû se ressentir de cet allégement, elle doit porter encore
en elle-même quelques traces attachantes de la destination à laquelle
elle est appelée.
Or cette destination n'est rien moins que d'être le temple purificateur
où l'homme non seulement peut se réhabiliter par les secours qui
lui sont prodigués, mais peut encore recevoir et manifester tous les
trésors de la suprême sagesse qui l'a formé, et qui ne dédaigne
pas de verser sur lui son propre amour et sa propre lumière, tant elle
désire de ne pas laisser effacer en lui son image.
Mais pour parvenir à connaître vraiment ce qu'est la Terre sous
tous les rapports où nous l'avons présentée ; il faudrait
bien plus essentiellement encore étudier l'homme sous les rapports qui
le concernent, et s'il ne cultive pas avec un zèle opiniâtre les
germes sacrés qui se sèment en lui journellement à ce dessein,
il retombera, soit à son égard, soit à l'égard de
la Terre, dans les ignorances vulgaires et dans les aveugles décisions
qui en sont la suite.
L'univers et l'homme forment deux progressions qui sont liées l'une à
l'autre, et qui marchent de front, et le dernier terme de la connaissance de
l'homme le conduirait au dernier terme de la connaissance de la nature. Or,
comme les sciences humaines éloignent entièrement cette connaissance
active et positive de l'homme, qui seule peut et doit tout nous apprendre, il
n'est pas étonnant qu'elles restent si loin en deçà des
vraies connaissances de la nature.
En effet, quoique les merveilles des sciences naturelles, et surtout les merveilles
de l'astronomie nous procurent des plaisirs qui nous élèvent pour
ainsi dire au-dessus de ce monde étroit et ténébreux, et
qui nous font goûter la supériorité de notre pensée
sur notre être purement sensible ; cependant ces merveilles elles-mêmes,
il faut en convenir, ne satisfont pas à tous les besoins de l'Homme-Esprit
; et il semble que si nous avons le pouvoir de connaître sensiblement
la nature par tous nos sens, si nous avons le pouvoir de la mesurer par nos
sciences, il nous faudrait un troisième pouvoir qui serait celui de la
mettre en jeu.
Car si nous avons des désirs, de l'intelligence et un grand fond d'activité
intérieure, comme cela est évident par tous nos actes, il faudrait
qu'il n'y eût rien en nous qui ne fût employé, d'autant que
cette nature étant au rang de nos apanages, nous ne devrions pas, comme
suzerains, nous borner à lever la carte de nos domaines, et que nous
devrions avoir le droit de les disposer selon notre gré.
Ainsi nos plus fameux savants dans la nature, nos plus fameux astronomes devraient
par cette seule observation être persuadés qu'ils ne jouissent
pas du complément des droits de l'Homme-Esprit.
Que sera-ce donc si nous jetons les yeux sur ce qu'on appelle les causes finales
?
Chaque chose a,
1.) un principe d'action que nous pouvons appeler la base de son existence,
et qui répond, dans le social, à la qualité de membre de
la famille politique.
2.) Un mode d'action selon lequel elle doit opérer ce qui lui est confié
par sa base ; et ce mode d'action répond, dans le social, au pouvoir
administratif.
3.) L'instrument ou l'agent qui opère cette action, et qui répond,
dans le social, au pouvoir exécutif, et dans le physique, à tous
les pouvoirs aveugles de la nature.
4.) Un but, un plan, un objet où tend cette action, et pour lequel cette
action est proposée ; ce qui peut aisément se comprendre dans
quelque classe que l'on veuille en chercher des exemples.
De ces quatre parties il n'y en a aucune dont nous ne dussions avoir connaissance,
surtout en ce qui regarde l'existence de l'homme, puisqu'il est naturel que
comme puissance active et pensante, nous sachions d'où nous recevons
cette puissance ; comment nous la devons opérer ; avec quel agent nous
la devons opérer ; pour quel but et à quelle fin nous la devons
opérer. Mais nous avons aussi le droit de contempler, d'analyser et de
connaître ces quatre parties dans tous les ordres d'existence quelconque.
C'est là ce qu'en général on peut appeler les causes finales
; et l'on voit qu'elles ne se bornent pas, ainsi qu'on le croit communément,
à connaître la raison de l'existence d'une chose, soit générale,
soit particulière, puisqu'on peut aller jusqu'à en connaître
le principe, ainsi que le mode de son action.
Les sciences humaines circulent autour de ces foyers de connaissance, mais elles
n'y entrent jamais, et prétendent ensuite qu'on n'y saurait jamais entrer.
Elles cherchent bien en quelque sorte le mode d'action, et c'est là l'objet
de toutes les recherches mathématiques et physiques, soit pures, soit
d'application. Et même par une suite de ce droit naturel que nous avons,
elles voudraient monter jusqu'au principe de cette action, mais ne le cherchant
que dans les résultats et non dans sa source ; en un mot, que dans la
forme et non dans la base cachée de cette forme, elles perdent de vue
et la base de l'existence des choses, et le mode d'action, et l'agent qui opère
cette action, et enfin le but de cette même existence.
Alors, au lieu de scruter d'où viennent les êtres, où ils
tendent, et comment ils tendent à leur terme, elles se concentrent uniquement
dans la recherche de savoir comment les êtres sont construits. Elles ne
connaissent dès lors ni la source de ces êtres, ni leur vrai mode
d'action, ni le pourquoi de leur action, ni leur vrai comment qui est interne
et caché, et elles s'épuisent à nous peindre leur faux
comment.
Plus elles trouvent de difficultés à marcher dans ces sentiers,
plus elles s'y obstinent. Et c'est là ce qui les fait demeurer à
poste fixe dans ces voies d'erreur, et les rend si ennemies et si dédaigneuses
du pourquoi des êtres ; lequel pourquoi est cependant la première
des connaissances que nous devrions rechercher avant même de nous occuper
de leur vrai comment.
Que devons-nous donc attendre des recherches exclusives que l'on nous fait faire
journellement de leur comment faux ?
Toutes les productions de nos arts ont un pourquoi, et nous avons grand soin
de le faire connaître, afin de donner cours à nos oeuvres. Celui
à qui nous les présentons ne s'informe de leur comment, qu'après
s'être informé de leur pourquoi.
L'artiste lui-même qui les produit se propose toujours en première
ligne leur pourquoi, et ce n'est que d'après ce pourquoi qu'il s'occupe
du comment de leur exécution ; et sûrement en y travaillant, il
ne s'arrête pas au comment faux et purement de forme, mais il cherche
le comment vrai et actif qui puisse le mieux seconder et réaliser le
but ou le pourquoi qu'il se propose.
Ceux qui croient à une source suprême de l'existence des choses,
devront supposer qu'elle a bien au moins autant d'esprit et d'intelligence que
nous, et qu'ainsi elle doit avoir dans la production de ses oeuvres la même
marche, la même sagesse, la même méthode, et la même
conduite que nous avons dans la production des nôtres.
Or, si dans nos oeuvres, non seulement nous annonçons toujours un pourquoi,
mais encore un comment intérieur qui est le pivot de l'uvre, et
un mode d'action qui lie ces deux comment ; si, dis-je nous laissons connaître
tous ces secrets aux personnes à qui nous montrons nos oeuvres, la Providence
ne peut pas avoir eu l'intention de nous cacher ces mêmes secrets dans
les oeuvres qu'elle offre à nos yeux, et notre ignorance sur cela ne
peut être attribuée qu'à notre maladresse.
Vous qui aimeriez à connaître la raison des choses, souvenez-vous
qu'elle ne se trouve point dans leurs surfaces ; elle ne se trouve pas même
dans leur centre extérieur qui est le seul que sachent ouvrir les sciences
humaines. Elle ne doit se trouver que dans leur centre intérieur, parce
que c'est là où leur vie demeure ; mais comme leur vie est le
fruit de la parole, ce n'est aussi que par la parole que leur centre intérieur
peut s'ouvrir, et sans ce moyen-là je ne crains point de dire que l'on
pourra bien obtenir les prix proposés au sujet d'un fluide très
fameux de nos jours, mais qu'on ne pourra pas les gagner, parce que ce fluide-là,
quoiqu'on ait raison d'en faire une étude sérieuse, et quoiqu'il
puisse en effet conduire aux plus grandes découvertes, est encore, pour
parler le langage de Boehme, renfermé dans les quatre premières
formes de la nature, et qu'il n'y a que la parole qui puisse ouvrir la porte
de sa prison.
Je terminerai là ce que j'avais à dire sur ce qui concerne les
corps astronomiques, et je passerai au but principal de cet ouvrage, qui est
de traiter du repos de la nature, du repos de l'âme humaine et du repos
de la parole ; repos auquel doit concourir le ministère de l'Homme-Esprit.
L'homme prend un caractère différent à chacun des degrés
de cette sublime entreprise : au premier degré, il peut se regarder comme
maître de la nature, et il le doit être en effet pour qu'elle puisse
recevoir de lui du soulagement.
Au second degré, il n'est plus que le frère de ses semblables,
et c'est moins comme maître que comme ami qu'il se livre à leur
soulagement.
Enfin, au troisième degré, il n'est plus que comme serviteur et
comme mercenaire de cette parole à laquelle il doit essayer de porter
du soulagement ; et ce n'est que quand il rentre ainsi au rang le plus subordonné,
qu'il devient spécialement ouvrier du Seigneur.
Mais le premier devoir que l'homme aurait à remplir pour concourir au
soulagement de la nature, ce serait de commencer par ne pas la tourmenter et
ne pas lui nuire. Avant que son haleine eût recouvré le pouvoir
de la purifier et de la vivifier, il faudrait qu'il se rendît lui-même
assez sain pour ne pas infecter l'univers comme il le fait tous les jours.
Qu'opère-t-il en effet habituellement sur la terre ? Si l'air pur nous
vient chercher et s'insinue dans nos demeures, serait-ce seulement pour apporter
un nouveau véhicule à notre vie ? Ne serait-ce pas peut-être
aussi pour recevoir lui-même de nous l'affranchissement et la délivrance
de l'action corrosive qui le travaille depuis le crime ? Et nous, non seulement
par nos exhalaisons putrides et nos miasmes vénéneux, mais plus
encore par l'infection de nos pensées, nous ne faisons que le rendre
plus corrompu et plus destructeur.
La terre où nous marchons nous offre dans tous ses pores comme autant
de bouches qui nous demandent un baume consolateur pour guérir les plaies
qui la rongent : et nous, au lieu de lui rendre le repos et la vie, nous ne
savons apaiser sa soif qu'avec le sang des hommes que nous versons dans nos
fureurs guerrières et fanatiques, et qui ne peut qu'irriter les douleurs
qu'elle éprouve, en ne parvenant dans son sein que tout fumant de la
rage et des féroces passions de l'homme.
Semblables à cette Déesse qui sur le mont Ida faisait fleurir
la terre sous ses pas, nous accumulons dans nos superbes jardins de nombreux
végétaux et des arbres magnifiques ; mais, au lieu de leur rendre
la vie des productions du jardin d'Eden, nous venons en foule promener autour
d'eux notre nonchalance et notre oisiveté.
Nous remplissons de nos paroles mortes ou mortifères l'atmosphère
qui les environne ; nous interceptons les fortes influences que la nature s'empresse
de leur apporter ; et de peur même que dans ces superbes jardins publics
qui nous représentent presque en nature l'Elysée des poètes,
les beaux arbres qui font la principale partie de leurs merveilleux ornements
ne conservent trop longtemps leur vigueur, nous les brûlons jusque dans
leur racine avec ce qu'il y a de plus corrosif, sans songer même s'il
n'y aurait pas autour de nous des yeux chastes et pudiques que nous fissions
rougir par notre immorale et révoltante indécence.
Oh ! non, homme dépravé, parmi cette cohue qui, dans ces jardins
publics, erre vaguement, comme toi, sous l'ombre hospitalière, à
peine reste-t-il de ces yeux chastes et pudiques que tu fasses rougir par ton
immorale et révoltante indécence. La mort qui est dans tes murs,
est aussi dans celles de la plupart de ces êtres désuvrés
dont tu viens augmenter le nombre.
Mais enfin il peut s'en trouver qui soient conservés ; alors si tu ne
sais plus même respecter ou leur délicatesse, ou leur innocence,
je ne murmurerai plus de te voir infecter des arbres, si ce n'est pour te reprocher
ton inconséquence, puisque ces arbres sont destinés à réjouir
ta vue, et à te garantir des ardeurs d'un soleil brûlant.
Avec nos instruments d'astronomie, nous pénétrons dans les vastes
profondeurs des cieux ; nous y découvrons chaque jour des merveilles
qui attirent notre admiration ; et lorsque les sources puissantes qui animent
tous ces corps célestes, ainsi que l'espace où ils nagent, ne
semblent s'ouvrir à nos yeux qu'afin que nous rapprochions d'elles, autant
qu'il est en nous, ces sources plus puissantes encore dont elles sont séparées,
que faisons-nous ?
Au lieu d'employer notre zèle à rétablir leur antique alliance,
nous mettons le comble à leur tristesse, en leur disant qu'elles auraient
tort de soupirer après un autre état, qu'elles ont tout le repos
auquel elles peuvent prétendre, et que c'est en vain qu'elles invoquent
une autre puissance que la leur ; en un mot, lorsqu'elles viennent nous demander
de les rapprocher de cet Être qui est si élevé au-dessus
de leur demeure, de cet Être sans lequel nulle créature ne jouit
de la paix, notre profond savoir nous conduit à faire retentir de nos
blasphèmes leurs majestueuses enceintes, et à proclamer hautement,
sous leurs célestes portiques, qu'il n'y a point de Dieu.
Est-ce à des hommes, dans une aussi grande aberration morale et intellectuelle,
qu'il faut parler du véritable ministère de l'homme dans la nature
? Seraient-ils propres à le remplir ? Ils ne seraient pas même
capables de comprendre un seul mot de ce qui aurait rapport à cet important
ministère, et toute instruction en ce genre ne ferait que les irriter
et réveiller leurs dédaigneux mépris.
Mais pour ceux qui auront résisté au torrent, je les entretiendrai
de ce grand objet avec confiance, et je me servirai avec eux de toutes les notions
et de toutes les croyances qui nous sont communes.
Le grand crime des Juifs fut, selon Moïse, de n'avoir point procuré
le repos ou le sabbat à la terre. En effet, j'ouvre le Lévitique,
(26 : 24.) et je vois qu'après la dispersion entière et toutes
les calamités dont Moïse vient de les menacer, il ajoute : alors
la terre se complaira dans ses sabbats pendant tous les jours qu'elle passera
dans sa solitude ; lorsque vous serez transférés dans le pays
de vos ennemis, elle sabbatisera, et se reposera dans les sabbats de sa solitude,
parce qu'elle n'a point trouvé le repos dans vos sabbats pendant que
vous l'habitiez.
Rapprochons de ce passage l'idée que nous devons prendre du peuple d'Israël
qui est l'héritage du Seigneur (Isaïe, 19 : 25.) Rapprochons de
l'idée de ce peuple, et du beau titre qu'il porte, l'idée que
nous devons prendre de l'homme qui doit être par excellence l'héritage
du Seigneur, lorsque cet univers qui nous possède encore aura atteint
le terme de son existence.
Enfin rapprochons du superbe ministère que nous cherchons à retracer
aux yeux de l'homme, la tâche que le peuple d'Israël avait à
remplir dans la Judée, et qui consistait à faire sabbatiser la
terre, ou à lui procurer le repos, et nous verrons dans le peuple juif
et dans l'homme la même destination et le même emploi, comme nous
voyons dans l'un et dans l'autre, le même titre et la même qualification.
S'il s'y trouve quelque différence, elle est toute à l'avantage
de l'homme. Israël n'est que l'esquisse et l'abrégé de l'homme.
L'homme est l'Israël en grand. Israël n'était chargé
que de faire sabbatiser la terre promise ; l'homme est chargé de faire
sabbatiser la terre entière, pour ne pas dire tout l'univers.
Mais c'est le mot sabbatiser dont il serait essentiel de nous rendre compte,
afin de mieux sentir ce que nous devons comprendre par le ministère de
l'Homme-Esprit.
Nous ne pouvons guère nous dispenser de croire, qu'indépendamment
des fruits terrestres que la terre nous prodigue tous les jours, elle a encore
d'autres fruits à produire. Le premier des indices que nous en ayons,
est de voir la différence qui se trouve entre les fruits sauvages que
la terre porte naturellement, et ceux que nous lui faisons produire par notre
culture, ce qui pourrait annoncer à des yeux pénétrants,
que la terre n'attend que le secours de l'homme pour faire sortir de son sein
des merveilles encore plus intéressantes.
Un second indice est, qu'il y a eu peu de nations païennes qui n'aient
rendu un culte religieux à la terre.
Enfin, la mythologie vient appuyer notre conjecture, en nous offrant les pommiers
d'or placés dans le jardin des Hespérides, en faisant enseigner
aux hommes, par une Déesse, l'art de l'agriculture, et en nous apprenant,
selon Hésiode, que la terre naquit immédiatement après
le chaos, qu'elle épousa le Ciel, et qu'elle fut mère des Dieux
et des Géants, des biens et des Maux, des Vertus et des Vices.
Si de ces observations naturelles et mythologiques, nous passons à des
traditions d'un autre ordre, nous verrons dans la Genèse (4 : 11 et 12.)
qu'après le meurtre d'Abel, il fut dit à Caïn : désormais
tu seras maudit sur la terre qui a ouvert son sein, et qui a reçu de
ta main le sang de ton frère. Lorsque tu la cultiveras, elle ne te rendra
point ses fruits.
Or, nous ne remarquons pas que la terre ne puisse être labourée
que par la main d'un juste, sous peine de demeurer stérile. Nous ne remarquons
pas non plus que ce soit le sang des hommes qui s'oppose à sa fécondité.
Les champs de la Palestine étaient tout imbibés du sang de ses
habitants que le peuple d'Israël avait ordre d'exterminer ; et la fertilité
de ces champs était au nombre des promesses et des récompenses
auxquelles les Juifs avaient droit de prétendre, s'ils se conformaient
aux lois qui leur étaient prescrites.
Nous ne voyons pas non plus que dans nos guerres, les terrains où nous
enfouissons des monceaux de cadavres, soient frappés de stérilité.
Au contraire, ils se font remarquer par leur étonnante abondance. Ainsi,
tandis que le sang humain, versé injustement, crie vengeance jusqu'au
ciel, nous ne nous apercevons pas que les lois terrestres de la végétation
du globe soient interverties ni suspendues par les suites des homicides, soit
généraux, soit particuliers.
Lors donc qu'il fut dit à Caïn, après son crime, que quand
il travaillerait la terre, elle ne lui rendrait point ses fruits, tout nous
engage à penser qu'il était question, dans ce travail, d'une autre
culture que de la culture commune et ordinaire ; or, cette autre culture, quelle
idée pourrions-nous nous en former qui ne rentrât pas dans le véritable
ministère de l'Homme-Esprit, ou dans cet éminent privilège
qui lui est donné de pouvoir faire sabbatiser la terre ? privilège
toutefois qui est incompatible avec le crime, et qui doit cesser et être
suspendu dans ceux qui ne marchent pas selon la justice.
Mais nous ne pouvons guère pénétrer dans le sens du mot
sabbatiser, sans recourir aux notions antérieures dont nous avons déjà
présenté le tableau, et sans regarder, sinon comme vraies, au
moins comme admises, les sept formes ou les sept puissances que notre auteur
allemand établit pour base de la nature.
Il nous faut en outre reconnaître avec lui que par suite de la grande
altération, ces sept formes ou ces sept puissances sont ensevelies dans
la terre comme dans les autres astres, qu'elles y sont comme concentrées
et en suspension ; et que c'est cette suspension qui tient la terre en privation
et en souffrance, puisque ce n'est que par le développement de ces puissances
ou de ces formes qu'elle pourrait produire elle-même toutes les propriétés
dont elle est dépositaire, et qu'elle désire de manifester ; observation
que l'on peut appliquer à toute la nature.
Enfin, il nous faudrait retracer le tableau de l'homme qui annonce universellement
une tendance à tout améliorer sur la terre, et qui fut chargé
par la sagesse suprême, selon Moïse (Genèse 2 : 15.) de cultiver
le paradis de délices, et de veiller à sa conservation.
Or, quelle pouvait être cette culture de la part de l'homme, sinon de
maintenir en activité, selon les mesures et proportions convenables,
le jeu de ces sept puissances ou de ces sept formes, dont le jardin de délices
avait besoin comme tous les autres lieux de la création ?
Il fallait donc par conséquent que l'homme fût dépositaire
du mobile de ces sept puissances, pour pouvoir les faire agir selon les plans
qui lui étaient tracés, et pour maintenir ce lieu choisi dans
son repos, ou dans son sabbat, puisqu'il n'y a de repos ou de sabbat pour un
être, qu'autant qu'il peut librement développer toutes ses facultés.
Aujourd'hui, quoique le mode de l'existence de l'homme ait prodigieusement changé
par l'effet de la grande altération, l'objet de la création n'a
pas changé pour cela, et l'Homme-Esprit est encore appelé à
la même oeuvre, qui est de faire sabbatiser la terre.
Toute la différence, c'est qu'il ne peut plus opérer cette oeuvre
que d'une manière pénible et douloureuse ; et surtout il ne le
peut que par le seul et même moyen actif qui jadis devait donner le mouvement
aux sept puissances fondamentales de la nature.
Tant qu'il ne remplit pas ce sublime emploi, la terre souffre, parce qu'elle
ne jouit pas de son sabbat.
Elle souffre bien plus si l'homme la réactionne dans un sens criminel,
en cherchant à développer en elle des puissances coupables et
corrompues, entièrement opposées au plan qu'il a reçu.
Dans la première supposition, elle supporte l'homme malgré toutes
ses négligences ; dans la seconde, elle le rejette de son sein, et tel
a été le cas du peuple d'Israël.
Quant à ces sept puissances renfermées aujourd'hui dans la terre
comme dans toute la nature, nous en voyons une image sensible dans le phénomène
physique que notre atmosphère offre à nos yeux, quand par la présence
du soleil, les nuages se fondent en eau.
Cette substance aqueuse, (qui, selon de profondes et justes observations, est,
dans toutes les classes, le vrai conducteur ou le propagateur de la lumière),
présente, en remplissant l'espace, un miroir naturel aux rayons solaires.
Ceux-ci, en pénétrant dans le sein de cet élément,
marient leurs propres puissances avec celles dont il est lui-même dépositaire
; et par cette féconde union, le soleil et l'eau, c'est-à-dire,
la région supérieure et la région inférieure manifestent
aussitôt à notre vue le signe septénaire de leur alliance,
qui est en même temps le signe septénaire de leurs propriétés,
puisque les résultats sont analogues à la source qui les engendre.
Ce fait sensible et physique nous offre en nature l'enseignement le plus instructif
sur l'état de concentration et d'invisibilité où sont ces
sept puissances dans la nature ; sur la nécessité que leurs entraves
se rompent pour qu'elles puissent rentrer dans leur liberté ; sur l'action
constante du soleil, qui ne travaille qu'à faciliter leur délivrance,
et à montrer ainsi à tout l'univers qu'il est ami de la paix,
et qu'il n'existe que pour le bonheur des êtres.
Lorsque cette pluie, ainsi fécondée par le soleil, descend sur
la terre, elle vient y opérer, en se mariant avec elle à son tour,
les salutaires résultats de la végétation que nous secondons
par notre travail, et dont nous recueillons les heureux fruits ; et c'est ainsi
que la vie ou le sabbat matériel de la nature se propage par des progressions
douces depuis le chef solaire jusqu'à nous.
Mais ce phénomène physique et figuratif, et tout ce qui en est
le résultat, s'opère sans le ministère spirituel de l'homme,
et cependant c'est à l'homme à faire sabbatiser la terre ; aussi
avons-nous reconnu ci-dessus qu'elle attendait de lui une autre culture, et
que ce n'était plus que par de pénibles travaux qu'il pouvait
aujourd'hui la lui procurer.
Je ne craindrai point de dire que ce glorieux sabbat que l'Homme-Esprit est
chargé de rendre à la terre, est de lui aider à célébrer
les louanges de l'éternel principe, et cela d'une manière plus
expressive qu'elle ne le peut faire par toutes les productions qu'elle laisse
sortir de son sein.
Car c'est là le terme réel auquel tendent tous les êtres
de la nature. Leurs noms, leurs propriétés, leurs sept puissances,
leur langue enfin, tout est enseveli sous les décombres de l'univers
primitif ; c'est à nous à les seconder dans leurs efforts, pour
qu'ils puissent redevenir des voix harmonieuses et capables de chanter chacun
dans leur classe les cantiques de la souveraine sagesse.
Mais comment chanteraient-ils ces cantiques, si cette souveraine sagesse n'employait
un intermède pour pénétrer jusqu'à eux, puisqu'elle
leur est si supérieure, et si par son représentant, et une image
d'elle-même, elle ne leur faisait pas ainsi parvenir ses douceurs ?
Nous ne cherchons plus à établir ici que l'homme est cet intermède
; tout ce qui a précédé n'a eu pour objet que de nous amener
à cette persuasion ; et malgré les nuages ténébreux
qui environnent la famille humaine, malgré le poids énorme du
fardeau qui l'accable depuis qu'elle a été plongée dans
la région de la mort, je me plais à croire que parmi mes semblables,
il s'en trouvera encore qui, dans cette sublime destination, n'apercevront rien
que leur véritable nature désavoue ; et peut-être même,
ne fût-ce qu'en perspective, ils n'en envisageront pas le charme sans
tressaillir. Ne nous occupons donc ici que de chercher à quel prix l'homme
peut parvenir à s'acquitter de cet important ministère.
Ce ne peut être qu'en employant ces mêmes puissances qui sont cachées
dans son être corporel, comme dans tous les autres êtres de la nature
; car l'homme étant l'extrait de la région divine, de la région
spirituelle et de la région naturelle, les sept puissances ou les sept
formes, qui servent de base à toutes choses, doivent agir en lui, mais
d'une manière diverse et graduée, selon son être naturel,
selon son être spirituel, et selon son être divin ou divinisé.
Mais pour qu'elles puissent agir en lui dans quelques-unes de ces classes qui
le constituent, il faut que ces puissances elles-mêmes soient ramenées
en lui à leur état de liberté originelle.
Or, quand l'homme se contemple sous ce rapport, quand il considère à
quel état de désordre, de disharmonie, de débilité
et d'esclavage, ces puissances sont réduites dans tout son être,
la douleur, la honte et la tristesse s'emparent de lui, au point que tout pleure
en lui, et que toutes ses essences se transforment en autant de torrents de
larmes.
C'est sur ces torrents de larmes, représentées matériellement
par les pluies terrestres, que le soleil de vie dirige ses rayons vivificateurs,
et que, par l'union de ses propres puissances avec le germe des nôtres,
il manifeste à notre être intime le signe de l'alliance qu'il vient
contracter avec nous.
C'est alors, homme, que tu deviens susceptible de sentir les douleurs de la
terre, ainsi que celles de tout ce qui constitue l'univers ; c'est alors qu'en
vertu de l'énorme différence qui se trouve entre l'état
infirme des sept puissances cachées dans la terre, et entre tes propres
puissances revivifiées, tu peux apporter du soulagement à ses
souffrances, parce que tu peux répéter à son égard
ce qui vient de s'opérer sur toi.
Enfin ce n'est qu'en jouissant toi-même de ton propre sabbat ou de ton
propre repos, que tu peux parvenir à la faire sabbatiser à son
tour.
Ce n'est que par là que tu deviens réellement le maître
de la nature, et que tu peux l'aider à manifester tous les trésors
qu'elle gémit de voir concentrés dans son sein, ainsi que tous
ces prodiges et tous ces faits merveilleux dont les mythologies de tous les
peuples et toutes les traditions, soit profanes, soit sacrées, sont remplies,
et qu'elles attribuent les unes à des dieux imaginaires, les autres aux
droits réels qui appartiennent à l'homme revivifié, dans
ses facultés, par le principe même qui lui a donné l'être.
C'est par là que tu peux en quelque sorte soumettre les éléments
à ton empire, disposer à ton gré des propriétés
de la nature, et contenir dans leurs bornes toutes les puissances qui la composent,
afin qu'elles n'agissent que dans leur union et leur harmonie.
Car ce n'est qu'en agissant dans leur désordre et dans leur disharmonie,
qu'elles produisent ces formes monstrueuses que l'on remarque dans les différents
règnes de la nature ; de même que ces formes de bêtes, et
ces voix animales qui se manifestent quelquefois dans les orages et les tempêtes,
et qu'il n'est point nécessaire d'attribuer à l'intervention des
esprits, ni à des apparitions, comme la crédulité vulgaire
est toujours prête à le supposer.
Mais si, d'un côté, la superstition exagère sur cet article
; de l'autre, l'ignorance ou la précipitation philosophique condamne
trop dédaigneusement ces sortes de faits. Les puissances de la nature
sont contenues les unes par les autres, quand elles jouissent de leur harmonie.
Leur frein se brise dans les temps d'orage ; et comme elles portent en elles-mêmes
les germes et les principes de toutes les formes, et surtout le son ou le mercure,
il n'est pas étonnant que quelques-unes d'entre elles se trouvant alors
plus réactionnées que les autres, elles produisent à notre
vue des formes caractérisées, et à nos oreilles des voix
d'animaux à nous connus.
Il ne faut pas être surpris non plus de ce que ces voix et ces formes,
n'ont qu'une courte durée, et qu'une existence éphémère
; elles ne peuvent avoir ni la vie, ni les qualités substantielles dont
elles jouissent, quand elles sont le résultat de l'union harmonique de
toutes les puissances génératrices.
Toutefois je n'exclus point ici généralement le concours de la
main supérieure qui, selon les plans qu'elle se propose dans sa sagesse,
peut joindre et a joint souvent en effet son action à celles des puissances
de la nature. Néanmoins, si la main supérieure peut intervenir
elle-même dans les grandes scènes, dont l'espace est le théâtre,
et dont nous sommes les témoins, il n'en est pas moins vrai que les puissances
élémentaires sont habituellement sous leur propre loi dans ce
monde, et qu'étant toujours prêtes à se mettre en jeu selon
l'espèce de réaction qui les stimule, elles sont toujours susceptibles
de produire telle ou telle forme, tel ou tel son, enfin tel ou tel autre signe
analogue à cette réaction.
Il est également vrai que quand la main suprême se joint ainsi
aux puissances élémentaires, elle a alors plus particulièrement
l'homme pour objet dans ces importantes conjonctures, soit pour l'instruire
et le réveiller s'il est coupable, soit pour l'employer comme médiateur
s'il est ouvrier du Seigneur ; car le ministère de l'Homme-Esprit revivifié
s'étend sur tous les phénomènes qui peuvent se manifester
dans la nature.
Comment le Ministère de l'Homme-Esprit revivifié, ne s'étendrait-il
pas sur toutes les espèces de phénomènes qui peuvent se
manifester dans la nature, puisque notre véritable régénération
consiste à être réintégrés dans nos droits
primitifs, et que les droits primitifs de l'homme l'appelaient à être
l'intermède et le représentant de la Divinité dans l'univers
?
SECONDE PARTIE.
De l'Homme.
Pour comprendre la sublimité de nos droits, il faut remonter jusqu'à
notre origine. Mais avant de considérer la nature de l'Homme-Esprit,
nous observerons ce qu'en général on peut appeler l'Esprit, dans
quelque genre que ce soit ; nous exposerons les sources radicales d'où
dérive cette expression, et nous prendrons d'abord ce mot esprit dans
les différents sens sous lesquels il peut être envisagé
dans nos langues.
On peut regarder l'esprit d'une chose comme étant l'engendrement actuel,
soit partiel, soit complet des puissances de son ordre.
C'est ainsi que la musique ne nous fait connaître ce qu'elle est, que
par l'émission actuelle des sons par lesquels elle se transmet à
nos oreilles, et qui ne sont que l'expression effective ou l'esprit actif des
plans ou des tableaux qu'elle veut nous peindre.
C'est ainsi que le vent est l'émission actuelle de l'air comprimé
par les nuages ou les puissances de l'atmosphère. Aussi quant à
l'ordre élémentaire, dès qu'il n'y a plus de compression,
il n'y a plus de vent : or, l'on sait que les langues anciennes employaient
le même mot pour exprimer le vent, le souffle et l'esprit.
C'est ainsi que l'haleine de l'Homme et des autres animaux, est l'émission
actuelle de ce qui résulte en eux de l'union de l'air avec leurs forces
vitales ; aussi quand leurs forces vitales cessent, l'haleine ou l'esprit et
l'expression de la vie cessent aussitôt.
C'est ainsi que le jaillissement de nos pensées, et de ce que le monde
appelle de l'esprit dans l'Homme, est l'émission actuelle de ce qu'une
fermentation secrète a développé dans les puissances de
notre entendement, et ce jaillissement est par conséquent le fruit de
leur actuel engendrement : aussi quand cette fermentation secrète se
suspend en nous, nous sommes comme n'ayant plus de pensée, comme n'ayant
plus de ce que nous appelons de l'esprit, quoique nous ayons toujours en nous
les germes qui peuvent en produire.
D'après cet exposé nous ne devons pas craindre de regarder comme
esprit le fruit provenant perpétuellement des éternelles puissances
suprêmes, ou de leur unité universelle, puisque par l'engendrement
actuel dont ce fruit provient sans interruption, il doit porter par-dessus toutes
les autres émissions, le nom d'esprit que nous donnons à tout
ce qui nous offre le caractère d'une émission ou d'une expression
actuelle.
Et ici nous sommes obligés de rappeler que les éternelles puissances
génératrices de cet Être universel reposent, comme tout
ce qui existe, sur deux bases fondamentales que dans l'esprit des choses, nous
avons indiquées sous les noms de la force et de la résistance
; et que Jacob Boehme, en les appliquant à la Divinité, représente
sous les noms du double désir qu'elle a de rester dans son propre centre,
et d'y développer cependant ses universelles splendeurs ; sous les noms
d'âpreté et de douceur ; de ténèbres et de lumière
; et même sous les noms d'angoisses et de délices, de colère
et d'amour, quoiqu'il dise sans cesse que dans Dieu, il n'y a ni âpreté,
ni ténèbres, ni angoisses, ni colère, et qu'il ne se serve
de ces expressions que pour désigner des puissances qui sont diverses,
mais qui, agissant simultanément, offrent, et offriront éternellement
la plus parfaite unité, non seulement avec elles-mêmes, mais encore
avec cet universel et éternel esprit, qu'elles n'ont jamais cessé
et qu'elles ne cesseront jamais d'engendrer.
Il me semble aussi que ce n'est point une notion infructueuse et indifférente
que celle que nous acquérons ici du caractère de ce fruit perpétuel
de l'actuel engendrement de l'universelle unité dont les puissances sont
continuellement dans la nécessaire et exclusive dépendance d'elles-mêmes
; et si les observateurs avaient ainsi considéré cette unité
productrice dans son caractère d'émission actuelle et nécessaire,
ils auraient retiré de plus grands avantages de leurs recherches sur
l'Être divin et universel qui en résulte, qu'en voulant scruter
de prime abord la nature de cet Être, comme ils le font, et cela en détournant
avec soin leurs regards de son action, pendant que son action est peut-être
toute sa nature : aussi c'est par une suite de leur fausse tactique que non
seulement ils n'ont point trouvé cet Être universel qu'ils cherchaient
mal, mais que même ils en sont venus à se persuader que ce qu'ils
n'avaient point trouvé n'existait pas.
Voici un des principaux avantages que nous aurions retirés si nous avions
considérés sous son vrai caractère l'Être universel,
ou le fruit spirituel, divin et actuel des puissances de l'éternelle
unité.
De même que le fruit de toutes les générations qui sont
soumises à notre vue, répète et représente tout
ce qui constitue ses puissances génératrices ; de même ce
que nous appelons esprit dans l'acte générateur de l'éternelle
unité, ne peut être autre chose que l'expression actuelle et manifeste
de tout ce qui appartient sans exception, à cette éternelle unité
: ainsi c'est à cet esprit universel à nous la faire connaître,
à nous la retracer dans son entier, comme l'Homme nous retrace temporellement
toutes les propriétés de ses père et mère dont il
est l'entière et vivante image.
Oui, en fixant la vue de notre entendement sur ce fruit actuel et perpétuel
de l'éternelle unité, nous sentons que puisque les puissances
de cette éternelle unité sont perpétuellement dans la nécessaire
et exclusive dépendance d'elles-mêmes, et que le fruit de leur
union est un engendrement actuel et sans terme comme sans limite, il faut que
ce fruit soit réellement l'expression actuelle et complète de
leur mutuelle union ; il faut qu'il ait en lui, et qu'il peigne actuellement
et universellement, tout ce qui peut servir de base au mutuel attrait de ces
puissances les unes pour les autres.
Il faut ainsi, que le fruit de cet engendrement, ou que cet Être universel
nous dévoile et nous offre sans cesse et dans tous les points une telle
abondance et une telle continuité d'amour, de vie, de force, de puissance,
de beauté, de justesse, d'harmonie, de mesure, d'ordre, et de toute autre
sorte de qualités quelconques, que partout notre pensée rencontre
le vivant effet de leur plénitude et ne puisse jamais manquer des moyens
de reconnaître la suprématie de leur universelle unité ;
il faut surtout que ce fruit qu'elle engendre ne puisse sans doute également
faire qu'un avec elle, puisqu'il doit avoir, et être tout ce que cette
unité renferme, et puisque ne pouvant admettre d'intervalle entre l'amour
de ces puissances, et l'acte de leur engendrement, ni de diversité dans
les degrés de cet amour et de cet engendrement, il n'est pas possible
non plus d'apercevoir de différence dans leur être essentiel et
dans leur nature constitutive.
Mais aussi ce n'est qu'à cet Être universel, ou à cette
émission actuelle et perpétuelle de l'éternelle unité
à nous offrir cette connaissance, comme ce n'est qu'au fruit de toutes
nos générations visibles à nous offrir celle de leurs puissances
génératrices.
Voilà pourquoi ceux qui ont méconnu cet Être nécessaire,
ou ce fruit actuel et perpétuel de l'engendrement de l'éternelle
unité ont dû finir naturellement par ne plus reconnaître
l'éternelle unité elle-même, puisqu'il n'y avait absolument
que ce fruit actuel qui pût la leur représenter avec toutes les
qualités et propriétés qui la constituent ; c'est ainsi
qu'en détournant nos yeux des fruits de la terre, nous perdrions bientôt
la connaissance des qualités virtuelles, et génératrices
de la nature. C'est ainsi qu'en ne considérant l'Homme que dans l'immobilité
et dans le mutisme, nous perdrions bientôt l'idée de l'étonnante
agilité de son corps, et de la vaste étendue de son intelligence
et de sa pensée.
Si les puissances de l'éternelle unité sont nécessairement
unes dans leur engendrement, si l'Être universel ou le fruit qui provient
de leur engendrement fait aussi nécessairement un avec elles, c'est sans
doute une raison fondamentale pour que sa génération nous soit
cachée, puisque nous ne pouvons le considérer séparé
de ses sources génératrices.
Mais si d'un autre côté il est nécessaire qu'il y ait une
union progressive et graduelle de l'universelle unité tout entière,
avec toutes les productions possibles que nous voyons paraître sous nos
yeux, nous ne devons plus être étonnés de ce que nous n'avons
jamais pu percer dans la génération des êtres, puisque non
seulement dans ces générations partielles, les puissances génératrices
suivent aussi la loi d'une unité selon leur classe, mais même que
leur fruit ne fait également qu'un avec elles à l'instar de l'universelle
unité, et cela au moins en racine, et dans l'acte générateur,
quoique ensuite ce fruit se détache de ses sources génératrices,
comme appartenant à la région de ce qui est successif.
Qui craindrait de s'arrêter ici pour contempler combien c'est une chose
admirable, et qui imprime une sorte de respect religieux : que cette loi profonde
par laquelle l'origine de tout ce qui se produit est cachée et inconnue,
ceux même qui reçoivent cette origine ! C'est sous ce voile impénétrable
que les racines de tous les engendrements s'anastomosent avec la source universelle.
Ce n'est que quand cette secrète anastomose s'est faite, et quand la
racine des êtres a reçu dans le mystère sa vivifiante préparation,
que la substantialisation commence, et que les choses prennent ostensiblement
des formes, des couleurs et des propriétés. Cette anastomose est
insensible même dans le temps, et elle va se perdre dans l'immensité,
dans l'éternel et le permanent, comme pour nous apprendre que le temps
n'est que la région de l'action visible des êtres, mais que la
région de leur action invisible est l'infini.
Oui, l'éternelle sagesse et l'éternel amour soignent à
la fois leur gloire et notre intelligence ; ils semblent craindre de nous laisser
croire que rien ait commencé, et qu'il y ait autre chose que l'éternel,
puisque véritablement nul être, et particulièrement nul
homme n'a pour son propre compte l'idée d'un commencement, si ce n'est
pour son corps ; et encore est-ce autant d'après l'ennui que ce corps
occasionne à son esprit, que d'après les exemples journaliers
de sa reproduction, que lui vient cette connaissance ; car en effet il n'y a
que le mal et le désordre qui puissent avoir un commencement. Aussi,
comme l'homme tient à l'unité ou au centre qui est le milieu de
toutes choses, il a beau vieillir corporellement, il ne s'en croit pas moins
au milieu de ses jours.
Ainsi l'origine cachée des choses est un témoignage parlant de
leur éternelle et invisible source, et nous sentons qu'il n'y a que la
mort et le mal qui commencent, mais que la vie, la perfection le bonheur ne
pourraient être, s'ils n'avaient pas toujours été.
Et c'est là ce qui nous confirme dans les principes ci-dessus ; si dans
tous les exemples particuliers que nous avons présentés, il n'y
a rien qui puisse porter le nom d'esprit, qu'en nous offrant le phénomène
d'une émission actuelle et toujours possible, il est bien sûr que
l'Être universel ne peut avoir que ce même caractère, et
que dès lors il développe à notre entendement l'actuelle
et nécessaire plénitude d'une existence sans interruption comme
sans principe.
Heureux celui qui élèvera sa pensée jusqu'à ce haut
terme et qui pourra s'y maintenir ? Il parviendra par ce moyen à tellement
clarifier son intelligence, que la base de ce qui existe dans l'ordre des choses
invisibles, ainsi que dans l'ordre des choses visibles, lui paraîtra simple,
active, permanente, et pour ainsi dire diaphane attendu que l'Être universel,
par son actualité vivante et continuelle, doit porter par tout la lumière
et la limpidité dont il est le foyer perpétuel.
Mais si nous pouvons considérer ainsi l'actualité vivante et continuelle
de ce suprême et universel foyer dans tous les êtres visibles ou
invisibles, que sera-ce donc lorsque nous la considérerons dans nous-mêmes,
et que nous apercevrons ce qu'elle opère dans notre être ? Car
nous découvrirons à notre égard une différence saillante
; c'est que nous pouvons bien observer par la réflexion cette actualité
dans tous les êtres particuliers, mais que nous pourrons réellement,
et en nature la sentir en nous.
Oui, pour peu que nous plongions nos regards dans les profondeurs de notre existence
intime, nous ne tarderons pas à sentir que toutes les sources divines
avec leur esprit universel abondent et coulent à la fois dans la racine
de notre être, que nous sommes un résultat constant et perpétuel
de l'engendrement de notre principe générateur, qu'il est continuellement
dans son actualité en nous, et qu'ainsi d'après la définition
de l'esprit que nous avons donnée ci-dessus, nous pouvons aisément
reconnaître comment un être qui est susceptible de sentir bouillonner
sans cesse en lui la source divine, a le droit de porter le nom de l'Homme-Esprit.
Nous pouvons donc maintenant avoir une idée fixe sur l'origine de l'homme.
L'homme est né, et naît toujours dans la source éternelle
qui est sans cesse dans l'enivrement de ses propres merveilles et de ses propres
délices. Voilà pourquoi nous avons dit si souvent que l'âme
de l'homme ne pouvait vivre que d'admiration, puisque selon l'auteur allemand
que nous avons cité, nul être ne peut se nourrir que de la substance
ou des fruits de sa mère.
Mais l'homme est né aussi dans la source du désir ; car Dieu est
un éternel désir et une éternelle volonté d'être
manifesté, pour que son magisme ou la douce impression de son existence
se propage et s'étende à tout ce qui est susceptible de la recevoir
et de la sentir. L'homme doit donc vivre aussi de ce désir et de cette
volonté et il est chargé d'entretenir en lui ces affections sublimes
; car dans Dieu le désir est toujours volonté, au lieu que dans
l'homme le désir vient rarement jusqu'à ce terme complet, sans
lequel rien ne s'opère. Et c'est par ce pouvoir donné à
l'homme d'amener son désir jusqu'au caractère de volonté,
qu'il devait être réellement une image de Dieu.
En effet, il peut obtenir que la volonté divine elle-même vienne
se joindre en lui à son désir, et qu'alors il travaille et agisse
de concert avec la divinité, qui daigne ainsi en quelque sorte partager
avec lui son uvre, ses propriétés et ses puissances ; et
si en lui donnant le désir qui est comme la racine de la plante, elle
s'est cependant réservé la volonté qui est comme le bourgeon
ou la fleur, ce n'est pas dans la vue qu'il demeure privé de cette volonté
divine, et qu'il ne la connaisse pas. Mais au contraire son vu serait
qu'il la demandât, qu'il la connût et qu'il l'opérât
lui-même ; car si l'homme est la plante, Dieu est la sève ou la
vie. Or, que peut devenir l'arbre tant que la sève ne coule pas dans
ses canaux ?
C'est dans ces bases profondes, mais justes et naturelles de l'émanation
de l'homme, que se trouve le contrat divin qui lie la source suprême avec
lui ; contrat par lequel cette source suprême, en transmettant dans l'homme
tous les germes sacrés qui sont en elle, n'a pu les semer en lui qu'avec
toutes les lois fondamentales et irréfragables qui constituent sa propre
essence éternelle et créatrice, et dont elle ne pourrait pas s'écarter
elle-même sans cesser d'être. Aussi ce contrat ne se change point,
comme les nôtres, selon la volonté des deux parties.
En formant l'homme, la source suprême est censée lui avoir dit
: C'est avec les bases éternelles de mon être, et avec les lois
qui leur sont éternellement inhérentes, que je te constitue homme.
Je n'ai point à te prescrire d'autres règles que celles d'où
résulte naturellement mon éternelle harmonie ; je n'ai pas besoin
même de t'imposer des peines, si tu les enfreins : toutes les clauses
de notre contrat sont dans les bases qui te caractérisent ; si tu ne
remplis pas ces clauses, tu opéreras toi-même ton jugement et ta
punition ; car dès l'instant tu ne seras plus homme.
Et ce principe, on peut l'étendre à toute la chaîne des
êtres, où l'on verra que toutes les productions quelconques sont
liées, chacune selon leur classe, par un pacte tacite avec leur source
génératrice, que c'est de là qu'elles tiennent toutes leurs
lois, et que, par le seul fait, elles tombent dans la désharmonie, dès
que sont enfreintes ces lois qu'elles portent dans leurs essences, et qu'elles
reçoivent de leur source génératrice, à l'instant
où elle leur transmet la vie.
En faisant attention aux lois régulières et fixes par lesquelles
la nature produit et gouverne tous ses ouvrages, et en suivant pas à
pas et soigneusement les traces qu'elle laisse partout après elle, nous
reconnaissons partout un poids, un nombre et une mesure qui sont ses ministres
inséparables, et qui annoncent que ce poids, ce nombre et cette mesure
existent primitivement dans la source supérieure, et constituent cet
éternel trinaire dont nous retrouvons l'image en nous-mêmes, et
sur lequel repose le contrat divin.
L'on voit, en outre, que ces trois bases intérieures suffisent à
la puissance suprême pour fonder tous les ouvrages de la nature, et pour
caractériser extérieurement toutes les diversités de ses
productions dans cette même nature, ou ces développements extérieurs
de la forme, des couleurs, de la durée, des odeurs, des propriétés
essentielles, des qualités, etc., toutes choses qui ne sont pas des nombres,
quoiqu'elles aient aussi des nombres pour signe et pour indice.
C'est avec ces moyens que le trinaire universel se varie à l'infini,
et qu'il multiplie tellement ses opérations, qu'il les tient toujours
comme agissant dans l'infini dont elles dépendent, et que par conséquent
l'homme ne pourra jamais ni les nombrer, ni s'en emparer : et, en effet, il
lui suffit d'en avoir l'usage ; il lui est défendu d'en posséder
la propriété, puisque, par cette multiplicité de moyens
qu'a la sagesse suprême de varier les manifestations de son trinaire universel,
elle s'assure à elle seule la propriété de cet acte générateur,
tout en ne cessant de manifester hors d'elle cet infini pour qu'on l'admire.
Sans la puissance contraire qui a apporté le désordre dans l'univers,
la nature ne connaîtrait jamais la dysharmonie, et elle ne s'écarterait
point de ces lois qui lui sont prescrites par les plans éternels ; mais,
malgré son désordre, dès que nous regarderons la nature
comme étant composée d'autant d'instruments divers, et d'autant
d'organes qui servent de canaux à la vie universellement répandue,
nous apercevrons dans ses uvres une gradation qui nous remplira d'admiration,
en voyant la bienfaisante sagesse qui dirige le cours harmonique des choses.
Nous remarquerons, en effet, que dans la série des uvres de la
nature, chaque être sert d'échelon, non pas seulement pour arriver
au degré suivant, mais pour arriver à son degré supérieur.
Le jeu et l'harmonie des phénomènes de la nature conduit à
la connaissance de ses bases et de ses éléments constitutifs.
La connaissance de ses éléments constitutifs conduit à
la connaissance des puissances temporelles immatérielles qui les opèrent.
La connaissance de ces puissances temporelles immatérielles conduit à
l'Esprit, puisque par elles-mêmes, elles n'ont point la clef du plan général.
La connaissance de l'Esprit conduit à la connaissance de la communication
de notre pensée avec lui, puisque nous nous trouvons dès lors
en commerce avec lui, et que tout commerce ne peut avoir lieu entre un être
seul, mais seulement entre plusieurs êtres analogues.
La connaissance de la communication de notre pensée avec l'Esprit nous
conduit à la connaissance de la lumière de Dieu, puisque cette
lumière peut seule être le point central et générateur
de tout ce qui est lumière et action.
La connaissance de la lumière de Dieu nous conduit à la connaissance
de notre propre misère, par l'énorme privation où nous
nous trouvons de cette lumière qui seule peut être notre vie.
La connaissance de notre misère nous conduit à la connaissance
de la nécessité d'une puissance restauratrice, puisque l'amour
qui est l'ordre éternel et l'éternel désir de l'ordre,
ne peut cesser de nous présenter cet ordre et cet amour pour nous en
faire jouir.
La connaissance d'une puissance restauratrice nous conduit au recouvrement de
la sainteté de notre essence et de notre origine, puisqu'il nous ramène
dans le sein de notre primitive source génératrice, ou dans notre
éternel trinaire. C'est ainsi que tout dans la nature physique, comme
dans la nature spirituelle, a un objet d'accroissement et d'amélioration
qui pourrait nous servir de fil dans notre labyrinthe, et nous aider à
faire valoir les droits de notre contrat divin ; car, indépendamment
de ce que nous trouverions dans ce contrat divin un nouvel aliment à
cet insatiable besoin que nous avons de l'admiration, nous y trouverions, en
outre, à remplir une des plus nobles fonctions du ministère da
l'Homme-Esprit, celle de pouvoir partager ce suprême bonheur avec nos
semblables.
D'après cela, lorsque, depuis la chute nous demandons l'accomplissement
de la volonté divine, cette demande a un sens très profond et
en même temps très naturel, puisque c'est demander que le contrat
divin reprenne toute sa valeur, que tout ce qui est désir et volonté
provenant de Dieu vienne à son terme ; et, par cette raison, c'est demander
que l'âme de l'homme refleurisse de nouveau dans son désir vrai,
et dans sa volonté originelle qui la ferait participer au développement
du désir et de la volonté de Dieu, de façon que nous ne
pouvons demander à l'Agent suprême que sa volonté arrive,
sans demander par cette prière, que toutes les âmes des hommes
soient remises dans la jouissance de leur primitif élément, et
en état d'être réintégrées dans le ministère
de l'Homme-Esprit.
Remarquons ici que dans les prières que Dieu a conseillées aux
hommes, il ne leur dit point de lui demander des choses qui ne puissent être
accordées à tous ; il a soin, au contraire, de ne leur promettre
que ce qui est compatible avec son universelle munificence, laquelle à
son tour se rapporte toujours à leurs universels besoins, et à
son universelle gloire. Lorsque nous demandons à Dieu des choses particulières,
et qui ne peuvent pas être données également à tous
nos semblables, comme les biens, les emplois, les dignités, nous manquons
essentiellement à la loi.
Cela prouve que nous ne devons jamais rien lui demander des choses de ce monde,
parce que tout y est borné et compté, de manière qu'il
est impossible que nous y ayons tous une part avantageuse ; et que si quelqu'un
se trouve pourvu d'une de ces parts avantageuses, il faudra nécessairement
qu'un autre en soit privé ; ce qui nous ferait voir combien les propriétés
sont étrangères au code primitif, et que le précepte de
l'évangile sur le dénuement des biens est intimement lié
aux bases exactes et fondamentales de la véritable justice.
Au contraire, cela prouve que nous devons sans cesse lui demander les choses
du monde réel et infini où nous sommes nés, parce qu'il
ne peut rien venir de ce monde-là sur un seul homme, que la voie ne s'ouvre
par là pour en faire venir autant sur tous les autres.
Dans ces mêmes prières que Dieu a recommandées aux hommes,
la première chose qu'on y demande ne regarde que Dieu et son règne
; ce n'est qu'après avoir sollicité la venue de ce règne
que l'on songe à l'homme.
Ce qu'on demande pour cet homme ne tient en rien aux choses terrestres ; car
ce pain quotidien, dont on y parle, n'est pas notre pain élémentaire,
puisque chaque homme a ses bras et la terre pour la labourer, et puisqu'il nous
est défendu de nous inquiéter des besoins de notre corps comme
font les païens ; ce pain quotidien, et qu'on doit gagner à la sueur
de son front, est le pain de vie que Dieu distribue chaque jour à tous
ses enfants, et qui seul peut servir à avancer l'uvre.
Enfin, on y demande le pardon de nos fautes, et la préservation de la
tentation.
Tout est esprit, tout est charité divine dans cette prière, parce
qu'elle a généralement pour objet ce contrat divin, au maintien
duquel nous devrions contribuer tous.
Aussi quand on nous dit dans l'évangile : chercher d'abord le royaume
de Dieu et la justice, le reste vous sera donné par-dessus, on peut bien
croire qu'en effet les secours temporels dont nous avons besoin ne nous manqueront
pas, si nous savons établir notre demeure dans les trésors spirituels
; mais cela va, encore plus loin, car cela signifie aussi que nous devons chercher
d'abord le royaume divin, et que le royaume spirituel nous sera donné
pardessus, c'est-à-dire, que si nous savons établir notre demeure
dans Dieu, il n'y aura rien dans les lumières et les puissants dons de
l'esprit qui nous soit refusé.
Voilà pourquoi ceux qui ne cherchent que dans les sciences de l'esprit,
et ne vont pas directement à Dieu, prennent le chemin le plus long, et
s'égarent souvent. Voilà pourquoi enfin il est dit qu'il n'y a
qu'une chose de nécessaire, parce qu'elle embrasse toutes les autres.
C'est en effet une loi indispensable qu'une région embrasse, domine,
possède et dispose de ce qui est après elle et dans un rang inférieur
à elle. Ainsi la région divine étant au-dessus de toutes
les régions, il n'est pas étonnant qu'en l'atteignant, on atteigne
la suprématie sur toutes choses. Cherchons donc Dieu, et ne cherchons
que cela si nous voulons avoir tout ; car c'est pour cela que nous avons pris
naissance dans la source de l'éternel désir et de l'universel
ESPRIT.
Les animaux et les autres êtres de la nature ont aussi un désir,
mais la volonté qui couronne ce désir leur est totalement étrangère
et séparée d'eux ; voilà pourquoi ils n'ont point à
prier, comme l'homme, et pourquoi ils n'ont qu'à agir.
Mais ce n'est pas seulement dans la source de l'admiration, et dans la source
du désir et de la volonté que l'homme a puisé son origine,
c'est aussi dans la source de la lumière, et par conséquent cette
lumière formait aussi pour lui une des bases du contrat divin.
C'est pour cela que l'homme est le premier terme des rapports qui se trouvent
entre lui et tous les objets naturels et spirituels qui l'environnent. C'est
pour cela que s'il ne sait pas se rendre compte de sa propre existence, il ne
se rendra jamais compte de l'existence d'aucun autre être produit et émané.
En effet, s'il a puisé son origine dans la source réelle de l'admiration,
du désir, de la volonté et de la lumière, en un mot, dans
la source de la réalité, il devient en qualité d'être
réel, l'échelle de tous les objets et de tous les êtres
qui l'approchent, et ce n'est que sur leurs différences d'avec lui qu'il
peut mesurer leur existence, leurs lois et leur action : vérité
profonde et importante., dont beaucoup de gens paraissent se défier,
mais qu'ils ne rejettent que par paresse, lorsqu'ils croient ne la rejeter que
par modestie.
D'ailleurs, cette vérité se prouve par l'expérience journalière
de ce qui se passe parmi les hommes. Car comment les hommes deviennent-ils juges
et arbitres dans les sciences, dans les lois, dans l'art militaire, dans toutes
leurs institutions, dans tous les arts, enfin dans tout ce qui remplit leur
vie passagère ? N'est ce pas en commençant par se former, autant
qu'il leur est possible, à la connaissance des principes relatifs à
ces divers objets de leur jugement ou de leur intelligence ? Et quand ils se
sont pénétrés de ces principes, et qu'ils se les sont rendus
propres et personnels, c'est alors qu'ils les prennent pour base de confrontation
avec tout ce qui se présente à leur examen ; plus ils se sont
remplis de la connaissance de ces divers principes fondamentaux, plus ils sont
censés pouvoir juger avec justesse, et déterminer avec précision
la valeur et la nature des objets qui sont soumis à leur tribunal.
La race sainte de l'homme qui avait été engendrée dans
la source de l'admiration et dans la source du désir et de l'intelligence,
avait donc été établie dans la région de l'immensité
temporelle comme un astre brillant, afin qu'elle y répandit une céleste
lumière ; enfin, l'homme était cet être qui avait été
placé entre la Divinité et l'ancien prévaricateur et qui
à son gré pouvait produire dans la région de l'esprit,
les traits imposants de la foudre et des éclairs, et la sérénité
des plus douces températures, couvrir de chaînes les coupables
et les plonger dans les ténèbres, ou graver sur les régions
paisibles les signes de l'amour et des consolations.
Car l'homme et Dieu, voilà les deux extrêmes de la chaîne
des êtres. Aussi l'homme devrait-il avoir encore même ici-bas la
parole exécutive ; mais Dieu seul, au haut de son trône, a la parole
créatrice. Tout ce qui est entre ces deux êtres leur est soumis
; à Dieu comme produit ; à l'Homme comme sujet. Aussi tout plierait
et tremblerait devant nous, si nous laissions un libre accès dans notre
être à la substance divine : premièrement, la nature parce
qu'elle n'a jamais connu cette substance divine, et qu'elle ne la connaîtra
jamais ; secondement, notre implacable ennemi, parce qu'il ne la connaît
plus que par la terreur de ses invincibles puissances.
C'était bien pour pénétrer dans les merveilles et les ouvrages
de Dieu, et pour contenir la désharmonie que l'homme avait reçu
la naissance ; mais c'était aussi pour demeurer toujours près
de lui, et porter de là sans cesse un coup d'il d'inspection et
d'autorité sur tout le cercle des choses et y verser les richesses divines
sous l'il de la sagesse elle-même ; et nous le sentons, en ce que
nous ne nous trouvons réellement en repos et en mesure, que lorsque nous
parvenons à ce poste sublime, quoique ce ne soit ici bas que par intervalle.
Homme, pense donc à la sainteté de ta destination ; tu as la gloire
d'avoir été choisi pour être en quelque sorte le siège,
le sanctuaire et le ministre des bénédictions de notre Dieu, et
ton cur peut se remplir encore de ces délicieux trésors,
en même temps qu'il peut les répandre dans l'âme de ses semblables
; mais plus ton ministère est important, plus c'est une chose juste que
tu répondes de ton administration.
Lorsque les cieux visibles envoient à la terre leurs substances d'opérations
journalières pour qu'elle les amène à leur terme de production,
ils sont censés lui dire : tels sont nos plans, tels sont nos désirs
pour l'entretien des êtres, aussi bien que pour l'expansion des merveilles
de la nature : tu nous dois un compte exact de tout ce que nous confions à
ton uvre. Qu'il n'y ait pas une seule de tes essences qui ne se mette
en activité et qui ne concoure avec nous pour faire disparaître
la mort universelle dont l'existence des choses est dévorée.
La terre alors pour se délivrer de sa propre mort, fomente et couve les
vertus que les cieux viennent de semer en elle : elle développe ses forces
resserrées et comme coagulées, elle les accroît par celles
qu'elle aspire dans ses élans ; puis elle apporte à sa surface
ce compte fidèle de tout ce qui lui a été remis, avec les
incommensurables accroissements qu'elle y a joints, par les pouvoirs et le concours
de ses propres facultés.
Homme-Esprit, la même loi t'est tracée pour l'administration de
ton emploi dans les domaines de la vérité. Tu es la terre de Dieu,
tu es un fonctionnaire divin dans l'univers. Dieu t'envoie chaque jour, peut-être
chaque moment, ou au moins chaque saison spirituelle, la tâche qu'il te
destine, selon les conseils de sa sagesse, et selon ton âge et tes forces.
Il t'envoie cette tâche, en désirant que tu ne t'épargnes
point dans les soins que tu te donneras pour la remplir et en te prévenant
qu'il exigera rigoureusement sa rétribution, qui n'est rien moins que
le rétablissement de l'ordre, de la paix et de la vie dans la portion
de son domaine qu'il abandonne à ton travail.
Ce désir qu'il te montre et cet avertissement qu'il te donne, ne doivent
point te paraître étrangers ; tu n'y dois voir autre chose que
la soif que Dieu même a pour la justice et pour l'annihilation du désordre
; et lorsqu'il envoie ainsi son désir ou sa soif en toi, il fait plus
que de t'admettre à son conseil, puisqu'il fait au contraire entrer son
conseil en toi ; qu'il t'insinue les vues suprêmes et douces de sa sagesse
; qu'il te pénètre et t'imprègne des mêmes rapports
où il se trouve avec ce qui est défectueux et qu'il te fournit
lui-même de quoi travailler à en opérer la rectification
; c'est-à-dire qu'il te fournit les fonds de sa propre gloire et cherche
à exciter ton zèle par l'espoir qu'il te laisse d'en partager
avec lui tous les fruits.
Cette uvre est le complément de l'uvre de la prière
puisque c'est l'action même, pour ne pas dire la génération
vive de l'ordre divin qui veut bien passer en toi. Cette uvre est bien
au-delà des opérations théurgiques, par lesquelles il arrive
que l'Esprit s'attache à nous, veille sur nous, prie même pour
nous, et exerce la sagesse et les vertus pour nous, sans que nous soyons ni
sages ni vertueux puisque cet esprit alors ne nous est uni qu'extérieurement,
et opère souvent même ces choses à notre insu, ce qui nous
entretient dans l'orgueil et dans une fausse sécurité, plus dangereuse,
peut-être, que nos faiblesses et nos écarts qui nous ramènent
à l'humilité.
Ici, au contraire, tout doit commencer par le centre, et nous sommes vivifiés
avant que nos uvres ne sortent de nous, de façon que nous sommes
trop occupés à jouir pour que la grandeur de ces uvres nous
entraîne hors de nous-mêmes et laisse des places en nous au néant
et à la vanité ; et quand un homme est fait pour être vraiment
serviteur de Dieu, il faut que cette manière d'être, ou ce sublime
état lui paraisse si simple et si naturel, que sa pensée ne puisse
pas même en concevoir un autre.
Car quel peut être le but de l'action, si ce n'est de faire que ceux qui
s'y livrent, puissent se lier à l'action universelle ? Aussi c'est en
agissant que nous nous unissons enfin à l'action, et que nous finissons
par n'être plus que les organes de l'action constante et continue ; et
alors tout ce qui n'est pas cette action est comme nul pour nous et il n'y a
plus que cette action qui nous paraisse naturelle.
L'homme est un être chargé de continuer Dieu là où
Dieu ne se fait plus connaître par lui-même. Il ne continue point
Dieu dans son ordre radical et divin, ou dans son imperméable origine,
parce que là Dieu ne cesse jamais de se faire connaître par lui-même,
puisque c'est là où il opère sa secrète et éternelle
génération. Mais il le continue dans l'ordre des manifestations
et émanations, parce que là Dieu ne se fait connaître que
par ses images et ses représentants.
Il le continue, ou si l'on veut, il le recommence comme un bourgeon ou un germe
recommence un arbre, en naissait immédiatement de cet arbre et sans intermède.
Il le recommence comme un héritier recommence son devancier, ou comme
un fils recommence son père, c'est-à-dire, en possédant
tout ce qui appartient à ce devancier ou à ce père, sans
quoi il ne pourrait pas les représenter ; avec cette différence
que dans l'ordre de l'esprit, la vie reste à la source qui la transmet,
parce que cette source est simple ; au lieu que dans l'ordre de la matière,
la vie ne reste pas dans la source qui engendre, attendu que cette source est
mixte, et ne peut engendrer qu'en se divisant. Aussi dans l'ordre de la matière
et particulièrement dans les végétations, le fruit qui
est la vie ou le germe, et la graine qui est la mort, se trouvent-ils liés
l'un avec l'autre. Dans la graine, la vie est cachée dans la mort ; dans
le fruit, la mort est cachée dans la vie.
Je n'ai peint l'homme ici que relativement à son état originel.
Si je le veux peindre relativement à l'usage faux et coupable qu'il a
fait de ses droits, ce beau privilège qu'il avait de recommencer Dieu,
va s'évanouir ; et au contraire il nous faudra dire que depuis cette
funeste époque, Dieu a été obligé de recommencer
l'homme, et qu'il le recommence tous les jours.
Car ce n'est pas seulement à l'instant de sa chute que Dieu a été
obligé de recommencer l'homme, ou de renouveler son contrat divin avec
lui, c'est encore à toutes les époques des lois de restauration
qu'il nous a envoyées, et qui chacune devenant comme inutile par le peu
de respect que nous portions à ses présents et par le peu de fruits
que nous en tirions, avait besoin d'être remplacée par une autre
époque plus importante encore que la précédente ; mais
qui ne voyait naître de notre part que de nouvelles profanations, et qui
par là nous retardait d'autant, au lieu de nous avancer, et sollicitait
de nouveau l'amour divin de nous recommencer.
Sans cela cet univers visible dans lequel nous sommes emprisonnés, serait
depuis longtemps enseveli de nouveau dans l'abîme d'où l'amour
suprême l'avait tiré.
Du crime, l'Homme avait passé dans les ténèbres. Des ténèbres,
la bonté suprême le fit passer dans la nature. De la nature, elle
l'a fait passer sous le ministère de la loi. Du ministère de la
loi, elle l'a fait passer sous le ministère de a prière, ou de
la loi de grâce qui aurait pu tout rétablir pour lui.
Mais comme le sacerdoce humain a souillé cette voie, ou l'a rendue nulle,
il faut qu'elle soit suspendue à son tour et que l'action vive et violente
la remplace, comme la prière ou la loi de grâce a remplacé
la loi dont les Juifs avaient abusé ; et c'est dans cet esprit de sagesse
et toujours bien faisant, que l'amour suprême dirige ou laisse arriver
tous ces événements lamentables dont l'homme terrestre murmure
en oubliant que ce sont ses propres crimes qui les occasionnent, et qui bouleversent
la terre, tandis qu'il était né pour tout pacifier et tout améliorer.
La Révolution Française a eu probablement pour objet de la part
de la Providence, d'émonder, sinon de suspendre ce ministère de
la prière, comme le ministère de la prière, lors de son
origine, avait eu pour objet de suspendre le ministère de la loi Juive.
Sous ce rapport, les Français pourraient être regardés comme
le peuple de la nouvelle loi, ainsi que les Hébreux étaient le
peuple de la loi ancienne. Il ne faudrait pas s'étonner de cette élection
malgré nos crimes et nos brigandages. Les Juifs qui ont été
choisis dans leur temps ne valaient pas mieux que les Français.
Il y a en outre un rapport de fait qui peut se remarquer ; c'est que le temple
de Jérusalem a été détruit et brûlé
deux fois, l'une par Nabuchodonosor, l'autre par Titus ; et que les jours où
ces deux événements arrivèrent étaient les mêmes
que celui où le sceptre temporel de la France a été brisé
; c'est-à-dire le août. (Voyez Flavius Joseph, guerre des Romains
Livre ch. . Traduction d'Arnaud d'Andilly) : Lorsque Tite se fut retiré
dans l'Antonia, il résolut d'attaquer le lendemain matin, dixième
d'août, le temple, avec toute son armée, et ainsi on était
à la veille de ce jour fatal, auquel Dieu avait depuis si longtemps condamné
ce lieu saint à être brûlé après une longue
révolution d'années, comme il l'avait été autrefois
en même jour par Nabuchodonosor, roi de Babylone.
Cette action vive, qui, selon toute apparence, doit remplacer le ministère
de la prière, n'aura encore que des triomphes partiels en comparaison
du grand nombre qui ne la mettra pas à profit, vu cette propension à
abuser que l'homme a manifestée depuis l'origine des choses.
Voilà pourquoi Dieu sera encore obligé de recommencer l'homme
par le jugement dernier, ou la fin des temps ; mais comme alors le cercle entier
sera parcouru, l'uvre sera accomplie sans retour, c'est-à-dire,
sans crainte qu'il y ait alors de nouveaux écarts de la part de l'homme,
et par conséquent sans que Dieu soit obligé alors de recommencer
l'homme une autre fois.
Au contraire, ce sera l'homme qui alors aura recouvré le droit sublime
de recommencer Dieu, comme il l'eût dû dès son origine.
Voici cependant une légère différence. Dans l'origine,
l'homme n'était que sous les yeux de l'alliance, aussi pouvait-il se
conduire à son gré : lors du complément il sera dans l'alliance
; ainsi il ne pourra plus choisir, parce qu'il sera emporté par le souverain
et éternel courant divin.
Dans le passage terrestre auquel nous sommes condamnés, et dans les divers
sentiers spirituels que l'homme peut parcourir pendant ce passage, nous avons
tous une porte particulière par laquelle la vérité cherche
à entrer en nous, et par laquelle seule elle y peut entrer. Cette porte
est indépendante et distincte de la porte générale de notre
origine par laquelle la vie radicale descend en nous, et nous constitue esprit
; puisque cette porte générale est commune à nous et à
l'être pervers également.
Mais la porte qui nous est particulière a pour objet de nous faire revivifier
par la fontaine de la vie, et par l'éternelle lumière de l'amour,
et c'est cette porte-là qui n'est point donnée à l'être
pervers.
Elle est tellement désignée pour nous faire recouvrer les sources
de l'amour et de la lumière, que sans elle, en vain nous passons nos
jours à de vaines sciences, et peut-être même à des
sciences vraies et à des combats ; tant que la fontaine de la vie ne
rencontre point en nous cette porte ouverte, elle attend dehors que nous l'ouvrions.
Cette porte est la seule par laquelle nous puissions obtenir notre subsistance
; si nous manquons de l'ouvrir, nous restons entièrement au dépourvu
; si nous l'ouvrons, elle nous procure de la nourriture en abondance ; et si
nous étions sages, nous ne nous livrerions à aucune uvre
que nous n'eussions acquitté notre dette journalière, c'est-à-dire,
sans que nous eussions ouvert cette porte et rempli l'espèce de tâche
où elle nous conduit.
Mais aussi comme cette porte est ordonnée par Dieu pour nous faire entrer
dans notre ministère, quand nous sommes au nombre de ceux qui sont appelés
à l'uvre, il arrive que les tempêtes et les orages ont beau
nous tourmenter pour retarder cette uvre, la fontaine de la vie finit
par rencontrer cette porte dans ceux qui sont propres à être employés,
et la gloire de Dieu triomphe en eux à leur grande satisfaction.
Quoique Dieu ouvre cette porte dans ceux qui sont employés, il ne faut
pas que ceux qui n'auraient pas d'emploi, s'appuient sur une prétendue
impossibilité, s'il ne s'ouvrait point de porte en eux, parce qu'il y
a dans tous les hommes une porte pour le désir et pour la justice ; et
cette porte, nous sommes tous obligés de l'ouvrir nous-mêmes, et
nous le pouvons si nous sommes persévérants.
Quant à l'autre porte qui n'a rapport qu'à l'uvre, il est
juste que Dieu seul la puisse ouvrir ; mais aussi cette porte ne prouve rien
pour notre avancement, si l'autre reste fermée par notre indolence et
notre paresse. L'on peut chasser les démons en son nom, et cependant
n'être pas connu de lui.
Quant à la raison pour laquelle les choses acquises par des voies externes
ont tant de peine à nous être vraiment utiles, c'est qu'elles se
combattent avec celles qui devraient entrer et sortir par notre véritable
porte. C'est comme une plante greffée dont les sucs combattent la sève
de l'arbre sur lequel est posée la greffe ; et ce combat dure jusqu'à
ce que la sève de l'arbre sur lequel est posée la greffe, ait
pris sa direction naturelle, et entraîne les nouveaux sucs dans son cours.
Mais aussi quelquefois c'est la sève du sauvageon qui l'emporte.
Quelle est la véritable sève qui doit tout entraîner dans
son cours ? Tu ne l'ignores pas, ô toi qui aspires à être
admis au rang des ouvriers du Seigneur !
Tu sais qu'elle doit animer ta propre essence, et qu'elle découle de
l'éternelle génération divine.
Tu sais qu'elle ne peut circuler en toi, sans y retracer cette même éternelle
génération divine.
Tu sais que les moindres rameaux de ton être peuvent être vivifiés
par cette sève.
Tu sais qu'elle vivifie et régit par sa puissance toutes les régions
spirituelles, ainsi que les astres, les animaux, les plantes, tous les éléments
visibles et invisibles.
Tu sais que tout ce qu'elle opère sur tous ces êtres, elle a le
droit de l'opérer sur toi si tu ne t'y opposais pas.
Présente-toi donc au principe éternel de cette sève fécondante,
et dis-lui : "Suprême auteur des choses, ne laisse pas plus longtemps
ton image dans l'abjection et le néant. Toute la nature éprouve
constamment et directement les effets de ta puissante sève, et elle n'est
pas un seul instant privée de ta vivifiante action. Ne permets pas que
l'homme, ton image, soit traité moins favorablement que la nature et
que tous les êtres qui sont sortis de tes mains. Fais-le participer aux
faveurs que tu leur distribues. Permets qu'il soit réconcilié
avec ton universelle unité et dès lors il ne pourra comme toi
se mouvoir, qu'en même temps tout l'univers visible et invisible ne se
meuve avec lui ; il ne marchera jamais qu'environné de nombreux agents
qui le rendront participant de ta gloire et de ta puissance".
Homme de désir, voilà le but auquel doivent tendre tous tes efforts.
Tu as en toi la porte par où cette sève doit entrer. Si tu aperçois
que, soit de la part des secours spirituels humains, soit de la part des circonstances
et de la destinée, toutes les portes te soient fermées, réjouis-toi,
car ce sera une preuve que le Père souverain veut par là forcer
tes regards à se tourner vers cette porte sacrée où il
t'attend, et par laquelle il veut te donner accès aux merveilles qu'il
te destine.
Or, ces merveilles n'embrassent rien moins que le cercle universel des choses
qui servit de siège autrefois à ton empire ; et une preuve que
toutes les puissances visibles et invisibles ont été présentes
à notre primitive naissance, c'est qu'elles sont sensiblement présentes
à notre régénération, et qu'elles en opèrent
chacune une partie. Ainsi donc, si Dieu veut que tout ce qui est secret pénètre
dans l'homme, quels secrets pourrons-nous ignorer ? Dès que nous voudrons
regarder le Dieu qui est en nous, nous verrons en lui toutes les régions.
Dieu sait sans doute notre manière d'être intérieure, et
il connaît toutes les substances corrosives et infectes que nous portons
et accumulons journellement en nous-mêmes ; cependant il nous laisse aller,
ou même il nous conduit dans des circonstances qui réalisent sensiblement
cette manière d'être, et qui nous font manifester de dedans en
dehors toutes ces substances nuisibles.
En laissant ainsi ces influences fausses accomplir en nous leur cercle en entier,
sans doute sa gloire divine n'en paraît que plus grande, parce que ce
cercle d'influences fausses à beau s'accomplir, il finit cependant par
être rien, et l'élu qui a subi cette épreuve dans toute
son étendue, n'en est que plus ferme et plus en garde contre l'ennemi.
C'est encore plus pour notre purification que pour sa gloire, qu'il nous laisse
arriver à ces degrés douloureux et humiliants ; c'est pour que
l'hypocrisie cesse un jour d'avoir lieu, car elle a ici bas un règne
universel.
Si l'homme était attentif à ses voies, il pourrait parvenir à
produire le même effet, ou à sortir de lui d'une autre manière
; ce serait lorsqu'il se sentirait poussé au faux, de tâcher de
ne pas oublier que le vrai ne cesse pas pour cela d'exister ; ce serait de dire
à Dieu dans le fond de son être, qu'il y a encore quelque chose
à faire pour l'amélioration de la nature et de l'âme humaine,
et pour l'avancement de l'uvre divine, de la souveraine sagesse. Ce serait
de lui représenter combien cette uvre est urgente, de lui demander
de l'y employer, et de ne pas le laisser oisif ni abandonné à
aucune autre uvre, que la tâche en question ne fût remplie.
Il est sûr que l'homme se préserverait grandement par là.
Mais cette salutaire précaution ne peut être pour lui que le fruit
d'un long travail et d'une grande habitude ; ce ne peut être pour ainsi
dire que la récompense de sa sagesse. Il faudrait auparavant qu'il eût
chassé de lui tout le mal et toute la difformité ; car tant qu'il
en reste le moindre vestige, l'hypocrisie est à côté et
toujours prête à couvrir cette difformité : voilà
pourquoi, pour se préserver de toute hypocrisie, il n'a qu'un seul moyen,
c'est de se préserver de toute iniquité.
Au contraire, en se préservant de toute iniquité, l'homme met
son huile sainte à même de se développer. Or, quand l'huile
sainte qui est en nous se développe, elle s'approche du feu, et en s'approchant
du feu, elle ne peut manquer de s'enflammer. Dès lors toutes nos voies
sont éclairées, et l'hypocrisie n'a plus de place.
Malheureusement il n'est que trop vrai que l'homme peut, par des actes mal dirigés,
et en s'ouvrant à de fausses contemplations, allumer en lui un feu qui
soit à la fois préjudiciable et à lui-même et à
toutes les régions où il doit exercer son ministère ; car
tout est puissance, et c'est la force respective de ces diverses puissances
qui fait le danger, la souffrance, et l'épouvantable résistance
de tous les êtres qui se combattent ici-bas.
D'abord, dès que nous cessons de vivre de notre véritable vie,
c'est-à-dire, dès que nous négligeons de nous reposer sur
la base fondamentale de notre contrat primitif, nous éprouvons aussitôt
l'existence d'une espèce d'enfer passif, que nous pourrions appeler cependant
un enfer divin, puisqu'il est pour nous comme l'opposition de la vie réelle,
contre l'inertie ou la nullité dans laquelle nous descendons par notre
indolence.
Mais si nous allons plus loin, et qu'au lieu de nous reposer sur la base fondamentale
de notre contrat primitif, nous nous unissions à des bases désordonnées
et vicieuses, nous atteignons bientôt un enfer plus actif, et qui a deux
degrés. L'un dans lequel il faut ranger toutes les passions qui nous
lient plus ou moins au service de notre ennemi ; l'autre qui est la mesure et
la situation du démon lui-même, ainsi que de ceux qui s'identifient
avec lui.
Le premier degré de cet enfer actif embrasse, pour ainsi dire, toute
la famille humaine, et sous ce rapport, il n'est peut-être pas un seul
homme qui ne fasse journellement le service d'un démon, et peut-être
de plusieurs démons à la fois, quoique dans ce degré-là
les hommes fassent ce service sans s'en douter, et à leur insu. Car ce
n'est pas une médiocre adresse de la part de ce démon, que de
tenir ainsi tous les hommes à son service, de les faire jouer à
sa volonté tous les rôles qui lui conviennent, et cependant de
savoir tellement feindre, que tout en les faisant agir à son gré,
il ait l'art, en se tenant derrière la toile, de leur persuader lui-même
qu'il n'existe pas.
Cet ennemi qui est esprit, ôte même à l'homme l'idée
d'une fin, en le promenant dans ses illusions, parce qu'il travaille l'homme
dans l'esprit, tout en n'ayant l'air que de le travailler dans l'ordre des choses
passagères, et parce que l'homme qui est esprit porte naturellement la
couleur de son existence illimitée sur tout ce qu'il éprouve,
et sur tout ce qu'il approche.
Voilà pourquoi cet ennemi, dont il fait aveuglément le service,
le conduit jusqu'au tombeau avec des projets et des passions qui lui semblent
ne devoir jamais trouver de terme ; voilà pourquoi, il le trompe ainsi
dans son être réel et dans son être passager ; voilà
pourquoi enfin l'éternelle sagesse avec laquelle nous aurions dû
toujours habiter, est obligée de se retirer si loin du séjour
infect de l'homme.
Comment, en effet, cette sagesse pourrait-elle habiter parmi eux ? Elle voit
comment ils se conduisent en faisant aveuglément le service d'un maître
qu'ils ne connaissent pas, et auquel ils ne croient pas. Elle voit que dans
cet aveuglement où ils sont, ils se jugent, ils se corrompent, ils se
volent, ils se battent, ils se tuent. Tous ces mouvements turbulents la remplissent.
d'épouvante, elle qui n'est préposée que pour veiller et
habiter avec l'harmonie, l'ordre et la paix.
Dans le second degré de l'enfer actif, les hommes font aussi le service
du démon, mais ils ne le font pas à leur insu comme dans le degré
précédent ; aussi ne sont-ils pas dans le doute et l'ignorance
de son existence, et ils participent sciemment et activement à ses iniquités.
Heureusement que cette classe de prévaricateurs est la moins nombreuse,
sans quoi l'univers aurait succombé depuis longtemps sous le poids des
abominations de son ennemi.
L'enfer divin ou l'enfer passif est composé de toutes les régions
douloureuses, excepté de celte de l'iniquité. Voilà pourquoi
toutes les angoisses s'y succèdent comme les vagues de l'eau. Mais là,
en même temps, une vague assoupit l'autre, pour qu'aucune n'ait l'universelle
domination. C'est ce qui fait que l'espérance même paraît
encore de temps en temps dans cet enfer.
Dans le premier degré de l'enfer actif, il n'y a d'abord spirituellement
ni angoisse, ni espérance ; il n'y a qu'illusion, mais l'abîme
est sous cette illusion, et bientôt il la trouble en lui faisant sentir
les pointes aiguës de ses traits amers.
Dans le second degré de cet enfer actif, il n'y a ni espérance,
ni illusion ; il n'y a qu'iniquité, et l'unité du mal s'y trouve
sans interruption.
Quoique le séjour dans les voies pénibles de l'enfer divin soit
si douloureux, c'est néanmoins une attention de la sagesse divine d'y
laisser un peu séjourner ceux des hommes qui s'y précipitent.
Si elle les y retenait moins longtemps, ils ignoreraient ou ils oublieraient
bientôt que ce sont aussi là des puissances divines. Oui, cet enfer-là
devient une des sources de notre salut, en nous apprenant à trembler
devant la puissance de Dieu, et à nous réjouir d'autant plus quand
nous venons à la comparer avec son amour.
La sagesse suprême permet aussi que rien de ce qui concerne cet enfer,
et même de ce qui concerne les deux degrés de l'enfer actif, ne
sait cacher à l'homme de désir, puisqu'il doit s'instruire dans
toutes les branches qui appartiennent à son ministère. C'est à
lui ensuite à venir au secours des autres hommes, et même de ceux,
qui, quoique vivants encore, se seraient plongés et comme naturalisés
d'avance avec cet abîme ou cet enfer actif.
Car l'existence de ces associés ambulants du démon est aussi au
nombre de ces épouvantables horreurs que l'ouvrier du Seigneur doit connaître,
puisqu'il doit les combattre ; et c'est là la plus douloureuse partie
de son ministère. Mais pour que le prophète soit installé,
ne faut-il pas qu'il avale, comme Ezéchiel, le livre écrit en
dedans et jusque sur la couverture, c'est-à-dire, tout rempli, et débordant
même de lamentations ? Oui, Dieu laisse même éprouver les
prophètes par le pervers, afin qu'ils s'attendrissent sur le sort de
leurs frères en captivité, et qu'ils redoublent d'ardeur pour
la promulgation de la loi.
Ainsi, pour que l'ouvrier du Seigneur remplisse sa destination qui l'appelle
à être utile spirituellement à ses semblables, il faut à
plus forte raison qu'il se préserve sans cesse du danger de descendre
dans l'enfer actif ; mais il faut, en outre, qu'il travaille à sortir
de l'enfer passif ou de l'enfer divin, s'il avait eu la négligence d'en
approcher, parce que tant qu'il y séjournerait, il ne pourrait être
employé en rien à l'avancement de l'uvre.
Ce n'est qu'à mesure qu'il se délivre de cet enfer passif que
les trésors du contrat divin pénètrent en lui, et sortent
de lui pour aller vivifier les autres hommes, soit vivants, soit morts. C'est
par là que l'homme devient non seulement l'organe, mais encore en quelque
sorte l'objet de l'admiration en manifestant ces inépuisables merveilles
dont son cur peut se remplir et se gonfler ; qui peuvent en effet sortir
de lui, et qui nous sont représentés par ces brillants prodiges
que la lumière nous fait découvrir à mesure qu'elle s'élance
hors de sa source de feu.
Toutefois, que cet homme ait assez de courage et de persévérance
pour ne se pas concentrer dans une simple élection de purification, mais
qu'il aspire jusqu'à obtenir une élection de vocation et d'instruction,
afin que de là il parvienne à une élection d'intention
et de volonté, laquelle élection d'intention ne doit pas encore
être le dernier terme de l'homme, puisque l'homme n'est encore rien, s'il
n'est entraîné dans une élection d'action et d'opération
; et enfin, puisque cette élection d'action et d'opération elle-même
ne doit, pour ainsi dire, se compter que lorsqu'elle est devenue continue comme
le TOUJOURS.
Car le TOUJOURS est la dénomination la plus propre à caractériser
celui qui est, attendu qu'elle le peint dans l'imperturbable activité
de son action ; au lieu que le titre de celui qui est, le peint dans son existence.
Or, son existence est plus loin de nous que son action, et c'est son action
qui lui sert d'intermède. Aussi nous ne sommes rien, et nous tombons
dans l'anéantissement, si le mouvement divin et l'action divine ne sont
pas constants et universels en nous.
Ne voyons-nous pas que notre sang dissout, purifie, et subtilise continuellement
tous les aliments, toutes les matières grossières dont nous l'accablons
? Sans cela, leur poids et leur corruption termineraient bientôt notre
vie ? Ne voyons-nous pas que si la nature n'avait en elle une base vive, et
qui remplit à son égard la fonction de notre sang, elle aurait
succombé depuis longtemps à la contraction des forces corrosives
qui la contrarient et qui l'infectent ?
Ainsi, dans l'ordre de notre région spirituelle, il faut qu'il y ait
un foyer actif et vivificateur, qui décompose et rectifie sans cesse
toutes les substances fausses et vénéneuses dont nous nous remplissons
journellement, soit par nous-mêmes, soit par notre fréquentation
avec nos semblables. Sans cela, nous serions tous depuis longtemps dans la mort
complète spirituelle.
C'est là ce principe universel de la vie réelle et éternelle
de l'homme, qui renouvelle sans cesse en nous le contrat divin ; c'est là
celui qui ne nous laisse jamais orphelins, quand nous acceptons ses présents
; mais c'est là aussi cette puissance vivifiante que nous méconnaissons
à tous les instants, quoiqu'elle fasse sans cesse une société
intime avec nous. Et elle pourrait dire d'elle-même à notre égard
ce qui est dit dans saint Jean ( : .) : Celui qui mange du pain avec moi, lève
le pied contre moi.
Ainsi donc notre jonction avec cette action vivante et vivifiante est un besoin
radical de notre être ; mais, en outre, cette même action vivante
et vivifiante est encore la seule qui puisse satisfaire ce même besoin
dont elle nous presse ; elle est ainsi celle qui contribue le plus amplement
à nos véritables jouissances, en nous mettant dans le cas de faire
naître autour de nous comme autant de sagesses qui nous réfléchissent
les fruits de nos uvres, et nous donnent, comme le fait l'éternelle
sagesse envers Dieu, la joie de voir qu'elles sont bonnes.
Car tous les êtres spirituels et divins même ont besoin de ces sagesses
qui servent de miroir à leur propre esprit, comme ils en servent à
l'esprit de la divinité ; et il n'y a que la classe animale et matérielle
qui n'a pas besoin de ces miroirs, puisqu'elle n'a point d'uvre de sagesse
à produire.
Or, les pouvoirs de l'action divine et vivante en nous ne s'étendent
à rien moins qu'à nous faire ouvrir le centre intime de l'âme
de tous nos frères passés, présents et à venir,
pour signer tous ensemble le contrat divin ; enfin qu'à nous faire ouvrir
le centre intérieur de tous les trésors spirituels et naturels
répandus dans toutes les régions, et qu'à nous rendre,
comme elle, pour ainsi dire, l'action des choses. Voilà pourquoi il y
a tant d'hommes sans intelligence dans ce monde ; car il n'y en a point qui
travaillent à devenir réellement l'action des choses : non est
usque ad unum qui faciat bonum.
C'est par l'irruption de l'esprit en nous, et par l'élan de notre propre
esprit, que nous pouvons parvenir à devenir l'action des choses, parce
que c'est par cet élan que nous dégageons chaque principe de ses
enveloppes, et que nous lui faisons manifester ses propriétés
: élan qui opère en nous ce que le souffle opère dans les
animaux, ou ce que l'air opère dans la nature.
Aussi l'on peut dire, à la rigueur, que tout s'opère par l'esprit
et par l'air dans tous les détails de l'ordre universel des choses ;
aussi n'y a-t-il dans la nature élémentaire que l'air qui soit
ouvert, et qui ouvre tout, comme dans la nature spirituelle, il n'y a ici-bas
que l'esprit de l'homme qui ait ce double privilège ; et c'est parce
que l'air est ouvert, que la voix de l'Homme-Esprit a de si grands droits sur
toutes les régions.
Car, dans ses concerts où il s'efforce de développer toutes les
merveilles de la musique, les accompagnements représentent le jeu de
toutes les correspondances naturelles, spirituelles, célestes, infernales,
avec la voix de l'homme qui a droit de mouvoir toutes ces régions à
sa volonté, et de leur faire partager ses affections.
Mais aussi, comme l'esprit de l'homme pénètre jusqu'au centre
universel, il ne faut pas être surpris de voir les hommes si ravis et
si entraînés par les différents dons et les différents
talents et occupations auxquelles ils s'attachent. Toutes ces choses conduisent
à un terme final qui est le même, savoir, au magisme de la chose
divine qui embrasse tout, qui remplit tout, et qui perce partout.
Pour peu que les hommes dirigent leur élan, avec quelque constance, vers
une des voies quelconques où ce magisme se plaît, et qui sont innombrables,
tant les sources divines sont fécondes, soit dans le spirituel, soit
dans le naturel, ils ne tardent pas à arriver à l'une de ces sources
qui n'ont que le même magisme pour principe, et bientôt ils se sentent
enivrer de délices qui les transportent, et qui ont toutes pour base
le même Dieu, quoiqu'elles aient toutes des canaux divers.
Voilà pourquoi les hommes seraient tous frères dans l'unité
de leurs enthousiasmes, s'ils portaient les yeux sur l'unité de ce fondement,
et de ce terme de leurs jouissances, qui n'est autre chose que le mouvement
en eux de l'éternelle vie et de l'éternelle lumière, et
ils éloigneraient bientôt toutes ces rivalités, toutes ces
jalousies, toutes ces préférences qui ne tiennent qu'à
la forme et au monde par où ces jouissances leur arrivent.
C'est là ce même principe auquel sans le savoir, les littérateurs
ont essayé de ramener tous les beaux-arts, et c'est à ce même
principe qu'on doit ramener toutes les sciences, toutes les découvertes,
toutes les inventions, tous les secrets, toutes les sublimités des génies
des hommes, ainsi que tous les charmes et toutes les joies que nous pouvons
tous recevoir par ces moyens-là dans ce bas monde ; parce que, si l'esprit
du Seigneur remplit toute la terre, nous ne pouvons nous remuer, que nous ne
touchions à l'esprit du Seigneur.
Or, pour peu que nous approchions de l'esprit du Seigneur, ne sommes-nous pas
imprégnés de félicités ? Et s'il n'y a qu'un seul
esprit du Seigneur, toutes nos félicités ne reposent-elles pas
sur le même siège et ne sont-elles pas radicalement les mêmes
?
L'ennemi a aussi l'élan de son propre esprit, ou un souffle, par le moyen
duquel il cherche à nous soumettre à sa fausse puissance, bien
loin de nous faire triompher. Mais ce souffle de l'ennemi, son esprit enfin
n'est pas ouvert comme celui de l'homme. Voilà pourquoi, quand nous sommes
surveillants, il ne peut rien dans l'ordre de l'esprit, ni même dans l'ordre
de la nature, attendu qu'alors il n'a plus d'accès dans l'air qui, quoique
ouvert, demeure néanmoins fermé pour lui.
C'est ce qui fait que le faux et le figuratif qu'il emploie peut bien aussi
nous peindre les principes ou les plans, et nous les montrer : mais il ne peut
nous les donner, parce qu'il ne les a pas ; ni les réaliser, parce qu'il
n'a que la puissance de destruction, et n'a pas celle de génération.
Toutefois cet ennemi nous prouve par là que son crime primitif a été
sûrement de vouloir s'emparer de la racine des choses et de la pensée
de Dieu, puisqu'il veut sans cesse s'emparer de l'âme de l'homme, qui
est la pensée de Dieu.
Monstre altéré de sang, comment as-tu pu devenir l'ennemi de la
pensée de Dieu ! .... Mais toi-même, homme, n'étais-tu pas
une pensée du Seigneur ? Et cependant tu as pu pécher. C'est ici
que l'homme de désir s'écrie : Ô douleur ! ô mes larmes
! Inondez-moi, couvrez-moi, dérobez-moi à la face du Seigneur,
jusqu'à ce que j'aie pu obtenir de voir clarifier l'homme qui est la
pensée du Seigneur.
Notre esprit est scellé de sept sceaux, et les hommes, par leur réaction
mutuelle, se servent bien réciproquement de clefs, par le moyen desquelles
ils s'ouvrent leurs sceaux spirituels les uns aux autres ; mais il faut que
ce soit Dieu lui-même qui clarifie notre pensée pour qu'elle soit
pure, puisque nous ne pouvons vivre que de notre mère.
Aussi, lorsque Dieu admet un homme au premier rang dans le ministère
de l'Homme-Esprit, c'est pour le transformer en un agent pénétrant,
vif, et dont l'action soit universelle et permanente ; car la voie de Dieu ne
se manifeste pas ainsi pour des uvres indifférentes et passagères.
Aussi tous les univers rassemblés ne devraient pas balancer à
nos yeux le prix d'une semblable élection, si nous avions le bonheur
qu'elle nous fût offerte, puisque nous pourrions alors travailler utilement
au soulagement de l'âme humaine.
Tout est esprit dans l'uvre divine. C'est pourquoi les tribulations corporelles
de ce bas monde, les guerres, les fléaux de la nature, qui ne sont pas
envoyés directement par Dieu, n'occupent pas sa vigilance autant que
le soin des âmes ; et même, tandis que les hommes du torrent se
massacrent, et qu'ils sont corporellement les victimes des catastrophes de la
nature, il est sensible principalement aux maux de leurs âmes, tant son
ardeur et son action tombent sur cette pensée qui lui est chère.
Ce n'est qu'à l'homme mûr, c'est-à-dire, à l'homme
de l'Esprit ; enfin, ce n'est qu'à ses ministres et à ses élus
qu'il a dit que tous leurs cheveux étaient comptés, et qu'il n'en
tomberait pas un seul de leur tête sans sa permission.
Ceux qui ne sont que dans les régions des puissances spirituelles inférieures,
il les laisse régir par ces puissances spirituelles inférieures.
Ceux qui sont encore plus bas, et dans les simples régions de la matière,
tombent dans la classe des bufs ; et, selon Paul, Dieu ne se mêle
pas des bufs, quoique l'esprit s'en soit mêlé lors du Lévitisme,
et par rapport aux Juifs qui alors étaient les apôtres figuratifs.
Mais cet esprit ne s'en mêlait point pour les autres peuples qui ne suivaient
que des esprits d'abomination dans leurs sacrifices.
Ajoutons que souvent mêmes pour ses élus, Dieu ne change point
la marche pénible et désastreuse des choses d'ici-bas ; mais seulement
il leur donne la force d'y résister : ce qui n'empêche pas que,
dans tous les cas, et dans quelques mesures où les hommes se trouvent,
Dieu ne s'occupe de leur âme et de leur esprit avec un soin que notre
faible intelligence ne pourrait comprendre, et que nos langues ne pourraient
exprimer tant il cherche à nous préserver des seuls et véritables
dangers qui nous environnent, et que nous devions craindre ; et tant il voudrait
nous voir réaliser le contrat divin qui accompagne notre origine, comme
nous l'observerons dans un instant.
Je ne puis me dispenser de m'arrêter un moment ici pour considérer
l'homme dans un âge où il ne nous découvre encore aucun
de ces tableaux lamentables que nous venons d'apercevoir en lui, ni aucun de
ces rayons radieux, dont nous l'avons annoncé comme devant être
à la fois le réceptacle et l'organe.
Comment, en effet, en voyant les joies douces et simples des enfants, pourrait-on
imaginer toute l'étendue des vertus et des vices que l'homme fait est
susceptible de manifester, et qui se trouvent encore cachés et resserrés
sous cette enveloppe enfantine ?
Cet être qu'une poupée transporte de joie, qu'une babiole lancée
en l'air fait rire jusqu'aux éclats, et que cette même babiole,
quand on l'en prive, va jeter dans la douleur et dans les larmes ; cet être,
dis-je, peut un jour se développer assez pour élever sa pensée
dans les cieux, pour pencher sa tête sur l'abîme, et y lire par
l'intelligence le juste accomplissement des décrets suprêmes sur
la famille des prévaricateurs ; pour donner au monde le témoignage
vivant de l'existence du modèle divin ; pour offrir aux yeux des hommes
la plus grande pénétration dans les sciences, et le plus grand
héroïsme dans les vertus ; enfin, pour montrer à l'univers
un modèle accompli dans tous les genres.
Mais malheureusement ce même être peut offrir le modèle inverse,
s'enfoncer dans l'ignorance et dans les crimes, être l'ennemi du principe
même qui l'a formé, et devenir le foyer actif de toutes les dépravations
et de toutes les abominations réunies.
Ce contraste est si déchirant qu'on ne peut, sans s'affliger, en contempler
la perspective dans ces tendres et innocentes créatures, qui sous un
dehors si intéressant, recèlent peut-être pour l'avenir
toutes les altérations et toutes les honteuses dégradations de
l'âme, du cur et de l'esprit ; qui dans leurs faibles rameaux nourrissent
peut-être une sève pestilentielle, dont l'explosion n'en sera que
plus meurtrière pour être plus tardive, et différée
à un autre temps ; enfin, qui portent peut-être dans leurs essences
un suc actuellement doux et bienfaisant, mais qui peut devenir un jour le poison
le plus amer et le plus corrosif.
Comment soutenir cette idée, que l'ingénuité de cet être
pour qui la moindre chose est une jouissance innocente, arrive un jour à
la férocité des tigres, qu'il devienne le persécuteur de
ses semblables, et soit, en un mot, la victime et le jouet de cet ennemi, dont
j'ai cru pouvoir dire précédemment que nous étions tous
ici-bas les serviteurs ?
Mais ce qui peut tempérer, sinon guérir les douleurs que l'homme
de désir éprouve sur cette lamentable perspective, et ce qui peut
en même temps lui donner de consolantes espérances pour l'avenir,
c'est que le contrat divin est aussi écrit de nouveau dans les essences
de cette faible plante, et que ce contrat divin porte avec soi un spécifique,
qui non seulement pourra contenir en elle les germes désharmonisés
dont elle est peut-être déjà infectée, mais faire
fleurir en elle les germes féconds et divins, dont, à plus forte
raison, elle est également dépositaire par les droits de son origine.
Oui, on ne saurait trop admirer la sagesse suprême en voyant avec quelle
progression douce elle s'efforce continuellement de conduire l'homme au terme
supérieur pour lequel il a reçu l'être et la vie ; et si
des yeux intelligents et amis du bien veillaient avec soin sur l'enfance de
l'homme, et concouraient, avec le pouvoir supérieur, à faire fructifier
dans cette jeune plante les trésors dont le contrat divin l'a enrichie,
il n'y a pas de délices et de ravissements auxquels elle ne pût
prétendre, à toutes les époques de son existence.
Tous les pas de cet homme seraient paisibles, tous ses mouvements seraient liés,
tous ses progrès seraient unis insensiblement les uns aux autres, et
la joie divine les accompagnerait tous, parce qu'elle en doit être le
terme comme elle en a été le principe ; enfin, il arriverait presque
sans peine et sans trouble, comme sans efforts, à cette hauteur de perspicacité,
d'intelligence, de sagesse, de vertus et de puissances dont il paraît
tellement éloigné dans son bas-âge, qu'on a besoin de se
recueillir pour croire qu'un jour il puisse en être susceptible.
Néanmoins il serait bon d'apprendre à cette jeune plante une vérité
bien instructive, quoiqu'elle soit d'une couleur plus sombre. C'est qu'il faut
malheureusement que la sagesse, qui par elle-même devait autrefois nous
procurer tant de joie, se couvre pour nous ici-bas des vêtements du deuil
et de la tristesse ; il faut que nous mettions aujourd'hui notre sagesse à
souffrir au lieu de nous réjouir, parce que le crime a tout partagé,
et a fait qu'il y a deux sagesses. La seconde ou la dernière de ces sagesses
n'est pas la vie, mais elle rassemble la vie en nous, et nous met par là
en état de recevoir la vie ou la sagesse primitive, et source de toute
joie ; aussi c'est cette sublime sagesse primitive qui entretient tout et qui
crée tout. Voilà pourquoi elle est toujours jeune.
Il faudrait aussi lui apprendre à cette jeune plante, à mesure
qu'elle avance dans sa croissance, que si la sagesse suprême ne peut pas
se permettre de nous montrer ici-bas la Jérusalem céleste elle-même,
telle qu'elle exista autrefois dans l'âme de l'homme, au moins elle veut
bien quelquefois nous en laisser parcourir les plans, et que cela est suffisant
pour nous remplir des plus douces consolations.
Il serait bon de lui apprendre et de l'engager à se convaincre, par sa
propre expérience, que la prière doit être une alliance
spirituelle continuelle, car nous ne devons prier qu'avec Dieu, et notre prière
ne mérite ce nom qu'autant que Dieu prie en nous, puisque ce n'est qu'ainsi
qu'on prie dans le royaume de Dieu.
Il serait bon de lui apprendre que les médecins sont censés connaître
toutes les propriétés et la nature des substances médicinales
dont ils se servent pour la guérison des maladies ; qu'ils sont censés
avoir pénétré toutes les vertus des remèdes, et
par conséquent être en état de pouvoir guérir tous
les maux ; que cette simple observation peut lui suffire pour lui faire ouvrir
les yeux sur la destination originelle de l'homme ; qu'ainsi cette destination
devait s'étendre sans doute jusqu'au pouvoir de réparer tous les
désordres ; qu'elle devait s'étendre sans doute jusqu'au pouvoir
de guérir tous les maux ; enfin, qu'elle devait s'étendre sans
doute jusqu'au pouvoir de connaître les propriétés des substances
de toute la nature et de toutes les régions, puisque toute la nature
et toutes les régions étaient soumises à l'homme.
Il serait bon de lui montrer, d'après cela, quelle honteuse dégradation
cet homme a subie.
Il serait bon de lui dire que l'homme de vérité ne doit point
entrer en rapports avec les hommes du torrent, qu'il perdrait trop à
la confrontation, et que d'ailleurs ce qu'il s'expose à perdre n'est
pas à lui, mais à son maître.
Il serait bon de lui dire que l'homme qui n'est pas sur ses gardes, est plus
en danger parmi les hommes égarés, qu'il ne le serait parmi les
démons, parce que les hommes réunissent aujourd'hui deux puissances
dont ils abusent à leur gré, en les travestissant l'une dans l'autre,
au lieu que le démon n'en a plus qu'une ; d'ailleurs le démon
n'a point de forme à lui, il est obligé de s'en créer à
tout moment pour servir de réceptacles à sa puissance ; mais l'homme
porte partout avec lui une forme qui est à la fois le réceptacle
et l'instrument de ses deux puissances.
Il serait bon de lui dire à ce sujet qu'il y a nombre d'esprits errants
qui cherchent à se vêtir de nous, tandis que nous-mêmes,
nous sommes presque nus malgré notre corps, et que nous n'avons autre
chose à faire ici-bas que de chercher à nous vêtir de notre
premier corps qui est celui dans lequel la divinité peut habiter.
Il serait bon de lui dire que la chasteté comprend à la fois la
pureté du corps, la justesse de l'esprit, la chaleur du cur, l'activité
de l'âme et de l'amour ; car elle s'étend généralement
sur tout ce qui est vertu, et elle est l'absence de tout vice.
Il serait bon de lui dire que les vertus que nous cultivons, que les intelligences
que nous acquérons, sont autant de lampes que nous allumons autour de
nous, et qui brûlent près de nous pendant notre sommeil.
Il serait bon de lui dire que tous les types se répètent et se
tiennent les uns aux autres, parce que n'y ayant qu'une action, elle doit se
renouveler sans cesse et montrer partout son unité ; mais que comme ces
types s'opèrent dans le temps, ils doivent suivre la loi du temps et
de toutes les choses successives, qui est que plus elles descendent et se multiplient,
plus elles deviennent sensibles et substantielles ; que c'est pour cela que
ces types devenant plus semblables et plus analogues, ils deviennent aussi plus
confus et plus difficiles à discerner ; que c'est pour cette raison que
les meilleures choses finissent par s'obscurcir et s'anéantir entre les
mains des hommes, parce qu'ils n'en distinguent pas les nuances ; enfin, que
c'est pour cela que la matière ignore ce que c'est que le péché
; car par elle-même étant toujours dans les analogues ténébreux,
elle ne peut point reconnaître de différence.
II serait bon de lui dire qu'il n'y a presque que des types d'humiliation pour
l'homme dans tous les êtres de la nature, qu'ils sont tous actifs, vigilants,
réguliers, et que lui seul est passif, indifférent, lâche,
et en quelque sorte une espèce d'être monstrueux.
Il serait bon de lui dire que Dieu est tellement distinct des choses sensibles,
quoiqu'il les gouverne, que notre nature terrestre, ni les hommes matérialisés,
ne peuvent rien connaître à la manière dont nous devons
le faire remarquer des nations, puisque même notre parole spirituelle
est inintelligible à nos sens. Aussi devons-nous être entièrement
renouvelés des sens et des choses figuratives, si nous voulons devenir
les témoins spirituels de la parole, et entrer dans le ministère
de l'Homme-Esprit.
Il serait bon de lui dire que depuis le commencement des choses, les fleuves
vont de leur source à leur terme, sans savoir s'ils traversent des villes
opulentes ou des hameaux, des lieux arides ou des contrées fertiles et
embellies par la nature et la main des hommes ; et que c'est ainsi que l'homme
de désir doit tendre au but qui l'attend, sans s'informer de ce qui borde
sa route terrestre tant doit être vive l'ardeur qui le presse.
Il serait bon de lui dire que quand l'homme de désir travaille sur soi,
il travaille réellement pour les autres hommes, puisqu'il s'efforce et
concourt par là à leur montrer dans sa pureté l'image et
la ressemblance de Dieu, et que c'est la connaissance de cette image et de cette
ressemblance dont ils ont exclusivement besoin.
Il serait bon de lui dire que quand les déistes reconnaissent l'existence
d'un Être suprême, et que cependant ils ne veulent pas qu'il s'occupe
du gouvernement de ce monde, ni des hommes qui l'habitent, leur erreur ne vient
que de ce qu'ils se sont fait matière et brutes ; qu'en effet Dieu ne
se mêle pas de la matière ni des brutes, mais qu'il les fait diriger
par ses puissances ; que d'un autre côté les déistes assoupissent
leur âme de manière que Dieu ne l'approche plus et ne la mène
plus, puisqu'il ne peut se plaire que dans son image et ne se mêler que
de son image, et que c'est pour cela qu'ils disent que Dieu ne se mêle
pas du gouvernement de l'espèce humaine, parce que véritablement
dans l'état de dégradation et de ténèbres où
les déistes se laissent descendre, il ne se mêle pas d'eux.
Il serait bon de lui dire que c'est en vain que les hommes du torrent essaient
de suppléer à leur éloignement de l'intellectuel, en se
rejetant sur le sensible ; que ce sont leurs faux systèmes qui les ont
conduits à cette conséquence et à cette hypocrite doctrine
; qu'ils ne célèbrent si hautement ce qu'ils appellent l'humanité,
que parce qu'ils prennent le bien-être du corps, pour le bien-être
du véritable homme, qui n'est autre chose que l'Homme-Esprit régénéré
; qu'ils font usage de cette prétendue vertu, même envers les bêtes,
et qu'ils croient satisfaire par-là à tout ce qui leur est imposé
; qu'enfin ils ne feraient pas un cas si exclusif de tout ce qui concerne l'ordre
animal et matériel, s'ils ne se croyaient pas de la même nature.
Il serait bon de lui dire que la preuve que la pensée vraie ne vient
pas de nous, c'est que si nous en étions créateurs, nous ne serions
plus dans la dépendance de Dieu ; que la pensée fausse ne vient
pas de nous non plus ; que nous sommes simplement placés entre l'une
et l'autre, pour faire le discernement de la source divine avec la source infernale
; qu'il faut remarquer que les hommes ne peuvent rien se communiquer entre eux,
qu'en rendant sensibles leurs pensées par la parole ou par des signes
équivalents ; qu'il en résulte que toute pensée nous venant
du dehors, est sensible dès qu'elle se communique à nous, et ainsi
est nécessairement prononcée, quoique nous ne l'entendions pas
toujours sensiblement ou matériellement ; qu'ici les enfants nous servent
d'exemple ; que nous ne pouvons nier qu'ils n'aient des sens, mais qu'en vain
voudrions-nous leur communiquer nos pensées par la parole, parce que
nous sommes sûrs qu'ils n'en entendraient pas même les sons ; que
dans un âge plus avancé, ils en entendent les sons et n'en comprennent
pas le sens ; enfin que dans un état plus parfait, ils en entendent les
sons, et le sens, et que par conséquent ils reçoivent la communication
intime de nos pensées ; que dans le vrai, on parle moins que l'on n'agit
autour des enfants en bas âge ; mais que certainement ils ne voient ni
n'entendent ; que nos mouvements et le bruit sont perdus pour eux ; qu'ils ne
sont affectés d'abord que par les sens les plus grossiers ; savoir, le
tact passif, l'odorat et le goût ; .qu'à cet état borné
succède l'usage de la vue et de l'ouïe, puis enfin la parole, laquelle
parole est encore assujettie à une progression très lente, attendu
qu'elle ne commence que par des cris, et que c'est là où l'homme
peut s'humilier et apprendre sa leçon.
Il serait bon de lui dire que les grandes et magnifiques idées que Dieu
nous envoie si souvent dans le cours de notre pénible expiation, sont
autant de témoignages dont on peut se servir avec lui quand on l'implore
; et que si nous voulons le remplir de joie, nous n'avons qu'à les employer,
et lui rappeler par là ses promesses et ses consolantes faveurs.
Il serait bon de lui dire que Dieu ayant été seul quand il a formé
l'homme, ce Dieu veut aussi être seul à l'instruire et à
le faire pénétrer dans ses profondeurs divines.
Il serait bon de lui dire combien il doit se conduire avec prudence dans l'administration
des trésors divins qui peuvent lui être confiés par la suprême
munificence, puisqu'il ne lui faudra pas marcher longtemps dans la carrière
de la vérité, pour sentir qu'il y a des choses qu'on ne peut pas
dire, même à l'esprit puisqu'elles sont au-dessus de lui.
Il serait bon de lui dire qu'il y a une ligne et un ordre d'instruction dont
il ne doit jamais s'écarter, quand il essaie de diriger l'intelligence
de ses semblables, et cet ordre d'instruction, le voici : distinction de deux
substances dans l'homme ; notre pensée, miroir divin ; existence de l'être
supérieur, prouvée par ce miroir quand il est net et pur ; notre
privation prouvant une justice ; cette justice prouvant une altération
libre et volontaire ; l'amour suprême se réveillant ; lois de régénération
données dans les diverses alliances ; terme de retour ; vie spirituelle
; lumière ; parole ; union ; entrée dans le lien de repos : telle
doit être la marche de l'enseignement, si le maître ne veut pas
tromper les disciples, les égarer ou les retarder.
Il serait bon de lui dire qu'il ne doit pas se flatter de posséder jamais
la sagesse par mémoire, et par la simple culture de l'entendement ; que
cette sagesse est comme l'amour maternel qui ne peut se faire réellement
sentir qu'après les fatigues de la gestation et les douleurs de l'enfantement.
Enfin, il serait bon lui dire qu'il ne suffit pas à l'homme d'acquérir
le flambeau de cette sagesse ; mais qu'il faut encore le conserver ce qui est
incomparablement plus difficile.
Lorsque nous tombons de quelque endroit élevé, notre tête
tourne si fort pendant la chute, que nous ne nous apercevons de rien ; ce n'est
qu'au moment du choc que le sentiment vif de la douleur vient nous pénétrer
; encore souvent demeurons-nous sans mouvement et sans connaissance. Telle a
été l'histoire de l'âme humaine lors de la prévarication.
Elle perdit de vue la région glorieuse d'où elle se précipitait
par sa chute, et l'homme tout entier se trouva comme mort et privé de
l'usage de toutes les facultés de son être.
Mais la marche de notre traitement curatif fut aussi la même que dans
notre science médicinale humaine. De même que quand un homme fait
une chute ou éprouve quelque autre accident qui le blesse grièvement,
le médecin prudent le fait saigner avec abondance, pour prévenir
l'inflammation ; de même après la terrible chute de la famille
humaine, la sagesse divine retira à l'homme presque tout son sang c'est-à-dire,
toutes ses forces et toutes ses puissances ; sans quoi, ce sang, ne trouvant
plus les organes en état de concourir à son action, aurait achevé
de les briser. Il est vrai que cette précaution indispensable de la part
du médecin peut bien diminuer, par la suite la longueur de la vie du
malade, qui, sans cela, eût peut-être été plus grande.
C'est par cette même raison que Dieu a abrégé nos jours,
comme il abrège la durée du monde en faveur de ce que l'on appelle
les élus ; sans quoi nul homme n'aurait été sauvé.
Conformément aussi à ce régime médicinal humain,
on a commencé par nous donner des eaux spiritueuses pour nous faire revenir
; puis on nous a appliqué des baumes restaurateurs, et enfin on nous
a accordé des aliments substantiels et vivifiants pour nous rendre entièrement
nos forces.
Lorsque par la tendre effusion de l'amour suprême, les premiers traitements
furent employés envers l'âme humaine, le mouvement lui fut rendu,
et ce mouvement la mit à même de profiter, pour son instruction,
du mouvement qui régissait l'univers ; car ces deux mouvements devaient
être coordonnés. En effet, nous cherchons journellement à
coordonner notre pensée avec tout ce qui agit dans cet univers ; et c'était
véritablement une faveur particulière accordée à
l'âme humaine, que celle qui lui fournissait les moyens de contempler
encore la vérité dans les images de ce monde, après qu'elle
s'était bannie du séjour de la réalité.
Elle avait su pendant sa gloire, cette âme humaine, qu'elle ne devait
avoir d'autre Dieu que le Dieu suprême ; et quoiqu'elle ne dût,
en effet, connaître le complément de cette gloire qu'après
qu'elle aurait atteint le complément de son uvre, cependant, pour
peu que dans son état primitif elle eût goûté le charme
des merveilles et des douceurs divines, elle ne devait pas ignorer que rien
ne pouvait être comparé à leur principe.
Néanmoins elle se laissa attendrir par le pouvoir d'un principe inférieur
qui est ce monde physique universel, où les étoiles et les astres
exercent un emploi si important que l'âme humaine devint corporellement
soumise à leur régime. Mais quoiqu'elle fût tombée
dans ce régime inférieur et qui tenait à sa dégradation,
la source qui avait produit cette âme humaine, ne voulut point la perdre
de vue et lui transmit, dans ce nouvel ordre de choses, le précepte fondamental
de sa loi primitive.
Ainsi, dans le monde physique, le soleil est un organe matériel de cette
sublime révélation qui est bien antérieure aux livres ;
c'est lui qui la prophétisa dès le commencement de ce monde, comme
il ne cessera de la prophétiser à tous les peuples jusqu'à
la consommation des choses.
C'est pendant la nuit, c'est pendant l'absence de soleil que les étoiles
nous transmettent leurs clartés ; c'est alors que le règne de
ces Dieux des nations se manifeste ; c'est alors que malgré la lumière
que les astres répandent, la terre est néanmoins dans l'obscurité,
que les odeurs des fleurs se suspendent, que la végétation se
ralentit, que les cris lugubres des animaux de ténèbres se font
entendre, que les crimes et les vices des malfaiteurs se déploient, et
que les plans injustes et les uvres d'iniquité s'accomplissent
; c'est alors, en un mot, que dominent et triomphent ces hauts lieux sur lesquels
tous les peuples de la terre ont offert des sacrifices, d'abord illusoires,
et bientôt devenus iniques et abominables, par les influences infectes
du prince de la perversité, comme nous le verrons tout à l'heure.
Mais dès que le jour s'annonce, la lumière de ces astres s'affaiblit
pour nous ; elle s'évanouit tout à fait quand le jour a acquis
son degré et sa force, et le soleil, en faisant disparaître, par
sa seule présence, la vaine multiplicité de ces faux Dieux, semble
dire à tout l'univers ce qui fut dit à l'âme humaine, lorsqu'elle
sortit de sa glorieuse source : Vous n'aurez point d'autre Dieu devant moi.
Âme humaine, tu avais oublié cette loi supérieure, lorsque,
dans ton état de splendeur, tu te laissas égarer par un faux attrait
; mais cette loi inextinguible t'a poursuivie jusque dans ton abîme terrestre,
parce que le principe des choses ne peut rien produire sans imprimer partout
les éloquents caractères de sa langue divine.
Cependant, malgré la puissance de ce signe si instructif, les peuples
n'ont pris que la lettre de ce phénomène, au lieu d'en prendre
l'esprit ; et c'est une des causes qui ont engendré le culte et l'idolâtrie
du soleil.
Car l'idolâtrie du feu vient de plus loin ; elle n'a pu s'engendrer qu'autant
que, par une suite des droits primitifs de l'homme, quelques mortels auront
connu sensiblement l'origine du feu (ce qui n'est pas seulement voir briller
des éclairs, et tomber la foudre), parce que c'est une vérité
fondamentale, que chaque chose doit faire sa propre révélation,
comme il n'y a rien de ce qui s'opère dans l'universalité des
êtres qui n'en soit la preuve.
Lors donc que l'amour suprême te vit t'égarer encore par le moyen
même qu'il t'avait offert pour t'aider à rectifier tes voies ;
lorsqu'il te vit te blesser de nouveau par ces objets sensibles qu'il avait
exposés devant toi pour te distraire de tes douleurs, il ne put s'empêcher
de faire retentir à tes oreilles, par des moyens plus actifs, cette importante
ordonnance : Vous n'aurez point d'autre dieu devant moi.
Comme le spectacle de la nature en harmonie ne produisait auprès de toi
qu'un effet contraire à celui qu'il s'était proposé, il
laissa agir sur toi les pouvoirs de cette même nature en désharmonie,
pour tâcher de te ramener par des tribulations et des souffrances, à
une mesure à laquelle tu n'avais pas su te tenir par ton intelligence
; et c'est là la clef de tous ces fléaux dont l'histoire des peuples
fait mention dans toutes les religions de la terre.
C'est ainsi qu'une mère naturelle se conduit avec son enfant, un instituteur
avec son élève, en les laissant supporter pendant un temps les
suites des abus auxquels ils se sont livrés par faiblesse et par légèreté,
et cela afin que l'expérience les rende plus réservés à
l'avenir.
Mais quand ces épreuves ne réussissent pas, quand le danger devient
trop pressant, et que le jeune imprudent, au lieu de se retirer du péril,
ne fait que s'y enfoncer, jusqu'à courir le risque de la vie ; alors
la mère, ou l'instituteur, s'approchent eux-mêmes de lui, et lui
retracent d'une manière plus imposante les préceptes importants
qu'ils lui avaient enseignés auparavant, afin d'opérer en lui,
par la crainte, ce qu'ils n'avaient pas pu y produire par leur douceur ; et
c'est là une raison positive et naturelle de toutes ces manifestations
divines et spirituelles, dont l'histoire religieuse de l'homme, soit écrite,
soit non écrite ne peut manquer de se trouver remplie.
Oui, âme humaine, c'est sûrement ainsi que l'amour suprême
s'est conduit avec toi, lorsqu'il a vu que les grands fléaux de la nature
que tu avais provoqués par tes inadvertances, ne t'avaient pas rendu
plus sage. Il s'est approché de toi avec tous les traits d'un zèle
inquiet, et en prenant un ton menaçant, il t'a rappelé les anciennes
ordonnances sur lesquelles ton origine et le contrat divin étaient fondés
; qu'il avait prononcées devant toi après t'avoir donné
l'existence ; qu'il avait fait prononcer de nouveau à la nature, après
que tu t'étais assujettie à son régime figuratif, et qui
pourraient à tout moment retentir dans ton être le plus intime,
puisque tu es toujours originairement l'organe de l'éternelle source
divine, et puisque ce qu'elle a prononcé une fois ne peut plus cesser
de se prononcer sans interruption et dans la durée de toutes les éternités.
Aussi ne doutons plus que toutes les traditions des peuples ne nous offrissent
des traces de cette marche attentive de l'amour suprême envers toi. Ne
doutons plus que depuis l'origine des choses, il ne se soit conduit envers les
nations, comme il le fait encore tous les jours envers les individus, en s'efforçant
par de violents mouvements secrets, de les réveiller au milieu de leurs
assoupissements, et de les arracher aux dangers où ils se sont exposés
par leurs imprudences ; ne doutons pas enfin que ce ne soit dans cet esprit,
et par cet esprit, que Moïse nous ait peint dans l'Exode la voix suprême
proférant au milieu des éclairs et des tonnerres, devant le peuple
Hébreu, cette impérieuse et exclusive ordonnance divine que les
nations avaient si fort oublié : Vous n'aurez point d'autre Dieu devant
moi.
Indépendamment de mille autres leçons instructives que la nature
est chargée par l'amour suprême de transmettre tous les jours et
physiquement à l'âme humaine, nous sommes intimement convaincus
que chaque chose, pour avoir seulement un nom parmi les hommes, doit avoir fait
sa propre révélation. Ainsi les pratiques religieuses que l'on
voit universellement en usage parmi les hommes, ne permettent pas de douter
que cet amour suprême n'ait ouvert aussi en ce genre quelque espèce
de voie de réhabilitation pour l'âme humaine, quoique d'énormes
amas de décombres se soient tellement accumulés sur ces sources
restauratrices, qu'à peine peuvent-elles être reconnaissables.
Et même quand on sentira ce rigoureux principe, qu'il est nécessaire
qu'une chose fasse sa propre révélation, sans quoi nous n'aurions
jamais pu ni la connaître, ni la répéter, ni nous la transmettre
; nous verrons qu'il n'est pas jusqu'à la politique et à tous
les établissements civils des hommes dont nous ne trouvassions le modèle
hors de nous et au-dessus de nous. Oui, s'il n'y avait pas en haut des légions,
des différents degrés de supériorité, des chefs,
des gouvernements, nous n'aurions aucune de ces institutions-là parmi
nous. Et même l'homme ici-bas marche sous l'il et l'égide
de puissances invisibles dont il tient tout, mais qu'il ne cherche guère
à connaître, et auxquelles il n'est pas plus disposé à
croire à force de s'enivrer de sa propre puissance ; mais s'il s'enivre
ainsi de sa propre puissance, c'est qu'en effet il devait en avoir une plus
réelle ; c'est qu'il devait avoir un empire et des sujets fidèles
et soumis.
Quand, par exemple, un souverain, un général se trouve environné
de ses armées, quand des chefs militaires font de brillantes revues de
leur troupe, quand ils sentent dans ces occasions une joie secrète et
glorieuse d'avoir sous les yeux tant de soldats dévoués à
leurs ordres et en si magnifique tenue ; quand, enfin, ils semblent dire à
tous les spectateurs : non seulement c'est de moi que dépendent toutes
ces forces dont je puis disposer, mais c'est par moi qu'elles sont créées,
et c'est de moi qu'elles tiennent tout ce qu'elles sont ; ces chefs ne font
que répéter dans un ordre conventionnel et apparent, ce qui aurait
du avoir lieu pour l'homme primitif dans un ordre positif et fixe.
Car cet homme primitif aurait eu aussi des légions sur lesquelles il
aurait eu une autorité absolue, en leur communiquant son esprit, comme
nous voyons qu'un général fait passer, pour ainsi dire, sa volonté
dans les cent mille hommes qu'il commande, que par là il les rend uns
avec lui, et leur ôte en quelque sorte leur volonté propre, pour
ne leur donner que la sienne, sans quoi son empire sur eux serait une chose
inexplicable et impossible.
Cet homme primitif aurait donc pu aussi se contempler dans ses cohortes, et
recueillir par là une véritable gloire, parce qu'il aurait été
pour quelque chose dans les avantages qu'elles auraient eus, dans la beauté
de leur armure et dans leur invincible courage à défendre la cause
de la justice, toutes merveilles qu'en effet il aurait pu faire sortir de lui,
et faire naître à son gré dans ses subordonnés. Au
lieu de cela, ici-bas on lui amène sous les yeux ses légions toutes
préparées, toutes vêtues, toutes armées, toutes dressées
; et là, il n'a pas toujours semé lui-même tout ce qu'il
recueille, puisque la plupart de ceux qu'il inspecte, il ne les a peut-être
jamais vus, et ne sait pas même quels noms ils portent, espèce
de connaissance qui eût fait la vraie force de l'homme primitif en présence
de ses redoutables cohortes.
Or, ce que nous disons là dans l'ordre militaire, nous pouvons le dire
de toutes nos autres institutions politiques et sociales, puisque nous pourrions
le dire même dans l'ordre de la nature attendu que dans toutes ces classes
l'homme aurait pu concourir avec toutes les régions, et avec toutes les
puissances de toutes les régions, pour leur faire produire ces merveilleux
tableaux, et ces ravissants spectacles, qui, dans tous les genres, auraient
enchanté ses yeux, et rempli son coeur d'une gloire justement acquise
et méritée, tandis que dans cette mesure bornée où
il se trouve, il n'est souvent que pour bien peu de chose dans tout ce dont
il s'entoure, et dans tout ce dont il se glorifie.
Mais si c'est d'en haut que l'homme a reçu et tient tout ce qu'il trouve
de meilleur pour l'administration de ses semblables, il devrait donc penser
que plus il lirait en haut, plus il y découvrirait d'excellentes choses
pour son bien-être et celui de toute la nature humaine ; comme c'est d'en
haut qu'ont dû lui venir toutes les voies restauratrices que l'amour suprême
a dû lui offrir pour sa réhabilitation depuis sa chute.
(Sur l'objet de ces voies religieuses ouvertes à l'homme par l'amour
suprême j'engagerai le lecteur à puiser, s'il le peut, dans un
des ouvrages de Jacob Boehme, intitulé Mysterium magnum, le grand Mystère.
Il y verra de nombreuses ramifications de l'arbre de l'alliance, que cet amour
suprême a renouvelée avec l'homme depuis sa dégradation.
Il y verra la sève de cet arbre se montrer d'abord dans les racines puis
se développer successivement dans les différents bourgeons à
mesure qu'ils s'étendent, et enfin, déployer dans les fleurs et
les fruits de cet arbre toutes les propriétés contenues dans son
germe et élaborées dans ses canaux ; il y verra continuellement
la ligne réelle enveloppée sous la ligue figurative, et cependant
une seule et unique sève parcourant simultanément ces deux différentes
lignes, s'y faisant reconnaître même dans la diversité des
caractères qu'elle prend, et harmonisant ainsi toutes les époques
qu'elle embrasse dans son cours. Mais il y verra aussi une sève opposée
circuler également sur la terre, depuis que nous y sommes emprisonnés,
et offrir depuis cette première époque jusqu'à nos jours
un sanctuaire d'abomination, à côté du sanctuaire de la
sainteté. Les tableaux qu'il rencontrera dans cet auteur l'instruiront
considérablement sur le cours de ces différentes voies religieuses
qui se sont étendues sur la terre, et je me contente de lui indiquer
ce dépôt, que sans cela il me faudrait traduire et transcrire presque
en entier).
Parmi ces institutions religieuses établies généralement
sur la terre, et dont nous avons comme absolument perdu les traces, les sacrifices
des animaux et des autres productions de la nature paraissent tenir une place
très importante, et mériter que nous les considérions avec
quelque détail, d'autant que ni les traditions, ni les observateurs ne
nous ont rien transmis de satisfaisant sur cet objet, et Jacob Boehme lui-même
ne nous a rien donné de complet sur cet article, quoiqu'il nous ait présenté
à cet égard de magnifique aperçus.
Non, on ne peut le nier, ces sacrifices généralement en usage
sur le globe, nous attestent, malgré leurs abus, et peut-être par
ces abus mêmes, que depuis la grande altération et depuis que l'homme
coupable fut replacé dans la voie de son retour, ils doivent être
au nombre de nos privilèges, et être compris parmi les secours
qui nous ont été accordés par la sagesse, pour faire revivre
autant que possible notre contrat divin, et comme tels, ils doivent entrer dans
les connaissances relatives au ministère de l'Homme-Esprit.
Malgré les efforts réitérés de la philosophie mensongère,
pour anéantir la sublime nature de l'homme, il n'est plus temps de douter
qu'il ne soit né pour une destination considérable ; et l'immensité
des dons qu'il peut encore découvrir en lui au milieu de sa misère,
est un indice de ceux qu'il a pu posséder autrefois avec plus d'abondance.
Ne craignons donc point de nous égarer, en voyant l'homme au sein de
l'univers, comme un roi coupable, livré au pouvoir de tous ses sujets,
qu'il a entraînés lui-même aux désordres et à.
l'anarchie par l'injustice de son gouvernement ; mais voyons-y en même
temps l'éternelle raison des choses, planant au-dessus de cette mer agitée,
et tendant par le poids immuable de sa sagesse à faire reprendre à
toutes nos facultés désharmonisées, le calme et l'équilibre
qui sont le propre de leur nature.
Peut-être même cela nous conduira-t-il à reconnaître
que dans l'état primitif et avant la chute, l'homme aurait eu aussi à
remplir le ministère des sacrifices, non pas, il est vrai, des sacrifices
d'expiation, puisqu'il était pur, mais des sacrifices de gloire pour
son principe ; non pas non plus des sacrifices sanglants, mais des sacrifices
des merveilles divines renfermées dans tous les êtres, et qu'il
aurait eu le pouvoir de développer devant Dieu qui lui aurait confié
ce ministère, parce que l'homme était comme établi dans
le centre de la création universelle.
Mais en ne nous occupant ici que des sacrifices en usage sur la terre, et de
leur sens particulier, soit spirituel soit physique, nous verrons l'homme lié
au sang qui paraît être l'organe et le repaire de tous ses ennemis
ici-bas, qui paraît en un mot être le sépulcre de servitude
où ce roi idolâtre est englouti tout vivant pour avoir voulu s'opposer
aux décrets de la Providence et pour avoir adoré des dieux étrangers.
La loi qui condamne l'homme à cette servitude, a pour but de le tenir
dans la privation, afin que cette privation le conduise au repentir ; le repentir
à l'aveu de ses fautes, et l'aveu de ses fautes à la voie qui
peut lui en faire obtenir le pardon ; et comme la sagesse suprême est
inépuisable dans le zèle qui l'anime pour ce malheureux exilé,
elle a dû lui procurer les moyens de se guérir des maux qu'il peut
recevoir chaque jour de la main de ses ennemis ; elle a dû lui en procurer
pour se préserver des attaques de ces mêmes ennemis ; elle a dû
enfin lui en procurer, pour obtenir même des consolations dans sa misère
; et nous ferons en sorte de montrer que tel a été l'esprit de
l'institution des sacrifices, quelque absurdes et quelque impies que ces cérémonies
aient pu devenir sur la terre, en passant par la main des hommes, et en se dépravant
par l'empire de ces mêmes ennemis qu'elles avaient pour objet d'éloigner.
Une loi positive et connue que je retrace ici aux amis de la sagesse, comme
un des plus utiles flambeaux qui brillent dans leur carrière, c'est que
malgré la diversité innombrable de tant d'êtres et de tant
de classes qui composent l'univers, il y a des unités d'action particulières,
qui embrassent des classes entières, et opèrent sur les individus
de ces classes, en raison de leur analogie naturelle.
C'est là ce qui fait que dans toutes les productions de la nature, il
y a des genres, des espèces, des failles où tout porte l'empreinte
de cette unité d'action selon sa classe.
Les puissances et les facultés de notre esprit offriraient sans doute
la même loi, en montrant une sorte d'uniformité dans les mouvements
des pensées de l'homme, qui ramène tous ses systèmes à
un nombre limité de théorèmes et d'axiomes et toutes ses
institutions à des formules fondamentales qui ne varient presque pas.
L'art médicinal, le moral, le politique, les assemblées délibérantes
et scientifiques, enfin ce qui tient à l'ordre religieux, et si j'ose
le dire, l'ordre infernal lui-même, tout viendrait en foule ici déposer
en faveur de ce principe.
Par cette loi, la même action physique qui gouverne le sang de l'homme,
gouverne aussi le sang des animaux, parce que le corps de l'homme est de leur
classe. Mais si la même action physique gouverne le sang de l'homme et
le sang des animaux, elle est exposée, sans doute, aux contractions et
aux désordres qu'ils peuvent éprouver l'un et l'autre, et cette
loi physique quoique n'étant pas fondée sur la liberté,
comme les lois morales, peut néanmoins subir des dérangements,
en raison des obstacles et des oppositions qui environnent et menacent tout
ce qui existe dans la nature.
Si ces divers individus sont sujets aux mêmes lois, quant aux désordres
auxquels ils sont exposés, ils jouissent aussi des perfections attachées
à l'unité de l'action régulière qui les gouverne
; et si les dérangements leur sont communs, le rétablissement
doit l'être également, d'où l'on peut présumer d'avance
l'esprit et les divers emplois des sacrifices ; mais ce coup d'il ne serait
pas suffisant si nous ne découvrions pas comment ces sacrifices peuvent
opérer, et comment les fruits qui en résultent, peuvent parvenir
jusqu'à l'homme.
La loi des Hébreux nous annonce qu'il y a des animaux purs et des animaux
impurs. Jacob Boehme en donne une raison positive dans la diversité des
deux teintures en harmonie avant le crime, et subdivisées depuis la grande
altération. La nature permet que cette distinction ne nous paraisse pas
très étrangère, puisque parmi les animaux nous en reconnaissons
de salutaires et de malfaisants. Ainsi, quand l'écriture n'aurait eu
là qu'un sens physique, elle ne se serait pas éloignée
de la probabilité.
Que serait-ce donc si elle avait eu là aussi un sens spirituel ? Et dans
le vrai, la matière n'ayant qu'une vie de dépendances et n'ayant
d'existence, de vertus et de propriétés que par les diverses actions
spiritueuses qui l'engendrent, la combinent, la constituent et la caractérisent
; étant, en outre, le continuel réceptacle de puissances étrangères
à l'ordre, et qui ne tendent qu'à poser partout leur sceau d'irrégularité
et du confusion, il n'est pas étonnant que cette matière nous
offre les types et le jeu de toutes ces actions diverses et opposées,
dont notre propre esprit nous fait lire en nous-mêmes les tristes témoignages.
Ainsi, lorsque l'homme a laissé attacher sur lui quelque action désordonnée,
l'animal pur pourrait donc être un moyen pour soustraire cet homme à
cette action désordonnée, laquelle action désordonnée
serait attirée par cette base qu'on lui présente, et sur qui cette
action a des droits et des pouvoirs.
Mais pour que cette attraction opère de manière à ne pas
prolonger les suites et les effets de cette action désordonnée,
il faut, premièrement, que le sang de l'animal soit versé ; secondement,
que cet animal, quoique pur par sa nature, reçoive de plus quelque action
préservatrice, parce qu'il est composé des éléments
mixtes, et qu'il est exposé à l'influence désorganisatrice
de l'ennemi, comme tout ce qui est matière ; or, l'action préservatrice
en question était représentée chez les Hébreux par
l'imposition des mains du prêtre sur la tête de la victime, lequel
prêtre lui-même doit nous représenter l'homme rétabli
dans ses droits primitifs, et voici l'esprit de ces deux lois.
Par l'effusion du sang de l'animal, l'action désordonnée, attachée
à la matière de l'homme, est plus fortement attirée au
dehors que par le corps et la seule présence de l'animal, parce que plus
on approche du principe dans chaque classe, plus les rapports quelconques sont
énergiques et efficaces.
Mais par la préparation sacerdotale, ou celle de l'homme rétabli
dans la virtualité de ses droits, ce même sang et cette même
victime se trouvent hors de prise à cette action désordonnée
; de façon qu'elle abandonne la matière de l'homme, étant
entraînée par l'attraction du sang de l'animal, mais de façon
aussi qu'étant repoussée par la forte vertu que le prêtre
attache sur le sang, elle est obligée de se précipiter et de s'engloutir
dans les régions du désordre dont elle est sortie.
Voilà, ce me semble, où l'on peut puiser, en général,
un aperçu touchant l'esprit de l'institution des sacrifices.
Ce même coup d'oeil peut nous guider pour découvrir l'esprit particulier,
qui était censé diriger en détail toutes les espèces
de sacrifices des Hébreux, tels que les sacrifices pour le péché
et l'expiation, les sacrifices qui s'appelaient pacifiques, et même ceux
qui avaient pour but une sainte réconciliation avec Dieu, et l'union
de l'homme avec lui confirmée par les signes sensibles de leur alliance.
La simple loi de transposition dont nous venons de parler, suffit pour nous
faire concevoir quel était l'esprit du sacrifice pour le péché,
en précipitant les souillures dans la région du désordre,
et sur l'ennemi qui les avait occasionnées.
Le sacrifice pacifique paraîtrait avoir pour but de donner des forces
à l'homme pour résister à cet ennemi, et même pour
en prévenir les attaques. La même loi de la préparation
de la victime par l'imposition des mains du prêtre, suffit pour rendre
cet effet compréhensible, puisqu'elle place un sang pur et en jonction
avec des actions régulières, auprès d'un sang environné
d'actions destructives et malfaisantes, et que par là elle peut lui rendre
le calme et le repos.
Mille détails pris dans les cérémonies des sacrifices nous
autoriseraient à ne pas nous défier de ces conjectures. Le sang
versé autour de l'autel, et appliqué aux quatre coins, les aspersions
de ce même sang, la manducation de la victime, etc. tout cela présente
des rapports assez frappants, avec une oeuvre de paix et de préservation.
Quant au sacrifice perpétuel, et quant à ces sacrifices qui avaient
lieu pour la consécration du prêtre, et dont le but spirituel était
d'unir le pontife à Dieu, ce sera toujours la même loi qui pourra
nous en faire apercevoir l'intelligence ; mais ces sortes de sacrifices ne devaient
pas avoir lieu pour tous les hommes, et ils ne regardaient que ceux que Dieu
appelait à lui et à son service par une élection particulière.
De pareils hommes, préparés par leur élection même,
se trouvaient en rapport avec les vertus supérieures ; ces mêmes
vertus supérieures embrassant tout, sont toujours unies aux actions régulières
qui veillent et sont voisines de tout ce qui est sang pour en éloigner
le désordre. La victime immolée après toutes ces préparations,
offrait un sang sur qui ces actions régulières développaient
leur force et mettaient à même les vertus supérieures de
développer la leur à leur tour, parce que tout ce qui est harmonique,
même parmi les animaux, participe plus ou moins aux anciennes propriétés
du contrat divin.
Il n'était pas étonnant alors que ces mêmes vertus supérieures
agissent sur l'homme choisi, et lui manifestassent tous les effets sensibles,
dont sa privation lui fait sentir le besoin pour se diriger dans ses ténèbres,
car tant qu'il n'a pas encore subi le sacrifice de son propre sang, il ne peut
recevoir les témoignages de la vérité que par intermèdes.
Ce qui arriva à Abraham lors du sacrifice des animaux divisés
en deux ; ce qui arriva à Aaron au bout des huit jours de sa consécration
; ce qui arriva à David dans l'aire d'Ornan, ce qui arrivait dans le
temple après les sacrifices des grands prêtres, nous indique assez
quel objet et quel pouvoir avaient les sacrifices vraiment sacrés et
opérés par les élus du Seigneur, qui exerçaient
alors, selon les mesures convenables à ces époques, le ministère
de l'Homme-Esprit.
De ce peu d'observations qui viennent d'être présentées
sur les sacrifices sanglants en général, il résulte qu'ils
ont pour objet de développer différentes actions pures et régulières,
qui s'unissant à l'homme, peuvent l'aider à sortir de son abîme,
et le faire monter vers la région de l'ordre et de la régularité.
C'est dans un sens opposé, mais tendant toujours au même objet,
qu'opérait l'interdiction ou l'anathème dont il est parlé
dans le dernier chapitre du Lévitique ; tout ce qui, par cette sorte
de consécration, était remis à la justice du Seigneur,
semblait être le siège des actions irrégulières les
plus condamnables, et qui, comme telles, pouvaient être les plus funestes
au peuple choisi. Ainsi tous ces objets d'anathème devaient être
exterminés, afin que les actions irrégulières qui reposaient
dessus, ne trouvant plus de sièges, fussent forcées de s'éloigner,
et ne fussent plus dans le cas de nuire au peuple.
C'est là où l'on peut apprendre à ne plus tant condamner
le supplice d'Achan, la mort d'Agag par Samuel, la rejection de Saül, qui
avait voulu conserver ce roi impie et dévoué, et même tous
ces massacres de commande, rapportés dans l'écriture, qui embrassaient
des villes entières avec tous leurs habitants, sans distinction, et qui
par là paraissent si révoltants aux yeux peu préparés
et peu familiarisés avec les profondes vérités, mais surtout
aux yeux pour qui le corps matériel est tout, tandis que Dieu ne compte
que les âmes.
Car ces sortes de personnes sont loin de soupçonner ce grand secret divin,
dont il est parlé dans l'esprit des choses, et par lequel la Divinité
permet souvent que des êtres innocents deviennent victimes de ces terribles
fléaux, ainsi que des grandes catastrophes de la nature, afin qu'en étant
précipités avec les coupables, ils les préservent par leur
pureté d'une plus grande corruption, comme nous avons soin de couvrir
de sels purificateurs les substances alimentaires que nous voulons conserver,
et qui sans cela se détruiraient par la putréfaction.
En un mot, c'est dans cet esprit d'éloigner les bases envenimées
que l'on verrait pourquoi dans la conquête de la terre promise, il fut
si souvent recommandé au peuple Juif d'exterminer jusqu'aux animaux parce
que dans ce cas-là la mort des animaux infectés des actions impures
de ces nations en préservait le peuple choisi ; tandis que dans la pratique
des sacrifices, la mort des animaux purs et purifiés attirait sur ce
même peuple des actions préservatrices et salutaires.
Au contraire, la destruction trop prompte de ces mêmes nations aurait
exposé le peuple d'Israël à l'action impure de toutes ces
bêtes de la terre, parce que ces nations leur servaient de réceptacle
et de base d'opération ; voilà pourquoi Moïse dit au peuple,
(Deutéronome :) Ce sera .Dieu lui-même qui perdra devant vous ces
nations peu à peu, et par parties. Vous ne pourrez les exterminer toutes
ensembles, de peur que les bêtes de la terre ne se multiplient et ne s'élèvent
contre vous.
Ce n'est point dire pour cela que les vertus pures et régulières
soient renfermées et ensevelies dans le sang des animaux, comme plusieurs
l'ont pensé et le pensent encore, puisqu'il en est même, tels que
les Indiens, qui croient que des esprits de tout genre y sont placés
pour les habiter ; mais c'est faire présumer seulement que toutes ces
actions pures et régulières sont attachées aux classes
et aux individus de ces animaux, et qu'en rompant la base qui les fixe, elles
peuvent devenir utiles à l'homme ; c'est dans ce sens qu'il faut entendre
le passage de nombres (ch. : .) que le sang a été donné
pour l'expiation de l'âme ; car il ne faut pas confondre l'âme de
la chair, et par conséquent l'âme des animaux avec les actions
régulières et extérieures qui les gouvernent.
Mais de cette espèce de servitude et de contrainte où se trouvent
ces sortes d'actions, il résulte une autre conséquence justifiée
d'avance par l'état pénible de l'homme, et par cette sorte de
réprobation attachée sur lui, et qui l'annonce visiblement comme
un criminel. Cette conséquence est que si l'homme a besoin que toutes
ces actions soient remises en liberté, pour que lui-même commence
à recouvrer la sienne, si en un mot, il est l'objet pour lequel la loi
les met en uvre, il faut qu'il ait été pour quelque chose
dans la révolution qui les a assujetties.
Les connaissances que maintenant le lecteur peut avoir acquises sur l'homme,
rendent cette conséquence fort naturelle. Si nous avons pu ci-dessus
le regarder comme roi, s'il a puisé son origine dans la source de la
lumière, si nous le reconnaissons comme étant créé
à l'image et à la ressemblance de la divinité, et comme
devant être son représentant dans l'univers, il a dû être
supérieur à toutes ces diverses actions, occupées aujourd'hui
à l'entretien des choses.
Or, si c'est de lui que ces diverses actions attendaient que son administration
sage les maintint dans leur ordre et dans leur emploi primitif, c'est-à-dire,
qu'il développât et manifestât en elles les merveilles divines
dont elles étaient dépositaires, et qui devaient servir aux sacrifices
de gloire, il faut qu'en s'étant égaré lui-même,
sa chute ait pu entraîner toutes ces diverses actions ou puissances dans
un état d'assujettissement et de violence pour lequel elles n'étaient
pas faites, et qui est pour elles comme une espèce de mort.
C'est ainsi que nous voyons dans les traditions des Hébreux, qui étaient
comme le premier né des peuples, que les prévarications et l'endurcissement
de Pharaon ont forcé la justice, non seulement à le frapper lui-même,
mais encore à frapper tous les premiers-nés de son empire, depuis
les hommes jusqu'aux bêtes, et depuis le fils de celui qui était
sur le trône, jusqu'au fils de la servante et de l'esclave.
A la suite de ce terrible exemple de vengeance exercé sur l'Égypte,
nous voyons les Hébreux recevoir l'ordre de consacrer à Dieu tous
leurs premiers-nés, depuis l'homme jusqu'aux bêtes. Ce rapprochement
est un indice de plus en faveur de l'opinion que nous avons avancée sur
le but et l'esprit des sacrifices ; car la consécration du prêtre
qui semble montrer en elle-même le sens de toutes les autres consécrations,
ne se faisait point sans l'immolation d'un bélier.
Si l'on voulait donc poursuivre ce rapprochement, on verrait que par le crime
de l'homme, tous les premiers-nés, tous les principes produits dans tous
les genres ont été ensevelis avec lui dans son abîme ; mais
que par l'inextinguible amour de la suprême sagesse, il a reçu
le pouvoir de rétablir successivement tous ces principes dans leur rang,
et ensuite d'y rétablir son semblable à son tour, et de faire
sabbatiser les âmes, comme il avait reçu le pouvoir de faire sabbatiser
la nature.
On verrait en un mot, que les sacrifices sanglants tendaient à ce double
objet, soit en rendant à leur liberté originelle toutes ces actions
pures et régulières que la prévarication a fait descendre
et s'attacher aux diverses classes d'animaux et d'autres êtres qui composent
la nature, soit en les mettant à même par là de procurer
du soulagement à l'homme, et de le délivrer des entraves où
nous le voyons languir tous les jours.
Car dans l'exemple que l'on vient de citer, c'est toujours l'homme qu'il faut
avoir pour objet ; seulement il faut faire attention que les doubles types qui
le concernent sont partagés sur deux nations différentes, les
Égyptiens et les Hébreux, dont l'une peint l'homme dans sa chute
et sa réprobation, et l'autre le peint dans sa loi de délivrance
et de retour vers ce poste sublime dont il est descendu.
Toutefois, nous n'employons point les lois et les cérémonies des
Hébreux, comme servant de base et de fondement à la théorie
que nous exposons. Cette théorie repose en premier chef sur la nature
de l'homme ancien et actuel, c'est-à-dire, sur notre grandeur et sur
notre misère ; quand ensuite elle trouve sur la terre des témoignages
qui l'appuient et qui la soutiennent, elle s'en sert, non comme preuve, mais
comme confirmation.
D'après cela nous n'avons pas besoin de recourir aux Écritures
saintes, pour découvrir jusqu'à quel temps remonte l'origine des
sacrifices. Pour les sacrifices de gloire, elle remonte à l'époque
antérieure à la prévarication de l'homme ; pour les sacrifices
sanglants et d'expiation, elle remonte jusqu'au moment où l'homme coupable
commença à voir s'entrouvrir pour lui la voie de sa délivrance,
et ce moment est celui même où il lui fut permis de venir habiter
la terre, puisque auparavant enseveli comme l'enfant dans un abîme, il
ne pouvait avoir à sa disposition les matières des sacrifices,
n'ayant pas même l'usage de ses propres facultés.
Sa destinée première était d'être lié à
toute la nature, pendant toute la durée de l'uvre qu'il aurait
eu à remplir s'il se fût maintenu dans son poste. Malgré
sa chute, il se trouva toujours lié à cette même nature
dont il ne pouvait pas sortir, et dont le poids douloureux était encore
augmenté par l'empire que l'homme avait laissé prendre sur elle
et sur lui à son ennemi. Ainsi l'homme n'était lié alors
à cette nature que par le supplice qu'elle lui causait, et étant
lui-même pour ainsi dire identifié avec la puissance des ténèbres.
Enfin, lorsque la voie de retour lui fut ouverte, ces moyens salutaires ne pouvaient
agir que par l'organe et le canal de cette nature, dans laquelle il s'était
enseveli au lieu de la dominer.
Ainsi les rapports qu'il a avec les animaux sont indestructibles, tant que la
nature n'aura pas achevé son cours ; mais ces rapports changent de caractère,
selon les diverses époques où l'homme se trouve. Au temps de sa
gloire, il régnait en souverain sur les animaux ; et si dans ce temps
même la pensée peut nous faire présumer l'existence des
sacrifices, ils ne pouvaient pas avoir la réhabilitation de l'homme pour
objet comme nous l'avons dit, puisqu'il n'était pas coupable.
Au temps de sa chute, il devint la victime de ces mêmes animaux, ainsi
que de toute la nature.
Au temps de sa délivrance, il eut la permission et le pouvoir de les
employer à son avancement ; ce dont nous ne pouvons pas douter, d'après
toutes les observations précédentes.
Or, ces bases étant ainsi posées sur un fondement solide, il est
doux d'en trouver en grande partie la confirmation dans les Écritures
saintes.
Le premier homme dans son état de grâce y paraît revêtu
d'une entière autorité sur la nature, et particulièrement
sur les animaux ; puisque même il lui fut départi le don de leur
appliquer les noms essentiels et constitutifs qui leur appartenaient ; après
sa chute, la terre fut maudite, et l'inimitié fut mise entre la femme
et le serpent. Mais à peine est-il envoyé à la culture
de la terre, et à peine sa génération commence-t-elle à
s'étendre, que nous voyons les sacrifices d'animaux en usage dans sa
famille, indice puissant qui nous laisse fortement présumer qu'il les
a pratiqués lui-même, et qu'il a transmis cette pratique à
ses enfants, d'où ensuite elle s'est répandue sur toute la terre.
Il n'est pas difficile non plus de sentir combien cette institution, si salutaire
dans son principe et dans son objet, aurait procuré d'avantages à
l'homme s'il l'eût suivie dans son véritable esprit ; il suffirait
pour cela de jeter de nouveau les yeux sur les sacrifices rétablis du
temps de Moïse, et de reconnaître qu'en les observant fidèlement,
le peuple n'eût jamais été abandonné, et aurait attiré
sur lui tous les biens dont il était susceptible alors, puisque les puissances
et les lumières divines l'auraient toujours environné.
La première chose remarquable qui se présente dans les règlements
relatifs à ces sacrifices, c'est qu'ils étaient beaucoup plus
nombreux et plus considérables aux trois grandes fêtes des Hébreux
; savoir : à Pâque, à la fête des semaines ou des
prémices, et à la fête des tabernacles. Ces trois époques
solennelles, si instructives par les faits dont elles retraçaient le
souvenir, par les temps fixes où elles se célébraient,
et par la liaison qu'elles ont avec l'histoire spirituelle et la régénération
de l'homme, annoncent assez de quelle importance devaient être les sacrifices
qui s'y célébraient, puisqu'ils semblaient devoir concourir naturellement
au développement d'aussi grands objets.
Pour mieux sentir le rapport de ces trois fêtes principales avec l'histoire
spirituelle de la régénération de l'homme, il faut avoir
sans cesse les yeux fixés sur notre propre nature, et reconnaître
que comme nous sommes caractérisés spirituellement par trois règnes
ou trois facultés éminentes et constitutives, qui demandent autant
de développements dans chacune des trois classes terrestres, spirituelle
et divine par où nous passons, il est certain que tous les moyens et
toutes les lois qui coopèrent à notre régénération,
doivent suivre une marche qui soit conforme à ce même nombre, et
analogue à l'espèce de secours qui nous est nécessaire,
selon le rapport qui se trouve entre nos divers développements et l'uvre
de leurs époques correspondantes.
Mais, pour que le mot nombre n'effraie pas le lecteur, je m'arrêterai
un instant pour lui faire observer que les nombres, quoiqu'ils soient fixes
dans l'ordre naturel, ne sont rien par eux-mêmes, puisqu'ils ne servent
qu'à exprimer les propriétés des êtres. C'est ainsi
que, dans nos langues, les mots ne servent qu'à exprimer les idées,
et n'ont essentiellement en eux aucune valeur.
Néanmoins l'esprit de l'homme inattentif a cru que le nombre exprimant
les propriétés de l'être renfermait réellement eu
lui ces propriétés ; c'est ce qui a. donné si abusivement
tant de crédit, et en même temps tant de défaveurs à
la science des nombres, dans laquelle, comme dans mille autres exemples, la
forme a emporté le fond ; au lieu que le nombre ne peut pas plus avoir
d'existence et de valeur sans les propriétés qu'il représente,
qu'un mot n'a de prix sans l'idée dont il est le signe.
Mais ici il y a une différence : c'est que nos idées étant
variables, les mots que nous employons pour les exprimer peuvent varier aussi
; tandis que les propriétés des êtres étant fixes,
les nombres ou les figures qui les indiquent, ne peuvent point être sujets
à des changements.
Toutefois les mathématiques, quoiqu'elles soient loin de connaître
et d'employer ces nombres fixes, nous en offrent une idée dans les nombres
libres ou arbitraires dont elles font usage ; car elles appliquent sans cesse,
il est vrai, ces nombres libres et arbitraires aux valeurs des objets qu'elles
soumettent à leurs spéculations ; et quand elles les ont attachés
à ces valeurs, ils n'en sont plus que les signes et les représentants,
et s'ils s'en détachaient, ils ne seraient plus rien. Mais c'est nous
qui avons inventé les mathématiques pures, ou abstraction faite
de toute application.
La nature ne connaît pas cette espèce de mathématiques.
La nature est l'union continuelle des lois géométriques avec des
nombres fixes que nous ne connaissons pas. L'homme, dans sa pensée, peut
considérer ces lois indépendamment de leurs nombres fixes ; mais
la nature est l'exécution effective de ces lois, et elle est étrangère
à toute abstraction.
Or, comme les savants ne s'occupent que des dimensions et du jeu externe des
êtres, et qu'ils ne s'occupent pas de leurs propriétés intimes,
il est bien sûr qu'ils n'ont plus besoin de s'occuper des nombres fixes
qui ne sont que les signes de ces propriétés. Et, en effet, ne
s'occupant que des dimensions visibles des êtres, ou même de leur
pesanteur, de leur vitesse, de leur attraction approchée, il est clair
que, pour atteindre leur but, ils ont assez de leur numération ordinaire.
Ce que je viens de dire sur les nombres étant suffisant pour arrêter
les préventions que cet ordre de science entraîne avec elle, je
reviens aux sacrifices.
Le premier degré de notre régénération n'est que
notre appel hors de la terre d'oubli ou du royaume de la mort et des ténèbres.
Cette première uvre est indispensable pour que nous puissions marcher
ensuite dans le sentier de la vie, comme il est indispensable que le grain fermente
dans la terre, et lance hors de lui ses racines pour suivre ensuite le cours
de sa végétation et produire ses fruits. Aussi nous voyons que
la régénération du peuple Hébreu commence par l'uvre
puissante qui le fait sortir de l'Égypte, et le place dans les sentiers
qui doivent le conduire à la terre promise. Mais ce qu'il y a de frappant,
c'est que le temps lui-même vient apporter son tribut de correspondance
à cette uvre merveilleuse, en ce qu'elle s'est opérée
dans le premier mois de l'année sainte des Hébreux, laquelle,
commençant au printemps, exprimait temporellement le passage que la nature
fait alors de la langueur et de la mort de l'hiver à des jours plus actifs
et plus fertiles.
Les Hébreux, il est vrai, n'offrirent point alors d'holocaustes, parce
qu'à l'image de l'homme dans le premier acte de sa délivrance,
ils étaient encore dans l'impuissance et dans l'ignorance de leur loi
qui agissait sur eux à leur insu, de la même manière qu'elle
agit sur l'enfant qui vient au monde.
Néanmoins ils immolèrent un agneau dans chaque maison, et quoique
ce ne fût point selon la forme des sacrifices qui furent établis
depuis, il y avait cependant dans cette cérémonie une vertu efficace
et initiative à tout ce qu'ils devaient opérer dans la suite ;
de façon que, dans cette fameuse époque, nous voyons marcher de
front quatre choses importantes ; savoir : la vocation de l'homme à la
vie terrestre, la délivrance du peuple choisi, la renaissance de la nature,
et l'effusion du sang des animaux ; et ces quatre choses ne pourraient concourir
ensemble d'une manière aussi marquée, sans avoir une correspondance
intime.
Il faut remarquer même que l'immolation de l'agneau fut l'acte préparatoire
et antérieur à la délivrance des Hébreux ; et cette
circonstance nous laisse présumer combien sont pures et régulières
les actions attachées à cette espèce d'animal, et remises
en liberté par son immolation, puisqu'elles furent respectées
par l'ange exterminateur, et qu'elles devinrent le moyen de protection dont
Dieu se servit pour préserver les Hébreux de tous les fléaux
de sa justice.
Ceci nous retrace, avec assez d'évidence, ce que nous avons dit ci-dessus,
savoir, que le sang est le sépulcre de l'homme, et qu'il lui faut nécessairement
en être délivré pour faire le premier pas dans la grande
ligne de la vie. Cela nous indique aussi que parmi tous les animaux, l'agneau
est celui qui a avec la régénération ou la délivrance
de l'homme, les rapports les plus vastes et les plus profitables ; et que c'est
lui dont l'immolation pouvait lui procurer le plus d'avantages en le disposant
lui-même, par les vertus secrètes du sacrifice, à sortir
plus glorieusement et avec plus de sûreté hors de son propre sang.
On peut trouver même quelques témoignages en faveur de cette vérité
dans la simple classe matérielle, où nous voyons que l'espèce
du bétail à laquelle appartient l'agneau, est celle qui offre
à nos corps le plus de biens et qui suffit seule à nos premiers
besoins, en nous procurant la nourriture, le vêtement, et la lumière.
Il n'est pas inutile non plus d'ajouter que cette espèce de bétail
ne fournit cependant qu'à nos besoins passifs, qu'à ceux de nos
besoins qu'on peut comparer aux besoins de l'enfance de l'homme, ou de l'homme
dans la privation ; mais qu'il ne nous rend aucun des services actifs dont nous
avons besoin dans un autre âge, et qui nous sont administrés par
le moyen des autres espèces d'animaux.
Aussi voyons-nous là une raison pourquoi l'agneau seul fut immolé
lors de la sortie d'Égypte, puisque à cette époque le peuple
choisi ne faisait que naître, et retraçait temporellement l'enfance
corporelle et l'enfance spirituelle de l'homme ; de même que l'époque
du printemps retraçait la naissance et l'enfance de la nature.
Cette époque primaire présenta à la fois trois caractères
; elle fut commémorative de l'appel du premier homme à la vie
terrestre ; elle fut l'appel actuel du peuple choisi à la loi de l'esprit,
et elle fut l'indice prophétique de notre renaissance future dans la
loi de Dieu, et ce triple caractère se trouve dans toutes les époques
que nous parcourrons, parce qu'elles sont toutes liées l'une à
l'autre dans l'accomplissement du nombre qu'elles représentent et parce
qu'elles deviennent ainsi successivement ) commémoratives ; ) actuelles
ou effectives et ) figuratives ou prophétiques.
Aussi nous voyons que cette époque primaire est suivie d'une époque
seconde, dans laquelle le peuple hébreu reçoit la loi sur la montagne
de Sinaï. Tous les rapports précédents vont se retrouver
dans cette époque.
Après avoir été appelés à la vie terrestre,
il y a un âge où l'esprit fait sa première jonction avec
nous, et nous communique ses premiers rayons. Après que le premier homme
fût arraché aux abîmes dans lesquels le crime l'avait plongé,
et qu'il eût obtenu, par la mort d'Abel et par la pénitence, l'entrée
dans les voies de la justice, il reçut des consolations qui nous sont
indiquées par l'avènement de son fils Seth, lequel attira sur
sa famille le premier dépôt des dons que la miséricorde
suprême daigne encore accorder au genre humain.
Quand même on ignorait à quelle époque le premier homme,
qui n'a point été enfant, reçut les premiers secours de
la grâce, nous savons que pour l'homme particulier, c'est vers sept ans
que les premiers germes de l'esprit se montrent, et qu'ainsi les fruits de ces
germes pourraient naturellement se développer à des époques
qui correspondissent aux multiples de ce nombre.
Aussi nous savons que la loi fut donnée au peuple Hébreu quarante-neuf
jours après le passage de la mer Rouge ; nous savons que cette époque
tombe à celle de la production des premiers fruits, et que la fête
qui fut instituée à ce sujet, s'appelle la fête des semaines,
et des prémices.
Enfin, nous savons que cette loi fut arrosée du sang des holocaustes
et des victimes pacifiques, et que les victimes furent prises parmi le gros
bétail, ou parmi les veaux. (Exode : ). Tous les rapprochements qui résultent
de là sont faciles à faire, d'après les principes établis
ci-dessus.
En nous rappelant ici la base universelle des sept formes de l'éternelle
nature, le nombre du sept contenu dans quarante-neuf, nous retracera le jeu
et l'opération des sept puissances spirituelles sur le peuple choisi
pour lui ouvrir la carrière des uvres vives, comme aussi cette
opération est marquée à cette même époque
par la production des premiers fruits de la terre, ou par les prémices
; et il ne doit y avoir aucun doute que cette loi n'ait agi par les pouvoirs
de ce nombre sur le premier homme, comme elle fait encore sur les hommes particuliers,
et le ferait sûrement d'une manière plus sensible et plus positive,
si malgré les secours dont la sagesse nous a comblés depuis l'origine,
nous ne nous remplissions pas journellement de fausses substances qui nous tiennent
habituellement dans de fausses mesures, et empêchent les véritables
d'agir sur nous.
Dans cette époque, ce fut le sang des veaux qui fut versé ; et
dans la première, ce fut seulement le sang des agneaux.
Dans la première époque, qui n'était que celle de la délivrance,
le sang de l'agneau servit d'organe à l'uvre de miséricorde
qui s'opérait alors sur le peuple, et qui était indiquée
par la douceur dont cet animal est le symbole ; car c'est dans l'étude
des caractères apparents des divers animaux que nous pouvons apercevoir
quelques clartés par rapport aux actions qui les gouvernent, et aux uvres
auxquelles ils doivent concourir selon le plan de la sagesse.
Dans la seconde époque, le peuple se trouvant au milieu des déserts,
et dans la voie de son retour vers sa patrie, avait besoin d'une force plus
considérable pour pouvoir résister à ses ennemis ; et tout
nous engage à croire que le sang du gros bétail, versé
dans cette circonstance, est un indice suffisant que tel était l'objet
de l'immolation de cette espèce de victimes.
Dans la première époque, le peuple n'eut rien à faire ;
il n'eut qu'à suivre l'esprit qui faisait tout pour lui comme les mères
et les nourrices font tout pour les enfants dans leur bas âge. Aussi il
n'avait point encore de loi.
Dans la seconde époque, le peuple est regardé comme pouvant agir
par lui-même, et c'est alors que la loi lui est donnée que tous
les préceptes lui sont enseignés, afin qu'il puisse régler
sa conduite sur ces préceptes pendant les pénibles voyages qui
lui restent à faire.
Il était donc naturel que la même sagesse qui lui traçait
des lois, lui communiquât aussi les forces nécessaires pour les
observer, et c'est ce que nous indique le sacrifice des veaux, sans faire mention
ici des forces spirituelles qu'il reçut par l'effet des prodiges opérés
en sa présence sur la montagne, ni de celles qu'il pouvait attendre de
l'ordination de ses prêtres, qui ne se fit qu'après la promulgation
de la loi, et pour ainsi dire après l'émancipation du peuple,
et seulement pour empiéter et consolider cette seconde époque.
Car Moïse avait été ordonné directement et sans l'intervention
du ministère de l'homme, puisqu'il devait être comme le Dieu de
Pharaon et prendre Aaron pour son prophète (Exode .).
Il est certain que cette seconde époque est à la fois commémorative,
actuelle, et figurative comme l'avait été l'époque primaire
; seulement il faut observer que chacun de ces rapports monte d'un degré,
puisque la seconde époque part d'un point plus avancé d'un degré
que cette époque primaire ; attention qu'il faudra avoir quand on considérera
les époques suivantes, lesquelles, marchant toujours par des nuances
contiguës, élèvent sans cesse leurs opérations, mais
conservent leur caractère.
La troisième époque, dans le sens réduit où nous
nous tenons pour le moment, ne nous est connue par aucun fait historique de
l'Écriture sainte. Elle ne nous est indiquée que par la solennité
de la fête qui fut ordonnée pour la célébrer, et
qui est nommée la fête des tabernacles. Cette fête n'ayant
point de faits actuels à consacrer, ne nous est présentée
aussi dans l'écriture, (Lévitique : .) que comme étant
commémorative d'un fait antérieur, c'est-à-dire pour faire
ressouvenir le peuple que Dieu l'avait fait habiter sous des tentes, après
qu'il l'eut délivré de la servitude des Égyptiens.
Mais ce ne sera point une erreur de dire que le cours de la régénération
n'était point assez avancé alors, pour que cette époque
présentât à l'esprit du peuple tout ce qu'elle renfermait
; et particulièrement la station que l'homme est obligé de faire
pendant un temps, dans les régions médianes, entre sa primitive
demeure et sa demeure actuelle, lorsqu'il quitte son enveloppe corporelle qui
est pour lui sa terre d'Égypte, et où habite son sang qui est
à son égard un véritable Pharaon.
Or, cette fête, la plus considérable de toutes, par la quantité
des victimes qu'on y offrait, était l'expression prophétique et
figurative de tous les biens qui attendaient le peuple dans les divers temps
à venir, mais dont il ne pouvait avoir l'idée, puisque aucun de
ces temps n'était arrivé pour lui.
Nous pouvons juger de la grandeur de ces biens par le moment de l'année
où la fête se célébrait ; c'était dans le
septième mois, c'était après la récolte de toutes
les moissons, c'était au renouvellement de l'année civile, quoique
ce fût à la moitié de l'année sainte.
On peut donc voir là avec confiance la fin du cercle des choses temporelles,
l'avènement du règne de l'esprit, et l'immensité des dons
et des trésors qui résultent du développement de toutes
ses puissances, et cela dans toutes les époques consécutives et
intermédiaires entre le moment de l'institution de cette fête,
et le complément du grand cercle.
Je n'ai pas besoin même de rappeler pour cela les propriétés
caractérisées du septénaire ; il suffit de le nommer pour
être certains que la fête en question devait être beaucoup
plus prophétique que commémorative pour les hommes instruits de
ce temps-là, quoique pour le peuple elle fût plus commémorative
que prophétique. Ajoutons seulement pour l'instruction de ceux qui ont
l'intelligence ouverte sur les principes dont les nombres sont les signes que
ce septénaire agit à cette troisième époque plus
complètement qu'il n'a fait à la seconde, qui n'était qu'une
initiation à la loi, au lieu que la troisième était l'accomplissement
du temps de cette loi.
Aussi à la seconde époque, le septénaire n'agit encore,
pour ainsi dire, qu'en lui-même et dans son propre cercle ; tandis qu'à
la troisième il a fait pénétrer son opération dans
tout le cercle des choses par le moyen des six mois lunaires, sur le cours desquels
il a étendu et développé ses puissances ; ce qui retrace
les six opérations primitives de la création, terminées
par le sabbat, et ce qui indique la grande époque sabbatique par où
le grand cercle de la durée de l'univers doit arriver à son terme,
et rendre la liberté aux créatures.
Une seconde vérité fondamentale que nous pouvons exposer ici,
et qui se lie avec celle que nous avons déjà exposée précédemment,
c'est que pendant le règne de la loi des sacrifices, tout s'est opéré
par transposition, parce que l'homme était trop loin de la vérité
pour qu'elle pût s'unir à lui directement.
Le serpent d'airain, les oblations, les immolations, les voyages même
du peuple Hébreu qui se transporte d'un pays à l'autre, sont des
témoignages suffisants pour faire comprendre que telle était la
nature de cette loi ; et d'ailleurs cette loi devient sensible lorsqu'on reconnaît
que l'homme, étant lié par son crime à des actions divisées
quoique analogues, ce n'était que par la réunion de ces analogues,
que l'homme pouvait être délivré du joug pénible
de leur division.
Mais cette loi, à mesure qu'elle procède, semble de plus en plus
devenir salutaire au peuple choisi qui doit être reconnu pour type de
l'homme. Aussi l'on aperçoit une progression de grâces, d'activité
et de faveurs, suivre la progression des fêtes et des époques,
comme nous l'avons déjà remarqué ; aussi le sacrifice perpétuel
tout en offrant la commémoration de la délivrance d'Égypte,
montrait cependant en même temps la continuelle surveillance de l'amour
suprême sur son peuple qu'il ne veut jamais abandonner.
Aussi les holocaustes extraordinaires qui y étaient joints lors des trois
grandes fêtes, avaient pour objet de faire descendre sur le peuple des
vertus actives qui puissent correspondre au plan de ces diverses époques
; car on y voit des taureaux, des béliers, sept agneaux, indépendamment
de toutes les offrandes qui se joignaient universellement aux holocaustes.
C'est par là que se semaient dans ce peuple les germes qui devaient commencer
à donner leurs prémices à l'époque suivante, et
qui n'avaient pu être semés en lui pendant son séjour en
Égypte, parce qu'il fallait que ce peuple fût purifié auparavant,
puisque le séjour de la mort n'est pas susceptible de recevoir la sentence
de la vie.
Sans doute, si le voile n'était pas étendu comme il l'est, sur
la nature et les propriétés des animaux, nous verrions à
découvert la raison finale et positive pour laquelle les béliers,
les taureaux et les agneaux étaient employés de préférence
à d'autres animaux dans tous ces sacrifices. Nous justifierions par des
détails particuliers ce principe fondamental et général
que par leur liaison avec les actions extérieures, ces espèces
de victimes devaient, par l'effusion de leur sang, faire parvenir sur le peuple
les actions diverses dont elles sont l'emblème et le type, et que par
là il se plaçait près de lui des puissances représentatives
de celles qu'il devait recevoir un jour de la part de l'esprit même, et
dont il était encore trop éloigné.
Mais nous n'avons plus les noms primitifs de ces animaux, et il n'y aurait que
cette connaissance-là qui pourrait répandre une clarté
vive et lumineuse sur les différentes espèces d'animaux admis
au rang des victimes, de même que sur les diverses espèces de productions
végétales qui servaient d'offrandes dans les sacrifices ; car
si les nombres vrais expriment les propriétés des êtres,
les noms réels les expriment encore plus exactement, puisqu'ils en sont
l'organe actif. Voilà ce qui jadis caractérisait la prééminence
du premier homme, et voilà ce qui doit aujourd'hui caractériser
au moins partiellement, la prééminence du véritable sage
ou du véritable dispensateur des choses divines pour qu'il remplisse
utilement et efficacement le ministère du Seigneur.
Les mots hébraïques même sont d'un médiocre secours
pour communiquer la lumière sur ce grand objet. Ils n'ont procédé
d'une manière active que pour des noms d'homme, c'est-à-dire,
par rapport aux générations du peuple choisi et de ses ministres,
comme on le voit aux noms caractéristiques des patriarches et des prophètes,
parce que c'est de l'homme dont il s'agissait principalement dans cette voie
d'élection et de restauration ; au lieu que le temps de la grande réhabilitation
de la nature n'étant pas encore venu, les noms des plantes et des animaux
ne procèdent pas plus dans la langue hébraïque que dans les
autres langues, et leurs noms vrais sont encore ensevelis dans la langue que
Jacob Boehme appelle la langue de la nature, et cela jusqu'à ce que les
sceaux soient levés.
On pourrait seulement répéter et étendre l'idée
générale que nous avons exposée précédemment,
et cette idée serait que dans l'effroyable bouleversement que la nature
a éprouvé lors de l'égarement criminel des premiers prévaricateurs,
il y a eu des substances et des espèces, soit de minéraux, soit
de végétaux, soit d'animaux mieux conservées les unes que
les autres, c'est-à-dire, qui sont restées dépositaires
d'une plus grande portion des propriétés vives et puissantes de
l'état primitif des choses ; et que ce seront, sans doute, ces substances-là
qui auront été employées de préférence dans
les sacrifices et dans toutes les autres parties cérémonielles
du culte religieux, comme pouvant rendre à l'homme de plus grands services,
attendu qu'elles tenaient de plus près au premier contrat. Mais cette
idée demanderait d'être préparée par une plus ample
connaissance de cet état primitif des choses ; aussi nous ne faisons
que l'indiquer.
Passons à une objection qu'on peut faire sur la clef que nous avons présentée
comme devant servir à expliquer les sacrifices.
Si les sacrifices opéraient en faveur de l'homme par le moyen de leur
correspondance, si l'effusion du sang des victimes était le moyen établi
pour remplir cet objet, comment se fait-il, pourra-t-on dire, que la circoncision
n'ait pas tenu lieu de tous les sacrifices ? Car dans cette circoncision, le
sang de l'homme lui-même étant versé, semblerait devoir
opérer pour lui plus efficacement que toutes les autres victimes, en
raison de la supériorité de ses correspondances. Voici ce que
nous pouvons répondre.
Si les sacrifices sanglants agissaient par leurs correspondances, ils tiraient
cependant radicalement leur vertu du désir du ministre et de celui du
fidèle qui s'unissait à lui ; car alors le désir divin
même venait s'allier au leur. Or, comme dans aucune circonstance ce désir,
qui est la vraie foi, ne peut se passer d'une base, le sang des animaux lui
en tenait lieu, et l'aidait à atteindre plus haut, en attendant que ce
désir pût se reposer sur la base complète et sur le cur
divin qui dirigeait en secret tous ces sacrifices, et devait finir par les couronner.
Car on peut remarquer en passant que la nécessité d'une base pour
faire reposer notre vraie foi ou notre désir, est la clef de toutes les
diversités des sacrifices, soit sanglants, soit non sanglants, ainsi
que des diverses idoles, et des divers cultes qui sont en honneur sur la terre
: toutes choses où l'on voit que les nations ont au fond la même
foi, et ne se trompent que sur la base ; mais que le choix de cette base étant
si important, puisqu'elle doit tenir, par des correspondances fixes à
un centre vrai, soit naturel, soit spirituel, soit divin, il n'est pas étonnant
que les erreurs des nations étant si grandes en ce genre, leurs ténèbres
soient si universelles.
Or, la circoncision ne pouvait servir de base à ce désir ou à
la foi, puisqu'elle s'opérait dans les premiers jours de la naissance
; et elle ne fut opérée sur Abraham, dans son âge fait,
que parce que ce patriarche n'aurait pas été choisi enfant pour
être le chef de la race élue, et qu'en outre il devait entrer librement
dans l'alliance. Aussi, il ne fit par là que représenter les premiers
degrés de sa réconciliation.
Cependant, quoique l'enfant ne puisse avoir de désir ou de vraie foi,
sans doute que le sang de l'homme versé dans la circoncision des enfants
avait un effet ; mais cet effet se bornait, pour ainsi dire, à opérer
sur eux une espèce d'ablution, comme les retranchant en quelque sorte
de ce régime de sang, dans lequel le crime de l'homme nous a tous plongés
; et les initiant par là à l'uvre active et efficace à
laquelle leur désir ou leur foi devait les employer un jour volontairement.
C'était aussi plutôt un effet figuratif de la grande circoncision
ou de leur délivrance corporelle, qu'un effet vivificateur et régénérateur,
comme l'était celui des holocaustes où la foi avait au moins une
sorte d'action, où la victime pure était immolée, et où
l'entier développement de toutes les correspondances d'actions régulières
avait le pouvoir de rétablir l'homme dans une partie de ses droits et
de ses jouissances.
D'ailleurs on a déjà vu précédemment que la mort
de l'homme était le seul sacrifice sanglant qui pût le rétablir
dans la plénitude de ses rapports, et dans la voie parfaite de son retour
vers son principe. Aussi le principe de la vie animale n'étant point
retranché par la circoncision, l'observation de cette loi ne pouvait
seule faire descendre sur l'homme des actions puissantes et restauratrices ;
et si le sang des animaux n'avait été substitué au sien,
il serait demeuré, pendant toute sa vie, dans la même privation
et la même servitude.
Toutefois, nous l'avons dit, cette circoncision n'était point inutile,
puisque c'était une sorte d'initiation à des degrés dont
l'homme ne pouvait jouir encore. Mais précisément parce que c'était
une espèce d'initiation, il fallait qu'elle le rendît susceptible
d'en recevoir les fruits progressifs, et elle opérait réellement
cet effet en sa faveur, en ce qu'elle ouvrait son sang à toutes les actions
régulières que les sacrifices des animaux pouvaient attirer sur
lui.
Voilà pourquoi, lorsque le pouvoir divin consacra et fit entrer au nombre
des lois saintes du peuple juif cette pratique qui peut-être était
déjà en usage chez d'autres peuples, mais qui n'y était
pas appliquée à son véritable objet, cette cérémonie
fut si sévèrement recommandée. Voilà pourquoi tout
incirconcis était exclu des sacrifices, parce que les actions régulières
que ces sacrifices attiraient, ne trouvant point la voie ouverte pour pénétrer
dans le principe de la vie, auraient agi avec force et violence contre les infracteurs
de la loi, au lieu d'agir pour leur salut, et les eût exterminés
du milieu du peuple.
Il semblerait d'après ce principe que la circoncision paraissant n'avoir
eu lieu que depuis le déluge, tous les sacrifices qui se sont opérés
auparavant ont été inutiles, et ne pouvaient produire aucun fruit.
Premièrement, si nous n'avons point de preuves que cette pratique fût
en usage avant le déluge, nous n'en avons point non plus du contraire
; secondement, en admettant qu'en effet elle fût postérieure au
déluge, la difficulté disparaît dès qu'on réfléchit
à la différence de l'état où s'est trouvée
l'espèce humaine dans ces deux époques : ce qu'il faut appliquer
également aux animaux.
Avant le déluge, l'homme jouissait de toutes les forces de sa nature
animale et corporelle ; cette enveloppe passagère qui lui est donnée
pour servir d'organe aux actions et vertus supérieures dont il a besoin,
était plus conforme au plan de restauration qui avait été
établi pour lui ; et étant par conséquent plus ouverte
aux influences réparatrices, il aurait pu, selon cette probable conjecture,
n'avoir pas besoin de la circoncision, pour qu'elles trouvassent accès
chez lui.
D'un autre côté, les animaux jouissant d'une somme de vie plus
considérable que celle dont ils ont joui depuis le déluge, devaient
encore, par l'effusion d'un sang plus virtuel, fortifier l'opération,
et rendre d'autant moins nécessaire le secours que cette opération
a semblé attendre de la circoncision dans la seconde époque.
A cette seconde époque, tout a changé. La nature entière
a été tourmentée et altérée par le fléau
du déluge. L'espèce humaine dont les crimes avaient attiré
ce fléau, s'est trouvée beaucoup plus resserrée dans les
entraves de sa matière ; les animaux eux-mêmes ont perdu de leur
virtualité, par le renouvellement qui s'est fait de leur espèce,
et qui les a fait descendre au-dessous de ce qu'ils étaient avant que
la justice suprême eût fait éclater sa vengeance. Enfin,
que ne doit-on pas penser des énormes squelettes des mammouths ?
Si la sagesse n'eût procuré à l'homme un moyen de remédier
à ces funestes suites de la justice, il serait donc resté sans
aucune voie de retour vers son principe, et le plan de l'amour divin en faveur
de l'espèce humaine ne se serait pas rempli, puisque la première
initiation à cette voie de retour n'aurait pu avoir lieu. Or, la circoncision,
d'après tout ce qu'on a vu ci-dessus, nous paraît être ce
moyen salutaire qui, depuis le déluge, a suppléé aux avantages
dont l'homme et les animaux jouissaient avant cette mémorable catastrophe.
Peut-être même que si les nations eussent observé avec fidélité
les lois et les instructions que Noé leur a transmises, comme l'élu
et le préposé du Seigneur, elles se fussent maintenues dans des
rapports assez puissants pour que ce nouveau moyen leur fût inutile.
Mais par la prévarication de Cham et de Canaan et par les abominations
commises dans les plaines de Sennaar, elles ont ajouté des chaînes
à celles qu'elles avaient reçues à la suite du déluge,
et ont aggravé par là les obstacles qui s'opposaient déjà
à leur réunion avec leur source. Il ne serait donc pas étonnant
que l'inextinguible amour qui les a créées, les eût suivies
jusque dans les abîmes où elles se plongeaient, et leur eût
ouvert une route nouvelle, pour se rapprocher de lui.
Rentrons ici dans nos trois époques, et observons comment elles nous
sont retracées en petit dans l'historique de la circoncision des Hébreux.
C'est sous Abraham que nous entendons parler pour la première fois de
la circoncision dans l'Écriture ; et c'est par là que le Seigneur
confirme son alliance avec lui et avec sa postérité. Dans quelles
circonstances cette circoncision est-elle ordonnée par le Seigneur ?
C'est au moment où il donne à Abraham un autre nom, ainsi qu'à
sa femme, en ajoutant au leur une seule lettre de ce nom sacré sous lequel
il s'est fait connaître la première fois à Moïse. C'est
à son âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, c'est au moment où
il vient de faire alliance avec lui dans le sacrifice, et où il lui promet
la possession de la terre de Chanaan ; enfin, c'est au moment où il se
choisit pour la première fois un peuple, dans lequel doivent être
bénies toutes les générations.
Tous ces points rassemblés nous montrent de nouveau que la circoncision
avait une vertu initiatrice à tous les biens que Dieu destinait à
son peuple, et que toutes ces promesses auraient été nulles, s'il
ne lui eût ouvert cette voie à leur accomplissement. Abraham reçut
cependant des faveurs divines avant cette cérémonie, puisqu'il
fut tiré de son pays où l'iniquité s'était introduite,
puisqu'il dressa des autels au Seigneur à Bethel, et à Mambré,
et qu'il invoqua son nom, puisqu'il fut béni par Melchisédec,
puisque dans le sacrifice sanglant qu'il offrit par ordre de Dieu, il reçut
des témoignages évidents de la présence de l'esprit ; mais
cela ne contredit en rien tous les principes qui ont été établis.
Abraham était l'élu du Seigneur, quoiqu'il eût pris naissance
parmi des idolâtres, et quoique quelques-uns l'accusent d'avoir lui-même
fait le commerce des idoles. Son cur avait pu se conserver pur, quoique
son esprit fût livré aux ténèbres qui couvraient
celui de ses contemporains. Ainsi les faveurs divines pouvaient trouver accès
chez lui, sans le moyen secondaire de la circoncision.
D'ailleurs il faut distinguer essentiellement les voies employées pour
manifester une élection de la part de Dieu, et les voies employées
pour conduire cette élection à son terme. Nous les verrons perpétuellement
faire deux classes dans toutes les élections et époques subséquentes
; et nous en avons la preuve la plus positive dans l'élection d'Abraham,
puisque malgré toutes les faveurs dont nous avons vu qu'il fut l'objet
avant sa circoncision, ce n'est cependant que depuis cette loi accomplie sur
lui et sur toute sa maison, qu'il reçoit trois anges pour hôtes,
que le temps est fixé clairement pour la naissance d'Isaac, et qu'enfin
au bout d'un an il reçoit ce fils de la promesse, par lequel l'alliance
commencée dans Abraham devait s'accomplir et se réaliser.
Il n'en faut pas davantage pour nous convaincre que dans cette époque
où nous entendons parler de la circoncision pour la première fois,
elle eût pour objet d'être une voie initiatrice à tous les
biens qui étaient promis par l'élection ; et comme telle, elle
trouve ici de sensibles rapports avec ce que nous avons dit de la Pâque,
ou de la première époque de la voie de retour du peuple Hébreu
vers la terre promise.
La seconde fois où il soit fait mention de la circoncision dans l'Écriture,
c'est sous Moïse (Exode : .) où il est à présumer
que cette cérémonie avait été négligée,
et que ce fut là la cause de la colère de l'ange, d'autant que
la circoncision fut recommandée de nouveau avec toutes les autres lois
et ordonnances qui furent données sur la montagne, (Lévitique
: .) ce qui fait que nous regardons cette loi de la circoncision donnée
sur la montagne, et la circoncision opérée sur le fils de Moïse,
comme ne faisant qu'une même époque.
Le moment où cette loi reparaît est remarquable par sa conformité
avec ce qui s'était passé sous Abraham. C'est après que
Moïse a vu le buisson ardent, et qu'il a reçu de Dieu la promesse
que le peuple serait délivré ; c'est après avoir été
choisi lui-même pour être l'instrument de cette délivrance,
et après avoir reçu les signes les plus extraordinaires de sa
mission, que la vengeance divine est prête à tomber sur son fils,
et que cette vengeance n'est arrêtée que par la soumission de Ziphora
; enfin, c'est au moment où Moïse retourne en Égypte pour
commencer sa mission, que cette cérémonie s'accomplit sur son
fils.
Ce rapprochement nous indique assez clairement que cette cérémonie
devait servir d'initiation aux fruits de la promesse de la délivrance,
comme elle en avait servi sous Abraham aux fruits de l'élection, et que
les uns et les autres ne pouvaient se cueillir sans l'effusion du sang ; il
ne faut même pas s'arrêter à cette différence, qu'ici
c'est le sang du fils de l'élu qui est versé, et non le sang de
l'élu lui-même. Quoique les deux individus soient distincts, on
peut regarder leur sang comme ne faisant qu'un ; et d'ailleurs sous ce voile
apparent, il y a mille rapports avec plusieurs autres vérités
que des yeux perçants découvriront sans peine.
Ainsi, sans que j'expose moi-même ces vérités à leurs
regards, ils y verront une époque médiane, une double circoncision,
une commémoration du sacrifice du fils d'Abraham, et une prophétie
d'un autre sacrifice dont il n'est pas encore temps de nous occuper ici. Il
faut donc nous en tenir à faire remarquer que cette élection de
Moïse et la circoncision qui l'accompagne, ayant pour objet les prémices
des fruits vifs de la promesse faite à Abraham lors de son alliance avec
Dieu, se lient assez naturellement avec la seconde époque ou la seconde
fête des Hébreux, où la terre rendait ses premiers fruits
et où le peuple reçut les prémices de l'esprit qui sont
la loi ; parce qu'il ne faut jamais oublier dans ces rapprochements, que chaque
trinaire d'époques fait un cercle, et que le cercle qui précède,
est toujours d'un degré moins élevé que le cercle qui le
suit.
Enfin, la troisième fois où l'ordonnance de la circoncision reparaît
dans l'Écriture, c'est sous Josué, lorsque le peuple est près
d'entrer dans la terre promise. (Josué, : . .) L'ordonnance renouvelée
sur le Mont Sinaï, au sujet de la circoncision n'avait point été
suivie pendant les quarante ans que le peuple avait erré dans les déserts
; et tous ceux qui avaient été circoncis en Égypte, avaient
péri pendant le cours de ces longs voyages. Dieu renouvela alors son
ordonnance sur tous les incirconcis qui restaient, afin que l'opprobre de l'Égypte
fût ôté de dessus le peuple ; et tout le peuple fut circoncis
à Galgala.
On ne peut s'empêcher de remarquer le moment où se présente
cette circoncision, et les nombreuses merveilles dont elle fut suivie. Ce moment
est celui de l'entrée dans la terre promise, comme le moment de la circoncision
d'Abraham fut celui de l'entrée dans l'alliance ou l'élection,
et comme le moment de la circoncision du fils de Moïse fut celui de l'entrée
dans la voie de la loi et de l'oeuvre ; et sous ce rapport, cette époque
se lie avec la troisième fête des Hébreux, qui était
celle de l'abondance, de la jouissance de leurs récoltes, et du terme
de tous leurs travaux.
Elle ne s'y lie cependant que dans l'ordre temporel et terrestre, et d'une manière
commémorative, car elle ne peint que prophétiquement le repos
futur dont le peuple devait jouir lorsqu'il aurait soumis et détruit
les habitants de Canaan, parce que son entrée dans la terre promise ne
faisait que l'admettre aux combats qu'il devait livrer ; et les victoires qui
devaient les suivre, lui avaient été indiquées par celles
remportées sur les nations du désert.
Il n'est pas inutile non plus d'observer que c'est au premier mois qu'arriva
cette entrée dans la terre promise, comme c'est au premier mois qu'arriva
la sortie d'Égypte ou la délivrance, parce qu'ici les deux cercles
se retrouvaient au même point, quoique le second portât alors sur
un ordre de choses plus vaste et plus actif que le premier.
Mais ce qui nous indique combien la circoncision faite lors de cet événement
fut avantageuse au peuple, c'est de voir qu'après cette cérémonie,
la manne cesse de tomber, que le peuple peut manger des fruits de la terre,
que Josué entre sous la protection directe du prince visible de l'armée
du Seigneur, que les trompettes du jubilé deviennent les armes principales
du peuple, et qu'au seul son de ces trompettes, réuni à celui
de la parole, les murs de Jéricho sont renversés, et chacun peut
entrer librement dans la ville par l'endroit qui se trouve devant lui ; toutes
figures significatives et prophétiques de ce qui était réservé
à l'homme dans les époques ultérieures, et de ce qui nous
attend lorsque nous serons hors de notre cercle mixte et terrestre.
C'est ici, surtout, que les sacrifices manifestèrent leur puissance et
leur efficacité ; car toutes les merveilles que nous venons de retracer
avaient été non seulement précédées de la
circoncision, mais encore des holocaustes de la Pâque que le peuple célébra
à Galgala, et probablement aussi des sacrifices que Moïse et les
anciens, (Deutéronome, : -.) lui avaient recommandé d'immoler
à son entrée dans la terre de promission, et dont le livre de
Josué ne fait mention qu'après la conquête de Haï.
(Josué : ,). Mais que l'on peut présumer avoir été
offerts après le passage du Jourdain, selon que Moïse l'avait ordonné.
Nous ne repasserons point en revue tout ce que nous avons dit sur l'efficacité
de ces sacrifices, confirmée par les succès merveilleux qui les
suivirent ; il suffit d'avoir posé une fois en principe le rapport du
sang avec les actions régulières, et celui de ces actions régulières
avec les actions supérieures, pour concevoir l'utilité que l'homme,
ou que le peuple choisi pouvait recevoir de ces cérémonies, relativement
à sa délivrance et à son avancement progressif vers le
terme de sa véritable liberté.
C'est avec ce même esprit qu'il faut envisager tous les sacrifices qui
ont été immolés chez les Hébreux depuis leur entrée
dans la terre promise jusqu'à la destruction de leur dernier temple par
la puissance romaine, et il est inutile à notre plan que nous en suivions
la chaîne et les époques, parce qu'elles rentrent toutes dans ce
principe établi, et que c'est particulièrement du principe, ou
de la clef universelle dont nous nous occupons ici, très persuadé
que si elle est puisée dans la vérité, elle aidera à
résoudre toutes les difficultés.
Nous allons donc passer à un autre ordre d'observation relativement aux
sacrifices ; savoir, comment ces institutions se sont trouvées établies
sur toute la terre, et cela d'une manière si variée, et très
souvent si abusive et si criminelle.
Il est évident que ce n'est point à la religion judaïque,
ni à tous les sacrifices sur lesquels elle reposait, qu'il faut attribuer
l'usage de ces cérémonies chez les autres nations, parce que le
peuple juif a été un peuple concentré, et comme isolé
au milieu des autres peuples ; qu'il n'a point communiqué avec eux ;
qu'il n'a perdu son existence que sous notre ère, et qu'il a dès
lors perdu l'usage de ses cérémonies et de ses sacrifices ; d'ailleurs,
les sacrifices étant pratiqués dès l'origine du monde,
et lors de son renouvellement à l'issue du déluge, l'établissement
des sacrifices parmi toutes les nations, n'est pas plus étonnant que
la dispersion de ces nations qui auront emporté avec elles les usages
et les cérémonies de leurs pères.
Ce n'est donc plus l'universalité des sacrifices qui doit nous surprendre
et nous occuper, puisque leur source nous étant connue, et reposant sur
des bases naturelles, tous les ruisseaux et tous les fleuves qui en découlent
ne peuvent pas avoir une autre origine ; mais c'est l'altération que
ces fleuves et ces ruisseaux ont subie dans leurs cours, qui doit être
en ce moment l'objet de nos recherches et de nos réflexions.
Cette altération n'aurait jamais pu avoir lieu, si la source pure n'avait
pas commencé par exister, et ceux qui n'ont attribué l'usage des
sacrifices qu'à l'ignorance et à la superstition des peuples,
ont confondu l'abus et les conséquences avec le principe, et par là
se sont ôté le moyen de connaître et le principe et les conséquences.
N'oublions jamais la malheureuse situation de l'homme dans cette terre de douleurs
et de ténèbres, situation attestée par les tourments de
tous les mortels, et par les larmes de tous les siècles. N'oublions jamais
que si nous sommes environnés d'actions régulières dont
les animaux purs sont les intermèdes, nous le sommes aussi d'actions
irrégulières, qui tendent sans cesse à introduire leurs
irrégularités et leurs désordres dans tout ce qui nous
approche, afin de les faire parvenir jusque dans nous, et de retarder par là
notre retour vers la lumière.
Cette peinture malheureusement trop vraie pour nous, le devient encore davantage
en nous rappelant les préparations sacerdotales que les victimes recevaient
selon la loi des Hébreux, et surtout en nous rappelant que les oiseaux
venaient fondre sur les bêtes mortes lors du sacrifice d'Abraham, et que
ce patriarche les en chassait.
Comment donc supposer que dans cette multitude de sacrifices opérés,
tant dans la famille de Noé, que sous ses descendants qui ont peuplé
la terre, il n'ait jamais rien manqué aux préparations sacerdotales,
et que les oiseaux aient toujours été chassés de dessus
les victimes ; comment le supposer, dis-je, en voyant l'abomination naître
dans le sein même de la famille de Noé, et en voyant sa postérité
se couvrir de ténèbres, au point de forcer la sagesse suprême
à faire une nouvelle élection ? Il ne fallait cependant qu'une
seule négligence dans ces importantes cérémonies, pour
donner accès à l'action irrégulière, et à
tous les désordres auxquels elle est liée et qu'elle engendre
sans cesse.
Jugeons donc ce que cela a dû être, si le sacrificateur a joint
la souillure à la négligence, l'impiété à
la souillure, et des desseins criminels à l'impiété ; enfin,
s'il a lui-même préparé les voies à l'action irrégulière,
et qu'il s'y soit joint pour agir de concert avec elle au lieu de la combattre
? Il n'en faut assurément pas davantage pour voir naître de là
des torrents d'horreurs et d'abominations qui croissant journellement dans une
progression incalculable, ont dû inonder la terre de leurs eaux immondes
et la couvrir d'iniquités.
L'action irrégulière à laquelle le sacrificateur aura donné
accès en lui, aura pu l'égarer de plusieurs manières ;
tantôt elle lui aura suggéré l'idée de changer l'espèce
des victimes, et sans doute elle n'aura remplacé les victimes pures que
par celles qui avaient le plus de rapport avec ses abominables plans ; d'où
il n'est plus surprenant de voir sur la terre tant de différentes espèces
d'animaux employés dans les sacrifices.
Tantôt en laissant au sacrificateur les victimes pures, elle l'aura pressé
de diriger vers elle l'esprit et l'intention de son culte, lui faisant espérer
plus d'avantages auprès d'elle, qu'auprès d'un être jaloux
et sévère qui retirait toutes ses faveurs pour la moindre négligence
dans les cérémonies qu'il avait instituées ; et c'est surtout
en flattant ses cupidités de tous les genres, que sachant l'attacher
à elle, elle aura pu l'entraîner dans les abus les plus funestes,
et les abominations les plus monstrueuses.
Tantôt enfin rassemblant toutes ces iniquités à la fois,
elle aura su, pour en assurer le succès, les colorer d'une apparente
piété, sous l'ombre de laquelle elle aura conduit l'homme à
des pratiques révoltantes et inhumaines, tout en lui persuadant que par
le prix et la quantité des victimes, il se rendait d'autant plus cher
à la Divinité ; d'ailleurs, étant liée à
toutes les substances et à toutes les matières des sacrifices,
comme l'action régulière, elle aura pu appuyer et confirmer toutes
ces fausses insinuations par des manifestations visibles et d'autant plus efficaces
qu'elles s'accordaient avec les sentiments intérieurs et les mouvements
secrets que le sacrificateur avait déjà reçus.
Considérons donc la race humaine sous le joug d'un ennemi ingénieux
et vigilant qui ne respire que pour la promener d'erreurs en erreurs, et qui
lui a fait partout fléchir le genou devant lui, par le moyen même
qu'elle avait en son pouvoir pour l'éloigner d'elle.
Nous pouvons distinguer ces erreurs en trois classes ; savoir : . Les abominations
du premier genre, et dans lesquelles toutes les facultés de l'homme se
sont corrompues. . Les abominations pieuses qui ont sans doute commencé
pour lui comme les précédentes, c'est-à-dire par sa propre
corruption ; mais qui ensuite ont eu simplement empire sur sa faiblesse. . Enfin,
les simples superstitions de l'idolâtrie qui descendent des abus et des
erreurs deux premiers genres, mais qui n'en ont pas les effets et les suites.
Car on pourrait croire même que les superstitions puériles, et
les abus secondaires où la faiblesse et la crédulité de
l'homme l'ont souvent amené, ont pu aussi le préserver et l'empêcher
de commettre des crimes plus essentiels, comme cela lui arriverait s'il possédait
de plus grandes lumières, et qu'il fût dépositaire de plus
grandes puissances.
Et véritablement ce n'est pas tant des idoles qui ont une bouche et qui
ne parlent point, dont il doit se défendre, que de celles qui ont une
bouche et qui parlent ; qui ont des yeux et qui voient ; qui ont des oreilles
et qui entendent, etc.
Les abominations qui tiennent à cette seconde espèce d'idoles,
et qu'il faut classer dans le premier genre, sont celles qui blessant la justice
au premier chef, ont attiré sur les prévaricateurs des diverses
époques, nombre de fléaux connus ou inconnus. Car combien de crimes
ont été plongés dans l'abîme avec ceux qui les ont
commis ? Ce qui nous en est conservé dans l'histoire sainte suffit pour
nous faire présumer toutes les autres abominations qu'elle nous a cachées.
Qu'on se rappelle la prévarication du premier homme, dont les suites
ont été un changement absolu pour lui, et l'ont fait passer de
la région de la lumière, à la demeure ténébreuse
que nous habitons ; qu'on se rappelle les abominations de sa postérité
jusqu'au déluge, et qu'on juge par l'immensité des coupables que
ce déluge a engloutis, combien de crimes énormes ont été
dérobés par là à notre connaissance ; qu'on se rappelle
les abominations des Égyptiens et des peuples de la Palestine, qui ont
attiré sur ces régions la colère de Dieu, au point de le
forcer d'armer contre elles tous les éléments, toutes les puissances
de la nature, et jusqu'au feu du ciel pour les exterminer.
Enfin, qu'on daigne jeter un coup d'il sur notre globe, on n'y trouvera
peut-être pas un seul point qui n'offre encore des vestiges de la vengeance
céleste contre les malheureux qui ont été assez insensés
et assez coupables pour s'unir avec l'adversaire de la Divinité et ce
tableau du globe sera une histoire parlante, encore plus certaine que celle
que les livres nous ont transmise, et nous démontrera cette universalité
de crimes dont ces livres ne nous instruisent point, ou qu'ils ne nous peignent
qu'en abrégé, et comme par extrait.
Depuis la manifestation de ces fléaux, les abominations du premier genre
semblent aussi être devenues moindres ; et si elles n'ont pas cessé
tout à fait, elles paraissent ne plus appartenir à des peuples
en corps, et n'être pratiquées que par de simples individus. Mais
les abominations du second genre en ont pris la place, et voici quelle a été
leur origine.
Par la pratique pure des sacrifices légitimes, le fidèle opérant
et son peuple recevaient des témoignages visibles de l'approbation de
la souveraine puissance ; ils recevaient des instructions pour leur marche dans
la carrière sainte, et des réponses à leurs questions dans
ce qui regardait la sagesse et la justice ; mais dès que la négligence
ou la souillure se sont introduites dans ces sacrifices, l'action irrégulière
s'y est introduite en même temps ; elle s'y est montrée visiblement
sous telle forme qu'il lui a plu ; elle y a fait elle-même les réponses,
et s'est établie comme l'oracle, et comme la véritable arche d'alliance.
Combien d'opérants n'ont-ils pas été les dupes et les victimes
de ces mensongères apparitions, et combien de ces opérants n'ont-ils
pas gouverné les peuples par ces attrayantes séductions, après
s'en être laissés gouverner eux-mêmes ? Cette action irrégulière
leur communiquait des vérités, puisqu'il y en a qui lui sont connues
par les imprudences de l'homme ; elle leur prédisait des faits qui arrivaient,
elle répondait souvent juste à leurs questions ; cela suffisait
pour qu'ils se prosternassent devant elle de bonne foi, quelle que fût
la forme qu'elle empruntât, et quels que fussent les ordres qu'elle leur
prescrivît.
Telle est, n'en doutons point, la source de plusieurs religions et de plusieurs
cultes sur la terre, ainsi que des atrocités dont elles ont été
pieusement accompagnées ; car il faut soigneusement distinguer ces abominations
secondaires d'avec celles du premier rang que nous avons déjà
observées, et qui attaquaient volontairement la Divinité au premier
chef ; au lieu que les secondes semblent n'avoir d'autre effet que d'égarer
l'homme et de le priver du fruit des plans de cette Divinité, ce qui
n'est l'attaquer qu'au second chef. Mais aussi elles paraissent remplacer par
leur nombre et leur immensité, ce qu'elles ont de moins dans leur importance.
Car c'est dans cette classe qu'il faut ranger tous ces professeurs de sciences
occultes, auxquels le vulgaire ignorant donne indifféremment le nom d'illuminés
; tous ceux qui ont eu et qui ont des esprits de Python, qui consultent les
esprits familiers et qui en reçoivent des réponses.
Il y faut ranger tous ces oracles dont les traditions mythologiques sont remplies,
toutes ces réponses ambiguës des sibylles de tous les peuples, et
dont les poètes ont fait la base et le nud de leurs poèmes,
tâchant d'attirer notre intérêt pour leurs héros en
nous les montrant comme des victimes de la fatalité, pour ne pas dire
comme des dupes d'un mot à double entente, et en les faisant jouer ainsi
au propos discordant, au lieu de nous les montrer marchant sous l'égide
de la véritable et lumineuse sagesse.
Il y faut ranger la plupart de ces prodiges qui s'opèrent dans l'assoupissement
des sens corporels, et non par la renaissance de nos véritables sens,
et qui livrent ainsi l'Homme-Esprit à toutes les régions qui se
présentent, d'autant que nous avons lieu de croire que le crime de l'homme
a commencé par le sommeil, et que c'est pour avoir laissé assoupir
autrefois ses véritables sens, qu'il a été plongé
dans l'illusion et les ténèbres.
Il y faut ranger toutes ces voies bâtardes et fausses qui se sont ouvertes
dans tous les siècles, et qui, sous l'apparence de la vérité,
éloignent les hommes de la seule et unique vérité qu'ils
devraient prendre tous pour guide. Il faut, dis-je, ranger dans cette classe
tous ces abus, parce que, malgré la cessation des sacrifices dans une
grande partie de la terre, il suffit qu'ils aient pris leur origine dans l'altération
ancienne de ces sacrifices, pour se propager de siècle en siècle,
et pour produire même journellement de nouvelles erreurs, attendu que
cette source criminelle qui les a engendrés est vive, et saisit toutes
les occasions que les hommes lui fournissent d'étendre son règne
et de réaliser ses desseins.
Il faut penser en outre que si la plupart des hommes vivent de bonne foi sous
le joug de ces illusions et de ces iniquités, par ignorance, et faute
d'instruction, il en est au moins un aussi grand nombre qui y portent leurs
passions et leurs cupidités, au lieu d'y porter leur vertu, et qui, se
rapprochant par là des abominations du premier genre, nous montrent combien
dans tous les temps ont été et seront fondées les lamentations
des prophètes.
Enfin, la troisième classe de ces abominations, est celle des superstitions
et des idolâtries de tous les genres. Les formes de toute espèce
que sut emprunter l'action irrégulière pour altérer les
sacrifices et égarer l'homme, ont été les principales sources
de l'idolâtrie matérielle, parce que les opérants qui recevaient
ces manifestations, étaient portés, par un penchant naturel, à
honorer ceux des animaux vivants, et toutes les autres substances naturelles
qui avaient des rapports avec les formes sous lesquelles l'action irrégulière
s'était montrée ; et c'est de là que sont venues les adorations
de tant de peuples pour différents êtres et pour différents
objets de leur culte.
De là à l'idolâtrie figurative ou à celle des images
il n'y a qu'un pas, puisque mille circonstances ayant souvent forcé de
substituer l'image de l'idole à l'idole même, la vénération
du peuple a passé bien aisément de l'idole à l'image et
à la statue.
L'origine des apothéoses se trouve également dans cette source,
parce que l'opérant a souvent été pris pour l'être
même qui était l'objet du culte. Ainsi l'on reconnaît presque
parmi tous les peuples une Divinité visible et une Divinité invisible
; on trouve dans le nord deux Odin ; l'un, Dieu suprême ; l'autre, conquérant
; on trouve de même deux Jupiter chez les Grecs, deux Zoroastre chez les
Perses, deux Zamolxis chez les Thraces, etc. (Edda. , p. .)
La source des superstitions populaires n'est pas plus voilée, et ce n'est
pas la faute de leurs prophètes si les Juifs sont tombés dans
ces idolâtries de tout genre, puisque le Dieu suprême est si clairement
distingué dans leurs écritures, et particulièrement dans
les psaumes, de tout ce que les hommes ont pris depuis pour Dieu. Mais en s'approchant
des sacrifices, soit altérés, soit non altérés,
et en s'approchant de toutes les cérémonies pratiquées
dans les abominations secondaires, l'homme aura vu que dans telles et telles
circonstances, avec telles ou telles préparations des victimes, enfin
avec tel ou tel arrangement et disposition des substances, il est arrivé
tel ou tel résultat ; il n'aura pas tardé à séparer
de toutes ces formes l'esprit qui devait les diriger et leur donner toute leur
valeur ; et il aura attendu de cette forme, de cette substance, de cette cérémonie
isolée, ce qu'elles avaient rendu lorsqu'elles étaient animées
par leur mobile.
On voit là comment les peuples en sont venus à consulter les entrailles
des victimes jusqu'au moindre mouvement que faisait l'animal quand on l'immolait
; le vol des oiseaux ; les talismans ; les chiffres ; les amulettes ; la rencontre
de tel ou tel objet ; enfin, cette multitude de signes naturels auxquels l'opinion,
l'inquiétude, et la cupidité ont prêté partout une
importance et une valeur qu'ils n'avaient plus.
Tous ces tristes tableaux sont suffisants pour faire voir à quels écarts
l'esprit de l'homme s'expose quand il cesse de veiller contre l'action irrégulière,
qui, après l'avoir égaré dans le temps de sa gloire, l'a
égaré encore lors de l'institution des sacrifices établis
pour sa régénération, et a propagé ses désordres
de manière à ce que l'homme ne puisse plus connaître le
séjour de la paix, que sa demeure ne soit absolument renouvelée.
Il faut joindre d'ailleurs à ces observations, les présents que
l'on offrait toujours au voyant, à l'imitation des offrandes que l'on
faisait au temple entre les mains des sacrificateurs. Ces présents et
ces offrandes ont commencé par être en participation avec la vertu
du sacrifice ; puis ils sont devenus des organes inférieurs de correspondance
; et enfin, de simples objets de spéculation pour l'avarice et la fourberie.
Toutes les lois données à l'homme depuis son péché,
ont eu son avancement pour objet. Voilà pourquoi la loi se trouve toujours
au-dessous du terme où elle doit conduire l'homme, quoiqu'elle soit supérieure
au terme où elle le prend : voilà pourquoi aussi ces différentes
lois auraient toujours été en croissant, si l'homme n'en avait
arrêté souvent le cours par ses écarts ; mais ayant lui-même
multiplié sans cesse ses chutes et ses ténèbres, il a fait
descendre sur lui des lois rigoureuses, et des lois de contrainte dans les temps
où il aurait dû recevoir des lois douces et remplies de consolation.
Après la première expiation du premier homme coupable, il reçut
une loi, et sûrement elle fut plus vaste et plus lumineuse que celle qui
depuis le déluge fut donnée aux Israélites ; nous en pouvons
juger par la différence du nom qui a dirigé ces deux lois. C'est
le nom propre de Dieu qui dirigea la première ; ce n'est que le nom représentatif
qui dirigea la seconde. Voyez Paul (aux Galates : .) où il nous dit que
cette loi a été donnée par les anges, par l'entremise d'un
médiateur.
D'ailleurs Adam, quoique coupable, n'était plus que dans la privation
de ses jouissances primitives ; il n'était plus dans la souillure du
péché qui avait été lavé par le baptême
de sa délivrance des mains de son ennemi, ou par ce qu'on peut appeler
sa grande circoncision ou sa circoncision spirituelle.
Enfin l'enveloppe corporelle dont on l'avait revêtu, était l'extrait
pur de toutes les substances les plus vives de la nature, laquelle n'avait point
encore subi les catastrophes secondaires qui lui sont arrivées depuis
; il n'est donc pas étonnant que dans cette réunion de circonstances,
la loi de retour qui fut donnée à Adam, eût plus de force
et de vertu que la loi judaïque : nous pouvons nous contenter d'en citer
un seul trait pour en faire sentir la différence.
Il fut défendu au peuple Hébreu de s'allier aux nations qu'il
allait combattre dans la terre promise ; et la transgression de cette loi le
conduisit seulement aux différentes servitudes particulières qu'il
a subies. Quant à Adam et à sa postérité, c'est
la terre entière qui leur est donnée pour la cultiver, et pour
en déraciner les ronces et les épines ; et c'est, au contraire,
pour l'avoir remplie d'iniquités, que le Seigneur retire son esprit de
dessus les hommes, et qu'il verse le terrible fléau du déluge.
Par l'étendue du crime, jugeons de l'étendue de la puissance,
et par l'étendue de la puissance, jugeons de l'étendue de la loi.
Cette loi ne put point être donnée à Adam pendant qu'il
était encore dans les abîmes et sous le joug absolu de celui qui
l'avait séduit. Ce fut la grâce pure qui agit dans ce terrible
instant pour arracher à la mort éternelle celui qui était
l'image et la ressemblance du Dieu des êtres ; et l'homme alors était
incapable de mettre à profit aucune loi ; mais ce premier degré
étant monté, l'homme devint susceptible d'une loi restauratrice
; or, celle qu'il reçut porta, sans doute, les trois caractères
que nous avons exposés plus haut ; disons-le donc, elle fut un jugement
contre l'ennemi qui fut alors précipité ; elle fut un avertissement
qui engagea l'homme à reconnaître les dangers qui l'environnaient,
et à se préserver de nouvelles chutes ; enfin elle fut pour lui
un moyen de sanctification, par les voies de retour qui lui furent tracées,
et par les sacrifices que nous trouvons établis et usités chez
les premiers nés, et dont il put se servir.
L'affreuse conduite de sa postérité ayant rendu nulle cette loi
restauratrice, l'homme, doublement coupable, fut de nouveau précipité
dans l'abîme, et un simple rejeton fut conservé. Noé était
resté fidèle aux ordonnances du Seigneur, et lorsqu'on le voit
après le déluge offrir un sacrifice d'agréable odeur, on
ne doit pas le regarder comme fondateur de cette loi des sacrifices, mais comme
le conservateur et le ministre d'une loi aussi ancienne que l'origine même
des choses ; ce qui est en effet un indice en faveur des sacrifices du premier
homme.
Si la postérité de Noé s'était maintenue dans la
sagesse et la sainteté de ce patriarche, l'uvre aurait continué
de marcher sur cette voie, et aurait avancé vers son terme, sans qu'il
eût été nécessaire d'instituer une nouvelle loi,
et de faire élection d'un peuple particulier, parce que le fléau
du déluge ayant retranché de la terre tous les prévaricateurs,
la famille conservée et ses descendants auraient été l'image
vivante du premier homme dans sa voie de retour, et dans la loi qui devait favoriser
ce retour.
Mais cette postérité de Noé s'étant livrée
à tous les crimes, a rendu nulle pour elle cette loi restauratrice, et
il a fallu renouveler alors pour l'homme ce qui s'était passé
au commencement, puisque toutes les langues étaient confondues, et qu'il
ne restait plus, comme au temps de Noé, une seule famille qui eût
conservé la langue pure.
C'est dans cet état de ténèbres universelles, qu'Abraham
est élu pour être le chef d'un peuple choisi ; tout lui fut donné
en principe et pour ainsi dire prophétiquement, même jusqu'à
l'histoire de son propre peuple, qu'il ne voit qu'en songe. Mais rien ne lui
fut donné en développement ; il ne posséda point la terre
qui lui fut montrée ; il fut même obligé d'acheter la caverne
d'Ephron pour servir de sépulture à Sara. Il ne vit point la postérité
nombreuse qui lui avait été promise ; il vit seulement le fils
de la promesse, et ne vit pas même les fils de ce fils de la promesse,
puisqu'il mourut avant la naissance de Jacob et d'Esaü ; il ne fut chargé
d'aucun culte cérémoniel, car le sacrifice même que Dieu
lui ordonna, ne lui fut commandé que pour servir de témoignage
à l'alliance, et Dieu ne le lui donna point comme institution.
En nous disant que la mesure des iniquités des Amorréens n'était
pas encore remplie, l'Écriture nous donne bien une espèce de raison
pourquoi Abraham ne reçut pas la loi, mais on peut en trouver une plus
directe ; c'est que la loi qui devait être donnée, devait tomber
sur un peuple, et non pas sur un individu, comme au temps d'Adam, et que ce
peuple n'était pas encore né. Elle devait tomber sur un peuple,
puisque c'étaient les peuples qui s'étaient pervertis et écartés
de la loi ; puisque ces cérémonies de la loi demandaient un grand
nombre de ministres ; puisque cette loi devait s'appuyer sur le nombre perdu
ou sur l'ancien dénombrement des nations, pour le leur rendre ; et enfin,
puisqu'il fallait à cette loi un réceptacle, qui, par ses subdivisions,
pût se lier à toutes les branches de la loi, tandis que toutes
ces branches avaient été rassemblées en un seul tronc lorsqu'elles
furent données à Adam, qui est corporellement la racine et le
tronc du genre humain.
L'élection faite dans Abraham ne put atteindre à son accomplissement
que quand les douze enfants de Jacob eurent pu présenter par leur nombre
un réceptacle susceptible de recevoir l'action réparatrice qui
correspondait à ce nombre. Et même les enfants de Jacob ne reçurent
encore que le principe de cette action dans les bénédictions de
leur père, et ce ne fut qu'à Sinaï que les douze tribus reçurent
le développement de cette loi qui leur était nécessaire,
et dont leurs ancêtres avaient reçu les prémices.
Cette loi n'opéra cependant encore pour eux qu'une sorte de préparation
à la loi de l'esprit qui les attendait lorsque la loi des formes et des
sacrifices matériels aurait accompli son cours. Il fallait que cette
loi des formes développât les bases et les essences spiritueuses
qu'ils avaient en eux, pour qu'ils pussent à leur tour présenter
à l'esprit un réceptacle de son genre, et sur lequel il pût
venir se reposer.
Enfin cette loi de l'esprit elle-même ne devait être que préparatoire
à la loi divine, la seule qui soit le vrai terme de l'homme, puisqu'il
est un être divin. Or, c'est dans cette progression lente, mais douce
de tous les secours envoyés par Dieu sur la terre, que l'on peut dire
en général de toutes les lois, ce que Saint Paul disait de la
loi des Hébreux en particulier ; (Gal. : .) savoir ; qu'elle leur a servi
de conducteur pour les mener comme des enfants, etc. ; car il n'y a pas une
de ces lois temporelles qui ne puisse se regarder comme un conducteur, par rapport
à celle où elle nous mène, et pour laquelle nous sommes
réellement des enfants, jusqu'à ce que nous y soyons admis, et
que nous ayons les forces nécessaires pour la pratiquer.
Voyez quelle a été l'économie divine dans toutes ces époques.
Lors du règne lévitique, ou des sacrifices sanglants, le prêtre
n'étant encore que dans les régions naturelles, recevait sa subsistance
du peuple, et la loi lui décernait des villes et des dîmes pour
suppléer à son indigence spirituelle. Sous le règne prophétique,
Dieu nourrit ses serviteurs par des voies particulières, quoique prises
dans l'ordre des agents naturels, comme on le voit pour Elie et Daniel. Sous
le règne de la loi de grâce, l'intention du fondateur est que les
prêtres n'aient plus à s'embarrasser de rien ; et la nourriture
doit leur être donnée du ciel comme à Saint Pierre, et comme
le témoigne le tableau et la promesse des avantages attachés aux
eaux vives.
Mais ce n'est que pour les enfants dociles et soumis que ces diverses lois conservent
un semblable caractère, et elles nous montrent plutôt ce que l'homme
pourrait être, que ce qu'il est réellement. Aussi la main qui dirige
ces lois salutaires est souvent forcée de les laisser se déployer
plutôt pour la punition des hommes que pour leur récompense.
Nous avons vu que telle a été la marche de la sagesse divine depuis
le péché de l'homme jusqu'à la loi de Moïse, pendant
que si la postérité d'Adam eût été fidèle
aux secours qui lui étaient envoyés dans toutes les époques
que nous avons parcourues, elle eût avancé de beaucoup son retour
vers la vérité, et n'eût connu que la douceur des voies
divines, au lieu d'en éprouver presque toujours les rigueurs et les amertumes.
Tel va être encore le cas du peuple hébreu, dans l'époque
où nous allons le considérer, savoir dans l'époque, ou
le règne des prophètes.
Si le peuple eût suivi fidèlement les ordonnances du Seigneur,
confiées aux chefs de la race sacerdotale, les mêmes faveurs qui
l'avaient accompagné dans le désert, ne l'auraient pas abandonné
dans la terre promise, et la loi des sacrifices des animaux l'eût conduit
à la loi de l'esprit, dans laquelle il eût reçu directement
les secours qu'il ne recevait que par intermède sous cette loi des sacrifices.
Mais le peuple, les chefs, les prêtres n'ayant cessé d'accumuler
abomination sur abomination, ayant violé toutes les lois des sacrifices,
comme on en peut juger par la conduite des enfants d'Heli, ayant abandonné
le gouvernement théocratique pour y substituer un gouvernement semblable
à celui des autres nations, dont leur élection les avait entièrement
distingués, il n'est pas étonnant que ce peuple se soit retardé
dans sa marche au lieu d'avancer ; il n'est pas étonnant enfin, que,
selon le langage de l'Écriture, la parole de Dieu fût devenue rare.
Mais si l'homme se retarde dans sa marche par ses iniquités, le temps
ne se retarde point dans la sienne ; et comme l'heure de la loi de l'esprit
était venue pour les Juifs, elle ne pouvait se dispenser de s'accomplir
elle-même à leurs yeux, au risque de ne pas les trouver préparés.
Seulement elle prit alors un double caractère, conformément au
double type de miséricorde et de justice qu'elle a à opérer
sur la terre ; et la lumière qui fut allumée lors de l'élection
des Juifs ne pouvant s'éteindre, manifesta alors à la fois les
premiers rayons de sa clarté, et les terreurs de la colère divine.
Voilà pourquoi nous distinguons clairement deux classes de prophéties,
les unes effrayant le peuple coupable par des menaces, les autres annonçant
aux âmes de paix les jours de consolation promis à la terre. Nous
remarquons aussi combien à cette époque l'objet des prophéties
s'étend et se rapproche de cette régénération de
l'âme humaine qui avait toujours été le but de toutes les
manifestations divines antérieures, mais qui s'était tenu enveloppé
dans les ordonnances figuratives.
C'est dans les prophètes que nous voyons se déployer le caractère
de l'homme choisi pour être le prêtre et le sacrificateur du Seigneur
; que nous voyons substituer les sacrifices de nos iniquités aux sacrifices
des animaux ; que nous voyons la circoncision de l'esprit et du cur recommandée
comme la vraie voie de la réconciliation de l'homme avec Dieu ; que nous
voyons les reproches faits aux faux prophètes et aux mauvais pasteurs,
qui, après avoir trompé les âmes du peuple, leur assurent
ensuite qu'elles sont vivantes ; enfin, que nous voyons percer l'aurore de ce
règne divin et spirituel qui se levait alors pour ne plus cesser ; ce
qui montrait déjà à l'homme, quoique par des traits épars,
qu'il était né dans la région de la sainteté et
de l'esprit, et qu'il ne pouvait trouver sa vraie loi et son lieu de repos que
dans cette région de l'esprit et de la sainteté.
Nous disons que ces vérités ne lui étaient montrées
que par des traits épars, parce qu'indépendamment de l'homme général
que ces prophètes venaient réveiller, ils avaient aussi à
agir et à prophétiser aux divers peuples particuliers qui n'étaient
point encore sortis des figures et de l'ordre représentatif. Mais sous
tous ces rapports le prophète se pouvait toujours regarder comme une
victime, soit par la mort corporelle et violente que la plupart d'entre eux
ont subie, soit plus encore par le travail de l'esprit qui les animait.
En effet, la vertu éteinte des sacrifices passa alors dans la voix des
prophètes, et ils prirent aux yeux de l'esprit la place des victimes
qui ne s'offraient plus que selon la forme extérieure, et sans la foi
du sacrificateur. Le sang versé de ces prophètes devenait l'holocauste
de propitiation, sur lequel l'action de l'esprit opérait d'une manière
à la fois plus terrible et plus salutaire qu'il n'avait opéré
sur le sang des animaux.
Premièrement, il opérait d'une manière plus terrible, parce
que ce sang versé avec injustice était un témoin parlant
des crimes et de l'aveuglement du peuple. Toutefois ce sang attirait à
lui les actions spirituelles les plus irrégulières dont ce peuple
égaré et criminel était souillé, et cela conformément
à ces lois de transposition exposées ci-dessus.
Les esprits des prophètes portaient aussi sur eux dans leurs souffrances
et dans leurs travaux les iniquités d'Israël, afin qu'en divisant
toutes ces actions irrégulières attachées sur le peuple,
la communication des actions régulières lui fût plus facile
et plus favorable. Si le peuple avait profité de tous ces secours que
la sagesse et l'amour suprême lui envoyaient, il aurait à son tour
soulagé le sang et l'esprit des prophètes du poids de toutes ces
actions irrégulières qui les accablait, en leur communiquant et
partageant avec eux l'effet de ces vertus et de ces actions salutaires que leur
sacrifice corporel et spirituel faisait descendre sur lui.
Mais s'enfonçant de plus en plus dans l'endurcissement, il prolongeait
encore après la mort des prophètes les travaux et les douleurs
qu'il leur avait occasionnés pendant leur vie ; il appesantissait par
sa résistance le poids de ses propres iniquités qu'ils avaient
pris sur eux par les saints mouvements de leur charité divine ; par là
il accumulait sur lui-même le double reproche de n'avoir pas écouté
la voix de la sagesse qui lui avait parlé, et de retenir dans de pénibles
mesures ceux que cette sagesse avait pris pour ses organes ; et c'est pour cela
qu'on lui demandera le sang des prophètes qui a été versé
depuis Abel jusqu'à Zacharie ; car n'oublions pas que le peuple Hébreu
n'est que le représentant de l'homme et de toute la postérité
d'Adam.
Secondement, le sang des prophètes opérait sur le peuple d'une
manière plus salutaire que le sang des victimes lévitiques, parce
que le sang et la vie de l'homme servant de siège à la propre
image de la Divinité, ne pouvait être versé sans faire jour
aux saintes influences que les âmes des justes répandent naturellement
autour d'elles ; et si les sacrifices des animaux avaient pu ouvrir au peuple
Hébreu la région de l'esprit, le sang et la voix des prophètes
lui ouvraient les avenues de la région divine.
C'est par ce double pouvoir que les prophètes accomplirent sur le peuple
Hébreu l'acte de l'esprit qui les envoyait. Cet acte opéré,
les prophéties cessèrent parmi les Hébreux, parce que le
séjour mixte que nous habitons, soumet l'action même de l'esprit
à des intervalles et à des opérations partielles, quoiqu'il
n'y ait point de temps pour l'esprit : aussi après la captivité
de Babylone qui avait confirmé, et réalisé les menaces
des prophètes, l'uvre de ces prophètes paraît terminée,
et ils ne répandent plus que quelques lueurs, et qui même se bornent
à presser la structure du second temple, et le peuple est remis à
lui-même pour lui laisser le temps de reconnaître la justice des
voies rigoureuses par lesquelles il venait de passer.
Mais en le livrant ainsi à lui-même, l'esprit lui laissa pour guide,
et les paroles des prophètes, et la mémoire des événements
qui venaient de se passer ; comme après son élection et la sortie
d'Égypte on lui laissa la loi lévitique, l'histoire de sa délivrance
et de ses pénibles voyages dans les déserts ; comme aussi après
le déluge on avait laissé aux enfants de Noé les instructions
de leur père, et les traditions de ce qui s'était passé
depuis Adam jusqu'à eux ; et enfin comme on avait laissé à
Adam, après sa chute, le souvenir de son crime, et du sacrifice d'amour
que la bonté suprême avait bien voulu faire en sa faveur pour l'arracher
aux abîmes.
C'est ainsi que depuis le premier contrat divin, et depuis la région
pure où la vérité fait sa demeure, il y a une chaîne
continue de miséricordes et de lumières qui s'étendent
toujours jusqu'à l'homme à quelque époque qu'on le considère,
et qui ne cessera de se prolonger jusqu'à la fin des siècles,
c'est-à-dire, jusqu'à ce qu'elle rentre dans ce séjour
dont elle descend, qu'elle y ramène toutes les âmes de paix qu'elle
aura rassemblées dans son cours, et qu'ainsi l'homme apprenne que c'est
l'amour qui aura ouvert, dirigé et fermé le cercle des choses.
Le sang et la voix des prophètes n'avaient conduit le peuple Hébreu
que jusqu'aux avenues du temple et de la région divine, parce que le
terme n'était pas arrivé où l'homme pourrait entrer dans
le temple même. Aussi y eut-il un grand nombre de prophètes employés
à cette oeuvre préparatoire, et la main qui les conduisait leur
traçait différents sentiers dans ces déserts qu'ils fréquentaient
pour la première fois. C'est pourquoi, marchant chacun sur leur ligne
particulière, ils ne connaissaient pas toujours le terme final vers lequel
tendaient leurs prophéties, et qui ne leur était dévoilé
que par parcelles et comme dans un lointain.
Aussi le peuple qui n'avait pas reconnu la loi de l'esprit dans les cérémonies
lévitiques, quoiqu'elle y fût contenue, ne reconnut pas non plus
la loi divine qui lui était annoncée dans la loi de l'esprit ou
dans les prophéties, et continuant à marcher dans les ténèbres,
il arriva ainsi à l'époque de l'universelle délivrance,
dont non seulement les prophètes n'avaient cessé de parler chacun
selon ce qu'il leur en était accordé de connaître, mais
encore qui était aussi indiquée dans les livres de Moïse,
particulièrement dans les bénédictions de Jacob ; car si
le peuple avait réellement fait une étude soignée de ces
livres, il aurait dû faire de sérieuses réflexions, lorsqu'il
vit la puissance temporelle de Juda passer dans la main de l'Iduméen,
nommé Hérode.
L'union intime de toutes ces lois, enveloppées les unes dans les autres,
est un des plus sublimes secrets de la sainte sagesse, qui par là se
montre toujours la même malgré la diversité et les intervalles
qu'elle met entre ses opérations.
Le peuple juif eut l'esprit trop grossier pour pénétrer dans cette
simple et profonde intelligence. Couvert d'ailleurs de toutes les iniquités
dont il s'était souillé antérieurement par sa négligence
à observer les lois et les ordonnances de Moïse, et par l'effusion
du sang des prophètes, la loi de grâce, dont l'époque était
arrivée pour le genre humain, opéra pour la réprobation
du peuple qui en avait été, avec si peu de succès, le représentant
; et au lieu de se laver de ses crimes dans la foi à cette nouvelle victime
qui venait s'offrir, il combla ses iniquités en la regardant comme son
ennemi, et il épaissit ainsi pour lui-même le voile qui venait
de se déchirer pour toute la postérité d'Adam.
Le tableau naturel, en faisant voir la nécessité d'un réparateur
Dieu-homme, a montré la hauteur du mystère de ce sacrifice où
la victime s'est immolée elle-même sans être suicide, et
où les aveugles sacrificateurs, en croyant immoler un coupable, donnaient
au monde, sans le savoir, l'Électre universel qui devait en opérer
la renaissance ; l'homme de désir a montré que le sang de cette
victime était esprit et vie, et qu'ainsi les Juifs en demandant qu'il
retombât sur eux et sur leurs enfants, ne pouvaient séparer la
miséricorde qui s'y trouvait unie avec la justice : nous ne rappelons
ici qu'en passant ces consolantes et profondes vérités que l'esprit
de l'homme ne saurait trop se rendre présentes.
Nous avons vu que le sang, depuis le crime, était la barrière
et la prison de l'homme, et que l'effusion du sang était nécessaire
pour lui rendre progressivement la liberté par le moyen des transpositions
que cette effusion du sang opérait en sa faveur. Mais nous avons vu en
même temps que chacune des lois qui lui fut donnée pour sa régénération,
n'était qu'une sorte d'initiation à une loi supérieure
qui la devait suivre : ainsi toutes ces lois préparatoires n'avaient
pour but que d'amener l'homme à opérer de lui-même un sacrifice
libre et volontaire, dont tous les sacrifices antérieurs ne pouvaient
tenir la place, puisque sans l'effusion de son propre sang, il ne pouvait se
dire réellement délivré de la prison que le sang élève
autour de lui.
Or cette profonde et salutaire vérité, qu'est-ce qui pouvait la
lui apprendre ? Ce n'étaient point les sacrifices des animaux, puisque
ces animaux, dénués de moralité, ne lui donnaient aucune
idée d'une immolation volontaire, et n'apportant à l'autel des
holocaustes que leur physique corporel, ils ne pouvaient délier l'homme
que de ses chaînes extérieures et corporelles comme eux.
Ce n'étaient point non plus les sacrifices et la mort des prophètes,
parce qu'ils n'ont point été volontairement au supplice, quoiqu'ils
aient pu y aller avec résignation ; parce que ce supplice, pour ceux
qui l'ont subi, n'était qu'une suite incertaine de leur mission, et n'était
point leur mission même ; parce qu'ils n'étaient envoyés
que pour annoncer l'aurore du jour éternel de la délivrance de
l'homme, et non point pour le remettre pleinement en liberté ; parce
qu'enfin ils désiraient de pénétrer eux-mêmes dans
ce grand jour qu'ils annonçaient sans le connaître, et qu'ils n'entrevoyaient
que par des rayons épars, et comme par des éclairs de l'esprit.
Ainsi, quoique la voix et le sang des prophètes aient été
plus avantageux pour l'homme que les victimes de la loi lévitique, quoiqu'ils
aient pu l'amener à un degré plus élevé puisqu'ils
ont pu délier son esprit, ils ne l'ont cependant point porté à
cette idée sublime d'une immolation à la fois soumise et volontaire,
fondée sur la connaissance de l'abîme dans lequel le sang nous
retient, et sur l'espoir encourageant de notre absolue délivrance quand
ce sacrifice est fait sous l'il de la lumière, et dans les mouvements
de notre éternelle nature.
Il fallait donc une autre victime qui, en réunissant en elle-même
toutes les propriétés des victimes précédentes,
y joignît encore celle d'instruire l'homme par le précepte et par
l'exemple, du véritable sacrifice qui lui restait à opérer
et à offrir pour satisfaire pleinement à l'esprit de la loi. Cette
victime devait apprendre à l'homme que pour atteindre le but essentiel
des sacrifices, il ne lui suffisait pas de mourir corporellement comme les béliers
et les taureaux, sans aucune participation de l'esprit qui leur est refusé
par leur nature ; qu'il ne lui suffisait pas même de mourir corporellement
comme les prophètes immolés par les injustices, et les passions
des peuples auxquels ils annonçaient la vérité, puisqu'ils
croyaient, sans manquer à leur mission, pouvoir se soustraire à
la violence, comme Elie, lorsqu'ils en avaient la facilité.
Mais elle devait lui apprendre qu'il lui fallait entrer de son propre mouvement,
avec sa pleine science et une entière sérénité,
dans cette immolation de son être physique et animal, comme la seule qui
pût réellement la séparer des abîmes où il
est retenu par le sang qui est pour lui l'organe et le ministre du péché
; enfin, qu'il lui fallait voler à la mort comme à une conquête
qui lui assurait la possession de ses propres domaines, et le faisait sortir
du rang des criminels et des esclaves.
Tel fut le secret sublime que le réparateur vint révéler
aux mortels ; tel fut le jour lumineux qu'il leur fit découvrir dans
leur âme en s'immolant volontairement pour eux, en se laissant saisir
par ceux même qu'il venait de renverser par le souffle de sa parole, et
en priant pour ceux qui donnaient la mort à son corps ; et ce fut l'effusion
de son sang qui compléta toutes ces merveilles, parce qu'en se plongeant
dans l'abîme de notre ténébreuse région, le réparateur
suivit toutes les lois de transposition qui la gouvernent et qui la composent.
En effet, l'effusion du sang de la victime doit opérer en raison du rang
et des propriétés de cette victime ; et si le sang des animaux
ne pouvait délier que les chaînes corporelles du péché
dans l'homme, puisqu'ils n'ont rien au-dessus de l'élémentaire
; si le sang des prophètes déliait les chaînes de son esprit
en lui laissant entrevoir les rayons de l'étoile de Jacob, l'effusion
du sang du réparateur devait délier les chaînes de notre
âme divine, puisque ce réparateur était lui-même le
principe de l'âme humaine, et lui dessiller assez les yeux pour qu'elle
aperçût la source même où elle avait puisé
la naissance, et qu'elle sentît que ce n'était que par l'immolation
intérieure et volontaire de tout ce qui dans nous nage dans le sang et
tient au sang, que nous pouvions satisfaire le désir et le besoin essentiel
que nous avons de nous réunir à notre source divine.
Il n'est point étonnant que cette sorte de révélation ait
rendu nuls tous les sacrifices et toutes les victimes, puisque celle qui s'était
offerte avait placé l'homme dans le seul rang qui fût fait pour
lui : aussi depuis cette époque l'Homme-Esprit est-il monté au
rang de véritable sacrificateur, et il ne tient qu'à lui de rentrer
dans les voies de sa régénération, et d'en atteindre, au
moins par l'intelligence, le complément, même dès ce monde,
s'il sait s'unir de cur, d'esprit et d'uvre à celui qui lui
a ouvert les sentiers, et a touché le but devant lui.
Il n'est point étonnant non plus que, conformément à toutes
les révélations antérieures, celle-ci nous soit parvenue
par un homme, puisqu'elle avait l'homme pour objet ; mais ce qui la distingue
éminemment de toutes les autres, c'est qu'elle a été prêchée,
prouvée et accomplie en entier dans un homme Dieu et dans un Dieu homme,
au lieu que parmi toutes les autres il n'y en a aucune qui porte cet universel
caractère.
La mort d'Abel ne fut point volontaire ; elle put servir à l'avancement
d'Adam par la transposition que l'effusion de ce sang put faire des actions
irrégulières qui étaient attachées sur ce coupable
père du genre humain ; mais elle ne compléta point l'uvre
de notre alliance avec Dieu, puisque Abel n'était qu'un homme conçu
dans le péché et que son frère Seth fut substitué
à sa place, pour transmettre aux hommes la continuation et le cours des
grâces spirituelles que sa mort avait arrêtées dans ses mains.
La révélation de la justice reçue par Noé, et exercée
sous ses yeux sur la postérité humaine, le plaça sans doute
au rang des premiers élus du Seigneur pour l'exécution des plans
de sa sagesse divine ; mais il paraît plutôt dans cette grande catastrophe
comme un ange exterminateur, que comme le libérateur du genre humain
; et d'ailleurs, il n'offrit en holocauste que des victimes étrangères
à lui, et qui ne pouvaient procurer à l'homme que des secours
analogues à leur classe.
Abraham versa son sang par la circoncision, pour signe de son alliance avec
Dieu, et comme témoignage de son élection ; mais il ne versa point
le principe même de ce sang où réside la vie animale, et
nous pouvons nous dispenser de rien ajouter à ce que nous avons dit précédemment
de ce patriarche.
Son fils Isaac approcha du sacrifice, et ne le consomma point, parce que l'homme
n'était encore qu'à l'époque des figures, et que la foi
du père produisit son effet pour la consolidation de l'alliance, sans
qu'il fût besoin de la souiller par l'atrocité de l'infanticide.
Moïse a servi d'organe à la loi de l'élection du peuple Hébreu
; il en a été même le ministre comme homme, et comme homme
choisi pour opérer sur l'homme ou sur ses représentants ; mais
comme il n'agissait que sur les représentants de l'homme général,
il ne fut appelé aussi qu'à employer des sacrifices extérieurs,
et des victimes figuratives, par cette constante raison que l'homme n'étant
encore qu'à l'âge des figures et des images, la loi de transposition
ne pouvait opérer sur lui que dans ce rapport, et ne pouvait pas s'élever
plus haut.
Les prophètes sont venus donner leur sang et leur parole pour coopérer
à la délivrance de l'homme. S'il avait été nécessaire
que des hommes vinssent pour exercer les vengeances de la justice, et tracer
les voies représentatives de la régénération, il
fallait bien plus encore que des hommes vinssent ouvrir les premières
portes des sentiers réels de l'esprit ; aussi les prophètes étaient-ils
comme l'organe, la langue et la prononciation même de l'esprit, tandis
que Moïse ne reçut la loi, et ne la transmit au peuple qu'écrite
sur des pierres ; enfin, Moïse, en présence des magiciens de Pharaon,
n'avait pris le serpent que par la queue ; il fallait un être puissant
qui le prît par la tête, sans quoi la victoire n'aurait pas été
complètement remportée.
Aussi tout nous montre ce qui manquait aux prophètes pour pouvoir introduire
l'homme dans la révélation de sa propre grandeur ; et nous pouvons
ajouter une raison simple et frappante à tout ce que nous en avons dit,
c'est que ces hommes privilégiés n'étaient pas le principe
de l'homme.
Nous pouvons même trouver ici en partie l'explication du passage de Saint
Jean ( : .) : tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des larrons,
et les brebis ne les ont point écoutés, quoique ce passage tombe
bien plus directement sur les grands prêtres que sur les prophètes.
Ce passage annonce bien que tous ces chefs et tous ces envoyés ne pouvaient
introduire le peuple dans le royaume, puisqu'ils ne marchaient que par l'esprit,
et que ce royaume est divin ; mais il annonce aussi qu'ils n'ont pas été
les vrais pasteurs de ce peuple, puisqu'ils n'ont point donné volontairement
leur vie pour lui, et puisque au lieu de le préserver soigneusement de
la main de l'ennemi, ils ont été souvent les premiers à
le livrer à sa fureur.
C'est ce que Dieu leur reproche si fortement dans Ezéchiel ( : -.), où,
après avoir tracé les crimes des princes, et les prévarications
des prophètes, il dit (v. .) : J'ai cherché un homme parmi eux
qui se présentât comme une haie entre moi et eux, qui s'opposât
à moi pour la défense de cette terre, afin que je ne la détruisisse
point, et je n'en ai point trouvé.
Il était donc uniquement réservé à celui qui était
le principe de l'homme, de remplir toutes ces conditions envers l'homme. Il
n'y avait que ce principe créateur, vivant et vivifiant, qui pût
en être le véritable libérateur, parce que l'effusion volontaire
de son sang auquel nul sang sur la terre ne saurait se comparer, pouvait seule
opérer l'entière transposition des substances étrangères
qui nageaient dans le sang de l'homme.
Il n'y avait que ce principe divin qui, à la suite de cette opération,
pût attirer l'âme humaine hors de ses abîmes, et s'identifier,
pour ainsi dire, avec elle, afin de lui faire goûter les délices
de sa vraie nature ; il n'y avait que lui qui, étant dépositaire
de la clef de David, pouvait d'un côté fermer l'abîme, et
de l'autre ouvrir le royaume de la lumière, et rendre à l'homme
le poste qu'il aurait dû toujours occuper.
Aussi c'est ne rien connaître de ce réparateur, que de ne le considérer
que sous ses couleurs extérieures et temporelles, sans remonter, par
les progressions de l'intelligence, jusqu'au centre divin auquel il appartient.
Puisons donc dans la diversité des caractères dont il s'est revêtu,
quelques moyens d'approprier à nos faibles lumières son homification
spirituelle qui a précédé de beaucoup son homification
corporelle.
Il a fallu d'abord qu'étant le principe éternel de l'amour, il
prît le caractère de l'homme immatériel qui était
son fils ; et pour accomplir une pareille uvre, il lui a suffi de se contempler
dans le miroir de l'éternelle Vierge, ou de la SOPHIE dans laquelle sa
pensée a gravé éternellement le modèle de tous les
êtres.
.
Après être devenu homme immatériel par le seul acte de la
contemplation de sa pensée dans le miroir de l'éternelle Vierge
ou SOPHIE, il a fallu qu'il se revêtît de l'élément
pur, qui est ce corps glorieux englouti dans notre matière depuis le
péché.
Après s'être revêtu de l'élément pur, il a
fallu qu'il devînt principe de vie corporelle, en s'unissant à
l'esprit du grand monde ou de l'univers.
Après être devenu principe de vie corporelle, il a fallu qu'il
devînt élément terrestre, en s'unissant à la région
élémentaire ; et de là il a fallu qu'il se fit chair dans
le sein d'une vierge terrestre, en s'enveloppant de la chair provenue de la
prévarication du premier homme, puisque c'était de la chair, des
éléments, et de l'esprit du grand monde qu'il venait nous délivrer.
Et sur ceci je ne puis que renvoyer à Jacob Boehme qui a répandu
sur ces objets des lumières assez vastes et assez profondes pour dédommager
les lecteurs de toutes les peines qu'ils pourront prendre.
On voit maintenant pourquoi le sacrifice que le réparateur a fait ainsi
dans tous les degrés, depuis la hauteur d'où nous étions
tombés, a dû se trouver approprié à tous nos besoins
et à toutes nos douleurs.
Aussi c'est le seul sacrifice qui ait été terminé par ces
paroles à la fois consolantes et terribles, consummatum est ; consolantes
par la certitude qu'elles nous donnent que l'uvre est accomplie, et que
nos ennemis seront sous nos pieds, toutes les fois que nous voudrons marcher
sur les traces de celui qui les a vaincus ; terribles, en ce que si nous les
rendons vaines et nulles pour nous par notre ingratitude et notre tiédeur,
il ne nous reste plus de ressource, parce que nous n'avons plus d'autre Dieu
à attendre, ni d'autre libérateur à espérer.
Ce n'est plus le temps où nous puissions expier nos fautes, et nous laver
de nos souillures par l'immolation des victimes animales, puisqu'il a chassé
lui-même du temple les moutons, les bufs et les colombes. Ce n'est
plus le temps où des prophètes doivent venir nous ouvrir les sentiers
de l'esprit, puisqu'ils ont laissé ces sentiers ouverts pour nous, et
que cet esprit veille sans cesse sur nous, comme Jérémie, selon
les Macchabées ( livre, : .) veille toujours sur le peuple d'Israël.
Enfin, ce n'est plus le temps où nous devions attendre que le salut des
nations descende près de nous, puisqu'il y est descendu une fois, et
qu'étant lui-même le principe et la fin, nous ne pourrions, sans
lui faire injure, nous conduire comme s'il y avait encore après lui un
autre Dieu, et ne pas donner à celui qui s'est fait connaître à
nous, une foi sans borne et une confiance universelle, qui ne peut réellement
et physiquement reposer que sur lui, puisque lui seul est l'universalité.
Consummatum est.
Nous n'avons plus désormais d'autre uvre ni d'autre tâche,
que de nous efforcer d'entrer dans cette consommation, et d'éloigner
de nous tout ce qui peut nous empêcher d'en retirer tous les avantages.
Si le réparateur, en vertu de la loi simple, mais féconde, des
transpositions, a remis toutes nos essences chacune à leur place, et
a fait disparaître les désordres et les ténèbres
pour l'homme, en le rétablissant dans son poste, il est aisé de
reconnaître que le mal n'est point un principe éternel et essentiel,
opposé par sa nature nécessaire, au principe du bien, comme l'ont
cru les Manichéens ; système auquel on m'a cru dévoué,
tandis que j'en étais l'adversaire : il est aisé, dis-je, de sentir
que la liberté étant le caractère distinctif qui place
l'être moral entre Dieu et la matière, il suffit de lui laisser
l'usage de cette liberté que l'auteur des choses ne peut lui donner et
ôter tout à la fois, pour concevoir et l'origine du mal dans les
êtres moraux, et l'infériorité de sa nature.
Il est aisé en même temps, d'après la définition
de ce mal que nous montrons n'être appuyé que sur des transpositions
de substances, d'apercevoir les diverses propriétés et utilités
des sacrifices dont nous avons tâché d'expliquer la marche et les
effets.
Enfin, il est aisé de sentir combien le sacrifice du réparateur
a dû l'emporter sur tous ceux qui l'avaient précédé,
puisqu'il fallait transposer jusque dans l'abîme le prince même
de l'iniquité qui régnait sur l'homme, et qu'il n'y avait qu'au
chef suprême et divin de la lumière, de la force et de la puissance
qu'une pareille victoire pût être réservée.
Il n'est pas inutile d'observer ici en passant que les sacrifices sanglants
des Juifs ont continué cependant depuis ce grand sacrifice jusqu'à
la ruine de leur ville ; mais depuis longtemps ils n'en possédaient plus
que la forme ; l'esprit s'en était perdu pour eux ; il s'éloigna
encore davantage depuis l'immolation de la victime divine.
Voilà pourquoi ils ne pouvaient plus aller qu'en dégénérant,
et cette période, à la fin de laquelle la grande vengeance éclata
sur ce peuple criminel, montre à la fois la cessation de l'action protectrice
de l'esprit qui les abandonnait, et les terribles effets de la justice que l'esprit
vengeur exerçait sur eux ; rigoureux arrêt, qui n'aurait pas pu
s'exécuter dans le moment de l'action réparatrice du régénérateur,
puisqu'il n'était venu opérer que l'uvre de l'amour et de
la clémence.
Quoique le sacrifice du réparateur ait mis les hommes à portée
de remplir, autant qu'il est possible ici-bas, la sublime tâche de leur
régénération en s'unissant à lui, et en le servant
en esprit et en vérité, il a voulu encore laisser sur la terre,
en la quittant, un signe d'alliance qui pût journellement nous retracer
sa manifestation et son dévouement pour nous, comme nous avons vu précédemment
des signes et des témoignages demeurer après les diverses manifestations
des lois de la justice, les ordonnances lévitiques, et les révélations
prophétiques, qui ont été promulguées depuis le
commencement du monde.
Il a voulu que ce signe d'alliance fût pour nous un développement
de cette semence divine qu'il était venu répandre sur notre terre
infectée et stérile ; et comme nous sommes des êtres mixtes,
il a composé ce signe avec diverses substances d'opération, afin
que toutes les substances qui nous constituent aujourd'hui trouvassent leur
nourriture, leur préservatif et leur appui chacune selon sa classe et
ses besoins. Mais il a voulu en même temps que cette institution tirât
tout son prix de l'esprit qui a tout produit, et qui sanctifie tout ; et sous
ce rapport, nous verrons les considérables avantages que cette institution
peut nous procurer quand nous nous élevons jusqu'au sens sublime que
lui a donné celui qui l'a établie.
Car, s'il est écrit qu'il faut être saint pour s'approcher de ce
qui est saint, il faut aussi être esprit pour approcher de ce qui est
esprit ; voilà pourquoi l'homme terrestre n'y peut jamais porter qu'un
il de ténèbres ou de profanation ; tandis que l'Homme-Esprit
doit se rendre compte de tout ce qui est offert à son usage et à
sa réflexion.
Aussi les administrateurs des choses saintes ont-ils fait rétrograder
l'intelligence de l'homme au sujet de cette institution, en insérant,
comme ils l'ont fait, dans ce qu'ils appellent les paroles sacramentales, les
mots mysterium fidei entre deux parenthèses, lesquels mots ne sont point
dans l'Evangile, et étaient très éloignés de l'esprit
du fondateur, puisque si nous nous occupions de notre vraie régénération,
comme il n'a cessé de nous y exhorter, il n'y aurait pour nous aucun
mystère, et que nous sommes faits, au contraire, pour amener tous les
mystères au grand jour, en qualité de ministres de l'éternelle
source de la lumière.
Rappelons-nous donc que l'esprit avait reposé sur l'agneau lors de la
délivrance d'Égypte, et que c'est là ce qui donna toute
la valeur à ce sacrifice. Souvenons-nous ensuite que la vie divine a
reposé et repose encore sur les substances du sacrifice de la nouvelle
alliance, puisque l'esprit de vérité ne s'est point répandu
en vain, et qu'il ne peut être trompé dans ses plans et dans ses
effets ; ainsi depuis la nouvelle alliance, (et peut-être depuis l'origine
des choses), nous pouvons regarder le pain et le vin comme étant marqués
de l'esprit de vie qui a été répandu sur eux.
Nous n'aurions dû même dans aucun temps manger notre pain et boire
notre vin sans nous rappeler ce signe sacré qui leur a été
donné, au lieu de les laisser descendre uniquement sous les pouvoirs
de l'élémentaire qui n'est pas saint.
Ces substances sont unies à l'élément pur, l'élément
pur l'est à l'esprit, l'esprit l'est à la parole, et la parole
l'est à la source primitive et éternelle, et c'est par cet ordre
harmonique que l'institution de la nouvelle alliance opère utilement
sur les principes qui nous composent. En effet, elle opère en esprit
et en vérité sur tout notre être ; savoir le pain azyme
pour la purification de notre matière ; le vin pour la purification de
notre principe de vie animale ; le corps glorieux ou l'élément
pur pour nous rendre le vêtement primitif que le péché nous
a fait perdre ; l'esprit sur notre intelligence ; la parole sur notre verbe
d'opération ; la vie sur notre essence divine ; et cela en élevant
d'un degré chacune des classes de notre être sur lesquelles s'étend
l'action qu'elle nous distribue.
Aussi cette institution de la nouvelle alliance a pour signes quatre grandes
unités en efficacité sur nous ; savoir :
-
- La double relation élémentaire qui nous est communiquée
par les deux substances ;
-
- Les correspondances de tous les élus, qui depuis l'origine du monde
ont assisté au sacrifice ; qui sont assis à la table sainte, et
font de là refluer sur notre cur les paroles sacrées dont
ils ont été les témoins, et qui sont probablement supérieures
à celles connues dans la consécration ;
-
- L'élément pur ou la vraie chair et le vrai sang qui corrobore
toutes nos facultés d'intelligence et d'activité dans l'uvre
;
-
- Enfin, le divin agent lui-même, qui sous l'il du père répand
partout la sanctification dont il a reçu le sceau et le caractère,
et qui étant à la fois l'auteur, le ministre et le fondateur de
ce signe de son alliance, rétablit par là en nous le poids, le
nombre et la mesure.
Car, pourquoi cet agent divin est-il le seul qui puisse donner ainsi ce baptême
universel ? Pourquoi est-il l'agneau qui ôte les péchés
du monde, si ce n'est parce que sa seule présence remet tous les principes
à leur place, puisqu'il n'y a de désordre que dans la transposition
?
Mais soumis à la loi du temps qui a tout divisé pour nous, il
n'a fait reposer de nouveau sa virtualité sur les signes matériels
de son alliance, que d'une manière passive, et qui attend la réaction
de l'homme renouvelé ; c'est ainsi que lui-même, pendant tout le
cours de ses opérations sur la terre, il a attendu la réaction
de la parole de son père pour développer ses puissances.
C'est pourquoi il remit l'institution entre les mains des hommes qu'il avait
régénérés, tandis que lui-même est remonté
vers sa source pour y boire le fruit nouveau de la vigne céleste, et
prononcer sans cesse, dans le royaume invisible, des paroles de vie qui correspondent
avec les paroles sacramentales. Par là les hommes régénérés
qui doivent administrer cette institution, peuvent se trouver en rapport avec
lui et avec son uvre régénératrice, et lier à
cette même uvre ceux qui veulent y participer et s'y unir en esprit
et en vérité.
Rappelons-nous que nous étions morts, et qu'il fallait que le réparateur
entrât dans notre mort pour se rendre semblable à nous ; mais de
même qu'en entrant dans notre mort, il ne cessait point d'être la
vie ; de même en se rendant semblable à nous, il ne cessait pas
d'être notre unique principe ; ainsi il ne pouvait mourir sans ressusciter,
et sans nous ressusciter avec lui, afin de nous rendre semblables à lui
; il fallait cette résurrection pour que nous puissions goûter
la vie, louer la vie, et la célébrer, ce qui fut et sera éternellement
le but de l'existence de tout être spirituel formé à l'image
du souverain auteur des êtres.
L'institution de la cène avait donc pour objet de retracer en nous cette
mort et cette résurrection avant même la dissolution de nos essences
corporelles, c'est-à-dire, de nous apprendre à la fois à
mourir avec le réparateur et à ressusciter avec lui. Ainsi cette
cérémonie religieuse, considérée dans sa sublimité,
peut devenir dans nous, en réalité, une production, une émanation,
une création, une régénération, ou une résurrection
universelle et perpétuelle ; et elle peut, dis-je, nous transformer en
royaume de Dieu, et faire que nous ne soyons plus qu'un avec Dieu.
Toutefois il serait bien essentiel que l'opérant répétât
sans cesse aux fidèles ces mots de l'instituteur : la chair et le sang
ne servent de rien, mes paroles sont esprit et vie ; car combien la lettre des
autres paroles a-t-elle tué d'esprits ! Il faut que dans l'opérant,
comme dans nous, l'idée et le mot de chair et de sang soient abolis,
c'est-à-dire, il faut que nous remontions, comme le réparateur,
à la région de l'élément pur qui a été
notre corps primitif, et qui renferme en soi l'éternelle SOPHIE, les
deux teintures, l'esprit et la parole. Ce n'est qu'à ce prix que les
choses qui se passent dans le royaume de Dieu peuvent aussi se passer en nous.
Si l'on ne s'élève pas à cette sublime unité qui
veut tout embrasser par notre pensée ; si l'on confond l'institution
avec l'uvre que nous devons opérer sur nous-mêmes ; et enfin,
si l'on confond le terme avec le moyen, le subsidiaire avec ce qui est de rigueur,
on est bien loin de remplir l'esprit de l'institution elle-même.
Car il veut, cet esprit, que nous annoncions la mort du Christ à nos
iniquités, pour les chasser loin de nous ; aux hommes de Dieu de tous
les âges, pour qu'ils soient présents activement dans notre uvre
; à la Divinité, pour lui rappeler que nous sommes rachetés
à la vie, puisqu'elle a mis elle-même son sceau et son caractère
dans le libérateur qu'elle a choisi ; enfin, il veut que nous annoncions
universellement cette mort à l'ennemi, pour le faire fuir de notre être,
puisque tel a été l'objet de la mort corporelle du réparateur.
Or, l'institution de la cène ne nous est donnée que pour nous
aider à travailler efficacement à cette uvre vive que nous
devons opérer tous en notre particulier. Car, c'est dans cette uvre
vive que toutes les transpositions disparaissent par rapport à nous,
que chaque chose rentre dans le rang qui lui est propre, et que nous recouvrons
cet élément pur ou ce corps primitif qui ne peut nous être
rendu qu'autant que nous redevenons images de Dieu, parce que la vraie image
de Dieu ne peut habiter que dans un pareil corps.
Et ici nous pouvons découvrir la source naturelle de toutes ces représentations
anthropomorphiques qui remplissent le monde.
Si les artistes nous représentent sous des formes humaines, soit masculines,
soit féminines, toutes les vertus tant célestes que terrestres
; si les poètes personnifient tous les dieux et les déesses de
l'Empyrée, et toutes les puissances de la nature et des éléments
; enfin, si les sectateurs des diverses religions, et les idolâtres remplissent
leurs temples de statues humaines, le principe de tous ces usages n'est point
illusoire et abusif, comme le sont les résultats qui en sont provenus.
La forme humaine primitive devait en effet se montrer et dominer dans toutes
les régions. L'homme étant l'image et l'extrait du centre générateur
de tout ce qui existe, sa forme était le siège où toutes
les puissances de toutes les régions venaient exercer et manifester leur
action ; en un mot, le point où correspondaient toutes les propriétés
et toutes les vertus des choses.
Ainsi toutes les représentations de lui-même qu'il se crée
par son industrie, ne font que lui retracer des tableaux de ce qu'il pourrait
et devrait être, et que le replacer figurativement dans les mesures où
il n'est plus en réalité.
Car, disons-le en passant, lorsque les savants confrontent le corps de l'homme
avec les corps des bêtes, et qu'ils appellent cela l'anatomie comparée,
notre vrai corps n'entre pour rien dans cette anatomie comparée, qui,
en effet, ne nous apprend autre chose, sinon que nous ressemblons aux autres
animaux.
Ce serait donc, au contraire, notre corps supérieur et non animal, qu'il
faudrait comparer avec notre corps animal, si l'on voulait avoir à notre
égard la véritable anatomie comparée, parce qu'il ne suffit
pas d'observer les choses dans leurs similitudes, et qu'il est aussi essentiel
de les observer dans leurs différences.
C'est de cette comparaison de la forme actuelle de l'homme avec sa forme primitive,
que nous retirerions des connaissances utiles sur notre destination originelle.
Mais au défaut de cette importante comparaison, qui, dans le vrai, n'est
pas à la portée du grand nombre, nous pourrions au moins tirer
de lumineuses inductions sur notre ancien état, en considérant
les prodigieuses merveilles que par notre industrie nous faisons encore sortir
des organes corporels actuels de notre forme, toutes choses qui, malgré
notre mesure réduite, et les ressources artificielles auxquelles nous
sommes bornés, devraient nous ouvrir les yeux sur les merveilles naturelles
que nous aurions dû engendrer, si nous avions conservé tous les
droits attachés à notre forme corporelle primitive.
Quant aux abus de l'anthropomorphisme religieux par lequel les temples se remplissent
de statues humaines qui deviennent si aisément des objets d'idolâtrie
et d'adoration pour les hommes simples, ils tiennent au mouvement même
qui s'est fait dans le cur de Dieu, à l'instant de notre chute
pour la restauration de l'espèce humaine, mouvement par lequel ce cur
divin s'est transmué en Homme-Esprit.
Or, comme cette alliance de restauration se trouve semée dans tous les
hommes par leurs générations successives, ils sont toujours prêts
à voir se réveiller ce germe en eux, et à regarder les
idoles humaines qu'on leur présente, comme l'expression et l'accomplissement
de cette alliance dont le besoin les presse, quoique ce sentiment secret qu'elle
leur occasionne soit si confus. Bien plus, ils sont toujours tout prêts
à se former à eux-mêmes, tant intérieurement qu'extérieurement,
des modèles sensibles, par lesquels ils auraient tant de désir
que ce grand uvre s'opérât et s'accomplît pour eux.
Ainsi le besoin d'approcher d'eux le Dieu-homme, et la facilité à
croire ce qu'ils désiraient, a été le principe de la création
des idoles humaines, et des hommages qu'on leur a rendus. La fourberie opérant
ensuite sur la faiblesse et l'ignorance, n'ont pas eu de peine à propager
les superstitions, soit celles qui ne sont qu'absurdes, soit celles qui sont
à la fois absurdes et criminelles, sans cependant qu'il faille exclure
par là l'origine spirituelle active que peut avoir eu aussi l'anthropomorphisme,
comme je l'ai indiqué ci-dessus.
Il n'y a que le renouvellement de notre être ici-bas qui nous procure
réellement ce que les hommes attendent en vain de leurs superstitions
et de leurs idoles ; et encore ce renouvellement n'est-il que la préparation
à notre régénération parfaite qui, comme on l'a
vu, n'a lieu qu'à la séparation de nos principes corporels, ou
par l'effusion de notre sang. Aussi après notre mort, nous sommes comme
suspendus au grand trinaire, ou au triangle universel qui s'étend depuis
le premier être jusqu'à la nature, et dont chacune des trois actions
tire à soi chacun de nos principes constitutifs divins, spirituels et
élémentaires, pour les réintégrer si nous sommes
purs, et pour rendre à notre âme la liberté de remonter
vers sa source. Et c'est là ce que le Christ a laissé opérer
physiquement sur lui par son supplice et dans son tombeau.
Mais si nous ne sommes pas purs, l'ennemi qui ne s'oppose pas à la séparation
des parties corporelles qui ne sont que de forme, s'oppose à la réintégration
des principes sur lesquels l'âme lui a laissé prendre empire ;
et il retient le tout sous sa domination, au grand détriment de la malheureuse
âme qui s'en est rendue la victime.
Or, nous ne pouvons faciliter cette réintégration des principes,
qu'autant que nous avons fait renaître dans notre âme une éternelle
vierge, dans qui puisse s'incorporer le fils de l'homme avec ses vertus et ses
puissances, comme nous ne pouvons faire renaître en nous cette éternelle
vierge, qu'en ranimant en nous notre corps primitif ou l'élément
pur. Et c'est ici où nous allons observer et voir écrites dans
l'homme toutes les lois des sacrifices figuratifs dont nous nous sommes occupés
jusqu'à présent, et dont l'homme est l'objet, lors même
qu'il paraît n'en être que l'organe et l'instrument.
L'homme étant en lui-même un petit abrégé des deux
mondes physique et divin, il est certain que son corps renferme les essences
de tout ce qu'il y a dans la nature, comme son âme renferme les essences
de tout ce qu'il y a dans la divinité. Ainsi il doit y avoir dans son
corps des correspondances avec toutes les substances de l'univers, et par conséquent
avec les animaux purs et impurs, et avec tout ce qui pouvait tomber sous les
règlements des sacrifices ; et quoique nous ne discernions point en nous
ces essences, nous pouvons croire à la réalité de leurs
correspondances avec l'extérieur, par les formes et tableaux sensibles
que ces essences présentent à notre pensée, et par tous
les symboles et images que les esprits bons et mauvais empruntent journellement
et physiquement pour notre instruction et notre épreuve.
Sans qu'il soit donc nécessaire, pour procéder au sacrifice, que
nous connaissions physiquement toutes ces choses, il suffit que notre intention
soit pure et active, pour que ces premiers degrés de la loi matérielle
s'accomplissent en nous ; il suffit que, par la rectitude de notre sens spirituel
naturel, nous laissions agir le principe de vérité qui nous anime,
parce qu'il a sous lui ses sacrificateurs qui immoleront en nous les animaux
purs dont l'offrande nous peut être utile, et qui sépareront de
nous les animaux impurs qui ne doivent point entrer dans les sacrifices.
C'est là cette loi qui s'opère, pour ainsi dire, à notre
insu ; qui n'exige de nous que la pureté légale recommandée
au peuple Hébreu ; mais qui n'exige pas de nous plus de connaissances
qu'il n'en avait lui-même en approchant de ses cérémonies
: c'est la loi de l'enfance qui doit nous conduire en sûreté à
la loi pure de l'homme fait.
Ne doutons pas que l'immolation de ces animaux purs en nous, n'entrouvre pour
nous des voies de correspondances salutaires, comme nous avons vu que cela arrivait
pour le peuple Hébreu, lors de l'immolation de ses victimes extérieures.
L'effet même en serait plus assuré et plus positif pour chaque
homme en particulier, si cet ordre n'était continuellement dérangé
par les nations étrangères que nous laissons assister au sacrifice,
et par les animaux impurs que nous laissons se placer sous le couteau du sacrificateur,
et qui nous ouvrent des correspondances inverses de celles qui nous seraient
nécessaires ; parce qu'ici tout agirait dans les principes de l'homme
; au lieu que, dans la loi figurative des Hébreux, tout agissait à
l'extérieur.
Mais cette uvre préliminaire étant au-dessus des forces
de l'homme dans le premier âge, c'est à ses instituteurs et à
ses guides temporels à la diriger en lui, et même à répondre
de son sort lorsqu'il arrivera à l'époque suivante.
Quand il est arrivé à cette époque avec les préparations
dont nous venons de parler, alors la loi spirituelle se lie en lui à
la loi sensible, en attendant qu'elle en prenne entièrement la place.
Cette loi spirituelle s'annonce en nous avec un éclat redoutable, comme
elle s'annonça au peuple Hébreu sur la montagne de Sinaï
; elle annonce hautement en nous le premier commandement du Décalogue
: Je suis le Seigneur votre Dieu qui vous ai tirés de la terre d'Égypte,
de la maison de servitude ; vous n'aurez point d'autres Dieux devant moi.
Sa voix retentit dans tout notre être : elle en fait fuir non seulement
toutes les fausses divinités qui sont renversées par la terreur
de ces paroles ; mais elle en détruit aussi toutes les nations étrangères
ou toutes les affections idolâtres avec lesquelles nous avions vécu
chez les Chaldéens, jusqu'à ce que nous fussions appelés
dans la terre de Canaan.
Elle prononce ensuite tous les autres préceptes du Décalogue,
qui ne sont qu'une suite nécessaire de ce premier précepte. Or,
comme elle ne prononce cette loi, à la fois salutaire et terrible, qu'à
l'époque où nous sommes censés être sortis de la
terre d'Égypte, et jouir de notre liberté, nous sommes dès
lors engagés à la loi de l'esprit, et nous devenons chargés
de notre propre conduite, sous la lumière de cette loi qui nous est tracée.
Voilà pourquoi il nous est recommandé dans le Deutéronome
(ch. : , etc.) de graver cette loi dans notre cur, de l'écrire
sur notre front, etc.
Dans ce nouvel état, la loi des sacrifices continue sans doute à
nous être nécessaire ; mais c'est nous alors, qui devenons les
lévites et les sacrificateurs, puisque l'accès de l'autel nous
est ouvert, et que nous devons, suivant le rite lévitique, immoler chaque
jour au Seigneur les victimes qu'il s'est choisies en nous, pour holocaustes
et pour sacrifices d'agréable odeur.
Nous le devons, dis-je, pour notre propre avantage, et cela, par la raison fondamentale
des correspondances ; car en faisant un saint emploi des principes qui nous
constituent, nous nous unissons à des actions restauratrices qui leur
sont similaires.
Nous le devons en outre continuellement, pour nous conformer à l'esprit
qui s'est établi en nous, parce que l'acte de l'esprit ne doit point
s'interrompre, mais toujours croître.
C'est à cette importante occupation qu'est consacré ce que nous
pouvons appeler le premier âge de la loi de l'esprit ; et cette obligation
est si rigoureuse pour nous, que si nous y manquons, nous retombons bientôt
dans différentes servitudes analogues à nos prévarications
; mais aussi, quand accablés du joug de nos tyrans, nous réclamons
la main suprême, elle suscite divers libérateurs, qui nous rétablissent
dans nos sentiers.
Ces secours sont fondés sur les étincelles de vie et de lumière
que notre appel à la loi de l'esprit a semés en nous, et qui ne
s'y éteignant pas tout à fait malgré nos égarements,
fermentent d'autant plus par la contrainte et le tourment de nos divers esclavages,
et jettent par ce moyen quelques rayons que la Divinité reconnaît
pour être à elle, et qui l'engagent à descendre pour venir
au secours de sa misérable créature.
C'est ainsi qu'elle s'est conduite envers les Hébreux, lorsque le temps
de leur délivrance d'Égypte fut arrivé, parce qu'il ne
faut pas oublier qu'ils étaient les fils de la promesse, et qu'ils portaient
en eux l'esprit de l'élection de leur père ; c'est ainsi qu'elle
s'est conduite avec eux sous le règne des juges, où ils représentaient
alors l'homme dans sa loi d'émancipation ou de liberté. Enfin,
c'est ainsi que dans une alternative presque continuelle de chutes et de redressements,
nous arrivons au second âge de la loi de l'esprit, ou à l'âge
prophétique.
Car il faut se rappeler qu'il fut dit au père des Juifs, que toutes les
nations seraient bénies en lui ; or, jusqu'à cet âge prophétique,
le peuple Hébreu vit séparé de tous les peuples, et n'a
de relations avec eux que pour les combattre ; sa loi lui défend de s'allier
avec les étrangers, et lui ordonne d'exercer pour son seul avantage,
le culte et les cérémonies dont il a été fait dépositaire
; image représentative de ce que nous avons à faire dans notre
premier âge de la loi de l'esprit où nous devons nous séparer
de tout ce qui nous empêcherait de croître et d'acquérir
les dons nécessaires pour qu'un jour les nations soient bénies
en nous.
Mais quand l'âge prophétique fut arrivé, ce fut alors que
les premiers germes de la charité se semèrent dans Israël,
comme l'institution des sacrifices avait semé en lui les premiers germes
de l'esprit. Ce peuple qui, jusqu'à cet âge prophétique,
s'était considéré seul, et avait dédaigné
tous les peuples, commença à sentir par l'âme de ses prophètes,
le zèle du retour des nations à la vérité.
C'est alors que ses prophètes se sentirent oppressés par la douleur
des maux qui menaçaient non seulement Israël, mais tous les peuples
prévaricateurs dont il était environné. C'est alors qu'ils
furent chargés d'annoncer la colère du Seigneur à Ninive,
à l'Égypte, à Babylone, et à toutes les îles
des nations.
On en peut aisément apercevoir la raison ; c'était le moment où
les promesses de l'alliance d'Abraham commençaient à s'accomplir
; mais le peuple Hébreu étant plus avancé dans l'accomplissement
de ces promesses que les autres peuples, éprouvait alors les premières
douleurs de la charité, tandis que les autres peuples n'en recevaient
encore que des avertissements. C'est ainsi que l'homme particulier qui a passé
le premier âge de l'esprit, commence aussi à souffrir pour les
ténèbres de ses semblables, et qu'il se sent pressé du
désir de les rappeler à la vérité.
Dans ce nouvel âge, l'homme continue, sans doute, à remplir la
loi des sacrifices, puisqu'elle ne peut être entièrement accomplie
que quand il a versé son sang ; mais il s'établit en lui une action
plus forte que celle du premier âge de l'esprit, et cette action le gouverne
et le domine, parce que c'est l'action divine même qui commence à
faire son apparition sur la terre ; toutefois elle le laisse libre, parce que
ce n'est qu'une loi initiative et d'avertissement, et non pas une loi d'opération.
Aussi avons-nous vu plusieurs prophètes résister aux ordres qu'ils
avaient reçus, comme nous voyons bien des hommes dans le second âge
de l'esprit ne pas faire l'usage qu'ils devraient de tous les secours qu'il
leur communique, ce qui fait qu'il y a tant d'élus qui ne parviennent
pas à la plénitude de leur élection.
Il n'en est pas moins vrai que c'est dans ce second âge de l'esprit, ou,
si l'on veut, dans ce premier âge divin que commence à s'accomplir
le véritable esprit des sacrifices, dont la charité et le bonheur
des êtres fut, dès l'origine, le seul et unique terme.
Aussi l'esprit divin, en descendant sur les prophètes, et les chargeant
du fardeau des nations, soulageait ces mêmes nations d'une partie du poids
qui les écrasait, et il arrivait par là qu'elles pouvaient plus
aisément à leur tour recevoir les premiers rayons de la clarté
qui devait les ramener dans leur voie ; elles pouvaient enfin, par les douleurs
et les angoisses du prophète, voir se réaliser sur elles spirituellement
ce que nous avons vu s'opérer sensiblement par les sacrifices matériels.
C'est aussi là l'emploi de l'homme particulier qui arrive à ce
second âge de l'esprit ; et l'on peut dire que ce n'est qu'alors que commence
véritablement l'âge de l'homme, ou le vrai ministère de
l'Homme-Esprit, puisque ce n'est qu'alors qu'il peut commencer à être
utile à ses frères, attendu que dans les âges précédents
il n'a été utile qu'à la nature et à lui seul.
Quand la grande époque du salut fut arrivée, le véritable
esprit des sacrifices acquit encore plus d'extension ; il ne se borna plus,
comme au premier âge de l'esprit, à l'avantage d'un peuple particulier
; il ne se borna pas même à de simples avertissements pour les
autres peuples, comme au temps des prophètes ; mais il embrassa toute
la famille humaine, en attirant tout à lui pour l'accomplissement de
la promesse faite à Abraham, que tous les peuples seraient bénis
en lui.
Aussi cette grande époque divine du réparateur place l'homme qui
sait la mettre à profit, dans la voie de son véritable rétablissement,
en lui procurant les moyens de délivrer les esclaves de la maison de
servitude, et de manifester dans toutes les régions et dans toutes les
classes, la gloire, la justice et la puissance du souverain Être, dont
le saint réparateur lui transmet le sceau et le caractère.
C'est là que se dévoile le vrai sens des paroles adressées
à Jérémie : ( : ). Je vous établis aujourd'hui sur
les nations et sur les royaumes, pour arracher et pour détruire, pour
perdre et pour dissiper, pour édifier et pour planter. Car Jérémie
ne fut établi que sur les royaumes terrestres, au lieu que le règne
du Christ établit l'homme sur tous les royaumes spirituels.
Lorsque l'homme entre dans la loi de l'esprit, nous avons vu qu'il reçoit
le premier précepte du Décalogue ; Je suis le Seigneur ton Dieu,
etc. Lorsqu'il entre dans la loi du réparateur, il reçoit un nouveau
précepte, celui d'aimer son prochain comme lui-même, et ce précepte
est la clef de l'uvre du Christ ; car quel est l'homme dans la servitude
qui ne ferait pas tous ses efforts pour recouvrer la liberté ? Il doit
donc faire tous ses efforts pour procurer aussi la liberté à son
prochain, s'il l'aime comme lui-même et s'il ne l'aime pas comme lui-même,
il n'est point initié à l'esprit du réparateur, qui a porté
l'amour jusqu'à se plonger avec nous dans nos abîmes pour nous
en arracher avec lui.
Quoique nous ne puissions répéter que dans une mesure limitée,
à l'égard de nos semblables, cette uvre immense que le réparateur
a opérée sur la famille humaine toute entière, en brisant
devant elle les portes de la mort et de sa prison ; c'est néanmoins par
son esprit seul que nous pouvons en exercer la portion qui nous en est réservée
; et si par les sacrifices des animaux la loi attirait sur les hommes des actions
régulières temporelles, si par la voix des prophètes la
sagesse envoyait sur les nations des actions régulières spirituelles,
par la voix de l'amour et de la sainteté du réparateur, nous pouvons
faire descendre sur nous comme sur nos frères des vertus divines mêmes,
qui leur procurent la paix, l'ordre et l'harmonie sacrée selon les mesures
qui nous en sont permises ici-bas.
C'est lorsque notre enveloppe passagère sera dissoute, c'est lorsque
le temps sera roulé pour nous comme un livre, que nous jouirons plus
pleinement de l'esprit de vie, et que nous boirons avec le réparateur
le jus nouveau de la vigne éternelle qui remettra dans leur parfaite
mesure nos facultés originelles, pour être employées alors
aux plans qu'il lui plaira de nous prescrire.
Mais ce serait en vain que nous nous promettrions une pareille jouissance pour
l'avenir, si nous n'avions par rempli fidèlement ici-bas tous nos sacrifices,
tant ceux qui tiennent à notre renouvellement personnel, que ceux qui
tiennent à l'offre volontaire de tout notre être terrestre et mortel,
et cela par nos soins journaliers à nous rendre une victime régulière
et sans tache. Car dans cette région invisible où nous entrerons
au sortir de ce monde, nous ne trouverons plus de terre pour recevoir ces diverses
espèces de sang qu'il nous faut nécessairement répandre
pour recouvrer la liberté ; et si nous emportions avec nous la corruption
dont ces diverses espèces de sang sont susceptibles, il n'y aurait plus
pour nous qu'angoisse et douleur, puisque le temps et le lieu des sacrifices
volontaires seraient passés.
Pensons donc à notre vraie vie. Pensons à l'uvre active
à laquelle nous devons tous nos moments, et nous n'aurons pas seulement
le loisir de savoir s'il y a pour nous des angoisses futures à redouter,
ou s'il n'y en a pas, tant nous serons remplis du zèle de la justice.
Ce n'est que le crime qui laisse venir ces désolantes idées dans
l'esprit de l'homme, et ce n'est que son inaction qui le conduit au crime, parce
qu'elle le conduit au vide de l'esprit.
Aussi c'est le vide de son esprit qui le fait tomber dans le découragement,
en lui faisant croire qu'on ne répare point le temps perdu. Cela peut
être vrai pour les choses qui ne se font que dans le temps et par le temps
; mais en est-il de même des choses qui se font par l'esprit et pour l'esprit
? Si l'esprit n'a point de temps et ne connaît point de temps, un seul
acte opéré par l'esprit et pour l'esprit, ne peut-il pas rendre
à l'âme tout ce qu'elle aurait négligé d'amasser,
ou même tout ce qu'elle aurait perdu par sa négligence ?
C'est ici, surtout, où il faut nous souvenir de la onzième heure
; mais aussi il faut voir que si celui qui y fut appelé reçut
même beaucoup plus que son salaire, c'est parce qu'il avait au moins travaillé
pendant cette onzième heure, sans quoi il n'aurait rien reçu du
tout, et ainsi nous n'aurions rien à prétendre au salaire, si
cette onzième heure qui nous reste après avoir passé en
vain les autres heures, nous ne la remplissions pas en travaillant à
l'uvre de l'esprit. Depuis la chute, nous ne pouvons être tous que
des ouvriers de la onzième heure, qui a commencé en effet à
l'instant où nous avons été déchus de nos droits.
Les dix heures qui précèdent cette époque sont restées
loin de nous et comme perdues pour nous, de façon que notre vie terrestre
toute entière n'est réellement pour nous que la onzième
heure de notre éternelle et véritable journée, qui embrasse
le cercle universel des choses. Jugeons d'après cela si nous avons un
instant à perdre.
Mais aussi tout ce qui nous est nécessaire pour nous acquitter utilement
et avec profit du travail de cette onzième heure, nous est fourni abondamment
; plans, matériaux, instruments, rien ne nous est refusé. Les
obstacles même, et les dangers que nous rencontrons dans notre travail,
et qui deviennent des croix pour nous quand nous reculons devant eux, deviennent
des échelons et des moyens d'ascension quand nous les surmontons ; car
la sagesse qui nous y expose n'a pas d'autre intention que de nous faire triompher.
Oui, si nous gardions fidèlement notre poste, jamais l'ennemi n'entrerait
dans la place, quelque puissant qu'il fût. Mais aussi il faut en garder
tous les passages avec une activité si soutenue, qu'à quelque
endroit qu'il se présente, il nous trouve vigilants et en force pour
lui résister. Un instant de négligence de notre part suffit à
l'ennemi qui ne dort point, pour faire brèche, pour monter à l'assaut,
et s'emparer de la citadelle.
Ranimons donc notre courage. Si notre réhabilitation spirituelle demande,
dans le vrai, tous nos soins, nous pouvons aussi la regarder comme assurée,
pour peu que nous nous déterminions à l'entreprendre, car la maladie
de l'âme humaine, si je puis me permettre de m'exprimer ainsi, n'est qu'une
espèce de transpiration arrêtée ; et la sagesse suprême
ne cesse de faire passer jusque dans nous de salutaires et puissants sudorifiques
qui tendent sans cesse à rétablir la circulation et l'ordre dans
nos liqueurs.
La mort même qui tient aussi à notre uvre, est dirigée
et graduée avec la même sagesse qui gouverne toutes les opérations
divines. Nos liens matériels se rompent progressivement, et d'une manière
presque insensible. Les enfants en bas âge, étant encore entièrement
sous le poids de leur matière, n'ont aucune idée de la mort, parce
qu'en effet la matière ne sait ce que c'est que cette mort, attendu qu'elle
ne sait pas non plus ce que c'est que la vie ou l'esprit.
Les jeunes gens, dans qui cet esprit ou la vie commence à percer au travers
de leur matière, sont plus ou moins effrayés de la mort, selon
qu'ils sont plus ou moins imprégnés de cet esprit, ou de la vie,
et selon que le contraste de leur esprit et de leur matière se fait plus
ou moins sentir en eux.
Les hommes faits et les vieillards dans qui leur esprit ou la vie a fait ses
développements, et qui ont suivi fidèlement la loi de leur être,
se trouvent si remplis des fruits de leur uvre lorsque le terme de leur
carrière arrive, qu'ils voient non seulement sans effroi et sans regrets,
mais même avec joie, la démolition de leur enveloppe matérielle.
De son côté, cette enveloppe matérielle ayant été
perpétuellement imprégnée des fruits de leur uvre,
a subi presque imperceptiblement la décomposition journalière
de ses ressorts, et si les plans restaurateurs avaient été suivis,
elle aurait subi communément sans douleur sa propre démolition
finale. Peut-on donc concevoir rien de plus doux que toutes ces progressions
que la sagesse suprême a établies pour la réhabilitation
de l'homme ?
Mais si telles sont les jouissances que le dévouement au Ministère
de l'Homme-Esprit nous présente, même ici-bas, qu'est-ce que ce
dévouement ne doit donc pas promettre à l'âme humaine, lorsqu'elle
a déposé sa dépouille mortelle ?
Nous voyons qu'ici-bas nos corps sont destinés à jouir de toutes
leurs facultés, et à se communiquer entre eux. Lorsqu'ils ne jouissent
d'aucune de leurs facultés, ils ne se communiquent rien, comme on le
voit pour les enfants du premier âge.
Lorsque de tous ces corps les uns jouissent de leurs facultés, et que
les autres n'en jouissent pas, ceux qui en jouissent peuvent communiquer avec
ceux qui n'en jouissent pas, et les reconnaître ; tandis que ceux-ci ne
connaissent rien des premiers. Appliquons ceci aux lois des âmes.
Celles qui ici-bas ne jouissent point de leurs facultés, sont respectivement
dans une nullité absolue ; elles ont beau être placées les
unes auprès des autres, elles demeurent ensemble sans se connaître,
et sans se transmettre aucune impression. Tel est le cas de la plupart des gens
du monde, pour ne pas dire peut-être de l'humanité toute entière
; car pendant notre voyage terrestre, nos âmes sont entre elles comme
sont entre eux les corps des enfants au berceau, et elles ne se communiquent
réellement pas davantage en comparaison de ces trésors actifs
dont elles se seraient enrichies réciproquement, si elles fussent restées
dans leur harmonie primitive.
Lorsque quelques-unes de ces âmes sortent de cet état d'enfance,
c'est-à-dire, lorsqu'elles quittent leur corps, et qu'après s'être
dévouées ici au vrai Ministère de l'Homme-Esprit, elles
se trouvent, après la mort, dans la jouissance de leurs facultés,
il n'est pas étonnant qu'elles puissent communiquer quelques-uns de leurs
trésors aux âmes encore incorporées, quoique celles-ci ne
comprennent ni la raison, ni le moyen de cette communication, tout en en ressentant
les effets. C'est ainsi que le corps d'un enfant en bas âge peut sentir
les impressions salutaires qu'un corps jouissant de ses facultés lui
peut occasionner, quoiqu'il n'en voie pas la source, ni ne la puisse connaître.
Enfin, quand plusieurs de ces âmes régénérées
jouissent de leurs facultés actives, après avoir quitté
leurs corps, il n'est pas étonnant alors qu'elles développent
entre elles réciproquement tous leurs rapports, et cela doit paraître
si simple, qu'il est inutile d'en chercher des témoignages dans l'ordre
physique.
Or, si malgré notre dégradation et le peu de trésors que
nous pouvons nous communiquer sur la terre les uns aux autres, nous sommes cependant
si transportés lorsque nous pouvons seulement entrevoir dans les vertus
de nos semblables, ce que c'est que la beauté d'une âme, ce que
c'est que sa sublime dignité ; enfin, lorsque nous apercevons ces faibles
rameaux qu'il est permis à l'homme de manifester encore aujourd'hui,
quoique ce ne soit que par intervalle, jugeons des joies qui doivent nous attendre
dans la région vraie, lorsque nos âmes harmonisées et dégagées
de leur corps terrestre se trouveront toutes ensemble, qu'elles se communiqueront
mutuellement toutes les merveilles qu'elles auront acquises pendant leur onzième
heure, et toutes celles qu'elles ne cesseront de découvrir dans la région
de l'infini.
Homme qui désire entrer, dès ce monde, dans le glorieux ministère
du Seigneur, peins-toi donc journellement le tableau de ces eaux restauratrices
que, depuis le crime, la bonté suprême n'a cessé de répandre
dans les différentes époques de la postérité humaine
; car tu as assez scruté les voies de Dieu à notre égard
pour savoir qu'il s'occupe non seulement de la famille entière, mais
encore de chaque homme en particulier, comme s'il n'en avait qu'un à
soigner.
C'est ainsi qu'un flambeau placé au milieu d'un cercle d'hommes éclaire
chaque assistant de toute sa lumière. C'est ainsi que le soleil montre
sa face toute entière à tous les mortels qui se présentent
à son aspect ; c'est ainsi que la source divine de l'admiration est universelle,
et ne cherche qu'à pénétrer dans toutes les âmes
qui veulent s'ouvrir à sa lumière.
Mais après avoir admiré cette source inépuisable, dont
les trésors avaient été prodigués à l'homme
lors de son origine, et par le contrat divin, et qui depuis sa chute se sont
accumulés et s'accumulent encore continuellement autour de nous, quelle
impression pénible tu éprouveras, quand, malgré ces trésors,
tu verras l'homme languir dans la détresse et dans une telle privation,
que sa demeure ténébreuse semble ne reposer que sur deux éléments
: le désespoir et la mort !
L'homme avait abusé des dons supérieurs qui lui furent accordés
dans le temps de sa gloire : après son crime, il a abusé de l'amour
même qui venait le chercher dans son ignominie. Plus les faveurs se sont
multipliées pour lui, plus il a multiplié ses ingratitudes ; et
quand on parcourt ces vastes tableaux, on découvre les deux prodiges
les plus surprenants pour l'intelligence et la sensibilité de l'homme.
Le premier, c'est le miracle de l'amour de Dieu pour l'homme, malgré
nos crimes et nos injustices ; le second, c'est notre insensibilité et
nos dédains pour Dieu, malgré son amour et son dévouement
pour nous.
Non, il n'y a rien au-dessus de ces deux miracles. Mais aussi qu'est-il résulté
pour l'homme de cette incompréhensible ingratitude ? (Et c'est à
tous mes malheureux frères que je puis adresser ces lamentations).
Au lieu de cette supériorité qui devrait nous appartenir dans
tous les genres, et par laquelle nous pouvions aller en témoignage dans
toutes les contrées des domaines divins, quel est l'état dans
lequel se trouvent les différents règnes ou les différents
mondes qui nous composent ?
Il n'est pas besoin de dire que depuis notre dégradation, nos corps sont
la proie journalière des éléments qui les dévorent,
comme le vautour ronge, sans cesse, les entrailles de Prométhée.
Nous n'ignorons pas que le corps de l'homme est tout entier comme une plaie
toujours en suppuration, et que ses vêtements sont un appareil chirurgical
qu'il faut lever et réappliquer continuellement, si l'on ne veut pas
que la plaie prenne un caractère pestilentiel.
Quand même cette plaie ne prendrait pas au-dehors un semblable caractère,
nous n'ignorons pas que nous portons au sein des substances qui nous constituent
depuis le crime, un venin corrupteur qui consume secrètement toutes nos
chairs, et que ce venin, l'homme ne peut s'en délivrer ; qu'il ne peut
en corriger la malignité ; qu'il ne peut arrêter un seul instant
ses progrès, car ce venin lui-même est ce feu dévorant sur
lequel repose aujourd'hui notre existence, et qui est reconnu des sciences humaines,
au moins par ses effets, comme le principe de notre destruction, puisqu'elles
avouent que notre respiration animale n'est qu'une combustion lente.
Qui ne sait donc pas que tous les individus qui errent sur cette surface, ne
sont que comme autant d'instruments nécessaires de leur propre mort ;
qu'ils ne peuvent jouir d'un souffle de vie, qu'en l'achetant au prix de la
vie même, et qu'ils produisent par le même acte leur destruction
et leur existence ? Et c'est là ce vêtement de mort que l'homme
a substitué à cette forme pure et immortelle qu'il aurait pu puiser
éternellement dans les trésors divins.
Il n'est pas besoin de dire non plus que pour contenir ce feu qui nous dévore,
nous n'avons à notre disposition que des aliments corrosifs comme lui,
et qui déposent journellement en nous leurs sédiments, et ne nous
donnent la vie comme lui qu'en nous donnant la mort.
Enfin les maladies et les infirmités qui se joignent en nous à
ces défectuosités naturelles, quel secours trouvent-elles dans
ceux qui entreprennent de nous guérir ? Nous ne l'ignorons pas, les substances
curatives qu'ils emploient, sont infectées comme notre propre corps et
comme la nature. Elles ne nous sont utiles qu'autant qu'elles ont quelques degrés
d'infection de moins que notre malheureux individu. Rien n'est vivant en elle
ni en nous, ou au moins tout n'a là qu'une vie et une force relatives
; c'est la mort qui transige avec la mort.
Indépendamment de ces impérieuses calamités, l'état
de nature nous fait honte, en ce que nous sommes obligés de pourvoir
à nos besoins d'une manière qui n'est plus conforme à la
dignité de notre être ; en ce que notre désir n'est plus
suffisant pour cela, et que notre parole active ne s'y montre plus ; en ce que
tous ces soins temporels, et tous les avantages passagers que nous cherchons
à nous procurer sans cesse, sont le signe de notre réprobation,
et en même temps de notre défiance à l'égard de notre
principe dont nous ne méritons plus les secours vivifiants et créateurs,
depuis la chute ; enfin, en ce que nous injurions en quelque façon par
là la vérité suprême, puisque nous ne nous occupons
qu'à nous passer d'elle pour le maintien de notre existence, tandis qu'il
n'y a qu'en elle seule, et que par sa vive puissance, que devraient se maintenir
l'existence, le mouvement et la vie de ce qu'elle a créé et fait
sortir de son universel foyer générateur.
Mais ce qui est plus fâcheux, quoique cela soit moins observé,
ce sont ces actions destructives et ces germes de puissances criminelles et
désorganisatrices que nous laissons entrer dans nos essences par tous
nos sens et par tous nos pores, et qui finissent par s'emparer de tous nos organes,
et par rendre nos corps à la fois les réceptacles et les instruments
de l'abomination, ce qui est le cas de la presque totalité de l'espèce
humaine ; et cela est d'autant plus lamentable, que nous avons le droit et le
pouvoir de nous en défendre ; au lieu que nous ne pouvons avoir le même
empire sur la caducité de nos essences elles-mêmes, et que nous
ne saurions les empêcher de se dissoudre et de nous donner la mort à
mesure qu'elles nous donnent la vie.
Quelle est toutefois la cause du prestige de ces illusions qui commencent par
nous séduire et qui finissent par nous plonger dans de si funestes précipices
? Elle tient malheureusement à une source qui ne nous devient si préjudiciable,
que parce qu'elle aurait dû faire notre gloire si nous avions su la contenir
dans ses mesures. Elle tient à ce que c'est toujours l'esprit, quoique
inférieur, qui nous travaille, lorsque nous écoutons en nous la
voix ou l'attrait d'une affection fausse. Cet esprit agit sur le nôtre,
et lui peint sous des formes sensibles une base où nous nous flattons
de rencontrer les délices qu'il nous promet. Par là il s'insinue
dans nos essences, et leur occasionne des impressions qui nous enchantent et
nous transportent.
Ce n'est que parce que tout est esprit dans ce commerce, que nous le trouvons
si ravissant. Mais nous ne nous donnons pas le temps de discerner quel est cet
esprit. Nous nous pressons de porter cette vive image dont nous sommes épris,
sur un objet terrestre qui se trouve toujours prêt à s'y lier.
Là l'action de l'esprit s'évanouit, celle de la nature en prend
la place, et comme elle est limitée, elle nous fait bientôt sentir
sa borne et son néant. On peut de là déduire trois instructions.
La première, que l'esprit inférieur nous trompe doublement, en
ce qu'il nous montre spirituellement les délices que nous ne pouvons
plus connaître en nature que par la matière, et en ce que cette
matière nous laisse en deçà de ces délices qu'on
nous montre spirituellement. Or, il n'y a que l'esprit mal ordonné qui
puisse concourir à ces désharmonies et à ces disproportions.
L'esprit bien ordonné nous montrerait, quoique toujours sous des images,
quelle est la portion des délices qui doit appartenir à notre
esprit dans nos rapports terrestres, et quelle est l'illusion des délices
qui appartiennent à notre matière. Par ce moyen, nos deux êtres
ne seraient point abusés, parce que l'ordre régnerait dans l'un
et dans l'autre.
La seconde instruction est celle qui nous apprend pourquoi ici les hommes avancés
en âge, mais qui se sont rendus le jouet de leurs sens, jouissent encore
dans leur esprit dépravé de toutes les délices que leur
matière ne peut plus éprouver ; car ce n'est qu'une prolongation
de leur première affection, ou de cette action de l'esprit inférieur.
Enfin, la troisième instruction est celle qui nous apprend d'où
proviennent les dégoûts qui succèdent à nos illusions
; car ce n'est point par la matière que nous devions jouir.
L'homme veut-il se considérer sous les rapports des connaissances, ou
sous les rapports de son esprit ? Il rencontrera de nouveaux sujets de lamentations
; car il le verra livré à des connaissances systématiques
et conjecturales ; à des efforts continuels pour chercher seulement comment
il composera la nomenclature de ses sciences ; enfin à des nuages d'idées
qui se combattent sans cesse et font de sa pensée une mer mille fois
plus agitée et plus orageuse que ne l'est l'atmosphère au milieu
des plus violentes tempêtes.
Que sera-ce donc s'il pénètre jusqu'à son être intime
? Il le trouvera non seulement enseveli dans l'enfer divin, mais souvent même
dans un enfer plus actif, et n'attendant que la rupture de ses liens terrestres
pour opérer sa jonction complète avec cet enfer actif dont il
est visiblement l'organe et le ministre sur la terre.
Que sera-ce enfin lorsque dans cette déplorable situation, il se verra
environné d'empiriques de toute espèce, qui ne lui ouvrant jamais
les yeux sur la source de son mal, l'empêchent par là d'en chercher
le remède ; que dis-je ! qui même annulent pour lui les remèdes
les plus spécifiques, et n'y substituent que des palliatifs ou inefficaces,
ou malfaisants ? Et l'homme pourrait encore être insensible à sa
misère et insouciant sur les dangers qui l'environnent !
Mais quel autre sort, quelle autre récompense pourrait-il attendre, après
avoir payé, par l'ingratitude comme il l'a fait, tous les dons et tous
les trésors de l'éternelle munificence ?
Aussi cet homme qui était fait pour apaiser la colère de Dieu,
est celui qui la provoque sans cesse, en substituant les ténèbres
à la lumière, et mille actions fausses à la place de l'action
vraie qu'il porte au-dedans de lui-même. Il n'avait pas ici-bas d'ami
plus proche de lui que son être intime pour s'appuyer, pour entendre parler
de Dieu et pour participer aux fruits et aux merveilles de l'admiration. Au
lieu de se ménager précieusement cette ressource, il s'est rendu
lui-même son plus proche et son plus mortel ennemi ; il a cru de sa sagesse
de se confondre avec la bête ; de commettre toutes les atrocités
qui sont la suite de ce système, et de se créer par là
l'enfer actif qu'il n'aurait dû qu'apercevoir, et encore seulement pendant
son temps d'épreuves.
Car, temporellement, il n'est environné que de secours ; la nature ne
lui offre que l'abondance de ses récoltes ; les éléments,
que leur salutaire réaction l'esprit de l'univers, que son souffle et
sa lumière ; les animaux utiles, que leurs services et des bienfaits
; les animaux malfaisants et les poisons même, il a le moyen de les vaincre
et de les désempester pour lui, tandis que lui-même il ne travaille
qu'à s'infecter.
Te voilà donc, roi du monde, dans un état si abject et si infernal,
que tu n'es pas même ton propre roi, et que de tout ce qui compose ton
empire, tu n'aies à frémir que sur toi-même, et que tu ne
puisses te considérer sans horreur ! Car c'est la transposition de ta
volonté qui a tout renversé, et les choses universelles ne vont
si mal que parce que les hommes transposent continuellement leur volonté
fausse et variable, à la place de la loi vraie et éternelle, et
que non seulement ils veulent gouverner à leur manière les choses
universelles, mais encore les composer eux-mêmes, au lieu de se rendre
simplement leur action.
Si alors un homme de désir aspirait à devenir un des ouvriers
du Seigneur, quels seraient ses moyens pour venir au secours de ses semblables,
dans cet état de détresse spirituelle, et dans le péril
effrayant qui menace constamment leur être intime ? Il n'aurait que des
pleurs à leur offrir ; il serait réduit à frissonner sur
leur état lamentable, et il ne pourrait les aider que par ses sanglots.
Homme de désir, rappelle-toi que l'essence fondamentale de l'homme prononcerait
naturellement un mot sublime et nourrissant pour elle, si elle était
ramenée à ses éléments primitifs. Ce mot, tout à
la gloire de son principe, quel est-il ? SAINT ! SAINT ! SAINT ! C'est là
ce qu'elle proférerait sans interruption pendant la durée de toutes
les éternités.
Aujourd'hui la langue de l'homme a subi, comme cet homme lui-même, une
effroyable altération ; et avant de recouvrer cette langue primitive,
qui était exclusivement la langue de la sainteté et du bonheur,
les essences de l'homme ne peuvent plus proférer que le mot douleur,
parce que c'est la principale sensation dont elles soient maintenant susceptibles.
Écoute-le bien attentivement ce mot douleur, lorsqu'il se prononcera
en toi ; écoute-le comme la première des voix secourables qui
puissent se faire entendre aujourd'hui dans les déserts de l'homme ;
recueille soigneusement ce précieux spécifique, comme le seul
baume qui puisse guérir les nations.
Depuis la grande altération des choses, la vie de la nature ne repose
que sur cette base. Depuis la dégradation de l'homme, nous n'avons pas
d'autre moyen pour sentir notre propre existence spirituelle et divine ; nous
n'en avons pas d'autre pour la faire sentir à nos semblables. Ce n'est
point ici la douleur des mystiques qui ont porté l'amour jusqu'à
faire leurs délices des afflictions : c'était leur propre salut,
leur propre bonheur qu'ils envisageaient dans leurs souffrances. Ici tu n'auras
pas même le temps de penser à ta propre sainteté, puisque
tu seras constamment vexé et comme écrasé sous le poids
de ce croisement de puissances, qui fait jaillir la vie dans tous les êtres.
Sans doute, ce simple tableau pourrait suffire pour enflammer ton courage, et
pour exciter ton dévouement ; car quel plus beau mobile que celui qui
porte l'homme à travailler à faire sabbatiser l'âme humaine
? Mais ce mobile deviendra bien plus pressant et plus actif, quand tu penseras
que ton uvre ne se borne pas à la postérité entière,
passée, présente et future, du premier homme, et qu'elle peut
s'étendre jusqu'à ce premier homme lui-même, par les rapports
que cette postérité conserve avec lui ; car il a tellement souffert
par le contact de l'atmosphère désharmonisée que nous habitons,
qu'il n'aurait pas pu en supporter le choc jusqu'à présent, si
la main suprême n'en eût tempéré les premières
atteintes.
En effet, lorsque le premier homme eut laissé s'altérer et disparaître
les glorieux avantages dont il aurait dû jouir éternellement par
les droits de sa primitive origine, l'éternelle parole vint à
son secours dans ce lieu de délices où la main suprême l'avait
placé. Elle lui promit que la race de la femme écraserait la tête
du serpent.
Par, cette seule promesse, elle sema dans Adam le germe de sa restauration.
Elle n'a cessé d'arroser ce germe par toutes les faveurs spirituelles
qu'elle a transmises au monde par le ministère de ses élus, jusqu'à
ce qu'elle soit venue l'arroser elle-même de son propre sang. Mais l'arbre,
ou l'homme, demeure toujours chargé de produire ses fruits par le concours
de tous ses descendants. Elle ne pouvait rien de plus que de se donner elle-même
pour lui, et elle ne pouvait anéantir la loi par laquelle cet arbre devait
lui-même manifester librement ce qu'il avait reçu dans ses essences.
Aussi elle le laisse s'avancer chaque jour vers l'époque finale, où
en supposant que tous ses rameaux eussent rempli les vues bienfaisantes de leur
source réparatrice, ils eussent été destinés à
montrer aux derniers temps l'arbre majestueux de l'homme tel qu'il parut dans
le jardin d'Éden, et de plus, orné des brillants rameaux de toute
sa postérité qui devrait le seconder de tous ses efforts, attendu
que l'uvre est commune à l'une et à l'autre, et aux enfants
comme à leur père.
Mais au lieu de ce concours si important de la part de la postérité
du premier homme, quelle est cette accumulation de crimes et de désordres
qu'elle ne cesse de faire tomber sur les racines de cet arbre antique, et qui
devrait être si sacré pour elle ! Avec des substances si hétérogènes
et si destructives, quels progrès cette postérité du premier
homme peut-elle faire dans sa croissance spirituelle ? Quels rameaux, quelles
fleurs peut-elle produire ? Et quels fruits peut-on attendre d'elle lors de
l'époque de la fructification ?
C'est ici, ouvriers du Seigneur, que votre désolation, quelque grande
qu'elle puisse être, paraîtra toujours légitime ; mais aussi
c'est là où se rassembleront en foule les motifs les plus touchants
de ranimer votre zèle par la noblesse et l'importance de l'entreprise,
puisqu'il ne s'agit de rien moins que de contribuer au repos du chef de toute
la famille, en annonçant à tous ses enfants quelle est la sublimité
du ministère de l'Homme-Esprit !
Voyez donc l'homme primitif étendu sur son lit de douleur, quoiqu'il
souffre plus pour vous que pour lui ; voyez-le contempler avec les regards de
la souffrance tous les membres de sa postérité passée,
présente et future ; entendez-le pendant tout le cours des siècles
leur demander avec de longues supplications, de ne pas au moins aggraver ses
plaies par leurs crimes, s'ils ne savent pas lui aider à achever de les
guérir par leurs vertus.
Tâchez de vous faire une idée de son affliction, quand vous verrez
que de toute cette nombreuse postérité à laquelle il s'adresse,
il n'y en a pas un qui écoute ses plaintes ; pas un qui cherche à
partager l'uvre avec lui ; non, pas un qui s'attendrisse sur l'état
douloureux où il languit ; que dis-je ! pas un peut-être qui ne
verse chaque jour du fiel et du venin dans ses blessures.
Oppressé par votre propre douleur, vous vous renfermerez dans vous-même
; mais du sein de votre propre asile le plus secret, votre zèle vous
portera vers vos frères égarés et insensibles, soit à
leurs propres maux, soit à ceux qu'ils font souffrir à la tige
vénérable de la famille humaine. Là vous vous tiendrez
assidûment auprès de leur être intime, comme Jérémie
à la porte du temple de Jérusalem. Vous l'importunerez en ne cessant
de fixer son esprit sur l'exercice de ses sublimes pouvoirs, et sur l'importance
de la justice.
Vous direz à cet être intime, que c'est le fruit de son champ qui
doit concourir à entretenir l'abondance ; que s'il reste dans la paresse,
et qu'il ne fournisse pas sa portion des approvisionnements, la subsistance
générale en souffrira ; que bientôt le champ abandonné
à la stérilité pourra se couvrir de ronces et d'épines
qui ne pourront que blesser la main lorsqu'elle voudra s'en approcher, ou de
poisons qui répandront partout l'infection ; que ce champ même
ne tardera pas à donner asile à des bêtes venimeuses et
féroces, qui seront toujours prêtes à dévorer leur
propre maître.
Vous lui direz que si le fil qui nous unissait à Dieu a été
rompu, il est toujours prêt à se renouer, et à prouver que
c'est dans le contrat divin seul que se trouvent la vie, la lumière et
tous les trésors destinés à satisfaire cette faim que nous
avons de l'admiration ; de même que c'est au principe suprême que
se doivent rapporter tous les fruits, car Dieu seul peut offrir des réservoirs
capables de recevoir et de contenir ses propres récoltes.
Vous lui direz qu'aussitôt que nous fûmes descendus dans les abîmes,
Dieu déploya autour de nous le grand arc-en-ciel ou cette immensité
d'échelles septenaires qui nous environnent et sont toujours prêtes
à nous aider à remonter hors de notre précipice ; que c'est
avec ces puissants secours que Dieu arme lui-même ses guerriers comme
font les souverains de la terre ; mais qu'il ne les fait également servir
chacun que selon leur arme, et qu'il ne les emploie que selon leurs lumières,
leurs forces et leurs connaissances.
Vous l'engagerez à entrer dans l'armée du Seigneur, en lui persuadant
que sa main puissante ne nous exposera jamais à plus de dangers, ni à
plus de travaux que nous ne pourrons en supporter.
S'il vous résiste, vous redoublerez d'efforts, vous emploierez même
tous les droits attachés à votre ministère pour le subjuguer,
et pour éloigner de lui, au nom de votre parole, tous les ennemis qui
tentent journellement de le séduire et de l'égarer ; vous ne vous
donnerez point de relâche que vous n'ayez obtenu de le faire rentrer dans
les voies de la justice, et que vous ne puissiez l'offrir ensuite au Souverain
des êtres et à l'ami des êtres purs, comme un sacrifice d'agréable
odeur.
Ce n'est donc pas pour le seul intérêt de votre frère que
vous vous dévouerez ainsi à l'uvre sacrée de faire
sabbatiser les âmes ; mais ce sera aussi pour l'intérêt du
Dieu suprême dont vous ambitionnez d'être les ministres.
En effet, ceux de ses serviteurs les plus chéris de lui sont ceux qui
s'occupent de réintégrer dans les armées du Seigneur les
âmes qui peuvent étendre sa gloire en se signalant à son
service.
Ce sera en outre pour l'intérêt de la triste demeure des hommes.
Car ici-bas lorsque Dieu ne trouve point d'âme humaine où il puisse
se placer et par laquelle il puisse agir, c'est alors que les désordres
s'engendrent et se succèdent sur la terre d'une manière déchirante
pour ceux qui aiment le bien, et cela montre que le crime du premier homme fut
de s'être rendu vide de Dieu, pour ne suivre que son propre esprit ténébreux.
Mais ces abus auxquels sa postérité se livre, font que si l'esprit
de l'homme se porte ainsi tout d'un côté, la force divine se porte
de l'autre à son tour toute entière, et que par son grand poids
elle se fait jour à la fin dans quelques âmes humaines d'où
elle s'étend ensuite au dehors pour contenir l'excès du mal et
arrêter les désordres ; sans cela, l'univers serait déjà
renversé.
Les âmes humaines qui secondent ce zèle de la Divinité,
ont alors de grands fardeaux à porter et de grands travaux à soutenir
; mais elles ont aussi de grands salaires à attendre et de grands appuis
à espérer dans leur uvre, car elles y sont soutenues par
un grand mot d'ordre, qui, quand il se prononce sur elles, met en jeu et en
activité toutes leurs forces et toutes leurs puissances ; c'est là
ce qui devrait faire journellement le soutien, la vie et la lumière de
l'homme ; comme dans le régime militaire, le mot du commandant fait la
sûreté de toute son armée.
D'ailleurs ces âmes ne sont-elles pas abondamment payées par le
bonheur d'avoir été en témoignage ? Car ce sont ceux qui
auront été en témoignage, qui seront reconnus au temps
à venir pour de fidèles serviteurs, et c'est particulièrement
dans l'âme des hommes que nous devons aller en témoignage. Ces
témoignages que nous aurons semés dans les âmes des hommes,
ressusciteront avec elles, et serviront, à leur tour, de témoignage
pour nous, afin que non seulement on oublie et on efface nos propres dettes,
mais que même on nous distribue notre salaire.
Ouvriers du Seigneur, employez tous vos efforts pour que l'on vous envoie en
témoignage, et pour que vous ne restiez pas sans consolations et sans
espérances au temps à venir. Heureux ! Si vous pouvez vous dire
chaque jour : je n'ai point perdu ma journée ; j'ai porté un témoignage
dans l'âme d'un homme, (et cela dans le secret de votre être, et
même sans que les yeux matériels de l'homme en aient connaissance)
; et j'ai accru par là l'état de mes futures créances !
Vous pourrez même espérer qu'en faveur de ces témoignages,
Dieu vous paiera dès ce monde, non seulement par les joies qu'il versera
dans votre âme, mais même par les assistances marquées qu'il
vous enverra, et par les uvres divines et merveilleuses qu'il fera sortir
de vos mains, comme une sorte de récompense, ou comme un retour et un
échange des services que vous lui aurez rendus d'avance dans le ministère
de l'Homme-Esprit.
Oui, pour peu que l'homme voulût suivre courageusement la ligne du véritable
ministère de l'Homme-Esprit, il reconnaîtrait bientôt qu'il
aurait beaucoup moins de peine à se donner, et moins de temps à
employer pour faire un miracle, que pour apprendre, dans tous ses détails,
la moindre des sciences qui occupent les hommes, et auxquelles ils consacrent
leurs jours et leurs sueurs. Ouvriers du Seigneur, voici ces joies et ces récompenses
dont Dieu aime à nourrir votre espérance :
- Réactions mutuelles de toutes les puissances divines combinées
en nous pour y opérer la pénitence ;
" Réaction en nous de ces mêmes puissances pour y opérer
la résignation ;
" Réaction pour y opérer la corroboration ;
" Réaction pour y opérer la supplication, de concert avec
tous les êtres passés, présents et futurs ;
" Réaction pour y opérer la conviction intime et intégrale
;
- Réaction pour y opérer la direction de toutes nos pensées,
de tous nos désirs et de tous nos pas ;
- Réaction pour obtenir la gratification de la parole ;
- Réaction pour que nous osions parler à la parole, puisque la
parole nous parle ;
- Réaction pour que nous puissions prier la parole de s'exaucer elle-même
dans les gémissements qu'elle pousse dans le sein de toutes nos misères
et de toutes nos infirmités corporelles et spirituelles particulières
;
- Réaction pour obtenir l'investiture et la distribution active et effective
des forces dominantes, jugeantes, opérantes, justiciantes et justifiantes,
que cette parole vivante, émue par sa propre prière, peut faire
descendre dans les foyers et les sièges où elle demeure et où
elle fermente.
Voilà ce que peuvent opérer les ouvriers du Seigneur qui auront
été en témoignage dans l'âme de leurs semblables
; voilà comment nous pouvons faire que Dieu participe à toutes
nos uvres, et participer nous-mêmes à toutes les siennes.
Ouvriers du Seigneur, si vous obtenez de semblables faveurs, ce sera alors que
vous pourrez, avec confiance, vous approcher du lit de douleur où est
encore retenu le chef de la famille humaine, par les égarements et les
souillures de sa postérité. Vous le consolerez dans son affliction,
vous le soulagerez par vos uvres sublimes et saintes ; et il se réjouira
de voir quelques-uns de ses enfants prendre part à ses tendres sollicitudes.
TROISIÈME PARTIE.
De la Parole.
S'il n'y avait pas une puissance harmonisée qui s'engendrât elle-même
éternellement, jamais nous ne verrions l'ordre renaître et succéder
aux altérations de tout ce qui constitue le cercle des choses, comme
cela se passe sous nos yeux à tous les instants. Aussi, disons-le hautement,
il y a une éternelle parole, qui comme dépositaire de l'éternelle
mesure, de l'éternelle lumière et de l'éternelle vie, balance
continuellement et particulièrement pour l'homme ici-bas, le désordre,
l'angoisse et l'infection où il est plongé. S'il ne se tient pas
constamment à la hauteur où réside cet universel appui,
il retombe dans l'abîme des maux et des souffrances qui résident
à l'extrême opposé. Il n'y a pas de milieu pour lui ; s'il
ne fait pas usage de la force d'Hercule, il reste écrasé sous
le poids énorme de l'Atlas.
Oui, il lui faut toute la lumière divine pour dissiper l'immensité
des ténèbres dont il est environné. Il lui faut toute la
vertu divine pour contrebalancer la rigueur du crime à laquelle il est
lié ; enfin, s'il n'atteint pas à la sainteté même,
il reste dans l'abomination.
En vain l'homme prétend obtenir tous ces triomphes par des moyens mitigés
et par les faibles spéculations de son esprit et de sa raison. Tous ces
prétendus expédients le trompent et ne sont qu'illusoires.
Elles le trompent bien davantage encore, ces distractions vaines et factices
dont il berce tous les jours son existence ; le seul moyen profitable est le
moyen vif ; ce moyen vif ne peut être que la main suprême elle-même,
et c'est parce qu'elle seule peut tout soutenir et tout gouverner, qu'elle seule
peut faire la compensation de tout ce qui nous manque.
Car lorsqu'on a dit de l'agent suprême qu'il soutenait tout par la puissance
de sa parole, on n'a point dit une chose mystique et qui tienne notre pensée
dans le vague ; on a dit une chose positive et physiquement vraie, et cela dans
toutes les classes où puisse se porter notre réflexion.
Il est très vrai que si la parole ne soutenait pas l'univers dans son
existence et ne le dirigeait pas dans tous ses mouvements, il s'arrêterait
à l'instant dans sa marche, et réitérerait dans la non-apparence
;
Il est très vrai que si la parole ne soutenait pas les animaux et les
plantes, ils rentreraient aussitôt dans leur propre germe, et leur germe
dans l'esprit temporel de l'univers ;
Il est très vrai que si la parole ne soutenait pas l'action et le jeu
de tous les phénomènes de l'univers, il ne s'en manifesterait
plus aucun à nos yeux ;
Il est également vrai pour le spirituel, qui si la parole ne soutenait
pas la pensée et l'âme de l'homme, comme elle soutient tous les
êtres de l'univers, notre pensée retomberait à l'instant
dans les ténèbres, et notre âme dans l'abîme au-dessus
duquel nous ne surnageons journellement, malgré nos crimes, que par l'incommensurable
et miséricordieuse puissance de la parole ; ainsi, à moins de
nous dévouer volontairement à la démence, et d'être
sciemment nos premiers ennemis, nous ne devrions pas cesser un instant de nous
porter vers le principe des choses, et de nous appuyer sans interruption sur
la parole, sans quoi c'est renier notre existence et renoncer à être
utiles aux diverses régions qui attendent les bienfaits du ministère
de l'Homme-Esprit.
Aussi, malheur à vous froids métaphysiciens qui ne faites de l'être
divin et de toutes les conséquences qui en résultent, qu'un simple
objet de dissertations et de raisonnements ! malheur bien plus à vous,
spéculateurs publicistes, qui ne donnez à la chose religieuse
d'autre base que le politique, pendant que sa base essentielle est l'éternelle
parole, sans laquelle rien ne peut se soutenir !
Vous ne voyez sans doute, dans cette chose religieuse que ses formes obscures,
et obscurcies encore par les abus qui la défigurent ; vous ne la voyez,
dis-je, alors, que comme un moyen de lier le simple par ces chaînes mystérieuses
qui ne vous offrent pas un autre principe et un autre but. Et je vous excuse
sous ce rapport, tant les ténèbres qui couvrent la terre sont
épaisses.
Mais je ne vous excuse plus quand vous voulez aussi soumettre le mot hommage
à vos manipulations politiques. Dieu, la parole et l'hommage qui leur
est dû, ne sont point le résultat de la réflexion et du
calcul ; c'est peu même, si vous ne regardez que comme un devoir la croyance
dans ce Dieu suprême et dans son éternelle parole qui a tant de
droits au respect de sa créature. Cette croyance est plus qu'une conséquence
philosophique ; elle est même plus qu'une justice et une obligation ;
elle est un besoin radical et constitutif de votre être, et vous en avez
la preuve positive et effective dans votre situation, puisque le dénuement
universel où vous vous trouvez est propre à vous faire sentir
ce besoin-là à tous les moments de votre vie, et puisque dès
l'instant que vous cessez de vous occuper du soin de le satisfaire, vous retombez
dans l'abîme.
Contemplons ici un flambeau universel qu'on peut porter en général
sur les punitions, sur les fautes, et sur le principe contre lequel ces fautes
ont eu lieu.
Dans l'exacte justice comme dans l'exacte vérité, il faut qu'il
y ait une analogie parfaite entre la punition et la faute. Aussi en examinant
soigneusement l'état malheureux de l'homme ici-bas, on ne pourrait manquer
de trouver clairement le genre de son égarement et de son crime ; car
cette punition et le crime doivent être scrupuleusement calqués
l'un sur l'autre.
Dans cette même exacte justice, il doit y avoir des rapports antipathiques,
mais aussi marqués entre la faute et le principe contre lequel elle a
été commise, puisque cette faute ne doit être, dans tous
ses points, que le contraire et l'inverse de ce principe ; et même on
se ferait encore mieux comprendre, en disant qu'elle ne peut être qu'une
direction opposée à celle de ce même principe. Par conséquent
en allant en rétrogradant sur la ligne de cette faute, on ne pourra manquer
d'arriver au principe qui a été lésé, comme en examinant
le genre de la punition et de la souffrance on ne pourrait manquer de connaître
le genre de la prévarication dont elles sont les suites.
L'examen de la punition doit être la première opération,
puisque c'est celle qui doit nous faire connaître la faute. La seconde
opération doit être de marcher en rétrogradant sur la ligne
de cette faute pour arriver au principe. Ainsi notre premier devoir est de cesser
nos murmures, et de parcourir avec résignation tous les degrés
de notre punition, si nous voulons arriver à la vraie connaissance de
notre infirmité.
Notre devoir second est l'activité vive et ardente, sans regarder ni
à droite, ni à gauche, parce que c'est là ce qui peut seul
dissiper nos ténèbres et nous ramener à la vie, et dans
la vie dont la faute ou l'altération nous a séparés.
Lorsque nous examinons la punition, le principal caractère que nous y
remarquons, c'est de nous retenir renfermés et liés à un
univers qui n'a point de parole, quoiqu'il soit sans cesse soutenu par la parole,
et cette observation opère sur nous un double supplice ; l'un, de nous
faire sentir la honteuse disproportion qui se trouve entre nous et tous les
êtres muets qui nous entourent ; l'autre, de sentir combien l'existence
de cet univers muet doit affliger la parole elle-même, puisque cette parole
voudrait et devrait être manifestée partout, et correspondre librement
avec tout ce qui existe.
Or, le premier de ces supplices se démontre, non seulement par le fait
de l'état des choses, mais encore par la marche et la conduite de l'homme
avec ses semblables.
Quoiqu'il y ait bien loin des conversations des hommes à la véritable
parole, cependant, lorsqu'ils se trouvent ensemble, s'ils ne vivifiaient pas
leur atmosphère par leurs discours, ou par ces faibles ombres de la parole
; enfin, s'ils ne ranimaient pas un peu par là ce sépulcre dans
lequel ils existent, ils ne connaîtraient dans leur esprit que le froid
et l'ennui de la mort.
Le second de ces supplices démontre qu'il faut qu'il y ait aussi une
source vivifiante, qui cherche sans cesse à ranimer le cercle des choses
par la parole universelle, comme l'homme cherche à ranimer ses silencieuses
demeures par la parole particulière ; car sans cela l'homme ne jouirait
pas même de cette parole particulière, dont il fait journellement
un si puéril usage, et dont il peut attendre si peu de profit tant qu'elle
n'est pas régénérée.
Ainsi on peut dire que nous sommes aussi éclairés que nous pouvons
l'être sur la punition qui nous est infligée. Mais vu l'analogie
nécessaire que nous reconnaissons entre la punition et la faute, nous
devons conclure que si nous sommes punis par la disette de la vraie parole,
c'est sûrement contre la parole que nous avons péché.
Par la seconde loi, ou par une suite de cette analogie qui doit se trouver entre
la faute et le principe, il résulte que si nous marchions dans notre
parole, dans le sens inverse à celui dans lequel nous y avons marché
par l'altération primitive, et dans lequel nous y marchons tous les jours,
nous parviendrions de nouveau jusqu'à cette grande parole fixe et lumineuse
avec laquelle nous sentons que nous aurions besoin d'habiter, et avec laquelle
nous habiterions en joie, au lieu des souffrances qui nous tourmentent.
Mais comment les hommes arriveraient-ils à la jouissance active de cet
instrument universel, puisque cette parole, toute respectable et toute importante
qu'elle puisse être, est cependant le seul talent, ou si l'on veut, le
seul métier qu'ils exercent, sans s'y préparer par un long apprentissage,
comme pour tous leurs autres talents ? Car, je le répète, ce que
les hommes disent partout et toute la journée, il faut bien se garder
de le prendre pour la parole, quoiqu'ils soient assez ignorants et assez vains
pour le regarder comme tel, tandis que c'en est absolument l'inverse.
Et en effet, on n'apprend à connaître la parole que dans le silence
de tout ce qui est de ce monde ; ce n'est que là où elle se manifeste,
et lorsque nous ne parlons, soit avec nous-mêmes, soit avec les autres,
que de ce qui tient à ce monde, il est clair que nous agissons contre
la parole et non pour la parole, puisque nous ne faisons par là que nous
abaisser et nous naturaliser avec ce monde, qui comme nous l'avons dit tout
à l'heure, n'a point de parole, et est par cette raison-là l'instrument
et le mode de notre punition.
N'oublions pas cependant un autre rapport aussi vrai et incomparablement plus
consolant : c'est de sentir que si la prévarication nous a privés
de tout, et nous a mis dans un dépouillement absolu, il faut nécessairement
que, pour nous guérir, tout nous soit donné à son tour
par l'incommensurable et universel amour ; sans quoi, notre guérison
ne pourrait jamais être absolue. Or ce présent universel que l'amour
a voulu de nouveau faire au monde, est compris tout entier dans les merveilles
de la parole, puisque c'était la perte de ces trésors qui nous
tenait dans la disette. Mais aujourd'hui nous ne pouvons apprendre cette parole
de l'Esprit qu'avec lenteur, et comme nous voyons que les enfants apprennent
la parole humaine. Nous la devrions aussi apprendre d'une manière naturelle
et insensible, puisque c'est la marche qu'ils suivent. De là le mot de
l'Évangile : vous ne posséderez point le royaume de Dieu, si vous
ne le recevez comme des enfants.
Contemplez donc dans cet Esprit, mais avec admiration, tout ce dont la parole
nous a rendu la connaissance : voici un extrait de ce que nous y apprendrons
:
C'est par la parole que Dieu forma le contrat divin et l'alliance universelle
avec l'immensité de tout ce qui existe.
C'est par la parole que Dieu, dans ses voies de restauration, forma l'alliance
générale spirituelle temporelle, dans les diverses époques
d'opérations de grâces qu'il a manifestées par l'origine
et la création de la nature, par la promesse faite à Adam prévaricateur,
par les divers élus principaux qui ont répandu ses lois, et ses
ordonnances sur la terre, soit avant le milieu des temps, soit au milieu du
temps ; et par ceux qu'il manifestera jusque et compris la fin des temps.
C'est par la parole que Dieu forme aussi une alliance particulière spirituelle
avec l'homme particulier, en semant en lui divers germes de dons et de vertus
qui s'attirent et se rassemblent par leur attraction, jusqu'à ce qu'ils
aient acquis, par leur force et leur activité harmonique, une assez grande
affinité avec l'unité, pour que cette unité vienne se joindre
à eux, et les consacrer par sa sanction.
C'est par la parole que Dieu gouverne le cours de son alliance générale
spirituelle temporelle : ce n'est que quand cette alliance a acquis la somme
de forces nécessaires par l'attraction de ses puissants éléments
divins, que la parole lui laisse opérer son explosion, et qu'elle se
porte elle-même dans le torrent de cette explosion, pour en faire mieux
pénétrer les substances salutaires dans les régions qui
les attendent ; et c'est là une des merveilles des nombres actifs qui
toutefois ne sont rien par eux-mêmes, ainsi qu'on l'a vu précédemment,
mais représentent fidèlement la marche cachée de la parole
et de ses incommensurables propriétés.
C'est par la parole que Dieu forme aussi une alliance particulière et
continuelle dans la classe de la végétation et de la nature terrestre,
où toutes les productions sont précédées de toutes
les gradations d'activités, de germinations, de croissances, qui s'attirent
réciproquement et se terminent par une explosion, ou par une fleuraison,
ou une naissance, quand, dans chaque chose, l'exil ou le centre de la vie a
dissipé les obstacles qui l'environnaient, et qu'il peut entrer dans
ses droits.
De même que toutes ces bases d'action sont disséminées dans
la nature, de même tous les germes de sciences sont disséminés
dans tous les hommes : il ne nous manque qu'une langue analogue ou la parole
pour nous les communiquer. Si nous avions l'attention de cultiver soigneusement
ces germes, ils nous produiraient eux-mêmes la langue qui nous servirait
à nous transmettre leurs fruits ; mais notre impatience nous entraîne,
et au lieu d'attendre la fructification de cette langue, nous nous pressons
de nous en composer nous-mêmes de plusieurs espèces, selon la science
que nous pratiquons.
Toutefois, ces langues là n'étant pas fécondes, comme le
serait la langue dont elles prennent la place, dès lors elles ne nous
transmettent pas de fruits, puisqu'elles n'atteignent pas les germes dont ces
fruits devraient sortir.
Aussi tous les résultats scientifiques des hommes s'arrêtent-ils
pour la plupart à nos langues composites et factices ; aussi les sciences
humaines ne font-elles généralement leur demeure que dans les
mots et non pas dans les vertus de la parole ; aussi les langues scientifiques
humaines n'ayant point la vie en elles, ne peuvent pas se vivifier les unes
et les autres ; aussi ne pouvant se vivifier les unes et les autres, elles ne
peuvent que commencer par se disputer et se combattre, et elles ne peuvent finir
que par se détruire.
Voilà comment elles laissent se propager la mort qui a étendu
partout son empire depuis la chute ; tandis que c'était à elles
à seconder la vie ou la parole, qui, depuis la grande altération
ne saurait faire un pas sans avoir un combat à livrer. En effet, toute
génération, toute végétation, toute action restauratrice,
toute opération, toute pensée tendant vers la région de
la lumière, forment autant de résurrections et de véritables
conquêtes sur la mort. Celui qui pourra percer jusqu'à concevoir
et sentir la résurrection continuelle de la grande parole, aura par là
de grandes grâces à rendre, et je serais bien étonné
s'il n'était pas à la fois attendri et stupéfait d'admiration.
Et vous donc puissances célestes, spirituelles et divines, quelle joie
pour vous, lorsque vous parvenez à engendrer dans le monde de la vérité
et de la lumière, un homme qui vous ressemble, et qui soit votre fils
chéri !
La vraie parole est universellement dans l'angoisse, aussi nous ne pouvons rien
recevoir ni opérer que par l'angoisse ; aussi tout ce qui existe de visible
ne cesse-t-il de démontrer physiquement la parole dans l'angoisse ; aussi
ne devrions-nous pas fuir l'angoisse interne ; aussi n'y a-t-il que les paroles
d'angoisse qui profitent, qui sèment et qui engendrent, parce qu'il n'y
a qu'elles qui soient l'expression de la vie et de l'amour.
Homme, ne crains pas de voir une annonce de cette rigoureuse loi dans les cris
de ta mère lorsqu'elle te donne le jour, ainsi que dans les pleurs que
tu verses dès ta naissance. Apprends-là aussi ce qu'il en a dû
coûter à la source du rafraîchissement pour se procréer
dans la forme de ton altération spirituelle, et pour se rendre de ton
espèce. Mais compare ta vie temporelle active et libre à celle
que tu menais dans le sein de ta mère, et vois même si elle ne
te procure pas des jouissances et une existence qui te font oublier tes premières
larmes ; et apprends par là ce que tu dois attendre des moindres impressions
que la véritable angoisse peut te faire sentir.
Dispose aussi tes yeux et ton intelligence pour voir, admirer et comprendre
ce qui provient chaque jour de l'angoisse particulière du rafraîchissement
ou de la parole, et ce qui proviendra à l'avenir de leur angoisse générale
; car les résultats de toutes ces angoisses sont aussi certains qu'incommensurables.
Voilà pourquoi aucune parole salutaire et vive ne pouvant naître
en nous que par l'angoisse, il est bien certain que les hommes que nous écoutons
journellement ne disent point de paroles, et qu'ils nous trompent quand ils
prétendent nous annoncer la vérité, puisqu'ils nous parlent
sans le secours et la puissance de l'angoisse.
D'ailleurs, les paroles de l'angoisse sont toujours nouvelles, puisque c'est
là où se trouve le principe des langues. Or, les paroles de ceux
que nous écoutons journellement, ne sont jamais nouvelles, et ne nous
offrent que des réminiscences et des redites qui ont été
déjà répétées mille fois avant eux.
Mais veux-tu apercevoir quel est le sublime objet de cette angoisse de la parole
? Lorsque l'homme s'écoute bien attentivement, la vérité
semble lui dire : Homme, je ne puis verser mes pleurs que dans ton sein.
Ainsi donc le cur de l'homme est choisi pour être le dépositaire
de l'angoisse de Dieu, pour être son ami de prédilection et le
confident de tous ses secrets et de toutes ses merveilles, puisque dans ce genre
il n'y a rien qui puisse avoir d'issue et d'effusion que par l'angoisse. Aussi
après cette annonce si tendre et si amicale, l'homme en ressent la réalisation,
puisqu'il peut dire à son tour : des torrents de douleurs s'accumulent
dans mes veines, et tout mon être se sent gonflé d'amertume ; remercie
alors, car c'est là le moment où la vie commence.
Voici un moyen sûr de ne pas laisser s'éteindre en toi ces premiers
éléments de ta vie ; prends garde de sortir un instant de dessus
le feu radical et central sur lequel tu reposes, et qui ne doit cesser de te
travailler dans la douleur, pour que cette douleur s'étende dans toutes
tes facultés et leur fasse produire leurs fruits.
C'est ce feu là qui doit sans cesse te préparer et te tenir en
crainte ; et sans cette préparation continuelle qu'il opère sur
ton être, la parole vive de l'angoisse n'entrera point en toi ; tu deviendras
pour elle un objet de dégoût, et quand elle voudra t'embrasser,
elle sera obligée de détourner la tête parce qu'elle se
sentira infectée de l'haleine de ta bouche ; car si l'Homme-Esprit est
si souvent infecté de l'haleine qui sort de la bouche de l'homme, comment
Dieu pourrait-il la supporter ?
Demeure donc constamment sur ce feu radical et central, comme un enfant reste
dans le sein de sa mère, jusqu'à ce qu'il ait atteint les forces
nécessaires pour se présenter à la lumière du jour
; ou, si l'on peut employer une comparaison moins distinguée, comme un
mets reste en cuisson jusqu'à ce qu'il soit à point.
Il y a là-dessous de grandes vérités de principe et d'expérience.
La plus importante est de sentir quelles sont les plus fortes angoisses que
Dieu éprouve. Ce sont celles qui viennent des tentatives continuelles
qu'il fait pour s'exhumer du cur de l'homme, et celles qui tiennent aux
épouvantables obstacles que ce cur de l'homme lui oppose.
Voilà pourquoi il n'y a pas trop du feu de l'abîme embrasé
au-dessous de nous pendant toute notre vie, pour dissoudre les épaisses
coagulations qui nous obstruent.
Car si ce feu de l'abîme ne prépare pas ainsi les voies, la parole
de l'angoisse divine n'entrera point en nous, et si la parole de l'angoisse
n'entre point en nous, nous ne pourrons rien comprendre aux angoisses de l'universalité
des choses, et nous ne pourrons pas leur tenir de consolateur. Oui, si nous
n'avons pas en activité en nous la substance de vie, comment pourrons-nous
juger et sentir ce qui est mort autour de nous ?
Ainsi, ce n'est plus seulement du sabbat de la nature, ni du sabbat de l'âme
humaine, dont il devient urgent de nous occuper ; c'est encore de faire sabbatiser
la parole elle-même, puisque nous ne pouvons nier que par l'usage nul,
faux ou pervers que l'homme fait de la parole divine, elle ne soit sur son lit
de douleur, pour ne pas dire sur son lit de mort ; et l'homme ne pourra lui
apporter aucun soulagement qu'il ne sente naître en lui les angoisses
successives de la parole.
Nous avons vu que les hommes appliquent le nom de croix expiatoires aux contrariétés
de la vie temporelle, aux afflictions dont ce monde est rempli, aux infirmités
corporelles, etc., tandis que le vrai sens de ces croix ne convient qu'aux douleurs
spirituelles des hommes dévoués à l'uvre du Seigneur,
et appelés à y servir chacun selon leurs dons.
Cette classe d'hommes est ordinairement liée à des circonstances
entièrement opposées à cette uvre divine qu'ils désirent,
pour laquelle ils sont faits, et dont ils peuvent si peu parler, qu'ils aiment
mieux souvent se laisser couvrir de dérisions et de dédains, que
d'en ouvrir la bouche. C'est à cette classe d'hommes que s'applique la
leçon de l'évangile : celui qui ne prend pas sa croix sur lui
et ne me suit pas, n'est pas digne de moi. Car s'ils ne se déterminent
pas à supporter la croix qui leur est présentée et à
avancer malgré les angoisses qu'elle leur offre, ils courent risque de
manquer leur uvre et d'être traités comme de mauvais serviteurs.
L'esprit du monde a travesti dans des significations vulgaires et communes les
plus belles intelligences des Écritures saintes. Je ne crains point de
dire que de très grands saints eux-mêmes n'ont pas donné
à ce beau passage toute la sublimité du sens qui lui appartient
; et le fameux mot de Sainte Thérèse, ou souffrir ou mourir, n'en
présente que la moitié, en admettant même qu'il ne porte
pas sur des souffrances corporelles. Car la croix est bien antérieure
au mal ; et si elle nous froisse aujourd'hui quand elle agit dans le resserrement
de nos entraves spirituelles actuelles, ce n'est que pour nous amener à
son action libre, et nous apprendre encore malgré nos souillures, et
par sa merveilleuse munificence, ce que c'est que la croix antérieure
au mal.
Non, non, la croix n'est pas une souffrance ; c'est l'éternelle racine
de l'éternelle lumière. Il n'en est pas moins vrai que si les
élus doivent supporter courageusement les douloureux efforts que cette
croix fait en eux pour arriver à sa région de liberté,
à plus forte raison devons-nous tous supporter les tribulations terrestres,
corporelles et spirituelles, auxquelles nous donnons le nom de croix et que
cette résignation peut nous être d'autant plus méritoire,
que dans l'état de désordre et de désharmonie, où
l'altération a plongé toutes nos mesures, nous ne sommes pas tous
appelés à sentir au moins au même degré les angoisses
de la croix supérieure.
Aussi je ne veux point exclure les utiles moisson que les hommes peuvent retirer
de leur manière, quoiqu'inférieure, de considérer le précepte
de l'évangile relativement à la croix. Je veux seulement avertir
les hommes de désir qu'ils ont encore de bien plus grands avantages à
en attendre ; car c'est dans les contrariétés divines dont leur
désir est à la fois froissé et alimenté, qu'ils
apprennent à connaître ce que c'est que les souffrances de la parole,
et par conséquent à se consoler et même à se réjouir
au lieu de se plaindre, parce que la parole n'avance point dans ses douleurs,
qu'elle n'avance vers la grande époque de sa délivrance.
C'est en avançant ainsi qu'elle voit s'étendre de plus en plus
ses angoisses et ses tribulations ; aussi les psaumes seraient bien autre chose
que ce qu'ils sont, si l'on les faisait à présent. Car la parole
est le désir divin personnifié humainement et en action. A mesure
qu'elle perce et qu'elle se montre à l'atmosphère humaine, à
mesure aussi elle est réduite à ne trouver pour sa nourriture
et sa subsistance que du fiel et de l'amertume. Mais quel dédommagement
pour elle quand elle rencontre quelque âme de désir et qui cherche
à être réellement régénérée
selon la nouvelle loi de l'esprit et de la vérité !
Homme de Dieu, ne compte donc plus au rang des souffrances profitables que celles
qui ont le salut public pour objet. Le soldat tombé malade par sa négligence
ou par ses intempérances pourra-t-il être regardé comme
servant à l'État, quand il suivra exactement le régime
que le médecin lui prescrit, et qu'il fera usage de tous les remèdes
convenables à sa situation ? Non. Il ne sera censé alors ne servir
qu'à lui, puisqu'il ne s'agit là que de son rétablissement,
et ce ne sera que quand il sera rétabli, et qu'il ira combattre, qu'il
servira réellement la patrie.
Telle est généralement notre situation ici-bas ; nous sommes tous
sous le régime curatif et médicinal, soit par l'effet de la grande
altération, soit par une suite de nos propres écarts : lorsque
nous observons tout ce qui nous est ordonné pour notre santé spirituelle,
nous ne sommes par là utiles qu'à nous. On a tort d'appeler cela
servir Dieu, puisque ce n'est pas servir à Dieu.
C'est quand nous sommes régénérés, et que nous pouvons
remplir les divers ministères de notre maître, que nous sommes
censés véritablement servir à Dieu ; car c'est alors que
nous pouvons, par le moyen de nos propres douleurs, sentir et connaître,
par expérience, ce que c'est que les douleurs de la parole. Jusque-là,
nous ne sentons que nos propres douleurs. Fermons donc en nous les portes du
mal et du néant, pour que les régions vives viennent nous pénétrer.
Lorsque la main de Dieu est sur l'homme, et que c'est pour sa punition, l'homme
est lié dans toutes ses facultés. Il est tourmenté par
l'inquiétude et le besoin de l'action, et du mouvement, et par la géhenne
insupportable qui tient tout son être dans une violente contraction ;
mais il reste dans l'inactivité, et tout se suspend pour lui.
Lorsque c'est pour le progrès de l'uvre, et pour l'avancement de
la parole, le poids de la main de Dieu le tourmente aussi, mais c'est par l'impatience
de la justice ; et la géhenne qu'il éprouve, le fait chaque jour
avancer dans les régions vivantes et lumineuses de l'activité
spirituelle.
Les prestiges insinuants de la région apparente, ont beau l'entourer
de leurs illusions, il passe outre et ne les aperçoit pas. Les ténèbres
et les passions terrestres ont beau le poursuivre, il les traverse et les laisse
derrière lui.
Vous lui laisserez souffrir tous les besoins de la vie, le poids de la main
du Seigneur l'entraîne, et l'impatience de la justice est encore plus
forte en lui que ces besoins. Vous le martyriserez, il vous laissera faire,
et ne sentira que le poids de la main du Seigneur qui le tourmente par l'impatience
de la justice:
Lorsqu'on lance un vaisseau et que l'élan lui est donné, sont-ce
les faibles liens dont il peut être encore attaché, qui seront
capables de l'arrêter dans son cours ? II les brise et se rend avec impétuosité
dans la plage. Sont-ce les légers obstacles qui peuvent se trouver devant
lui ? Il les pulvérise ou les enflamme, et il se rend avec impétuosité
dans la plage.
Voilà ce que l'homme peut devenir quand il a le bonheur de sentir le
poids de la main du Seigneur, et d'être tourmenté par l'impatience
de la justice.
Mais comment parviendras-tu, homme de désir, à sentir le poids
de la main du Seigneur, et à être tourmenté par l'impatience
de la justice ? C'est en faisant un pacte avec toi-même, et en te disant
: "Je ne quitterai jamais la prière que quand j'aurai senti que
Dieu même prie avec moi".
"Si je suis fidèle à observer ce pacte, je ne serai plus
dans le cas d'attendre les lenteurs de ma prière pour que Dieu prie avec
moi, et Il priera avec moi dès le commencement de ma prière."
123
"Bientôt Il priera même avec moi lorsque je ne prierai pas.
"Mes élus ne travailleront point en vain, dit le Seigneur, (Isaïe,
65, 23. 24.) parce que c'est la race des bénis du Seigneur ; avant qu'ils
appellent, je les exaucerai ! je les entendrai avant qu'ils aient fini de parler".
"Oui, ma vie entière ne sera plus qu'une prière non interrompue,
puisque ce ne sera plus moi qui chercherai Dieu par ces élans morcelés
des faibles désirs de l'homme ; mais que ce sera Dieu qui me cherchera
par la continuité de son intarissable action".
"Ne faut-il pas que nous devenions un jour comme autant de torrents enflammés,
et lançant à tout moment des éclairs vifs et brillants,
de tous les points de toutes nos substances ? Pourquoi nous aurait-on dit que
notre Dieu est un feu dévorant, et que nous sommes destinée à
être son image et sa ressemblance ?"
C'est alors que tu pourras dire "Mon âme a rencontré l'ami
de sa vie, ils se sont embrassés, et ils ne se sépareront plus.
Ce n'est point dans les faubourgs et dans les places de la ville qu'elle a été
chercher cet ami ; elle n'a point eu besoin non plus de le demander aux gardiens
de Jérusalem".
"Cet ami est venu la trouver lui-même dans les transports de son
amour ; ils se sont embrassés, et ils ne se sépareront plus".
"Voici les trésors qu'il m'a apportés, et qu'il a versés
dans mon cur dans les transports de son amour".
"Car j'étais une âme accablée sous le poids de sa propre
misère, le désespoir était prêt à s'emparer
de moi. Mais quand j'ai vu s'approcher le consolateur, j'ai entendu sortir de
sa bouche ces douces paroles : "Pourquoi perdre la confiance ? Dieu ne
t'a-t-il pas dit de pardonner à ton frère septante fois sept fois
? Si Dieu t'a jugé capable d'avoir une pareille indulgence pour tes frères,
crois-tu qu'il ne soit pas capable d'en avoir autant pour toi ?"
"Demande-lui donc de te pardonner à son tour, non seulement septante
fois sept fois, mais par le nombre éternel de son infinité ; ne
prends point de relâche que tu ne sentes qu'il a scellé ton pardon,
et qu'il a lui-même observé la loi, le précepte, et le commandement
qu'il te donne".
Quand il t'aura ainsi justifiée, dis-lui : "Seigneur, la ville ne
sera plus renversée ; vous demandiez au moins dix justes pour pouvoir
suspendre les fléaux dont vous menaciez Sodome et Gomorrhe, et les dix
justes ne se sont pas trouvés".
"Vous demandiez seulement un juste, du temps de Jérémie,
pour sauver Jérusalem et ce juste ne se trouva point".
"Mais aujourd'hui la ville ne sera point renversée si vous demandez
ce juste, parce que ce juste est trouvé ; ce juste est entré dans
la ville, et ce juste, c'est vous-même qui êtes entré en
alliance avec moi".
"Ce juste sauvera la ville et tous ses habitants, parce que ce juste est
votre unité divine, et que votre unité divine s'étendra
par elle-même sur tous les habitants de Jérusalem".
"Vous disiez bien aussi à votre prophète Jérémie,
que quand même Moïse et Samuel paraîtraient devant vous, vous
ne pardonneriez pas à votre peuple (15 : 1) ."
"Mais ils n'étaient pas prêtres selon l'ordre de Melchisédec
; et n'étant que les ministres de la loi figurative ils ne pouvaient
ouvrir la porte sainte de la miséricorde éternelle".
"Maintenant cette porte vivante est ouverte, et cette porte vivante, c'est
vous-même ; vous ne pouvez donc plus vous défendre de sauver l'homme
qui vous cherche, vous êtes vous-même le prophète qui est
placé devant vous pour implorer la grâce de votre peuple, et vous
vous êtes contraint vous-même à délivrer mon âme
lorsqu'elle vous expose sa détresse et sa misère."
Mais l'homme de désir ne tardera pas à gémir encore ; "
Pourquoi pleures-tu, ô mon âme ? pourquoi pleures-tu ? Quel est
le nouvel objet de ta douleur ? "
"Si je gémis, c'est que l'homme est devenu le meurtrier de la parole
et de la vérité ; c'est que les régions vives ne trouvent
en lui que la mort, et sont obligées de se retirer ; c'est que ses propres
maux, ses propres négligences, ses propres douleurs, ou plutôt
ses propres illusions l'empêchent de sentir les douleurs de la parole".
"Hélas ! comment me lasserais-je de pleurer, puisque le tableau
des douleurs de la parole est toujours suspendu devant mes yeux, et que l'affliction
fait toute ma substance ?"
"Sortez de l'homme, fleuves infects, sortez de lui comme des fleuves qui
ne roulent que des eaux bourbeuses ; ma seule tâche doit être désormais
de l'empêcher d'approcher de la parole, de peur qu'il ne lui communique
son infection".
Je serai tout entier à cette tâche, je m'y emploierai avec une
ardeur qui ne connaîtra point d'interruption. C'est la seule chose qui
me soit recommandée comme étant nécessaire ; tout ce qui
ne tiendra point à cette sainte et indispensable occupation, je le ferai
comme ne le faisant pas".
"Et toi, prière, tu seras la compagne de mon travail, ou plutôt
tu en seras le maître, l'agent et le principe, et tu m'apprendras à
devenir comme toi le maître, l'agent et le principe de mon uvre,
parce que tu m'apprendras à devenir prière comme toi."
"Comment ne deviendrais-je pas prière, puisque la parole s'est invoquée
elle-même sur moi, et qu'après s'être invoquée sur
moi, elle a chassé de moi tous les ennemis de la vérité,
afin que tous les hommes de Dieu descendissent en moi et y célébrassent
ensemble la joie d'avoir trouvé une demeure de paix".
"Oh ! comme ils se réjouiront d'avoir trouvé cette demeure
de paix ! Ils y feront des festins de jubilation, ils y chanteront avec transport
les hymnes de la vie, et ils élèveront assez la voix pour que
leurs compagnons les entendent et s'empressent de venir prendre part à
leurs félicités".
En traitant de l'ordre politique, j'ai dit il y a plusieurs années, que
l'homme ne pouvait être qu'administrateur dans le poste qui lui était
confié, et qu'il ne pouvait pas être législateur. J'ai prétendu
que, rigoureusement parlant, un homme législateur était un être
de raison ; qu'il était sans exemple qu'un être fût envoyé
dans une région où il eût à établir les lois
qu'il aurait à y suivre ; je disais en outre que par une suite de ce
principe fondamental et incontestable, le pouvoir administratif avait englobé
le pouvoir législatif dans tous les gouvernements de la terre, ce qui
se vérifierait aisément par l'étude des faits, et surtout
par celle de l'histoire religieuse.
Je puis aujourd'hui étendre ce principe jusqu'à l'homme considéré
dans son poste divin, où loin d'avoir aucune loi à établir,
il ne doit avoir d'autre emploi que celui d'être sans interruption l'organe
et le ministre de son maître. C'est même en raison de cette qualité
d'organe toujours employé à l'action ou à l'uvre
de son maître que ceux des hommes qui en sont là ne doivent guère
avoir le loisir de disserter sur leurs droits, tant l'uvre presse et demande
une activité et une vigilance aussi continuelles qu'universelles.
C'est pour cela que nos connaissances spirituelles ne devraient être que
le prix journalier de notre action constante ; quelles magnifiques lumières
qui nous ont été communiquées par des hommes choisis, notamment
par Jacob Boehme, sembleraient même n'appartenir qu'à l'époque
qui succédera à l'existence de ce monde, et auraient l'air de
ne devoir être que le prix de l'action universelle qui est censée
nous appeler, en qualité d'administrateurs, à renouveler la face
du monde, et à faire descendre les nouveaux cieux et la nouvelle terre
où nous aurons à contempler l'universalité des merveilles
naturelles, spirituelles et divines de la parole.
Ne crois donc point, homme de désir, que tu aies jamais d'autres lois
à promulguer que celle de ton maître.
Ne crois pas non plus que quand dans tes exercices spirituels il te vient des
joies divines, ce soit pour toi qu'elles te soient envoyées. Non, elles
ne peuvent avoir pour objet que l'uvre de ton maître, qui, par leur
moyen, veut soutenir tes forces et alimenter ton courage. Lors même que
la parole descendrait en toi, n'oublie point cet important avertissement que
tu viens de lire, et dis alors à cette parole :
Est-ce pour moi que vous viendriez me visiter, moi qui n'ai rien fait pour que
vous vous approchiez de moi, et qui, au contraire, ai tout fait pour que vous
vous en éloigniez ? Je ne me livrerai donc point à ma joie, que
je n'aie senti que c'est pour vous, et non pour moi, que vous venez en moi ;
Je ne me livrerai point à ma joie, que je n'aie senti ce désir
universel qui vous anime et qui vous crée éternellement.
Je ne me livrerai point à ma joie, que je n'aie senti l'objet particulier
pour lequel vous venez en moi, et l'espèce de tâche que vous venez
me prescrire dans l'ordre de l'amélioration des choses.
Non seulement ma joie serait vaine sans cela ; mais ma marche serait incertaine
comme celle de simples néophytes, et pourrait même à tout
moment me laisser retomber dans la région ténébreuse des
hommes du torrent".
Ainsi donc, homme de désir, lorsque la parole divine descendra en toi,
ne songe qu'à la laisser pénétrer dans ton être,
afin que dans toutes les régions qui te composent, elle fasse fructifier
les germes féconds dont elles sont dépositaires, en y portant
les développements de sa propre génération éternelle.
Songe qu'elle est si puissante, que par le seul souvenir des faveurs que tu
en auras reçues, tu seras capable de faire fuir l'ennemi, comme la seule
ombre des apôtres guérissait les maladies ; car cette parole divine
ne saurait se montrer nulle part, qu'elle n'y laisse des traces indélébiles
: il ne nous manque que de les observer avec plus de soins et de les suivre
avec plus de confiance. Songe qu'elle ne demande rien autre chose à tous
les hommes que d'employer tous leurs efforts à se maintenir en état
de prier efficacement pour l'amélioration universelle, c'est-à-dire
d'être en état d'exercer
C'est là ce que cette parole entend quand elle recommande à l'homme
de se tenir prêt : il faut qu'il soit sans cesse disposé à
répondre à son impulsion quand elle jugera à propos de
l'appeler à l'uvre restauratrice ; car cette parole est la mesure
par excellence ; et elle ne tend qu'à rétablir les hommes dans
leurs propres mesures originelles, pour qu'ensuite ils puissent faire revivre
les mesures divines dans toutes les régions qui les ont perdues ; c'est
là la vraie extension du règne de Dieu ; c'est d'abord pour lui,
et ensuite pour nous qu'il cherche à étendre son règne.
Pour peu que l'on ait le bonheur de connaître, par expérience,
les puissants pouvoirs de cette parole, l'exclusive universalité de son
empire, la vivacité de son action et la suavité de sa sève,
on est profondément affligé de voir les hommes, non seulement
comme privés de son ineffable assistance dans leur marche habituelle,
mais encore ne soupçonnant pas son immortelle et éternelle existence,
et ne mettant en sa place que la nature morte, c'est-à-dire, le néant.
A ce mouvement de douleur succède un mouvement de surprise ; car après
avoir reconnu cette parole comme l'unique soutien de tout ce qui est ordre,
de tout ce qui est vivant, et de tout ce qui est acte harmonique et régulateur,
on ne revient pas de son étonnement de ce que les hommes se passant journellement
de son indispensable appui, ou même se déclarant ses adversaires,
ils ne soient pas encore pires qu'ils ne sont, et qu'il leur reste encore, ne
fût-ce que dans leur pensée, quelques traces figuratives, ou quelques
idées de justice et de perfection.
Comment s'avanceraient-ils dans la ligne de la réalité et de la
vie, avec cet énorme amas de paroles nulles, vides, terrestres, matérielles,
fausses et cupides, qui remplissent chaque jour l'immensité du globe
? Depuis l'altération ils sont tombés tous sous le régime
de la parole morte qui les gouverne despotiquement, et ne leur permet pas un
instant de se soustraire à son empire.
Contemplez l'homme de toutes les classes, rassemblez toutes les paroles qui
sortent de leur bouche dès l'instant où ils s'éveillent
jusqu'au moment où ils se replongent dans le sommeil ; en trouverez-vous
une qui ait rapport à leur avancement dans la véritable justice,
et vers leur primitive destination ?
Ne faites point mention ici de l'homme de peine qui, en cultivant la terre en
silence et au prix de ses sueurs, et accomplissant par là le décret
porté sur la famille humaine, semble au moins, par sa résignation
et par cette espèce de parole muette, opérer dans l'ordre inférieur
ce que nos paroles virtuelles devraient opérer dans l'ordre de l'esprit.
Sans vous arrêter même à ces paroles que nous arrachent nécessairement
les soins de la vie, nos misères terrestres et nos souffrances temporelles,
considérez ce torrent de paroles, soit infécondes, soit pestilentielles,
que nous immolons journellement à l'oisiveté, au néant,
à nos occupations frivoles, à nos passions, à la défense
de nos faux système, à nos prétentions, à nos fantaisies,
à nos injustices, à nos crimes, et à nos abominations.
Depuis que la parole vive s'est retirée de l'homme, il n'est environné
que d'une atmosphère de mort. II n'est plus assez actif pour unir sa
parole au foyer vivant. Plutôt que de supporter courageusement cette douloureuse
privation, et d'attendre en paix que l'aurore de la parole vraie se lève
pour lui, il y supplée par cette intempérance de paroles si peu
fructueuses, à laquelle il est entraîné par tous les délires
de sa pensée. Il aime mieux s'infecter ainsi lui-même, et infecter
en même temps ses semblables, que de laisser humblement et avec docilité
agir sur lui la main de la parole restauratrice, qui ne cherche qu'à
le vivifier comme elle vivifie sans cesse tous les êtres auxquels elle
a donné l'existence.
Il oublie que cette substance des paroles de l'homme en se répandant
dans les airs, ne s'y détruit point et ne s'y évapore pas pour
cela, qu'elle s'y amasse et corrompt l'atmosphère de l'esprit, comme
nos exhalaisons putrides corrompent l'atmosphère de nos habitations ;
que toutes les paroles que la langue de l'homme aura prononcées, se représenteront
un jour à ses yeux, et que l'air, dont notre bouche se sert pour former
ces paroles, les rendra telles qu'ils les aura reçues, comme chaque élément
rendra ce qui aura été semé en lui selon sa classe ; que
même nos paroles muettes et prononcées tacitement dans le secret
de notre être, reparaîtront également et retentiront autour
de nous, car le silence a aussi ses échos ; et l'homme ne peut produire
une pensée, une parole, un acte, que cela ne s'imprime sur l'éternel
miroir où tout se grave et où rien ne s'efface.
C'est du sentiment profond de ces principes qu'est dérivée primitivement
la sainte terreur que porte avec soi l'idée d'un serment, parce que lorsque
nous pénétrons jusqu'aux bases de notre être, nous trouvons
que nous pouvons nous lier par notre parole à l'ineffable source de la
vérité, mais que nous pouvons aussi, par le criminel emploi de
cette parole, nous lier au terrible abîme du mensonge et des ténèbres.
Aussi plusieurs peuples sauvages qui n'ont pas nos sciences, mais qui sont moins
égarés que nous, ne connaissent rien de plus important que leurs
serments, puisqu'ils se dévouent à la perte même de tout
ce qui constitue notre essence, s'ils en imposent, ou s'ils viennent à
se parjurer, tandis que parmi les peuples civilisés l'usage des serments
n'est plus qu'une simple formalité, dont les suites morales paraissent
sans conséquence.
Mais sans remonter jusqu'à ces faux serments et jusqu'aux parjures, ne
suffirait-il pas, pour nous rendre sages, de voir les maux journaliers qui doivent
résulter de l'abusive administration de notre parole ?
Homme ! si tu n'es pas assez soigneux de ta santé de ton propre esprit
pour daigner surveiller tes paroles par rapport à toi-même ; surveille-les
au moins par rapport à l'esprit de ton semblable ; ne te contente point
de ne pas l'abuser comme tu le fais tous les jours par des paroles stériles,
dont il ne puisse retirer d'utilité, et qui l'entraînent avec elles
dans le cercle de toutes les fluctuations, et de tous les prestiges ; mais fais
en sorte que tes paroles soient pour lui à la fois un flambeau qui le
guide, et une source qui le fixe et le rassure contre les tempêtes.
Quelles sont donc les lois essentielles de l'administration de la parole envers
ton semblable ?
C'est de considérer assez l'intelligence humaine pour sentir qu'elle
ne doit frayer qu'avec l'intelligence, et qu'on ne doit lui rien présenter
qui ne soit digne d'elle, et qui ne puisse accroître ses richesses.
C'est de te persuader que cette intelligence de l'homme doit être traitée
comme les grands personnages de l'Orient, qu'on n'aborde jamais sans avoir des
présents à leur offrir.
C'est de faire que tu ajoutes toujours aux lumières et aux vertus de
ceux qui conversent avec toi, et que ta parole présente toujours des
profits à ceux qui les entendent.
C'est de ne les entretenir que d'objets solides et que de vérités
profondes, au lieu de ne les nourrir que de récits et de narrations frivoles,
puisque ces récits et ces narrations frivoles sont composées de
temps où il n'y a que du passé et du futur, au lieu que les grandes
vérités sont toujours présentes comme les axiomes ; aussi
ne sont-elles pas du temps, mais de la région permanente et éternelle.
C'est de distribuer ta parole avec sobriété, parce que ce ne sont
que les mauvaises causes qui demandent tant de paroles pour les défendre.
C'est de ne point oublier que la parole est la lumière, l'infini qui
ne doit jamais aller qu'en croissant.
C'est d'examiner toujours avant de parler, si ce que tu vas dire remplira ces
importants objets.
Si tu te tiens seulement au niveau des interlocuteurs, l'uvre n'avance
point. Si tu te tiens au-dessous, l'uvre recule. Or, en observant toutes
ces lois à l'égard des interlocuteurs avec qui tu t'entretiens,
c'est principalement pour le bien de l'uvre que tu dois te conduire ainsi,
puisqu'il n'y a pas un souffle de ta vie qui ne dût être employé
à l'avancement de l'uvre.
Je sais que ce n'est point dans les cercles oiseux que toutes ces lois de la
parole peuvent être observées, parce que ce n'est pas là
que la parole peut exercer convenablement son ministère ; aussi ce n'est
point à eux que je m'adresse. Au reste, c'est à toi à te
conduire de manière à ce que la parole te donne un ministère
à remplir en quelque lieu que tu te trouves ; car si tu veux le remplir
par toi-même, tu ne fais que joindre une extravagance à une prostitution.
Toute parole ne peut être que le fruit d'une pensée, et toute pensée
ne peut être que le fruit d'une alliance ; mais les alliances que nous
pouvons faire étant si différentes les unes des autres, il n'est
pas étonnant que notre parole soit susceptible aussi de prendre tant
de diverses couleurs.
En effet, ce n'est que par notre alliance ou si l'on veut par notre contact
avec Dieu, que nous avons des pensées divines. Nous en avons de spirituelles
par notre contact avec l'esprit : de sidériques ou astrales par notre
contact avec l'esprit astral que l'on nomme l'esprit du grand monde : de matérielles
et de terrestres par notre contact avec les ténèbres de la terre
: de criminelles par notre contact avec l'esprit de mensonges et d'iniquité.
Nous avons le pouvoir et la liberté de contracter celle de toutes ces
alliances que nous voulons ; c'est à nous de choisir.
Mais ce qui devrait nous tenir dans une surveillance active et continuelle,
c'est que par la nature de notre être dont le feu ne peut s'éteindre,
nous sommes à tout instant pressés de contracter l'une ou l'autre
de ces alliances. Bien plus, nous ne sommes jamais sans en contracter quelqu'une,
soit d'un genre, soit de l'autre. Enfin, nous ne sommes jamais sans engendrer
des fruits quelconques, puisque nous sommes sans cesse en contact avec les uns
ou les autres de ces foyers divins, spirituels, sidériques, terrestres,
infernaux qui nous environnent. Or, c'est à bien examiner les paroles
qui correspondent à ces fruits et à ces pensées, ou à
ces alliances, que consiste généralement la tâche de l'homme,
et particulièrement celle de l'homme de vérité qui aspire
à devenir ministre de Dieu, et ouvrier du Seigneur ; et voici ce qui
se passerait dans cet homme s'il était rétabli dans ses mesures
divines, par l'effet de sa régénération.
Pas un désir qui ne fût une obéissance.
Pas une idée qui ne fût une communication sacrée.
Pas une parole qui ne fût un décret souverain.
Pas un acte qui ne fût un développement et une extension du règne
vivificateur de la parole.
Au lieu de cela : nos désirs sont faux, parce qu'ils ne viennent que
de nous.
Nos pensées sont vagues ou corrompues, parce que nous faisons sans cesse
des alliances adultères.
Notre parole est sans vertu, parce que nous la laissons s'émousser journellement
par les substances aigres et hétérogènes sur lesquelles
nous ne cessons de l'appliquer et de l'aiguiser.
Nos actes sont insignifiants et stériles, parce qu'ils ne peuvent être
que les résultats de notre parole.
Dans cette triste énumération, il n'y a rien pour l'uvre.
Il n'y a rien pour la gloire et la consolation de la parole, puisqu'il n'y a
rien pour le véritable pouvoir de chasser l'ennemi, quoique formant,
en vertu de notre parole, un de nos droits primitifs, demeure non seulement
suspendu, mais même comme supposé et imaginaire, à force
de tomber en désuétude ; et ici indépendamment de l'oisiveté
qui rapproche continuellement les gens du monde les uns des autres, on pourrait
entrevoir la raison pour laquelle ils aiment tant à veiller et à
faire de la nuit le jour. Car ils sont bien loin de croire que ce penchant qui
les entraîne tienne à une racine profonde.
Si l'homme était dans sa vraie loi militante, il veillerait bien plus
encore la nuit que le jour pour chasser l'ennemi, comme cela a été
primitivement l'objet des prières nocturnes des affiliations religieuses,
et comme cela se pratique matériellement dans les camps de nos guerriers.
Car c'est pendant la nuit que dans les deux ordres les ennemis peuvent opérer
leurs plus grands ravages, comme en effet c'est pendant le sommeil de l'homme
primitif qu'il devint la proie de son adversaire, et que le contrat divin fut
oublié.
Si, sans s'élever à cette loi militante spirituelle, l'homme était
dans sa pure loi naturelle, il dormirait paisiblement pendant la nuit et il
puiserait là dans le repos le renouvellement des forces qui lui sont
nécessaires pour son travail : tel est le cas de l'homme de peine et
du villageois, qui, communément, sont peu en prise de la part de l'ennemi
pendant leur sommeil.
Mais l'homme du monde qui ne se remplit que de néant et de corruptions,
et qui ne travaille point, n'a pas des nuits aussi tranquilles que l'homme de
peine ; et comme il est poursuivi par ces substances fausses dont il se laisse
continuellement imprégner, et sur lesquelles l'ennemi a des droits qu'il
réclame encore plus dans les heures nocturnes que pendant les jours,
voilà pourquoi les gens du monde qui sont une parole et qui se fuient
eux-mêmes personnellement, se recherchent cependant les uns et les autres
avec tant d'ardeur pendant la veille de la nuit, parce que par-là ils
tempèrent, sans le savoir, les poursuites de leur ennemi.
C'est aussi une chose connue que quelques hommes très braves qui affrontent
la mort et les dangers continuellement, n'entreraient pas seuls la nuit dans
une église, ou dans un cimetière. Sans doute cela n'arrive qu'à
ceux de ces braves qui n'ont pas développé en eux tous les principes
de leur raison ; mais le seul développement de leur raison ne suffirait
pas pour triompher dans ces circonstances, s'il y avait une base vraie à
cette impression de timidité qu'inspirent les ténèbres
; et ce que les savants appellent à cet égard le développement
de leur raison, consiste, non pas à vaincre l'obstacle, mais à
se persuader qu'il n'y en a pas.
Si l'on veut parler un langage vrai, on dira que cette peur tient à des
bases certaines, et que ce qui peut véritablement nous mettre au-dessus,
c'est de nous porter vers la région lumineuse de la parole, ou de l'esprit
développé et nourri des clartés qui lui sont propres.
Là nous apprendrons que la nature a été donnée à
l'homme pour lui servir de type ou de figure de la vérité suprême
qu'il ne voit plus ; que quand il est privé de ce type par les ténèbres,
et qu'il n'a pas recouvré sa parole, cette séparation où
il est de la vérité devient double ; que l'homme n'ayant plus
auprès de lui ni le modèle ni la copie, est dans la privation
la plus entière, et que le néant le poursuit avec toute l'horreur
qui l'accompagne. Mais cette solution quoique juste, n'est cependant pas la
plus profonde. En voici une qui l'est davantage et qui n'est pas moins vraie.
La nature a pour objet de servir de prison à l'ennemi, encore plus que
d'en servir à l'homme même ; car elle a été donnée
à l'homme pour lui servir aussi de préservatif. Lorsque ce préservatif
n'est plus devant ses yeux, l'idée de cet ennemi se réveille secrètement
en lui, et peut-être, en effet, l'ennemi s'approche-t-il plus facilement
quand l'obstacle a moins d'activité, et quand les yeux de l'homme ne
peuvent pas pomper dans le préservatif tous les secours qu'il y peut
puiser par la vue. Aussi dans ce cas-là la présence de la moindre
personne le rassure, parce que leurs forces réunies peuvent éloigner
l'ennemi ; c'est donc cette terreur secrète de son ennemi qui poursuit
l'homme dans les ténèbres ; et cette terreur ne se peut dissiper
complètement que par le sentiment de sa force spirituelle qu'il peut
retrouver dans sa vraie renaissance ou dans son alliance avec la parole.
Quand on reconnaît que l'absence de la nature agit si fortement sur nous,
et que la vue de sa présence opère tant sur notre sécurité,
je ne sais pas comment on ne devine pas qu'elle a été donnée
à l'homme, autant pour son préservatif et pour sa dureté,
que pour le séparer de la grande lumière.
On a observé aussi que la peur produisait des vers dans certaines personnes.
Cette opinion avancée par le médecin Andry dans son Traité
de la génération des vers dans le corps de l'homme, s'accorde
parfaitement avec les principes. Ceux qui auront eu l'occasion de considérer
et de connaître les formes fondamentales de la nature, n'ignorent pas
que le ver ne fait qu'en représenter la racine, en nous peignant l'avilissement
que cette nature a éprouvé, et les efforts qu'elle fait, mais
en vain, pour se délivrer de son angoisse en circulant continuellement.
La main restauratrice qui a étendu un réfrigérant sur cette
racine désordonnée, fait que pendant la durée de notre
existence animale, cette racine nous demeure cachée. Elle est comme absorbée
par le réfrigérant, tant qu'il conserve son pouvoir harmonique
et bienfaisant. Mais quand il vient à se déranger et à
perdre son empire par quelque cause que ce soit, le ver de la racine doit naturellement
reprendre le sien et se montrer. Or, parmi toutes nos passions et nos faiblesses,
la peur qui est une de celles qui nous privent le plus de la parole, est aussi
une de celles qui sont le plus propres à déranger le réfrigérant,
et par conséquent à rendre à notre ver radical et à
tous ses produits une prééminence qu'il n'aurait pas sans cela,
et si nous jouissions de notre parole.
Quant au pouvoir de guérir, qui ne serait cependant qu'au nombre de nos
droits secondaires, quand même nous serions régénérés,
disons qu'il devient un des pièges tendus par l'ennemi, quand pour administrer
ce pouvoir, nous employons des moyens extraordinaires, et surtout, quand nous
les employons par notre simple volonté humaine. Quand l'homme se livre
à cette uvre, par ordre et par la puissance divine, il est parfaitement
dans la mesure, soit pour lui, soit pour le malade, parce qu'alors il n'y a
que la volonté suprême qui les gouverne l'un et l'autre. On peut
dire aussi que ce n'est qu'alors qu'il peut être sûr de son succès.
Quand il marche par les voies magnétiques et somnambulistes, il peut
nuire à son malade, même en le guérissant, parce qu'il ne
sait pas si sa maladie n'avait pas un but moral qui devient nul par une guérison
anticipée et en cela, le guérisseur s'expose beaucoup, parce qu'il
s'ingère avec ignorance dans un ministère supérieur ; en
outre, il a toujours lieu d'être incertain sur le résultat.
Quand il ne marche que par la médecine commune, il ne pèche point,
quoiqu'elle soit ignorante ; parce que comme il n'emploie là que des
substances inférieures, il n'agit aussi que sur la matière de
l'homme ; et si la maladie a un but moral et une cause morale, le remède
sera rendu nul par ce moral même qui lui est supérieur. Aussi le
médecin ordinaire qui n'emploie sa science qu'avec prudence et modestie,
et en en remettant toujours l'issue au grand ordonnateur, est-il plus en mesure
et plus en sûreté que le magnétiseur qui emploierait ses
moyens supérieurs avec trop de confiance, avec légèreté
et avec orgueil.
C'est dans ces diverses observations que nous apprenons à concevoir combien
l'homme est loin du but quand il abuse, comme il le fait tous les jours, d'un
droit bien supérieur au pouvoir de guérir les maladies corporelles,
je veux dire de ce baume universel, qui pour guérir nos maux spirituels,
devrait continuellement découler de la bouche des gens de lettres et
de la plume des écrivains et qui, distribué par eux ne porte guère
de meilleurs fruits que ne fait la parole dans les futiles conversations des
hommes.
Aussi c'est à vous, poètes et littérateurs, que je vais
m'adresser ; vous êtes regardés comme les fanaux de l'esprit de
l'homme ; vous êtes censés suppléer par vos dons à
ce qui manque au commun des autres mortels. Avec quelle précaution ne
devriez-vous donc pas vous conduire à leur égard, si vous étiez
persuadée que l'homme eût à remplir sur la terre le sublime
ministère de la vérité ?
Le seul objet des gens de lettres, le seul charme qui les entraîne, c'est
le style. Quand ils peuvent faire dire de leurs ouvrages, cela est bien écrit,
ils semblent avoir atteint le but suprême. Ce principe a tellement gagné
parmi eux, qu'un de leurs coryphées n'a pas craint de dire que tout était
dans le style. Oui, pour ceux qui n'ont développé en eux que leur
sens externe, et qui se trouvent pleins dès que ce sens externe est satisfait
; aussi cette idée tient-elle au système des fibres qui est celui
de notre siècle.
Or, la fibre peut bien influer sur le caractère du style, mais non pas
toujours sur le caractère de la pensée qui ne tient point à
nos fibres, quoiqu'elle passe par nos sens pour nous parvenir. Aussi on peut
bien, au style d'un écrivain, deviner sa fibre ; mais à son style
on ne devinera pas toujours sa pensée, surtout si comme les sages et
comme les poètes qui devraient l'être, il porte habituellement
son esprit au-delà de la région des fibres, et si le lecteur au
contraire ne demeure que dans cette région des fibres.
Il est donc bien vrai que quant à ces bruyants admirateurs du style,
ce ne sont en général que leurs sens externes qui sont frappés
et qui soient susceptibles de l'être d'après la direction qu'ils
ont donnée à leurs facultés. Leur homme interne n'est que
pour peu de chose dans leurs plaisirs, souvent pour rien. Leur imaginative y
est pour tout, et encore n'est-ce pas, toujours dans sa partie rationnelle et
judiciaire, mais bien plutôt dans sa partie sensible qui, chez eux, approche
plus du sensitif et du conventionnel, que de la vivante réalité.
De beaux vers, de belles périodes suffisent pour les transporter, n'importe
que ce soit le mensonge ou la vérité qui en soit le résultat.
Pour moi qui rends un hommage sincère à la véritable littérature,
moi qui voudrais la voir appliquée à son légitime emploi,
moi qui pense qu'elle est vaste comme l'infini, et qu'elle est faite pour jouir
comme lui des privilèges les plus immenses, je m'afflige quand je vois
ses partisans la réduire à des triomphes si inférieurs,
et la borner à peser des mots, tandis qu'elle ne devrait s'occuper qu'à
rallier les grandes pensées qui sont disséminées et comme
égarées dans notre désert depuis notre lamentable dispersion.
Aussi quand je vois les littérateurs et surtout les postes se renfermer
dans les bornes de toutes les lois conventionnelles de la versification et de
l'art d'écrire et se glorifier ensuite de ces traits heureux mais passagers
qu'ils offrent de temps en temps à nos yeux, il me semble voir un homme
robuste et vigoureux qui enchaînerait ses membres dans mille entraves,
et qui croirait devoir s'honorer de tous ces liens, lorsque, malgré leur
poids, il lui arriverait encore de remuer de temps en temps le bout du doigt.
Les privilèges de la véritable littérature sont d'être
gouvernés par les lois de l'esprit même, et par les droits féconds
de la parole. Cette espèce de littérature est au-dessus de toutes
les entraves, et elle a le pouvoir d'aller étudier ce qu'elle doit dire
et la manière dont elle doit s'exprimer, jusque dans le sanctuaire de
la vérité.
Mais qu'arrive-t-il à ces ardents partisans des formes et du style ?
Lorsqu'il se présente à eux quelque ouvrage qui, pour les formes
et la diction s'écarte de leurs conventions accoutumées, ils ne
l'expliquent que par des raisons locales et de climats ; ou bien ils le condamnent
par des jugements sans appel.
En errant comme nous le faisons sur cette terre, nous marchons souvent sur des
pierres précieuses cachées à peu de profondeur dans son
sein, et nous ne les apercevons pas ; il en est de même des littérateurs
et des gens du monde qui leur ressemblent ; en lisant les écrits des
amis de la vérité, ils n'y voient que du sable et de la poussière,
et n'aperçoivent pas les germes féconds enfermée sous l'enveloppe.
Oh ! combien l'uvre de Dieu est cachée, à compter depuis
le voile de la nature jusqu'aux dernières ramifications des choses sociales,
et jusqu'aux innombrables ignorances et obscurités des hommes !
C'est pour cela que les expressions hardies, les figures imposantes et extraordinaires
qui remplissent les livres saints et les livres des amis de la vérité,
n'ont paru susceptibles d'être excusées aux yeux vulgaires qu'en
les attribuant au style oriental. Mais ces expressions pourquoi sont-elles si
étrangères aux hommes du torrent ? C'est qu'ils ont perdu l'usage
des grandes affections qui les auraient enfantées chez eux ; c'est qu'ils
ne sont ensevelis dans des régions inférieures où les contrastes
sont médiocres ; les nuances presqu'uniformes ; et comme nulles, les
impressions qui en résultent.
Suspendez vos jugements, écrivains qui devriez nous ramener au ministère
de la vérité ; contemplez le grand travail de l'esprit et de la
parole ; voyez les mondes s'agiter et se choquer continuellement les uns contre
les autres avec un fracas épouvantable. Voyez les ruisseaux de lait et
de miel descendre de l'éternelle Jérusalem, pour consoler et conforter
les fidèles serviteurs de la vérité.
Voyez l'ennemi de cette vérité chercher sans cesse à convertir
en acides corrosifs et en poisons ces ruisseaux salutaires, afin que les serviteurs
cessent d'être consolés, et qu'ils finissent par être infidèles.
Voyez l'âme de l'homme repousser elle-même ces présents qui
lui sont envoyés, et se détourner des festins de jubilation pour
aller se repaître de serpents. Voyez la terrible justice étouffant
partout avec violence tous les agents du désordre qui se montrent comme
en sortant de dessous la terre.
Voyez, dis-je, l'univers de vérité déployant perpétuellement
les merveilles de sa puissance, pour attester son existence au monde, et lui
faire avouer qu'il y a un Dieu. Voyez, au contraire l'univers du mensonge déployer
à son tour son imposture et ses illusions pour attester que Dieu n'est
point.
Si vous restez froids et insensibles à un pareil spectacle ; si votre
langue, si votre pensée n'éprouvent pas mille contractions plus
déchirantes les unes que les autres, et ne prennent pas un style qui
y réponde ; alors vous aurez raison de regarder le style des écritures
comme un style attaché au climat.
Mais si vous vous élevez assez pour parvenir à être admis
par l'esprit à la connaissance de ces actes vifs dont il compose tous
ses tableaux ; si vous assistez en esprit, comme les prophètes, à
ces scènes terribles qui faisaient hérisser leurs cheveux sur
leur tête ou à ces scènes délicieuses qui développaient
à leurs yeux toutes les merveilles divines, vous ne serez plus étonnés
que des hommes de Dieu aient rendu tous ces tableaux avec des couleurs si vives
et si tranchantes, puisque ce sont des couleurs que vous ne pourrez vous empêcher
d'employer vous-mêmes, et vous vous trouverez encore heureux de pouvoir
rencontrer ces couleurs sous votre main, tant vous sentirez la hauteur des objets
que vous aurez à peindre.
L'art décrire, s'il n'est pas un don supérieur, est un piège
et peut-être le plus dangereux que notre ennemi puisse nous tendre. Il
cherche par là à nous remplir d'orgueil en nous exposant à
nous contempler dans nos ouvrages, ou bien à nous retarder dans notre
marche en nous faisant attendre longtemps ce que nous désirons d'écrire,
et la manière dont nous devons l'écrire. Car dès que nous
n'écrivons qu'étant menés par des puissances inférieures,
il est trop près d'elles pour qu'il ne se ressente pas de son influence.
Ce sont nos propres affections qui servent de substances à l'esprit,
quel que soit celui qui nous dirige. L'esprit pur, quand il veut nous instruire,
prend lui-même la couleur de ces affections pour nous communiquer sa pensée.
Saint Pierre avait faim lorsque l'esprit lui annonça figurativement qu'il
ne devait pas se refuser à commercer avec les Gentils. Aussi l'ange prit
pour emblème une nappe remplie de toutes sortes d'animaux terrestres
à quatre pieds, de bêtes sauvages, de reptiles et d'oiseaux du
ciel.
Avec quel soin les écrivains ne devraient-ils donc pas veiller sur leurs
affections ? Car l'esprit de mensonge peut se servir d'elles comme l'esprit
de vérité, et il ne néglige rien pour nous amener aux pieds
de ses autels. Mais si nous avons l'attention de maintenir l'ordre et la pureté
dans nos affections, elles pourront chacune tendre et parvenir à leur
accomplissement, sans que l'une puisse nuire à l'autre, et au contraire,
elles se soutiendront et se surveilleront mutuellement.
Le réparateur eut faim aussi dans le désert ; le prince du mensonge
profita de cette affection pour le tenter ; mais cette loi de matière
à laquelle le réparateur était soumis, n'offusqua point
en lui la lumière de l'esprit, et la loi de son intelligence triompha
des embûches que l'ennemi lui tendait dans une loi pure de sa matière.
Poètes, littérateurs, reconnaissez donc tout ce que l'esprit peut
introduire dans vos plus brillantes productions. Toutes ces images, toutes ces
figures que vous employez se combinent et s'engendrent presque généralement
des habitudes, des localités, des murs et des affections des peuples
que vous habitez.
Elles s'engendrent aussi, et plus souvent encore de vos propres habitudes, de
vos propres localités, de vos propres murs et de vos propres affections,
car chaque homme est un peuple, une nation, un monde.
Voilà pourquoi vous vous trouvez autant de facilité à peindre
le mensonge que la vérité.
Si du style nous passons au fond des choses, nous verrons que les écrivains,
les critiques, les moralistes même semblent n'être occupés
qu'à nous peindre les vices et les défauts de l'humanité
; on dirait que leur seule tâche serait de nous remplir de haine pour
notre espèce, ou au moins de ne nous donner pour elle que du mépris
et du dédain, en ne nous en montrant que les côtés blâmables
et repoussants. Ils ne réfléchissent pas combien par là
ils nuisent à eux-mêmes et à nous.
Premièrement, leur orgueil est la seule chose qui gagne en eux à
ce travail, parce qu'il n'est guère possible de connaître si bien
les défauts des autres, sans se glorifier secrètement, et prouver
en quelque sorte, par de pareilles remarques, que l'on est exempt de ces défauts
là.
Secondement, ils ignorent combien ils feraient plus pour leur gloire et pour
notre bonheur, s'ils nous peignaient plutôt les belles couleurs de l'espèce
humaine, qui peuvent toujours se reconnaître au milieu même de la
fange où elle s'ensevelit. Notre faculté aimante et notre indulgence
y gagneraient, et ce rayon d'amour qu'ils auraient allumé chez nous,
suffirait peut-être pour consumer une grande partie des herbes venimeuses
et malfaisantes qu'ils s'occupent si fort à faire remarquer dans le domaine
de l'homme.
Illustres écrivains, célèbres littérateurs, vous
ne concevez pas jusqu'où s'étendraient les droits que voue auriez
sur nous, si vous vous occupiez davantage de les diriger vers notre véritable
utilité. Nous nous présenterions nous-mêmes à votre
joug : nous ne demanderions pas mieux que de vous voir exercer et étendre
votre doux empire. La découverte d'un seul des trésors renfermés
dans l'âme humaine, mais embelli par vos riches couleurs, vous donnerait
des titres assurés à nos suffrages, et des garants irrécusables
de vos triomphes.
Vous dites que vous ne cherchez qu'à vous faire entendre : eh bien !
pourriez-vous mieux y parvenir qu'en tâchant d'introduire nos esprits
dans les régions de l'intelligence universelle ? Alors c'est d'elle,
par elle et pour elle que vous parleriez ; et comme elle est la langue naturelle
et éternelle de tout ce qui respire et de tout ce qui pense, vous exerceriez
par-là le véritable ministère de la parole, et vous rempliriez
l'attente et le besoin de tous les êtres. Or ce besoin est si radical
et si impérieux, que si vous parveniez à le satisfaire en vous
faisant entendre dans ce sens-là, c'est-à-dire, en nous parlant
le langage de l'universelle intelligence, il n'est pas un être qui ne
vous bénît.
Mais les professeurs en littérature, et généralement ceux
qui ne nous nourrissent que des travaux de l'imagination, se tiennent toujours
sur les confins de la vérité ; ils circulent sans cesse autour
de son domaine ; mais ils semblent se garder d'y entrer et d'y faire entrer
leur auditoire ou leurs lecteurs, de peur que ce ne fût sa gloire seule
qui brillât.
Enfin, pour appuyer nos affligeantes observations, disons-le : il n'y a presque
pas un des ouvrages célèbres parmi les écrits produits
par l'imagination des hommes, qui ne soit fondé sur une base fragile
et caduque, sans compter ceux qui le sont sur un blasphème ou au moins
sur une impiété enfantée par une orgueilleuse hypocrisie.
Car les écrivains qui parlent d'une providence, d'une moralité,
même d'une religion, ne sont pas exempts de ce reproche, s'ils ne sont
pas en état de rendre raison de ces grands objets de leurs spéculations,
s'ils ne les emploient que pour servir de décoration à leurs ouvrages
et d'aliment à leur orgueil, et si leur morale ne pose pas spécialement
sur le renouvellement radical et complet de notre être, la seule ressource
que nous ayons pour remplir le véritable objet de notre existence.
Mais comment un auteur enseignera-t-il cette doctrine, s'il n'en a pas lui-même
l'intelligence ? Malheureusement ce que l'esprit frivole ou égaré
(et quel est l'esprit qui ne l'est pas ? ) demande aux écrivains, c'est
qu'ils lui fassent goûter les plaisirs de la vertu, en le dispensant de
ce renouvellement continuel et pénible auquel nous pouvons si difficilement
nous déterminer ; c'est qu'ils lui montrent tous les malheurs du crime
comme secrètement enchaînés avec la force du destin, lui
permettant dès lors de trouver le repos dans ses fautes, et lui donnant
lieu de se passer de son code primitif et originel, qui lui eût appris
à franchir son destin même.
Le charme que nous causent surtout la plupart de nos romanciers, ne nous vient
que de là. Ils nous épargnent la fatigue de travailler à
nous rendre vertueux, tout en nous réchauffant par quelques images de
la vertu ; ils nous dispensent de nous unir au principe, et même ils nous
permettent de le mettre de côté à force de nous identifier
avec ce qui n'est pas lui. Ainsi c'est en caressant notre lâcheté
et en nous aplanissant les sentiers de l'ordre matériel et ténébreux,
qu'ils s'assurent de leurs succès et de nos suffrages.
C'est ce qui fait que les siècles des grands écrivains ne sont
pas toujours les plus propres à l'avancement de la sagesse. Un auteur
s'attache à donner à une pensée un agrément par
un tour nouveau. Le lecteur s'en pénètre avec grand plaisir. Mais
tous deux satisfaits, l'un d'avoir mis au jour une belle maxime, l'autre de
l'avoir sentie, se dispensent communément de la pratiquer.
Quand est-ce que la marche de l'esprit humain se dirigera vers un but plus sage
et plus salutaire ! Faut-il que la littérature entre les mains des hommes,
au lieu d'être le sentier du vrai et de la vertu, ne soit presque jamais
que l'art de voiler, sous des traits gracieux et piquants, le mensonge, le vice,
et l'erreur ! Serait-ce dans une pareille carrière que la vérité
ferait sa demeure ! Le psaume LXX nous montre le cas qu'elle en fait lorsqu'elle
dit : (v. 15) Non cognovi litteraturam.
Je le répète, ô vous, habiles écrivains, célèbres
littérateurs, ne cesserez-vous point d'employer vos dons et vos richesses
à des usages aussi pernicieux, aussi futiles ! L'or n'est-il destiné
qu'à orner des habits de théâtre ? Les foudres fulminantes
dont vous pourriez disposer pour terrasser les adversaires de notre bonheur
devraient-elles se réduire à amuser l'oisive multitude par des
feux artificiels ? Vous voyez que dans les empires bien ordonnés on ne
donne à ces divertissements que le superflu de ces foudres et que les
épargnes des trésors de l'état. Vous voyez que tous les
soins du Gouvernement, comme toutes les substances utiles dont la nature a gratifié
son territoire, ne sont employés qu'à procurer aux citoyens l'abondance
et la sûreté, et à la chose publique une défense
redoutable contre ses ennemis.
Vous cherchez, dites-vous, à exciter dans nos âmes et dans nos
curs de vives émotions qui les transportent. Où en trouveriez-vous
de plus vives que dans le grand drame de l'homme, dans ce drame qui ne cesse
d'être en action depuis l'origine des choses ; enfin dans le tableau de
ces réelles douleurs, et de ces dangers imminents qui assiègent
sans relâche la famille de l'homme insouciante depuis sa chute ? Vous
trouveriez là des scènes toutes faites et cependant toujours nouvelles,
et par conséquent pouvant avoir plus de prise sur nous que toutes celles
que vous nous composez au prix de vos sueurs, et qui ne vous repaissent, ainsi
que nous, que de l'image factice des véritables émotions que vous
auriez droit de faire naître en nous.
C'est là où la parole développant devant nous ses merveilleux
pouvoirs, vous rendrait en effet les maîtres de tous nos mouvements, en
même temps qu'elle vous rendrait nos bienfaiteurs. Mais comment feriez-vous
pénétrer tous ces prodiges dans nos âmes, si vous ne commenciez
par vous familiariser vous-même avec eux ?
II est vrai que Dieu nous prête quelquefois notre pensée, c'est-à-dire
qu'il nous laisse à nous-mêmes, comme un maître donne quelques
moments de récréation et de liberté à ses serviteurs
après qu'ils ont fait son ouvrage. On pourrait croire même que
c'est là le cas de l'immense majorité des penseurs de ce monde
qui ont l'air en effet d'être comme des écoliers en vacance. Mais
ces écoliers là, ou ces serviteurs, sont en vacance et en récréation,
sans avoir auparavant fait leur devoir de classe, ni la besogne du maître
; ils consument leurs moments de liberté dans des lieux de dispute, à
se quereller et à se battre, souvent même à dénigrer
le régent, ou à former des projets spoliateurs contre leur maître.
Que serait-ce si je parlais ici des écrivains dans l'ordre des sciences,
eux qui ne veulent porter notre pensée que sur des résultats et
sur des surfaces au lieu de la diriger vers le principe et vers le centre ?
Mais je me suis assez expliqué à leur égard dans divers
endroits de cet écrit.
L'homme devant être le signe de son principe qui est Dieu, il faudrait
que tout fût divin dans son existence et dans les voies qui doivent le
mener à son but, c'est-à-dire, qu'il faut que tout soit DEOcratique
pour lui dans sa marche et dans ses mesures sociales, politiques, spéculatives,
scientifiques, littéraires, etc.
Aussi qui ignore combien les obscures spéculations de l'homme répandent
de ténèbres sur la terre quand il est livré à son
propre esprit ? Aussi, au milieu de cet extralignement des sciences et de la
littérature qu'est devenue la parole ? Qu'est devenue même la langue
de l'homme ?
Les mots sont devenus dans les langues humaines ce que la pensée est
devenue dans l'esprit des hommes. Ces mots sont devenus comme autant de morts
qui enterrent des morts, et qui souvent même enterrent des vivants, ou
ceux qui auraient le désir de l'être. Aussi l'homme s'enterre-t-il
lui-même journellement avec ses propres mots altérés et
qui ont perdu tous leurs sens. Aussi enterre-t-il journellement et continuellement
la parole.
Je n'ai considéré, pour ainsi dire, jusqu'ici que la littérature
de goût, et qui a principalement pour objet notre amusement, et je n'ai
fait qu'effleurer ce que nous pouvons appeler la littérature religieuse.
Nous allons maintenant nous occuper de celle-ci plus particulièrement,
parce qu'elle tient encore de plus près au ministère de l'Homme-Esprit
et à la parole.
Des écrivains remplis de talent ont essayé de nous peindre les
glorieux effets du christianisme. Mais quoique je lise leurs ouvrages avec une
fréquente admiration, cependant n'y trouvant point ce que leur sujet
les obligerait, ce me semble, de nous donner, voyant qu'ils remplacent quelquefois
des principes par de l'éloquence, ou même si l'on veut par de la
poésie, je ne les lis, parfois, qu'avec précaution. Néanmoins,
si je fais quelques remarques sur leurs écrits, ce n'est sûrement,
ni comme athée ni comme incroyant, que j'ose me les permettre. J'ai combattu
depuis longtemps les mêmes ennemis que ces auteurs attaquent avec courage
; et mes principes en ce genre n'ont fait, avec l'âge, qu'acquérir
plus de consistance.
Ce n'est pas non plus comme littérateur, ni comme érudit, que
je vais leur offrir ici mes observations ; je leur laisse sur ces deux points
tous les avantages qu'ils possèdent.
Mais c'est comme amateur de la philosophie divine que je me présenterai
dans la lice, et sous ce titre, ils ne doivent pas se défier des réflexions
d'un collègue qui, comme eux, aime par-dessus toutes choses ce qui est
vrai.
Le principal reproche que j'ai à leur faire, c'est de confondre à
tous les pas le christianisme avec le catholicisme. Ce qui fait que leur idée
fondamentale n'étant pas d'aplomb, ils offrent nécessairement
dans leur marche un cahotage fatigant pour ceux qui voudraient les suivre, mais
qui sont accoutumés à voyager dans des chemins plus unis. En effet,
je vois de célèbres professeurs de littérature attribuer
à la religion les fruits de la plume d'un fameux évêque,
qui dans plusieurs circonstances marquantes, s'est écarté grandement
de l'esprit du christianisme.
Je vois d'autres écrivains distingués, tantôt vanter la
nécessité des mystères, tantôt en essayer l'explication,
tantôt même regarder comme pouvant être comprise par les esprits
les plus simples, la démonstration que Tertullien donne de la Trinité.
Je les vois vanter l'influence du christianisme sur la poésie, et convenir,
en plus d'un endroit, que la poésie n'a que l'erreur pour aliment.
Je les vois flotter au sujet des nombres, rejeter avec raison les futiles spéculations
qui ont découlé partout de l'abus qu'on a fait de cette science,
et cependant dire que trois n'est point engendré, ce qui, selon l'opinion
attribuée à Pythagore, fait regarder ce nombre comme étant
sans mère, tandis qu'il n'y a pas de nombre dont la génération
soit mieux démontrée, puisque deux est évidemment sa mère,
soit dans l'ordre naturel, soit dans l'ordre intellectuel, soit dans l'ordre
divin ; avec cette différence que dans l'ordre naturel, cette mère
engendre la corruption, comme le péché a engendré la mort
; que dans l'intellectuel, elle engendre le variable, comme on le peut juger
à l'instabilité de nos pensées, et que dans le divin, elle
engendre le fixe, comme on le reconnaît à l'universelle unité.
Enfin, malgré le brillant effet que leurs ouvrages doivent produire,
je n'y vois point la nourriture substantielle dont notre intelligence a besoin,
c'est-à-dire, l'esprit du véritable christianisme, quoique j'y
voie l'esprit du catholicisme.
Le véritable christianisme est non seulement antérieur au catholicisme,
mais encore au mot de christianisme même ; le nom de chrétien n'est
pas prononcé une seule fois dans l'Evangile, mais l'esprit de ce nom
y est très clairement exposé, et il consiste, selon saint Jean
(1 : 12) dans le pouvoir d'être faits enfant de Dieu ; et l'esprit des
enfants de Dieu ou des Apôtres du Christ et de ceux qui auront cru en
lui, est, selon saint Marc (16 :.20), que le Seigneur coopère avec eux,
et qu'il confirme sa parole par les miracles qui l'accompagnent.
Sous ce point de vue, pour être vraiment dans le christianisme, il faut
être uni à l'esprit du Seigneur, et avoir consommé notre
alliance complète avec lui.
Or, sous ce rapport, le vrai génie du christianisme serait moins d'être
une religion que le terme et le lieu de repos de toutes les religions et de
toutes ces voies laborieuses, par lesquelles la foi des hommes, et la nécessité
de se purger de leurs souillures, les obligent à marcher tous les jours.
Aussi, c'est une chose assez remarquable que dans les quatre évangiles
tout entiers, et qui reposent sur l'esprit du véritable christianisme,
le mot religion ne se montre pas une seule fois ; que dans les écrits
des Apôtres qui complètent le nouveau testament, il n'en soit fait
mention que quatre fois.
L'une dans les actes (26 : 5.) où l'auteur ne parle que de la religion
juive.
La seconde dans les Colossiens (2 : 18.) où l'auteur se borne à
condamner le culte ou la religion des anges.
Et les troisième et quatrième dans saint Jacques (1 : 26 27.)
où il dit simplement :
1.) que celui qui ne réprime pas sa langue, mais qui livre son cur
à la séduction, n'a qu'une religion vaine. Et
2.) que la religion pure et sans tâche aux yeux de Dieu le père,
consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leurs afflictions,
et à se garantir de la corruption du siècle ; exemples où
le christianisme paraît tendre bien plus vers sa divine sublimité,
ou vers le lieu de repos, qu'à se revêtir des couleurs de ce que
nous sommes accoutumés à appeler religion.
Voici donc un tableau des différences du christianisme au catholicisme.
Le christianisme n'est que l'esprit même de Jésus-Christ dans sa
plénitude, et après que ce divin réparateur a eu monté
tous les degrés de la mission qu'il a commencé à remplir
dès la chute de l'homme, en lui promettant que la race de la femme écraserait
la tête du serpent. Le christianisme est le complément du sacerdoce
de Melchisédec ; il est l'âme de l'évangile ; c'est lui
qui fait circuler dans cet évangile toutes les eaux vives dont les nations
ont besoin pour se désaltérer.
Le catholicisme, auquel appartient proprement le titre de religion, est la voie
d'épreuve et de travail pour arriver au christianisme.
Le christianisme est la région de l'affranchissement et de la liberté
: le catholicisme n'est que le séminaire du christianisme ; il est la
région des règles et de la discipline du néophyte.
Le christianisme remplit toute la terre à l'égal de l'esprit de
Dieu. Le catholicisme ne remplit qu'une partie du globe, quoique le titre qu'il
porte se présente comme universel.
Le christianisme porte notre foi jusque dans la région lumineuse de l'éternelle
parole divine ; le catholicisme borne cette foi aux limites de la parole écrite
ou des traditions.
Le christianisme dilate et étend l'usage de nos facultés intellectuelles.
Le catholicisme resserre et circonscrit l'exercice de ces mêmes facultés.
Le christianisme nous montre Dieu à découvert au sein de notre
être, sans le secours des formes et des formules. Le catholicisme nous
laisse aux prises avec nous-mêmes pour trouver le Dieu caché sous
l'appareil des cérémonies.
Le christianisme n'a point de mystères, et ce nom même lui répugnerait,
puisque par essence le christianisme est l'évidence et l'universelle
clarté. Le catholicisme est rempli de Mystères, et ne repose que
sur une base voilée. Le sphinx peut être placé sur le seuil
des temples, construits de la main des hommes ; il ne peut siéger sur
le seuil du cur de l'homme qui est la vraie porte d'entrée du christianisme.
Le christianisme est le fruit de l'arbre ; le catholicisme ne peut en être
que l'engrais.
Le christianisme ne fait ni des monastères ni des anachorètes,
parce qu'il ne peut pas plus s'isoler que la lumière du soleil, et qu'il
cherche comme elle à répandre partout sa splendeur. C'est le catholicisme
qui a peuplé les déserts de solitaires, et les villes de communautés
religieuses, les uns pour se livrer plus fructueusement à leur salut
particulier, les autres pour offrir au monde corrompu quelques images de vertu
et de piété qui le réveillassent dans sa léthargie.
Le christianisme n'a aucune secte, puisqu'il embrasse l'unité, et que
l'unité étant seule, ne peut être divisée d'avec
elle-même. Le catholicisme a vu naître dans son sein des multitudes
de schismes et de sectes qui ont plus avancé le règne de la division
que celui de la concorde ; et ce catholicisme lui-même, lorsqu'il se croit
dans le plus parfait degré de pureté, trouve à peine deux
de ses membres dont la croyance soit uniforme.
Le christianisme n'eût jamais fait de croisades : la croix invisible qu'il
porte dans son sein n'a pour objet que le soulagement et le bonheur de tous
les êtres. C'est une fausse imitation de ce christianisme, pour ne pas
dire plus, qui a inventé ces croisades ; c'est ensuite le catholicisme
qui les a adoptées : mais c'est le fanatisme qui les a commandées
; c'est le jacobinisme qui les a composées ; c'est l'anarchisme qui les
a dirigées ; et c'est le brigandisme qui les a exécutées.
Le christianisme n'a suscité la guerre que contre le péché
: le catholicisme l'a suscitée contre les hommes.
Le christianisme ne marche que par des expériences certaines et continues
: le catholicisme ne marche que par des autorités et des institutions.
Le christianisme n'est que la loi de la foi : le catholicisme n'est que la foi
de la loi.
Le christianisme est l'installation complète de l'âme de l'homme
au rang de ministre et d'ouvrier du Seigneur : le catholicisme borne l'homme
au soin de sa propre santé spirituelle.
Le christianisme unit sans cesse l'homme à Dieu, comme étant,
par leur nature, deux êtres inséparables : le catholicisme, en
employant parfois le même langage, nourrit cependant l'homme de tant de
formes, qu'il lui fait perdre de vue son but réel, et lui laisse prendre
ou même lui fait contracter nombre d'habitudes qui ne tournent pas toujours
au profit de son véritable avancement.
Le christianisme repose immédiatement sur la parole non écrite
: le catholicisme repose en général sur la parole écrite,
ou sur l'évangile, et particulièrement sur la messe.
Le christianisme est une active et perpétuelle immolation spirituelle
et divine, soit de l'âme de Jésus-Christ, soit de la nôtre.
Le catholicisme, qui se repose particulièrement sur la messe, n'offre
en cela qu'une immolation ostensible du corps et du sang du réparateur.
Le christianisme ne peut être composé que de la race sainte qui
est l'homme primitif, ou de la vraie race sacerdotale. Le catholicisme, qui
se repose particulièrement sur la messe, n'était lors de la dernière
pâque du Christ, qu'aux degrés initiatifs de ce sacerdoce ; car
lorsque le Christ célébra l'Eucharistie avec ses apôtres,
et qu'il leur dit, Faites ceci en mémoire de moi, ils avaient bien reçu
déjà le pouvoir de chasser les démons, de guérir
les malades, et de ressusciter les morts ; mais ils n'avaient point encore reçu
le complément le plus important de la prêtrise, puisque la consécration
du prêtre consiste dans la transmission de l'Esprit saint, et que l'Esprit
saint n'avait point encore été donné, parce que le réparateur
n'avait point encore été glorifié (Jean, 7 : 39.).
Le christianisme devient un continuel accroissement de lumières, dès
l'instant que l'âme de l'homme y est admise : le catholicisme, qui a fait
de la sainte cène le plus sublime et le dernier degré de son culte,
a laissé les voiles s'étendre sur cette cérémonie,
et même, comme je l'ai remarqué en parlant des sacrifices, il a
fini par insérer dans le canon de la messe les mots, Mysterium fidei,
qui ne sont point dans l'évangile, et qui contredisent l'universelle
lucidité du christianisme.
Le christianisme appartient à l'éternité ; le catholicisme
appartient au temps.
Le christianisme est le terme ; le catholicisme, malgré la majesté
imposante de ses solennités, et malgré la sainte magnificence
de ses admirables prières n'est que le moyen.
Enfin, il est possible qu'il y ait bien des catholiques qui ne puissent pas
juger encore ce que c'est que le christianisme ; mais il est impossible qu'un
vrai chrétien ne soit pas en état de juger ce que c'est que le
catholicisme, et ce qu'il devrait être.
Lorsqu'on fait honneur au christianisme du progrès des arts, et particulièrement
du perfectionnement de la littérature et de la poésie, on lui
attribue un mérite que ce christianisme est bien loin de revendiquer.
Ce n'est point pour apprendre aux hommes à faire des poèmes, et
à se distinguer par de charmantes productions littéraires, que
la parole est venue dans le monde : elle y est venue, non pas pour faire briller
l'esprit de l'homme aux yeux de ses semblables, mais pour faire briller l'esprit
éternel et universel aux yeux de toutes les immensités.
Pourquoi le christianisme n'a-t-il pas besoin de s'occuper de tous ces talents
des hommes ? C'est qu'il habite parmi les merveilles divines, et que, pour les
chanter, il n'a point à chercher comment il s'exprimera ; elles lui fournissent
à la fois les affections, l'idée et l'expression. Aussi c'est
lui seul qui peut répondre à l'observation que font d'éloquents
écrivains : on ne sait pas où l'esprit humain a été
chercher cela ; toutes les routes pour arriver à ce sublime sont inconnues.
Car dans cet ordre-là, l'esprit humain n'a rien cherché, puisque
l'esprit du christianisme lui a donné tout.
Mais bien plus, le catholicisme à qui l'on donna avec trop de facilité
le nom de christianisme, ce catholicisme, dis-je, n'est pas lui-même ce
qui a produit le développement de la littérature et des arts.
Ce n'est point dans lui ni par lui que les poètes et les artistes modernes
se sont formés : ils ont considéré les chefs d'uvres
de l'antiquité qui était païenne, et ils ont cherché
à les imiter ; mais comme ils vivaient au milieu des institutions du
catholicisme, il n'est pas étonnant que leurs travaux se portassent presque
généralement sur des objets religieux.
Il n'est pas étonnant non plus qu'en s'approchant de plus en plus de
ces objets religieux, ils découvrissent et les beautés réelles
avec lesquelles ils ont toujours quelques rapports, quoiqu'indirecte, et les
sources inépuisables de trésors dont la Bible est remplie, parce
qu'elle contient des fruits de la parole. Enfin il n'est pas étonnant
qu'ensuite ils aient essayé d'appliquer ces trésors et ces beautés
à l'espèce d'art qu'ils cultivaient, et que par là ils
espérassent d'en étendre la gloire, comme, en effet, il n'est
aucun art qui n'en ait retiré de l'illustration.
Mais il est si peu vrai que le catholicisme fût le principe et le mobile
de l'illustration des arts et de la littérature, qu'au contraire, ce
sont ces arts eux-mêmes et cette littérature qui ont suggéré
au catholicisme l'idée de les employer à sa propre illustration.
Car le catholicisme admirant avec raison ces chefs d'uvres des arts et
de la littérature, a cherché bientôt à faire des
uns l'ornement de ses temples, et des autres l'aliment et la gloire de l'éloquence
de ses orateurs et des illustres écrivains qu'il renferme dans son sein.
En effet, s'il n'y avait pas eu des Phidias et des Praxitèle, est-on
bien sûr que nous eussions eu les Raphaël et les Michel-Ange, ainsi
que les chefs-d'uvre qu'ils ont enfantés, après en avoir
puisé les sujets dans l'ordre des choses religieuses ? S'il n'y avait
pas eu un Démosthène et un Cicéron, qui sait si nous aurions
un Bossuet et un Massillon ? S'il n'y avait pas eu un Homère et un Virgile,
jamais le Dante, le Tasse, Milton, Klopstock, n'auraient probablement songé
à revêtir des couleurs de la fiction poétique les faits
religieux qu'ils ont chantés ; parce que le génie épuré
du simple catholicisme même se serait opposé à ces fictions,
et à ces ouvrages de l'imaginative des hommes.
Mais si l'empire de Constantinople n'avait pas été renversé,
le catholicisme eut-il joui lui-même de tant de merveilles et de tant
de génies dans tous les genres dont cet événement l'a rendu
comme le centre et le foyer ? Et si l'Italie n'avait pas reçu ce brillant
héritage, la France qui, en écrivains et en orateurs, a été
la plus belle couronne du catholicisme, aurait-elle eu en ce genre un tel degré
de gloire ?
Nous pouvons avec confiance nous décider pour la négative, et
affirmer que sans le siècle de Jules II et de Léon X, le catholicisme
n'eût pas développé tous les talents, et recueilli toutes
les palmes qui l'ont distingué sous Louis XIV. Mais comme toutes ces
ressources étrangères dont nous parlons, tous ces arts, tous ces
modèles de l'Antiquité dans l'éloquence et la littérature,
ne prêtaient au catholicisme qu'une vie d'emprunt, comme ils le portaient
bien plus vers une gloire humaine, que vers une gloire solide et substantielle
qu'ils ne connaissaient pas eux-mêmes, ils ne pouvaient pas lui procurer
un avantage durable et toujours croissant.
Aussi n'ayant avec lui que des rapports précaires et fragiles, ils n'ont
pas tardé à le laisser derrière eux et à porter
seuls la couronne. Plus ils ont fait de progrès, plus le catholicisme
a reculé, et l'on a vu en effet combien ils ont étendu leur règne
dans le dix-huitième siècle, et combien dans ce même siècle
le catholicisme a décliné ; et l'on peut ajouter qu'ils sont bien
loin de lui céder l'empire dans l'époque actuelle, malgré
les efforts du Gouvernement pour le rétablir ; or c'est une victoire
qu'ils n'obtiendraient pas si aisément sur le christianisme ou sur la
parole.
Si nous remontons à des époques plus anciennes, nous verrons qu'ils
ont toujours été comme les subsidiaires du catholicisme, et jamais
ses élèves ni ses pupilles. Dans les premiers siècles de
notre ère, les saints pères qui n'avaient déjà plus
qu'un reflet et qu'un historique du vrai christianisme, et qui n'élevaient
chaque jour que l'édifice du catholicisme, vivaient au milieu des monuments
littéraires de la Grèce et d'Alexandrie ; ils y puisèrent
ces couleurs imposantes, quoique inégales, qu'ils ont répandues
dans leurs écrits.
Ils puisèrent même chez les célèbres philosophes
de l'antiquité plusieurs points d'une doctrine occulte, qu'ils ne pouvaient
expliquer que par la lettre de l'évangile, n'ayant plus la clef du véritable
christianisme. Voilà pourquoi ils ne furent la plupart que comme les
disciples de ces philosophes, tandis qu'ils auraient du en être les maîtres.
Quand les siècles de Barbarie furent arrivés, quand les beaux-arts,
la belle littérature, et les nombreux monuments de l'esprit humain furent
anéantis, le catholicisme perdit aussi bientôt l'illustration qu'il
en avait reçue ; et n'ayant point de fixité à lui, étant
toujours mobile, toujours dans la dépendance des impressions externes,
il ne put pas résister à l'impétuosité du torrent
qui se débordait.
Après avoir été érudit et élégant
avec les Platon, les Aristote, les Cicéron, il fut ignorant et grossier
avec les peuples grossiers et ignorants qui inondèrent l'Europe.
Il devint barbare et féroce avec les peuples féroces et barbares,
et n'ayant d'un côté, ni la douce lumière, ni la puissance
irrésistible du christianisme, et de l'autre, ni le frein des lettres,
ni l'exemple des peuples policés, il ne se fit plus remarquer que par
les fureurs fanatiques d'un despotisme en délire. On peut dire que telle
a été son existence pendant près de dix siècles.
Si l'on voit par tous ces faits que le catholicisme n'a jamais eu que des rapports
de dépendance avec les arts et la littérature, et qu'il n'a jamais
eu sur eux une influence active et directe ; que dirons-nous donc du christianisme
qui non seulement n'a point eu ces rapports directs avec eux, mais qui même
n'a point eu à leur égard les rapports de la dépendance
? Pour justifier la distance immense de ces arts et de cette littérature
avec lui, nous pouvons donc nous contenter de répéter que dans
ces uvres de l'homme, c'est l'esprit de l'homme et quelquefois moins qui
fait tous les frais ; et que dans le christianisme, c'est l'éternelle
parole seule qui s'en charge.
Je sais combien cette idée aura peu de crédit auprès des
littérateurs religieux, même croyants, malgré les efforts
qu'ils font pour glorifier ce qu'ils appellent le christianisme ; mais la marche
même des plus remarquables de ces littérateurs croyants, me force
à m'appuyer de plus en plus sur cette idée, parce que tout en
paraissant croire au christianisme, ils ne croient peut-être réellement
qu'au catholicisme.
L'un de ces éloquents écrivains dit avec une douce sensibilité
qu'il a pleuré, et puis, qu'il a cru. Hélas, que n'a-t-il eu le
bonheur de commencer par être sûr ! combien ensuite il aurait pleuré
! ! ! !
Il pardonnera, je l'espère, à un ancien cultivateur de la philosophie
divine, de faire les observations que je me permets ici, d'autant qu'il semblerait
être absolument pour moi, à n'en juger que par le beau parallèle
qu'il fait de la Bible avec Homère, si toutefois il avait pu donner à
son christianisme une base plus solide que la lettre de la Bible. Néanmoins
il paraît incomparablement plus avancé en fait de croyance que
ses collègues ; car, parmi les littérateurs, même religieux,
combien en est-il qui soient dévoués de cur et d'esprit
à ce christianisme de la lettre, ou, ce qui est la même chose,
au catholicisme ?
Mais si lui-même, malgré sa croyance, ne s'aperçoit pas
que la plupart des auteurs qu'il loue sous le rapport religieux, non seulement
n'ont pas été influencés par le catholicisme, mais suivent
souvent en outre dans leurs écrits une route contraire à la lettre
de la Bible, comment pourrais-je les regarder comme ayant été
influencés par le véritable christianisme ?
Il est vrai qu'au milieu des ravissements qu'excitent en lui les fameux poètes
qu'il passe en revue, il lui échappe des élans de franchise et
de vérité qui me montrent que, par nature, il est réellement
de mon système, et que ce n'est que par accident qu'il s'en écarte.
C'est ce qui se voit clairement dans ce qu'il dit au sujet de l'histoire du
genre humain tracée en peu de mots par la Genèse. Il ne peut s'empêcher
de s'écrier : "Nous trouvons dans cette scène de la Genèse
quelque chose de si extraordinaire et de si grand, qu'elle se dérobe
à toutes les explications du critique ; l'admiration manque de termes,
et l'art rentre dans la poussière" Je dirai, moi au sujet de cet
art : plût à Dieu qu'il ne fût jamais sorti de cette poussière,
car il ne devrait pas avoir d'autre demeure, et il aurait dû sans cesse
laisser le champ libre à la parole.
Voyons, en effet, ce que l'art a produit en s'approchant des grandes vérités.
L'éloquent écrivain en question a beau s'extasier au sujet du
réveil d'Adam, et dire que Milton n'eût point atteint ces hauteurs,
s'il n'eût connu la véritable religion : je répondrai que
si Milton avait connu le vrai christianisme qui est la parole, il nous aurait
peint Adam sous d'autres couleurs.
L'art n'a d'autres secrets que de faire des rapprochements d'après les
objets qui sont livrés à sa connaissance. Cet art nous apprend
que l'enfant est un être qui s'éveille à la vie, dont les
yeux s'ouvrent, et qui ne sait d'où il sort. C'est sur cet exemple que
Milton a tracé le portrait d'Adam : il n'en fait qu'un grand enfant,
à cela près qu'il lui donne un sublime sentiment de sa nature,
et d'éminents pouvoirs de nommer les choses, ce qui est refusé
à l'enfant ; et l'on serait embarrassé de dire pourquoi le père
les ayant eus, l'enfant ne les aurait pas aussi, puisque le fruit doit tenir
de son arbre générateur.
Or, c'est aussi chez l'homme enfant et l'homme sauvage que les matérialistes
et les idéologues ont puisé les fragiles systèmes de leurs
sensations de l'origine des langues, etc. ; et c'est en s'arrêtant là
qu'ils ont finalement animalisé tout notre être. Mais la Bible
(car je ne puis dire que cela ici) qui est censée avoir servi de guide
à Milton, nous montre Adam sous une autre face.
Premièrement, on peut croire qu'Adam, au sortir des mains du Créateur,
n'était point assujetti au sommeil, puisque ce n'est qu'après
qu'il a eu donné les noms à chaque chose, que le Créateur
lui envoya un sommeil, pendant lequel la femme est extraite de ses os ou de
ses puissantes essences.
Secondement, il est probable que ce sommeil et cette extraction étaient
une suite d'une altération quelconque déjà commencée
dans Adam, puisque le Créateur avait dit, à la suite de la création
(à la fin du premier chapitre de la Genèse), que toutes les uvres
qu'il avait faites étaient bonnes ; et que cependant il dit (dans le
second chapitre) qu'il n'est pas bon que l'homme soit seul.
Troisièmement, soit que cette exacte application des noms aux choses
ait été faite par Adam au sortir des mains du Créateur,
ou seulement après cette altération commencée (ce dont
le texte, joint à la réflexion précédente, semble
laisser le choix, quoique les principes excluent la seconde hypothèse),
il est sûr, selon la lettre, que cette application des noms aux choses
s'est faite avant le sommeil.
Dans ce cas-là, Adam devait jouir alors d'une grande lumière et
d'une science vaste et efficace, puisque le Créateur l'avait établi
sur tous les ouvrages de ses mains, puisqu'il l'avait installé lui-même
dans le jardin de délices, et puisqu'il l'avait chargé de le cultiver
lui livrant toutes les plantes dont il était rempli, et même l'arbre
de la science du bien et du mal, dont il lui défendit de manger.
Ainsi donc Adam n'avait pas besoin de s'éveiller à la vie ; mais
c'est lui au contraire qui éveillait la vie dans les êtres : ce
qui est très diffèrent de ce qui se passe dans les enfants ; mais
l'art avait voilé ces choses à Milton, en le livrant à
son imaginative.
C'est aussi d'après l'art qu'il a peint les amours d'Adam et d'Ève,
les supposant toujours l'un et l'autre dans leur premier état céleste
où ils n'étaient plus. Car il leur reconnut des sexes, et célèbre
l'accomplissement de leur mariage qui ne pouvait avoir lieu que selon la loi
des animaux, et qui produisit un fruit si mauvais dans la personne de Caïn.
Or, comment auraient-ils connu l'amour pur, s'ils étaient déjà
sous la loi animale ? Et comment auraient-ils connu l'amour animal, s'ils n'avaient
pas déjà connu en eux les organes de leur bestialité, puisque
nous voyons que dans l'homme, l'époque de l'amour est celle où
sa bestialité lui parle ? Mais comment auraient-ils connu cette bestialité,
s'ils n'eussent été coupables, puisque, selon le texte, ce n'est
qu'alors qu'ils s'aperçurent qu'ils étaient nus ? Et s'ils étaient
coupables, que deviennent donc leurs célestes amours, toute leur pureté
et toute leur innocence, dont le poète se plaît à faire
de si brillants tableaux ?
Sans doute ils n'avaient point alors cette pudeur impudique qui n'est qu'une
pudeur secondaire et d'éducation ; mais ils avaient une honte profonde,
appuyée sur la comparaison de l'état bestial où ils se
trouvaient avec l'état qu'ils venaient de perdre ; car c'est alors que
leurs yeux furent ouverts sur leur avilissante dégradation, et fermés
sur les merveilles divines.
Milton n'a point connu les gradations de la prévarication de nos premiers
parents, parmi lesquelles il en est une où, en effet, ils ont pu passer
quelques moments de délices dans le jardin d'Éden, après
l'altération commencée ; mais où ils s'occupèrent
plus des recommandations du souverain Maître, et de la défense
qu'il leur avait faite, que de leurs charmes et de leur amour ; et quand ce
degré-là fut passé, ils se trouvèrent probablement
trop occupés de leur laborieuse et périlleuse situation, pour
converser si paisiblement et si tendrement ensemble : ce qui ne convient qu'aux
amants aveugles et oisifs de notre monde qui n'ont que cela à faire.
Milton a donc copié ces amours-là sur les amours de la terre,
quoiqu'il en ait magnifiquement embelli les couleurs. Oui, la longue description
des amours d'Adam et d'Éve prouve que, dans cette circonstance, le poète
n'avait trempé tout au plus qu'à moitié son pinceau dans
la vérité. L'Écriture est d'ordinaire plus concise sur
ces sortes de détails. Dans l'exemple actuel, elle se borne à
dire qu'Adam connut Ève, qu'elle conçut et engendra Caïn
en disant : je possède un homme par la grâce de Dieu. Je répète
donc que, comme le christianisme ou la parole ne se trouverait pas honoré
d'avoir contribué à l'enfantement de toutes ces fictions de Milton,
il est bien loin de les revendiquer.
Ce n'est pas que comme amateur de la littérature, je n'admire le talent
poétique de Milton, et que je ne sois enchanté des traits magnifiques
qui sortent de son pinceau. Je suis fort aise aussi, comme dévoué
à la chose religieuse, qu'il nous retrace quelques nuances du bonheur
céleste, et de l'amour pur qui lui sert de base ; et en faveur de ces
douces peintures, je suis prêt à lui passer son anachronisme :
mais comme amateur de la vérité, je regrette que cet auteur, ainsi
que tous ses confrères, ne nous donne pas des choses plus exactes, étant
censé parler le langage des Dieux. Le droit d'un poète s'étend
bien jusqu'à broder, à son gré, sur le canevas de l'histoire
des hommes ; mais il lui est interdit d'en faire autant de l'histoire de l'homme.
Il n'y a que la vérité qui doive se charger d'en parler.
Ce peu d'exemples doit suffire pour faire comprendre l'immense distance du christianisme
à l'art des littérateurs religieux, et fixer les bornes de l'influence
que notre éloquent écrivain attribue au christianisme sur la poésie.
II n'y a aucun des grands ouvrages qu'il passe en revue, sur lesquels il ne
fût passible d'appliquer nos remarques ; sans compter qu'il se trouverait
plusieurs de leurs auteurs qui, malgré les magnifiques couleurs religieuses,
sorties de leur pinceau, non seulement ne croyaient pas au christianisme, c'est-à-dire
à l'éternelle parole, mais même ne croyaient pas au catholicisme
qui aurait dû représenter cette parole sur la terre.
En général, je trouve que quand les littérateurs et les
poètes se sont emparés des richesses de l'Écriture sainte,
ils les ont plutôt altérées qu'embellies, soit en les mélangeant
avec des couleurs fausses, soit en les affaiblissant par des diffusions, parce
qu'ils n'étaient pas dirigés dans leur entreprise par le véritable
esprit du christianisme ; aussi n'ont-ils jamais plus brillé que quand
ils se sont contentés de montrer ces richesses dans leur simplicité
et leur intégrité littérale. En effet, pourquoi Athalie
est-elle regardée comme un chef d'uvre de perfection ? C'est que
Racine n'a fait pour ainsi dire dans cet ouvrage que copier l'Écriture.
Car les savants critiques dans la littérature, auront beau louer l'art
avec lequel il a ordonné son poème, le vulgaire est comme étranger
à ces sortes de secrets, mais il ne l'est pas aux beautés simples
et sublimes renfermées dans l'Écriture, et plus on les lui présentera
nues, plus on sera sûr de le frapper. Voyez l'effet imposant que produit
au théâtre ce simple vers dont la lettre est à toutes les
pages de la Bible : Je crains Dieu
et n'ai point d'autre crainte ?
Mais en même temps, si l'on veut juger du peu de fruits que dans les mains
des littérateurs ces richesses-là rapportent au christianisme,
on n'a qu'à observer à quoi se réduit au théâtre
le succès des plus belles pensées et des maximes les plus appropriées
au vrai besoin de notre être. Le spectateur qui les entend, mais qui,
comme le poète, n'a d'ouvert en lui que l'homme externe, éprouve
une légère impression, une sorte d'émotion sentimentale
qui le transporte pour le moment, mais qui n'ayant point de racines profondes,
et ressemblant presque à une sensation musculaire, se termine à
l'extrémité de ses nerfs par des battements de mains, et va s'évaporer
par-là dans les airs. Aussi la pièce finie, les spectateurs s'en
vont-ils se replonger dans leur néant et leurs futilités accoutumées,
sans se ressouvenir seulement de ce qu'ils ont senti, et encore plus sans en
profiter.
Or ce qu'on voit se passer au théâtre pour le spectateur, est ce
qui se passe aussi pour le lecteur des beaux ouvrages d'éloquence et
de poésie, qui s'appuient sur les trésors des Écritures
et la sainteté du catholicisme. Ce serait bien pis, s'ils parlaient du
véritable christianisme, ou de l'éternelle parole et de l'éternelle
liberté, puisque très certainement on ne comprendrait pas un mot
à leurs discours ; et au sujet de cette parole, je les renvoie encore
à l'auteur allemand, dont j'ai parlé dans plusieurs endroits de
cet écrit.
Les littérateurs, en général, soit qu'ils travaillent pour
le théâtre, ou dans un genre sentimental quelconque, ont l'air
de n'avoir pour objet que la science de nous émouvoir, sans songer pour
quel but les émotions nous devraient être envoyées. Comme
ils cherchent à la fois à nous plaire et à se faire louanger
par nous, ils ont soin de ne nous conduire que jusqu'à ces émotions
qui sont en même temps et leur objet et leur moyen. Le spectateur comme
le lecteur est d'intelligence avec eux ; s'ils le faisaient arriver jusqu'à
des émotions plus imposantes et qui l'engageassent davantage, il ne voudrait
plus les écouter ; ils veulent bien l'amuser par la figure du vrai, mais
ils craindraient de le porter jusqu'au vrai lui-même, parce qu'alors ils
n'auraient plus rien à faire, attendu que ce serait le vrai qui ferait
tout lui même.
Aussi ce vrai gémit-il continuellement du peu de profit qu'il lui revient
de ces merveilleux talents que les grands écrivains et les grands poètes
développent tous les jours, et de ce que s'ils abordent quelquefois jusqu'à
ses confins, ce n'est que pour l'absorber et l'ensevelir ensuite lui-même
dans une région nulle et apparente qui n'est pas la sienne ; et ce que
je dis là des littérateurs en général, n'appartient
malheureusement que trop aussi aux littérateurs religieux ; voilà
pourquoi leur science n'est devenue qu'un art entre leurs mains. Avec cet art-là,
avec les formes et les préceptes qu'ils établissent, enfin avec
les dépôts de formules et de règles qui constituent leur
code littéraire, on pourrait en quelque façon produire, à
coup sûr, sinon des ouvrages solides et gracieux, au moins des ouvrages
corrects comme on fait une pièce de musique avec des dés ; mais
le vrai génie et surtout le génie religieux, ne se met point en
formules. En un mot, ils ont étudié les moyens de nous remuer
et de nous occasionner des émotions, comme les restaurateurs étudient
l'art de réveiller des sensation dans notre palais.
Mais les uns et les autres craindraient d'employer des ingrédients propres
à produire des sensations fortes qui opéreraient en nous des purifications
et le renouvellement de nos sucs digestifs ; ils abandonnent ce soin-là
aux officiers de santé, et cependant on peut convenir que d'après
notre manière d'être dans ce bas monde, les officiers de sauté
seraient bien plus nécessaires et plus utiles que les restaurateurs.
Ce qui fait que communément la littérature et la poésie
même religieuses rapportent peu de fruits à la vérité,
c'est que ceux qui les cultivent et les professent, n'imaginent seulement pas
que cette vérité pût réellement leur servir de guide,
et qu'ils ne devraient être que ses organes et ses ministres ; de même
que ne concevant rien de plus grand que de beaux poèmes, ils croient
véritablement que l'homme n'a rien de plus glorieux à faire sur
cette terre, que de tâcher de gagner la palme sur ses concurrents dans
cette carrière.
Dans cette pensée ils s'évertuent, ils redoublent d'efforts pour
établir des règles et des lois pendant qu'il leur faudrait simplement
suivre celles que cette vérité dicte éternellement. Ils
travaillent péniblement pour mettre en action leur propre industrie et
leur propre esprit, tandis que la première chose qu'ils auraient à
faire, ce serait d'oublier ce ténébreux esprit de l'homme, et
de postuler bien humblement la bienveillance de la vérité, afin
qu'elle daignât les admettre à son service.
Il est bien douteux alors, j'en conviens, que ce fût des poèmes
qu'elle leur commandât, et s'il arrivait qu'elle leur en commandât,
ce ne serait qu'après qu'ils auraient effectivement travaillé
à son uvre, car elle ne leur ordonnerait de chanter que des faits
qui la concernent, que des faits dont elle les aurait rendus les agents, et
qui dès lors seraient devenus réellement leurs propres faits,
attendu que nul chantre ne saurait s'en acquitter mieux que celui qui les aurait
opérés lui-même. C'est pourquoi un amateur de la poésie
religieuse a dit qu'un poète,
Qui du suprême agent serait vraiment l'oracle,
Ne ferait pas un vers qu'il n'eût fait un miracle.
Lors donc que je vois notre éloquent écrivain vanter la grande
adresse de Milton à s'être emparé de ce premier mystère
des Écritures, où le Très-Haut s'étant laissé
fléchir, accorde le salut du genre humain ; quand je le vois nous parler
des grandes machines du christianisme, et nous dire que le Tasse a manqué
de hardiesse, et n'a touché qu'en tremblant aux choses sacrées
; quand je le vois nous faire observer que les poètes chrétiens
ont tous échoué dans la peinture du ciel ; que les uns ont péché
par timidité, comme le Tasse et Milton ; les autres par fatigue, comme
le Dante ; par philosophie, comme Voltaire ; ou par abondance, comme Klopstok,
je ne puis pas m'empêcher à lui dire à mon tour :
Est-ce que la vérité a besoin d'adresse ? Est-ce que la vérité
peut échouer ? Est-ce que la vérité se trompe ? Est-ce
que si c'était le christianisme qui eût animé tous ces poètes,
vous auriez de pareils reproches à leur faire ? Car tous ces reproches
je les leur fais comme vous ; mais aussi j'en conclus qu'ils n'ont eu aucune
expérience positive de tous les sublimes objets qu'ils ont essayé
de nous peindre ; j'en conclus que leur pensée leur a fourni sur ces
objets au moins autant de choses fausses que de vraies ; j'en conclus que le
christianisme ne les a pas dirigés, ou au moins qu'ils n'ont pas écouté
ses leçons et qu'ils en ont même mal copié la lettre, parce
qu'il ne connaît point de mélange ; parce qu'il n'annonce rien
que d'après des faits réels, et une science expérimentale
à l'abri de tout mensonge et de tous les fantômes de l'imagination
humaine ; et parce que les machines qu'il posséda il ne les confie qu'à
ceux qui croient réellement qu'elles existent, et qui sont jugés
par lui en état de les évaluer et de les faire mouvoir.
N'allez donc plus rapprocher des choses aussi distantes que les productions
poétiques et le christianisme, car ce serait lui faire injure que de
le faire concourir à la fabrication des mensonges. N'avez-vous pas assez
de quoi développer votre beau système des bienfaits que la religion
a procurés au monde, soit par les idées morales qu'elle a introduites
dans les différentes classes de la société, et même
dans l'ordre politique, soit par les respectables et utiles institutions qu'elle
a fondées, telles que les ordres de chevalerie, les hospices et autres
établissements de bienfaisance de tout genre, soit par les magnifiques
parallèles que vous faites des peuples chrétiens, avec ceux qui
ne sont point compris dans cette dénomination, soit par les touchants
tableaux de nos missions, toutes choses où la religion se montre en actes,
et n'a rien à inventer ni à feindre, au lieu que les poètes
inventent tout, feignent tout, sans avoir même besoin d'opérer
aucun fait, ni d'offrir aucune vertus, puisque toute leur tâche se réduit
à nous enchanter.
Quant à ce que les poètes chrétiens ont tous échoué
dans la peinture du ciel, et qu'en général les tableaux du malheur
sont pour nous bien plus faciles à peindre, je conviens que vous en donnez
d'assez bonnes raisons ; mais S. Paul en donne une bien meilleure en nous parlant
de ces choses ineffables qu'il a entendues dans le troisième ciel, et
en se taisant sur leur compte, parce que les langues humaines ne pourraient
les exprimer.
Aussi ce qui m'afflige, c'est de voir les poètes vouloir nous peindre
ce qu'ils ne connaissent pas, et ce dont ils ne pourraient pas nous parler quand
même ils le connaîtraient. Je sais que de temps en temps les poètes
ont senti la nécessité d'être dirigés par la vérité,
car c'est toujours elle qu'ils sont censés invoquer sous le nom de leur
muse ; mais les poètes religieux eux-mêmes, n'est-ce pas en idée
et par étiquette qu'ils l'invoquent ? Et croient-ils bien fermement à
son existence, lors même qu'ils en prononcent le nom ?
C'est sans doute aussi ce besoin secret de la vérité qui a fait
dire à Boileau au commencement de son Art Poétique :
C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur, etc.
S'il ne sent point du ciel l'influence secrète,
Si son astre en naissant ne l'a formé poète.
Mais l'auteur allemand dont j'ai parlé apprendra à ceux qui le
liront, quel ciel il faut entendre dans les paroles de Boileau, en nous montrant
le pouvoir universel du règne astral sous lequel l'espèce humaine
est tombée depuis le péché, et qu'il nous faut traverser
et soumettre si nous voulons vaincre : ce qui est d'autant plus difficile que
l'ennemi s'est emparé de tous les postes et qu'il domine sur tous les
royaumes de ce monde, comme il le dit lui-même au Réparateur dans
l'Évangile.
Or, Milton nous fait assez voir combien il a pu être souvent lui-même
dans la dépendance de l'influence de ce ciel astral, puisqu'il ne pouvait
travailler à ses poèmes que dans certaines saisons de l'année.
Or, si ce poète qui, à côté de cette influence astrale,
a peut-être aussi reçu directement quelques clartés supérieures,
comme quelques endroits de ses écrits pourraient l'indiquer, si cet auteur,
dis-je, a été souvent aussi la victime de cette influence astrale
et inférieure, qui est toujours aveugle et quelquefois fausse et corrompue,
que doit-on penser de ceux de ses collègues qui auraient été
comme lui sous l'influence astrale, et qui n'auraient pas eu les mêmes
compensations que lui ?
Quand je vois d'après cela notre éloquent écrivain se confondre
avec la tourbe des Aristarques littéraires qui se sont rendus les magistrats
du Parnasse de ce monde ; quand je le vois descendre avec eux dans l'arène,
je regrette qu'il ne sente pas davantage sa dignité et sa supériorité
sur eux ; je regrette de le voir s'arrêter avec eux à cette question
secondaire : si l'épopée est dans le drame, ou le drame dans l'épopée,
question si étrangère au christianisme, et qui, à mon avis,
se résoudrait d'elle-même, par la raison que le sujet où
l'action doit exister, ou être supposé, c'est-à-dire, avoir
été en drame ou en acte avant qu'on puisse le chanter ou le réciter.
Je regrette de le voir reprocher à Milton comme à Dante, d'avoir
fait du merveilleux le sujet et non la machine de leurs poèmes, comme
s'il n'y avait de merveilleux que les machines magiques, ou pour mieux dire,
comme si tout n'était pas magique, et par conséquent merveilleux,
à commencer depuis la source radiale et éternelle des choses jusqu'à
leur développement dans toutes les régions, et jusqu'à
leur retour vers leur principe ; et par cette raison, comme si le merveilleux
n'était pas réellement le principe, le sujet, et la machine de
toute uvre vraiment épique.
Car si le poète choisissait pour sujet un fait purement historique dans
l'ordre terrestre, et qu'il y voulût joindre un autre merveilleux que
celui de la fable, c'est-à-dire un autre merveilleux que celui des contes
de fées, il ferait un contresens, à moins qu'il ne commençât
par élever ses héros jusqu'à la qualité de demi-dieux,
comme le pratiquent tous les faiseurs de poème épique ; et dès
lors rentrant dans l'esprit du vrai christianisme qui ne fait de l'homme rien
moins qu'un fils de Dieu et qu'une image de Dieu, ils pourraient sans contresens,
et devraient même nécessairement développer toutes les machines
merveilleuses qui constituent la merveilleuse existence des êtres depuis
Dieu jusqu'au ciron, et qui entretient par un acte vif et constant l'ineffable
harmonie des choses ; or dans ce genre qu'auraient-ils de plus merveilleux à
nous présenter que les trésors actifs de la parole ?
Quant à la persuasion où est cet éloquent écrivain,
que le christianisme a fait naître et a favorisé la poésie
descriptive, en étendant jusqu'aux objets de la nature les harmonies
de la religion ; je crois qu'à cet égard il a jugé les
choses, plutôt sur ce qu'elles pouvaient être que sur ce qu'elles
sont en effet. Nos auteurs distingués dans la poésie descriptive,
ont encore plus puisé dans les sciences naturelles et dans le goût
régnant pour les connaissances physiques, que dans des mobiles religieux.
Sous ce rapport notre poésie descriptive aurait peut-être plus
retardé le règne de la vérité que ne l'aurait fait
le système mythologique de l'antiquité. En effet, la mythologie,
en plaçant des génies imaginaires dans toutes les parties de la
nature, offrait au moins une image des puissances réelles par lesquelles
cette nature est gouvernée sous l'il de l'éternelle sagesse
; au lieu que nos poètes à force de suivre le torrent, nous offrent
bien par-ci, par-là, et comme par extrait dans leurs tableaux, quelques
traits des doctrines religieuses, sans que nous soyons sûrs toutefois
qu'elles ne soient pas pour eux de vrais problèmes ; mais ils nous donnent
abondamment des descriptions et des détails purement physiques, comme
le font les savants dans la matière, et nous reportent plutôt par
là vers les ténèbres que vers la lumière.
Car s'ils semblent joindre quelques idées d'un autre genre à ces
objets physiques qu'ils font entrer dans leurs descriptions, c'est communément
pour réveiller en nous les impressions d'une sensibilité secondaire,
et réduite à un cercle limité ; rarement des sentiments
vraiment moraux ; et plus rarement encore des sentiments vraiment religieux
; et par conséquent ils nous tiennent toujours au-dessous de ce que je
reconnais pour être exclusivement le christianisme, et comme tel, appartenant
aux développements tel la parole.
Il y a un autre genre descriptif qui me paraît avoir aussi ses abus. C'est
celui par lequel les habiles critiques en littérature s'épuisent
à disséquer les beaux endroits des grands auteurs ; et je ne puis
m'empêcher de leur dire : si ces passages portent leurs beautés
avec eux-mêmes, je n'ai pas besoin de votre secours pour les goûter.
J'ai encore moins besoin de vos dissections. J'aurais moins de plaisir si je
savais tant pourquoi j'en ai. Vous me trompez en refroidissant mes jouissances,
comme les poètes descriptifs de la nature me trompent en me donnant journellement
leurs fictions personnelles pour ses véritables intentions.
Pour que le christianisme pût réellement favoriser ce que l'on
devrait appeler la poésie descriptive, il faudrait que les poètes
devinssent ce qu'était Adam avant son sommeil, c'est-à-dire que,
comme lui, ils sussent éveiller la vie dans les êtres, au lieu
de ne nous entretenir que de ce qui n'est en quelque sorte que l'anatomie de
ces êtres, ou même que leur figure extérieure.
Et véritablement ce que je lis de ces harmonies de la nature, composées
de la main des hommes, produit en moi plus de douleur que de plaisir, car je
vois que tout ce qu'ils nous donnent en ce genre s'appuie sur une base fausse,
en ce qu'ils oublient que la nature est dégradée, et qu'ainsi,
en lui prêtant sans cesse ce qu'elle n'a plus, ils ne m'offrent que les
fantastiques tableaux d'une imagination égarée, sans compter que
quand je les vois y mêler quelques couleurs religieuses, ils m'affligent
encore davantage, en ce que je ne puis ignorer que la plupart d'entre eux croient
fort peu à cet ordre de choses, et ne le connaissent pas davantage.
Ce serait donc le christianisme véritable et primitif, ou la parole,
qu'il faudrait commencer par démontrer aux hommes, avant de développer
éloquemment, comme l'a fait l'auteur, la prépondérance
que la religion ou le catholicisme a eue sur toutes les autres religions. Car
il me semble que l'auteur laisse en arrière précisément
la chose essentielle, dans les réponses qu'il fait aux athées.
La principale difficulté ne serait pas, à mon avis, de prouver
aux incrédules l'existence de Dieu et celle de l'âme même
; surtout si l'on prenait ses preuves dans l'Homme-Esprit. Aussi nombre de philosophes,
en prenant ce flambeau pour guide, ont prouvé ces deux faits par des
raisonnements, tels que les demande la secte des athées ; en un mot,
par des raisonnements que les esprits positifs peuvent comparer à ce
qu'ils appellent des démonstrations par A et B.
Et cela ne doit pas surprendre, puisque malgré toutes les rêveries
des athées et des. matérialistes, la seule impuissance, que l'on
soit dans le cas de reconnaître dans Dieu, c'est celle de ne pouvoir se
cacher ; et que l'âme de l'homme, qui est son image, se montre perpétuellement
dans tous nos actes, même dans les efforts que nous faisons pour la nier.
Mais c'est moins ces deux articles qui offusquent les réfractaires, que
tout l'édifice religieux que l'on veut élever sur ces deux bases
; ainsi prouver les deux premiers points, ce n'est pas prouver les conséquences
positives qu'on en veut déduire.
En effet, le raisonnement et la logique ne prouvent que l'existence de Dieu
et celle de l'âme. La chose religieuse doit avoir pour objet de prouver
leurs rapports et de les réunir l'un à l'autre ; cette réunion
ne peut se faire sans un concours intérieur de notre part, et sans l'action
volontaire de notre être. La simple croyance à l'existence de Dieu
et de l'âme ne demande point un pareil concours.
Voilà pourquoi il est plus aisé de guérir un matérialiste
et un athée qu'un déiste. Dans le vrai, comment persuader un déiste
de la source naturelle de la chose religieuse, de son utilité, de sa
nécessité, si ce n'est en en faisant reposer la base sur l'état
infirme et ténébreux de l'homme dégradé ? Mais comment
s'étendre jusque-là après le tort que la philosophie humaine
a fait à l'homme ? Comment trouver des hommes en état de faire
faire ce chemin à leurs semblables ?
Ne soyons donc plus surpris que les tentatives journalières, en faveur
de la chose religieuse, soient si peu fructueuses. Convenons même que
quand il s'agit d'attaquer le matérialisme et l'athéisme, les
instituteurs ordinaires n'ont encore que des armes bien impuissantes, puisqu'ils
ne prouvent Dieu que par l'univers, et qu'ils ne prouvent l'âme que par
les livres théologiques. Comment prouveraient-ils donc l'âme et
Dieu, s'il n'y avait ni livres, ni univers ?
Ils n'étudient point les choses éternelles ; ils n'étudient
point la parole ; ils n'étudient point son action universelle, ni pourquoi
c'est cette action seule qui porte la vie. Comment verraient-ils donc la source
divine de l'homme pensant et immortel ? Comment verraient-ils sa liaison naturelle
avec son principe ? Comment verraient-ils l'objet profond de la chose religieuse,
et comment nous apprendraient-ils à admirer notre Dieu dans son économie
restauratrice, et dans la sublimité de sa sagesse ?
Il reste donc à démontrer immédiatement aux réfractaires
l'altération de la famille humaine, et l'espèce de cette altération
; puis les secours que la bonté suprême a envoyés dès
l'origine, et qu'elle envoie journellement aux mortels pour les soulager dans
leur infortune ; puis le caractère de ces secours ou celui de la chose
religieuse en général, et enfin les droits que les ministres de
cette chose religieuse prétendent chacun dans leur ressort posséder
exclusivement pour diriger leurs semblables, et les moyens qu'ils disent exister
en eux pour donner le repos aux âmes et leur faire accomplir les véritables
lois du Créateur.
Or, ce sont ces articles importants que les philosophes religieux n'ont point
prouvé par A + B, comme ils l'ont fait pour les deux autres ; cependant
si toutes ces choses sont vraies, elles doivent avoir aussi leurs preuves positives,
puisque chaque chose doit faire sa propre révélation.
Mais ces preuves doivent prendre un nouveau caractère, à mesure
que leur objet se substantialise et s'empare d'un plus grand nombre de nos facultés.
Néanmoins elles ne doivent pas plus dépendre de l'arbitraire que
les deux autres ; elles ne doivent pas plus qu'elles reposer sur le simple littéral,
et encore moins sur l'enseignement impérieux d'un autre homme, mais elles
doivent porter avec elles-mêmes leur évidence.
Notre éloquent écrivain a reconnu lui-même qu'il y avait
une géométrie intellectuelle, et quoi qu'il en dise, je crois
que cette géométrie là, a été plus familière
à certains philosophes anciens qu'elle ne l'a été à
Leibniz, à Descartes, à Newton, même à Pascal, qui
en a plus approché que ces trois hommes célèbres.
Ainsi donc s'il y a un A + B pour prouver l'existence de Dieu et l'immatérialité
de l'Homme-Esprit, il doit y avoir un A + B pour prouver notre altération,
et par suite la chose religieuse qui en est le remède, comme il doit
y avoir un A + B pour prouver l'efficacité de ce remède, qui ne
peut être que spécifique, puisque si la volonté des êtres
libres peut le rendre nul à leur égard, et l'empêcher d'opérer
pour eux, ils ne peuvent pas l'empêcher d'opérer contre ; or toutes
ces espèces de preuves, quoique différentes, doivent être
positives chacune dans leur genre.
La première de ces preuves, ou celle qui a pour objet l'existence de
Dieu et de l'Homme-Esprit, nous pouvons l'appeler preuve positive, rationnelle
ou intellectuelle, parce qu'en effet elle est du ressort de la simple observation
réfléchie ou du raisonnement.
La seconde, qui a pour objet notre altération, et par suite la chose
religieuse, nous l'appellerons preuve positive, sentimentale ou affective, parce
qu'elle exige nécessairement que l'homme mette en uvre une nouvelle
faculté de lui-même, outre celle de son jugement, comme la médecine
qui fait apercevoir à un homme imprévoyant qu'il est atteint d'une
maladie grave, lui donne par là de l'inquiétude et même
de la frayeur sur le danger de sa situation, et en même temps l'éclaire
sur le remède qui peut lui être utile, tandis que pour connaître
l'existence de la science médicinale et la posséder, il suffit
à l'aspirant à cette science de mettre sa raison à l'étude
et en exercice.
Enfin la troisième preuve qui a pour objet de démontrer les pouvoirs
du ministre de la chose religieuse, et en même temps la supériorité
et l'efficacité de cette chose religieuse elle-même, nous la nommerons
preuve positive expérimentale, parce qu'elle gît dans les faits,
et que, saisissant toutes les facultés de notre être, elle devient
confirmative des deux preuves antérieures, ou de la preuve positive sentimentale,
et de la preuve positive intellectuelle. Si on transpose ces différentes
espèces de preuves, ou si on n'en emploie qu'une, lorsqu'il faudrait
les employer toutes, peut-on condamner les adversaires de ne se pas soumettre
?
Il n'est pas bien difficile comme nous l'avons dit de démontrer la nécessaire
et exclusive grandeur d'un être supérieur et unique, ainsi que
notre rapport radical et originel avec lui ; sans quoi nous ne pourrions seulement
pas nous occuper de son existence, ni même en avoir la pensée.
En effet, on ne peut réellement appeler grand qu'un être qui le
soit tellement, que nul autre ne puisse le surpasser, ni même l'égaler.
Or, dans ce sens, il n'y a de grand que Dieu, parce que lui seul étant
tout, il est impossible qu'aucun autre être, non seulement excède
sa grandeur, mais même qu'il la puisse jamais atteindre. Voilà
pourquoi après Dieu, il ne peut y avoir que des grandeurs relatives ;
et voilà pourquoi tout pour nous n'est que proportions : mais en même
temps voilà pourquoi il faut qu'on nous ait gratifiés de quelques
moyens positifs de démontrer son influence génératrice
relativement à tous les êtres, et son influence restauratrice relativement
à nous ; enfin de nous démontrer par le fait, et non par des livres,
l'exclusive suprématie de l'être des êtres, et les rapports
effectifs que la parole cherche sans cesse à avoir avec nous.
C'est cette idée-là sans doute qui m'a porté jadis à
dire dans "l'homme de désir", n°166 , que le sublime, c'était
Dieu, et tout ce qui nous mettait en rapport avec lui. Cette intelligence me
vint après avoir entendu avouer à un célèbre professeur,
que le sublime était indéfinissable.
J'ai lu depuis dans les ouvrages de ce même professeur : "Ce qui
est beau, ce qui est grand, ce qui est fort admet le plus ou le moins : il n'y
en a pas dans le sublime, etc."
J'ai reconnu là que son idée et la mienne sur le sublime étaient
les mêmes, sauf la persuasion où je suis que ce que nous croyons
lui et moi au sujet du sublime, nous pouvons l'étendre à toutes
les autres qualités, vertus, etc., qu'il en excepte ; car il n'y a que
dans Dieu où toutes ces choses-là soient positives ; et la parole
est l'universel et éternel proclamateur de toutes ces positives sublimités.
Je peux joindre ici une observation importante, c'est que rien ne nous peut
paraître vraiment sublime qu'en nous communiquant un extrait ce qui se
passe dans la région supérieure et divine qui est la source de
toutes choses et de toutes les sublimités. Auguste nous transporte en
disant : Cinna, soyons amis ; c'est moi qui t'en convie, parce que c'est là
le langage positif et continuel de l'éternelle vérité envers
l'homme ; et c'est ce qu'on peut induire de tous les autres exemples de sublime,
soit de paroles, soit de faits. Ils ne font chacun que lever le voile, et qu'ouvrir
l'inépuisable foyer de tous les actes et de toutes les pensées
sublimes, sur lequel repose la racine de notre être. Or, pour peu qu'on
nous approche de cette région, et qu'on nous mette à même
d'en entendre parler le langage, comme ce langage est celui de notre nature,
il ne faut pas s'étonner qu'il nous ravisse.
D'après ce principe qui mériterait d'être traité
ad hoc, et qui serait susceptible d'être étendu à l'infini,
en raison de l'infinité d'objets qu'il embrasse, et des témoignages
qui déposeraient en sa faveur, on conçoit pourquoi Malebranche
disait que nous voyons tout en Dieu ; mais on conçoit aussi que l'on
pourrait rendre son idée sous une forme moins gigantesque, et sinon plus
simple, du moins plus rapprochée de nos faibles esprits, et plus propre
à les remplir d'une douce lumière, au lieu de ce flambeau éblouissant
qui les aveugle.
Ce serait de dire que nous voyons réellement Dieu dans tout, et que véritablement
nous ne verrions rien dans quelques objets que ce fût, si le principe
de toutes les qualités, c'est-à-dire si Dieu n'opérait
activement en eux, soit par lui soit par ses puissances.
C'est ainsi que les corps sonores restent sourds, si l'on les prive de la communication
de l'air, qui doit nécessairement s'insinuer en eux pour qu'ils rendent
des sons : par la même raison, nous pouvons dire que le son lui-même
ne pourrait pas nous être sensible ou se manifester, s'il n'y avait pas
un son universel et générateur qui se montrât dans les sons
partiels ; ce qui est la vraie cause pourquoi la musique a toujours eu tant
d'empire sur les hommes.
Ainsi les différents exemples du sublime, ou les reflets partiels du
centre universel et générateur qui nous sont transmis, nous portent
toujours plus loin et au-delà de ce qu'ils nous montrent.
C'est pour cela que de tous les moyens qui nous sont offerts pour jouir du sublime,
il n'en est point de plus sublime que la parole ou le véritable christianisme,
puisqu'il n'est autre chose que notre union même avec l'esprit et le cur
de Dieu ; et l'on pourrait tirer de là une preuve directe que ce christianisme
est divin, puisque c'est au fruit qu'on connaît l'arbre. Mais cette preuve
ne peut s'acquérir que par l'expérience : c'est là son
A + B. Elle ne peut s'établir d'une manière complète par
l'A + B du raisonnement.
Toutefois l'admiration des littérateurs et des rhéteurs pour ce
qu'ils regardent comme sublime, me confirme dans la persuasion où je
suis que les beaux esprits et les génies selon les hommes font leur demeure
habituelle dans des régions très inférieures, et que quand
ils rencontrent quelques traits, quelques idées, quelques expressions
qui les élèvent un peu au-dessus de ces régions, ils éprouvent
une impression qui remplit le vide où ils sont, et qui ne semble leur
avoir fait entendre au dernier degré du sublime, que par la privation
constante où ils se trouvent dans la région stérile qu'ils
habitent.
S'ils connaissaient la région vraiment sublime pour laquelle l'homme
est fait, ils réduiraient à leur valeur tous ces traits de sublime
devant lesquels ils s'extasient, et ils ne les considéreraient que comme
des jeux d'enfants ; et sur cela, il suffirait de les renvoyer aux prophètes.
Quant à la croyance que les beaux esprits et les génies en question
peuvent avoir à ces preuves positives et expérimentales, dont
je viens de parler, on n'ignore pas ce que l'on doit en penser. Ne les voit-on
pas mettre sur la même ligne, ceux qui se croient athées, et ceux
qui, quoique raisonnables, deviennent illuminés, prophètes, thaumaturges,
à force de vanité, d'exaltation ou de curiosité ? Ne les
entend-on pas dire que toute passion forte peut donner à l'esprit un
trait de démence ? Ne sait-on pas en outre ce qu'ils disent du spectre
d'Athènes, et ensuite du fantôme d'Athénodore, deux relations
qu'ils rient de voir rapportées par Pline le plus sérieusement
du monde, et qu'ils croient pouvoir regarder comme l'original de tous ces contes
de revenants répétés et retournés en mille manières,
attendu que chacun peut raconter à sa fantaisie ce qui, selon eux, n'est
jamais arrivé ?
Ô vous, doctes et beaux esprits, qui montez en chaire pour régenter
le monde, je suis bien loin de plaider contre vous pour défendre ces
questions de fait, mais je voudrais qu'en qualité d'instituteurs des
nations vous eussiez commencé par vous instruire à fond des questions
de droit. C'est alors que vos assertions sur le fait auraient plus de poids,
soit pour, soit contre : jusque-là, elles nous laissent libres de ne
les regarder que comme des opinions de jeunesse et qui comme telles, peuvent
être aussi fantastiques que les fantômes même ; et ainsi elles
nous permettent de juger à quoi se réduisent les pas que vous
avez faits dans la carrière de la philosophie divine et du véritable
christianisme, ou, ce qui est la même chose dans le ministère de
la parole.
Je répéterai donc ici le reproche que j'ai déjà
fait aux littérateurs en général, et aux littérateurs
religieux en particulier : c'est qu'atteignant quelquefois, soit par leurs dons
naturels, soit par leurs efforts, la région de la vérité,
ils dissipent les trésors qu'ils y rencontrent, en les usant sur des
sujets inférieurs aux plans de cette région sublime ; et qu'ils
réduisent bientôt le domaine de la parole à l'art de peindre
et d'écrire avec régularité et avec grâce, sacrifiant
ainsi continuellement à la forme, le fond qu'ils ne connaissent pas.
C'est ce qui m'a fait dire que la littérature humaine en général
était un des filets de l'ennemi, et qu'il s'en sert avec beaucoup d'adresse
pour retarder les hommes dans leur marche, tout en leur donnant sujet de croire
qu'ils sont très avancés puisqu'en effet ils le sont plus dans
leur art que le commun des autres mortels.
La pensée de l'homme et sa parole sont des armes tranchantes et des sucs
corrosifs qui lui sont donnés pour briser et dissoudre toutes les substances
infectes qui l'environnent. Lorsqu'il n'applique pas ces dons puissants, à
leur véritable destination, ils le corrodent et le détruisent,
parce qu'ils ne peuvent rester sans activité. Voilà pourquoi l'action
est si utile à l'homme : voilà pourquoi il lui est si avantageux
d'être employé à l'uvre active de la parole qui est
le vrai christianisme.
Nous allons maintenant nous adresser à ceux qui, par état, sont
chargés spécialement du ministère de cette parole.
Vous donc, ministres de cette parole, croyez-vous qu'elle n'ait aucun reproche
à vous faire ? Vous qui l'avez mise comme en tutelle, et qui avez appauvri
votre pupille, sans vous enrichir de ses trésors, ne pourrait-elle pas
vous dire que si vous n'obtenez rien d'elle, c'est que vous ne lui demandez
rien ; et que si vous ne lui demandez rien, c'est que vous croyez avoir tout
?
N'avez-vous jamais ravalé cette parole, en réduisant son administration
à des institutions figuratives, à des discours et à une
pompe extérieure, en ne nous offrant jamais les merveilleux fruits de
ses fertiles domaines, et en enseignant que le temps des merveilles de cette
parole est passé, comme si cette parole était caduque, et comme
si le besoin que nous avons de ses fruits n'était pas aussi urgent depuis
votre règne qu'il l'était auparavant, et qu'il le sera jusqu'à
la consommation des choses ? N'avez-vous jamais fait, à l'égard
de cette parole, ce que le réparateur reprochait aux prêtres juifs
: savoir, de s'être emparés de la clef de la science, et non seulement
de n'y être point entrés, mais même d'avoir empêché
ceux qui voulaient y entrer ? N'avez-vous jamais paralysé l'uvre
divine, en resserrant dans d'étroites limites les hommes de désir
qui, par vos dons et vos lumières, auraient du devenir des ouvriers du
Seigneur ?
Voue voyez ce que l'industrie humaine fait produire chaque jour aux simples
substances de la nature par les superbes découvertes qui se font sous
vos yeux dans les sciences. Avez-vous réfléchi, d'après
cela, à tous les prodiges que vous auriez pu attendre de l'âme
de l'homme, si, au lieu de la contraindre dans ses mouvements, et de la retenir
dans des entraves, vous vous étiez occupés de seconder ses élans
divins, et de lui ouvrir les sublimes régions de la liberté où
elle a pris la naissance ?
N'avez-vous jamais fait rétrograder par vos institutions le réparateur
dans le temple dont il avait annoncé d'avance la destruction, et dans
lequel on ne voit pas qu'il ait reparu une seule fois depuis qu'il fut sorti
du tombeau, quoique depuis cette glorieuse époque il se soit montré
fréquemment à ses disciples ?
N'avez-vous jamais neutralisé le moyen curatif de l'âme humaine,
en vous contentant de lui parler vaguement de détruire en elle le vieil
homme, mais en ne lui enseignant point à faire naître en elle le
nouvel homme, et en ne lui aidant point à opérer en elle cette
renaissance qui n'est autre chose que le renouvellement de son contrat divin
; renouvellement que vous deviez seconder efficacement par tous les moyens qui
sont en vous ?
N'avez-vous jamais fait comme ceux des professeurs spiritualistes, mystiques
et pieux, qui défendent que l'on marche par la raison ?
Mais pourquoi défendent-ils que l'on marche par la raison ? C'est qu'ils
n'ont pas fait attention que s'il y a une raison humaine qui est contre la vérité,
il y a aussi une raison humaine qui est pour elle. Ils sont sages et prudents
lorsqu'ils nous défendent la première espèce de raison,
car, en effet, elle est l'ennemie de toute vérité, comme on le
voit aisément aux outrages que font à cette vérité
les docteurs dans les sciences externes qui sont l'objet et le résultat
de la simple raison de ce monde naturel. La principale propriété
de cette espèce de raison est de craindre l'erreur, et de ne se livrer
qu'avec défiance à ce qui est la vérité. Toujours
occupée de scruter les preuves, elle ne laisse presque jamais à
l'esprit le temps de goûter le charme des jouissances vives. Elle a une
marche ombrageuse qui empêche que le goût du vrai ne pénètre
jusqu'à elle. Voilà ce qui entraîne à la fin les
sociétés savantes dans l'incroyance, après les avoir retenues
si longtemps dans les doutes.
Mais ils ne seraient plus sages ni prudents s'ils nous défendaient l'usage
de la seconde espèce de raison, parce que cette seconde espèce
de raison est au contraire le défenseur de la vérité. C'est
l'il perçant qui la découvre continuellement, et ne tend
qu'à en faire apercevoir les trésors ; et loin que sous ce rapport
la raison soit condamnable, ce sera au contraire un crime pour nous de ne l'avoir
pas suivie, puisque ce présent avait été fait à
tous les hommes dans le seul et unique but qu'ils s'en serviraient, et dans
la persuasion où est l'agent suprême, que ce flambeau, en se présentant
humblement au foyer de la lumière universelle, eût suffi pour nous
apprendre tout, et nous conduire à tout.
En effet, comment l'agent suprême aurait-il pu exiger que nous crussions
à lui et à toutes ses merveilles, si nous n'avions pas par notre
essence tous les moyens nécessaires pour les découvrir ? Oui,
la vérité serait injuste si elle n'était pas clairement
et ouverte ment écrite partout aux yeux de la pensée de l'homme.
Si cette éternelle vérité veut être crue, elle, et
tout ce qui dérive d'elle, c'est qu'il nous est donné de pouvoir
à tous les pas nous assurer de son existence ; et cela, non pas sur le
témoignage de la simple assertion des hommes, ni des ministres mêmes
de la vérité, mais par des témoignages directs, positifs
et irrésistibles.
Car la croyance que vous faites naître quelquefois dans la pensée
de vos prosélytes, quelque utile qu'elle soit, est bien loin de cette
certitude qui doit s'appuyer sur de pareils témoignages. Ce n'est pas
une chose rare que de rencontrer des hommes sur la croyance desquels on puisse
exercer quelque empire ; ce n'est pas même une chose rare que d'entendre
dire dans le monde qu'il n'y a rien de plus aisé que de croire ; on y
trouve même des gens qui prétendent qu'ils croient, en effet, tout
ce qu'ils veulent.
J'accorde cela pour la croyance aveugle, parce qu'elle ne consiste qu'à
écarter l'universalité, et à ne saisir qu'un seul point.
Dès lors on est dispensé de toute comparaison ; et même
par cette loi, plus on descendra dans les particularités, plus on sera
disposé à croire, ce qui explique le fanatisme des superstitieux,
qui est en raison directe de leur ignorance.
Mais je le nie par rapport à la certitude qui est l'opposé de
la croyance aveugle, parce que l'on n'arrive à cette certitude qu'à
mesure que l'on monte vers l'universalité, ou vers l'ensemble des choses,
attendu que lorsque l'on fait ces confrontations dans cet ensemble des choses,
et qu'on y découvre l'unité ou l'universalité de la loi,
il est impossible que l'on n'ait pas la certitude. Et, en effet, cette certitude
est l'opposé de la croyance, parce qu'elle est en raison directe de l'élévation
et des connaissances.
Ainsi j'accorde que rien n'est plus aisé que de croire, mais qu'il n'est
pas aisé d'être sûr. Les gens du monde lancent de temps en
temps de ces propositions spécieuses qu'ils croient péremptoires,
parce que personne ne leur répond. Ce sont des espèces de réactifs
chimiques qu'ils introduisent auprès du vrai, et avec lesquels ils cherchent
à le précipiter au fond du vase. Mais on voit qu'il n'est pas
impossible d'échapper à ces subterfuges ?
En général les hommes ne s'enfoncent, soit dans les croyances
aveugles, soit dans les défiances, soit même dans le scepticisme,
que parce qu'ils s'en tiennent à contempler les opinions ténébreuses
ou impérieuses des hommes, leurs systèmes incohérents,
et leurs passions ; en un mot, parce qu'ils ne regardent que dans les hommes,
en qui tout est divers et en opposition. S'ils regardaient dans l'homme, ils
y verraient la racine de toutes les vertus, de toutes les lumières et
de toutes les harmonies ; enfin, ils y verraient le système divin lui-même,
et ils se trouveraient dans une uniformité de principes et de certitudes
qui les mettrait bientôt tous d'accord. N'éloignons donc pas celle
de nos deux raisons humaines qui a le pouvoir d'atteindre à la vérité.
Ceux qui font cas des Écritures n'ont qu'à voir combien elles
prisent l'intelligence, combien elles menacent de priver de ce guide ceux qui
s'écarteront de la ligne, et combien elles promettent de récompenser
par ce flambeau ceux qui auront aimé la vérité. Ils n'ont
qu'à voir comment tous les élus de Dieu, chargés d'annoncer
sa parole, ont réprimandé les peuples, les individus, et les ministres
religieux, qui négligeaient de faire usage de cette intelligence ou de
cette raison divine, et de ce discernement pénétrant qui ne nous
est donné que pour séparer continuellement la lumière des
ténèbres, comme le fait l'esprit de Dieu ?
Vous donc, ministres des choses saintes, voyez quelle est l'uvre que la
vanité a droit d'attendre de nous. Contemplez si vous le voulez la marche
respectable des mystiques de tout genre. Mais ne vous confondez point avec ces
timides piétistes, en nous interdisant, comme eux, l'usage du flambeau
que l'homme a reçu par sa nature. Il n'est pas rare de voir de ces mystiques,
soit féminins, soit masculins, nous peindre merveilleusement l'état
le plus parfait des âmes, et nous donner même une description exacte
des régions ou impressions par où passent les vrais ouvriers du
Seigneur.
Mais ces mystiques semblent n'être appelés à approcher de
ces régions, que pour en faire la peinture, et ils n'ont pas la vocation
active qui semble appartenir aux véritables administrateurs ; ils voient
la terre promise et ne la labourent pas ; les autres souvent la labourent sans
la voir ; ils craindraient même de se distraire, s'ils s'arrêtaient
trop à la considérer, tant ils ont d'ardeur pour la rendre fertile.
Leur poste n'est pas dans les régions partielles. Nous en pouvons juger
en considérant la nature du désir.
Le désir ne résulte que de la séparation ou de la distinction
de deux substances analogues, soit par leur essence, soit par leurs propriétés
; et quand les gens à maximes disent qu'on ne désire pas ce qu'on
ne connaît point, ils nous donnent la preuve que si nous désirons
quelque chose, il faut absolument qu'il y ait en nous une portion de cette chose
que nous désirons, et qui dès lors ne peut pas se regarder comme
nous étant entièrement inconnue. En outre, il est certain, comme
je l'ai dit souvent que tout désir fait son industrie pour atteindre
au but qui l'attraye, ce qui se voit dans tout ordre quelconque où nous
voudrons choisir nos exemples ; ce qui en même temps doit inculper notre
paresse, réveiller notre courage, et condamner ceux qui le paralysent.
Je peux ajouter ici que le désir est le principe de tout mouvement, qu'ainsi
c'est une chose incontestable que le mouvement et le désir sont proportionnels,
et cela depuis le premier être, qui étant le premier désir,
le désir un, ou le désir universel, est aussi par là le
mobile du mouvement même, jusqu'à la pierre qui est sans mouvement,
parce qu'elle est sans désir.
Je peux ajouter encore que chaque désir agit sur sa propre enveloppe
ou sur son enceinte pour se manifester ; que plus l'on prend l'exemple dans
un ordre relevé, plus l'enveloppe est susceptible de sentir et de participer
au désir qui est renfermé en elle ; que c'est par cette raison
que l'homme peut être admis au sentiment et à la connaissance de
toutes les merveilles divines, parce que son âme est l'enveloppe et le
réceptacle du désir de Dieu.
Aussi, d'un côté, la magnificence de la destinée naturelle
de l'homme, est de ne pouvoir réellement et radicalement appéter
par son désir que la seule chose qui puisse réellement et radicalement
tout produire. Cette seule chose est le désir de Dieu ; toutes les autres
choses qui entraînent l'homme, l'homme ne les appète point, il
en est l'esclave ou le jouet. D'un autre côté, la magnificence
de son ministère, est de ne pouvoir réellement et radicalement
agir que d'après l'ordre positif à lui prononcé à
tout instant, comme par un maître à son serviteur, et cela par
la seule autorité qui soit équitable, bonne, conséquente,
efficace, et conforme à l'éternel désir. Tous les autres
ordres qu'il reçoit journellement, ce n'est point comme serviteur ; c'est
lui qui les provoque par intérêt, et souvent même par orgueil
et en se faisant souverain. Aussi presque partout dans ce monde les serviteurs
se mettent à la place des maîtres.
Je ne peux plus cacher ici que le désir divin qui se fait sentir dans
l'âme humaine, a pour but d'établir l'équilibre entre Dieu
et elle, puisqu'un désir vient d'une séparation de substances
analogues qui ont besoin d'être unies ; or, cet équilibre n'est
pas un effet mort et inerte, mais un développement actif des propriétés
divines qui constituent l'âme humaine, en tant qu'elle est un extrait
divin universel.
Mais si ces notions étaient éteintes dans l'âme humaine,
c'était à vous, ministres des choses saintes, à les y faire
renaître ; si ce désir était affaibli dans les hommes, c'était
à vous à lui rendre ses forces, en lui en retraçant d'avance
les avantages. Quel beau rôle vous auriez eu à faire en travaillant
ainsi à opérer dans un ordre si supérieur la réunion
de ce qui est séparé et qui se désire ! Vous voyez qu'un
simple désir animal, tel que la faim, a pour but d'établir l'équilibre
entre notre corps élémentaire et la nature, afin de mettre ce
corps en état de manifester et d'accomplir toutes les merveilles élémentaires
ou les propriétés corporelles dont la nature l'a composé,
en tant qu'il est l'extrait de cette nature. Que n'aurait-on donc pas à
attendre de ce désir puisé dans un autre ordre, et de ce besoin
sacré, dont la source suprême a composé notre essence ?
Homme, si tu veux faire une utile spéculation, observe que ton corps
est une expression continuelle du désir de la nature, et que ton âme
est une expression continuelle du désir de Dieu ; observe que Dieu ne
peut être un instant sans désirer quelque chose, et que Dieu ne
doit pas avoir un désir que tu ne puisses connaître, puisque tu
devrais les manifester tous. Tâche donc d'étudier continuellement
les désirs de Dieu, afin de n'être pas traité un jour comme
un serviteur inutile.
Mais il y a une raison majeure, qui rend très laborieuse pour nous notre
réunion avec ce Dieu dont nous sommes séparés ; et cette
raison qui nous apprend pourquoi il nous faut agir si fortement et si persévéramment
pour atteindre à Dieu, repose sur deux difficultés.
La première est que depuis l'altération, nous sommes dans une
véritable prison, qui est notre corps, pendant qu'il devrait être
encore plus notre préservatif ; et même au lieu de diminuer selon
leurs forces et leur industrie le poids de leurs fers, la plupart des hommes
concourent à ce que leur âme devienne de la nature de leur prison,
en se matérialisant comme ils le font. Ainsi l'âme humaine étant
devenue par là pour ainsi dire, prison elle-même, on peut voir
quelle est aujourd'hui sa lamentable situation. On peut voir aussi pourquoi
elle est dans sa propre servitude, au lieu d'être au service de son maître.
La seconde difficulté, et qui à elle seule est d'un poids immense,
c'est que Dieu se concentre en lui-même, comme font tous les êtres
; c'est que par sa propre attraction centrale, il tend sans cesse à se
rapprocher de lui-même, et à se séparer de ce qui n'est
pas lui ; c'est que, par ce moyen, il se rend perpétuellement un monde
à part, enfermé dans sa propre enveloppe sphérique universelle,
comme nous voyons prendre cette forme à tous les mondes particuliers,
puisque tous les corps, jusqu'aux globules d'eau et de mercure, se forment tous
une enveloppe de cette espèce.
Or, comme nous avons été renfermés par le péché
dans un monde qui n'est pas divin, comme d'ailleurs journellement nous nous
formons par nos souillures, nos illusions et nos ignorances, un monde qui l'est
encore moins, on voit combien il nous faut faire d'efforts pour annuler ces
mondes faux, obscurs et pesants qui nous environnent, et pour faire entrouvrir
le monde divin dans lequel il nous serait si doux et si nécessaire d'entrer.
Les grands efforts que nous aurions à faire pour cela seront faciles
à imaginer, quand nous n'oublierons pas que tous ces mondes-là,
en se concentrant chacun en eux-mêmes, tendent sans cesse à se
séparer les uns des autres.
Cependant il ne faut pas se décourager pour cela, parce que ce monde
divin, qui tend à se concentrer, tend néanmoins en même
temps à s'universaliser, parce qu'il est tout, ou du moins qu'il voudrait
être tout, puisque c'est son droit. Ainsi notre travail, s'il était
bien entendu, aurait pour but principal d'atténuer et de laisser dissoudre
tous ces mondes faux dont nous nous environnons sans cesse ; parce que le monde
universel ou divin en prendrait la place naturellement, puisque toutes les places
lui appartiennent ; et ces résultats seraient prompts et tacites, puisque
nous concourrions par là avec la tendance de ce monde universel lui-même.
Or, quel est le vrai spécifique pour opérer cette uvre merveilleuse,
ou pour atténuer les mondes faux qui nous environnent, ou que nous nous
formons nous-mêmes tous les jours, et pour ouvrir le monde divin qui ne
tendrait qu'à prendre leur place ? Je ne craindrai point de le répéter,
n'était-ce pas à vous, ministres des choses saintes, à
nous faire connaître ce spécifique ? N'était-ce pas à
vous à nous enseigner et à nous prouver qu'il consiste dans les
vertus de la parole ? Oui, l'éternelle parole n'agit et n'élève
sa voix que pour exterminer les mondes de 'illusion, ou ces Titans qui escaladent
journellement le ciel, et pour faire régner partout, le monde divin et
réel dont elle est à la fois l'organe et le principe.
Je sais que les obstacles sont innombrables, les difficultés immenses,
et les dangers presque continuels ; mais aussi il y a des appuis de toute espèce
accordés universellement aux forces de l'homme, pour qu'il puisse partout
se défendre, remporter la victoire et remplir toutes les destinations
de son être, sans que l'ennemi eu retire autre chose que de la honte.
Quoique nous consommions journellement notre parole à mille objets inférieurs
et à mille occupations secondaires qui ne nous avancent point dans le
véritable ministère de l'Homme-Esprit, cependant, lorsque nous
nous renfermons dans la mesure de nos besoins et de la justice, ces occupations
mêmes peuvent nous être utiles comme préservatifs.
En effet, les nombreuses diversions, affections et entraînements, que
nous suggèrent journellement les travaux et les soins de la vie, soit
animale, soit sociale et politique, sont autant de secours qui ne cessent de
se présenter à nous pour nous retenir au bord de nos abîmes
; car notre esprit pourrait sans cela s'y précipiter à tout instant.
Ce sont autant de digues et de palissades qui se trouvent partout au long des
précipices où nous marchons pendant notre passage dans ce bas
monde.
Il n'y a pas un moment de notre existence qui ne rencontre un pareil appui,
et ce sont ces appuis-là qui nous font traverser nos ténèbres
infectes sans que nous éprouvions les effroyables dégoûts,
et les insupportables amertumes qui nous y attendraient. Ainsi, quand l'homme
se laisse aller aux crimes ou simplement aux faiblesses, c'est à coup
sûr il n'a pas su faire un salutaire usage de ces appuis qui l'environnaient,
puisque c'est une vérité qu'il avait autour de lui tous ceux qu'il
lui fallait, sinon pour avancer, au moins pour ne pas tomber.
Sans nous élever ici à ces sublimes principes de morale qui nous
recommandent, avant de nous livrer à nos illusions, de regarder si autour
de nous il ne nous reste pas quelqu'uvre utile à laquelle nous
puissions nous consacrer, on voit au moins là d'où découlent
les principes des moralistes les plus ordinaires, qui nous recommandent tant
d'éviter l'oisiveté, soit du corps, soit de l'esprit ; on y voit
aussi pourquoi communément il y a moins de corruption et de faiblesses
parmi les hommes qui s'occupent, que parmi ceux qui vivent dans l'inaction et
la fainéantise ; pourquoi il y a moins de fous dans la classe occupée
que dans la classe oisive, et moins dans la classe occupée d'objets naturels
et matériels que dans celle occupée des ouvrages de la pure imagination
; pourquoi enfin il y a moins de gens livrés aux mauvaises sciences,
dans la classe inférieure et occupée, que dans celle de la grandeur
et de l'oisiveté.
Non seulement ces secours et ces suppléments sont nos continuels remparts
contre l'ennemi ; mais si nous les employons avec zèle et une intention
pure, ils nous lient toujours un peu, chacun selon leur mesure, à ce
délicieux magisme que la vérité porte avec elle-même,
et que sa parole ne cesse de faire filtrer partout, même à notre
insu ; de façon que d'un côté, nous imprégnant de
leurs sucs vivifiants, et de l'autre, nous rendant comme invisibles et inabordables
à l'ennemi, ils ne nous offrent partout que la sécurité
et le bonheur, et neutralisent perpétuellement l'amertume qui est toujours
prête à pointer dans nos jouissances.
Il n'y a point de situation dans la vie à qui l'emploi de cette doctrine
ne soit applicable. Les états pénibles, comme les états
doux, y trouveront chacun leur recette, et le régime qu'ils ont à
suivre selon leurs diverses circonstances ; car les états doux ont leurs
inconvénients comme les états pénibles, et même ils
en ont plus que ces derniers : voilà pourquoi ils ont encore plus besoin
de ces suppléments, et demandent encore plus d'être en surveillance.
Or, comme la parole est toujours unie secrètement à ces appuis,
il n'en est aucun qui ne puisse parvenir à partager avec elle sa vivifiante
action. Voilà pourquoi ce serait en nous préservant de l'oisiveté
de l'esprit dans les états doux, et de l'oisiveté du corps dans
les états pénibles, que nous nous lierions insensiblement à
la parole, et que peut-être nous deviendrions naturellement des ministres
de la parole.
Car cette éternelle parole passe sans cesse de la mort à la vie
pour nous ; elle n'existe elle-même que de cette manière : elle
est en soi un continuel prodige toujours renaissant ; comme elle agit partout
et continuellement selon ce même mode et selon ce même caractère,
elle répand universellement cette même empreinte et cette même
teinte active sur tout ce qu'elle opère et sur tout ce qui est, soit
visible, soit invisible.
Voilà notre boussole, voilà notre vaisseau, voilà notre
port, voilà notre ville de refuge. Allons à ce guide par notre
esprit et par nos actes ; unissons-nous à lui et partout il nous fera
renaître de la mort à la vie, par lui et avec lui ; partout il
nous fera participer à sa propriété d'être un continuel
prodige, et l'ennemi sera obligé de nous laisser passer sans avoir mis
d'imposition ni sur nous, ni sur notre félicité présente
et future.
Ne demandons plus ce qui attend l'homme de bien, même sur cette terre,
lorsqu'il remplit avec exactitude et résignation cette partie du décret
qui nous condamne tous à combattre, si nous voulons vaincre. Ce qui l'attend,
cet homme de biens, ce ne peut être autre chose que les faveurs de la
parole, puisque ces faveurs de la parole sont celles dont il aurait joui si
nous fussions restés fidèles au contrat divin. Il est donc vrai
que si nous nous conduisions sensément, non seulement nous ne douterions
pas qu'il y eût pour nous autrefois un ordre parfait que nous pourrions
appeler un optimisme primitif, mais même nous découvririons autour
de nous un optimisme secondaire qui nous remplirait de consolations dans nos
épreuves et dans notre pénible situation ici-bas.
Mais si en général la base radicale de notre être nous porte
volontiers à croire, soit par besoin, soit par persuasion, à un
optimisme primitif dans lequel tout était bien, nous avons plus de peine
à admettre un optimisme secondaire, en voyant tant de mal autour de nous.
Cependant cet optimisme secondaire cesserait bientôt d'être contesté
si nous voulions ouvrir les yeux sur la source de vie et d'amour qui nous cherche
sans cesse jusque dans nos abîmes ; et nous serions obligés de
convenir que si nous ne faisons pas connaissance avec cet optimisme secondaire,
nous ne la ferons jamais avec l'optimisme primitif.
C'est faute d'avoir distingué ces deux genres d'optimisme que les raisonneurs,
ou plutôt les déraisonneurs, ont tant balbutié sur le bien
et le mal. Nous descendons tous de l'optimisme primitif ; nous tendons tous
à y retourner, mais nous ne nous donnons pas le temps de faire le voyage
; et quelque inconséquentes que soient nos décisions, nous voulons
nous regarder comme arrivés, tandis que nous sommes encore en route ;
il est bien vrai que, quoique nous soyons si extralignés de l'optimisme
primitif, il nous est toujours possible de le sentir, et même de le voir
naître partout au travers de l'optimisme secondaire. Car la parole divine
ouvre continuellement en nous la porte à la divinité ; c'est-à-dire,
à la sainteté, à la lumière et à la vérité.
L'ennemi a aussi une parole, mais en la prononçant, il n'ouvre la porte
qu'à lui-même. Plus il parle, plus il s'infecte, et comme il prononce
toujours cette parole de mensonge, il est toujours à s'infecter. Il ne
fait autre chose que verser son sang empoisonné et le boire. Voilà
son uvre perpétuelle.
On rendit, au contraire, une parole pure au premier des humains après
son crime ; on lui en rendit une plus glorieuse et plus triomphante au milieu
des temps ; que sera donc celle qu'on lui rendra à la fin des temps,
lorsque la parole pourra se donner dans son complément et dans l'éternelle
plénitude de son action ?
On voit ici que comme tout est amour, et comme la parole est l'hymne continuel
et universel de l'amour, cette parole remplit toutes les voies de l'homme par
des progressions douces, appropriées à tous les degrés
de son existence. C'est pour cette raison que pour l'âme humaine tout
commence par le sentiment et l'affection, et que c'est par là que tout
se termine.
Aussi notre intelligence ne se développe qu'après que notre être
intérieur a éprouvé en soi-même les premiers sentiments
de son existence. C'est ce qui se fait connaître dans l'âge où
l'homme va commencer à penser. A cette époque de notre vie, nous
sentons naître en nous un foyer neuf, et une sensation morale que nous
ne connaissions pas auparavant. L'intelligence ne tarde pas à donner
aussitôt des signes de sa présence, mais cela n'arrive à
cet âge-là qu'après que le foyer moral s'est développé.
Dans un âge plus avancé la sève monte à force vers
la région de notre intelligence, et c'est le moment où nous avons
le plus de besoin de surveillants, qui en dirigent le cours, et qui nous préservent
des dangers de ses impétueuses irruptions ; car, faute de soin, notre
foyer moral serait bientôt obscurci ou altéré. Aussi c'est
alors que les savants mettent les idées avant le moral, puisque même
ils l'en font dépendre, comme ils font dépendre les idées
des sensations et des objets externes.
Mais si ce foyer moral de sentiment et d'affection a l'initiative par droit
de nature, il faudrait par conséquent que tout lui revint en dernier
résultat, comme nous voyons que les aliments que nous prenons ne nous
sont utiles et ne remplissent leur objet qu'autant qu'ils portent leurs sucs
et leurs propriétés jusque dans notre sang ou dans le foyer de
notre vie.
Aussi sera-t-on obligé de convenir que toutes les clartés que
l'intelligence des hommes acquiert par le raisonnement, ne leur servent qu'autant
qu'elles pénètrent jusqu'au foyer moral, où elles apportent
chacune l'espèce de propriété dont elle est dépositaire.
C'est un tribut et un hommage qu'elles doivent rendre toutes à cette
source, en venant témoigner, par le fait, le caractère de leur
relation avec elle. Enfin, l'intelligence pourrait nous aider à reconnaître
autour de nous les fruits abondants de l'optimisme secondaire, mais le moral
peut même nous faire manger des fruits de l'optimisme primitif ; et tels
sont les services que pourraient nous rendre les administrateurs de la parole.
Ceux des penseurs de ce monde qui croient à la source universelle de
l'amour, pourront concevoir de là comment il faut que ce soit par l'amour
et par la parole que tout finisse pour l'homme de désir. Ils verront
aussi pourquoi ce monde matériel ne peut pas durer éternellement.
C'est par la raison qu'il n'est qu'un tableau, actif, à la vérité,
mais sans amour et sans parole, et qu'ainsi il faut qu'un jour il fasse place
à l'amour et à la parole, c'est-à-dire, qu'il faut qu'un
jour il rentre dans l'amour et dans la parole dont il a été comme
extraligné par le crime.
Si l'on voulait étendre cette loi jusqu'à l'ennemi de toute vérité
qui a lui-même été la cause de ce que cet univers est extraligné,
et comme exilé de l'amour et de la parole, il faudrait observer que malheureusement
cet ennemi n'est pas sans parole, ce qui fait qu'il opère lui-même
son propre extralignement et son propre exil.
D'ailleurs ceux qui enseignent hautement le retour final de cet être coupable,
ne font pas attention à l'impossibilité où ils sont d'avoir
dans ce monde une notion positive sur ces grands objets. En effet, quelque profondes
et quelque merveilleuses que soient les connaissances qu'ils puissent acquérir
sur la région divine et sur la région infernale, cependant, tant
qu'ils sont dans leur enveloppe matérielle, ils ne peuvent atteindre,
ni jusqu'au Dieu principe, ou à ce que nous appelons le ciel des cieux,
ni jusqu'au chef pervers, ou à ce que nous appelons l'enfer démoniaque
complet. Aussi n'avons-nous ici dans ces deux genres que des résultats
de ces deux principes, parce que notre corps a à la fois pour objet de
nous tenir dans la privation de Dieu, et de nous servir de rempart contre le
démon.
La vraie raison de tous ces jugements de l'homme, c'est que, sans être
Dieu, il est cependant un être universel, et que par conséquent
il ne peut sentir un point de son être, qu'il ne se trouve imaginairement
dans une universalité, soit bonne, soit mauvaise. On peut dire aussi
que c'est cette idée d'universalité qui l'engage si aisément
à sauver tous les hommes prévaricateurs ; il ne voit pas que quand
il n'y en aurait qu'un de sauvé, cette idée miséricordieuse,
qui lui fait honneur, se trouverait toujours être vraie, puisqu'il n'y
a pas un seul homme qui ne soit une universalité.
D'un autre côté, il s'est jeté, au sujet de la prédestination,
dans des labyrinthes inextricables. Mais vous, administrateurs des choses saintes,
et de la parole, n'auriez-vous pas pu l'en garantir en lui montrant la différence
de la destination à la prédestination ?
La destination ne semble jamais se prendre qu'en bonne part ; la prédestination
a deux faces. Dieu donne souvent des destinations aux hommes, et c'est par là
qu'il a eu des élus de toute espèce ; mais il ne leur donne point
de prédestination, parce que, sous le rapport même le plus avantageux,
ce mot entraîne avec lui une sorte de contrainte qui semble nuire à
la liberté ; et, sous le rapport désastreux, il entraîne
une sorte de fatalisme qui semblerait nuire à la justice.
C'est par abus que ce mot s'est introduit. Dieu a pu dire à plusieurs
: Je vous ai choisis dès le sein de votre mère, et avant que le
monde fût ; mais c'est l'esprit de l'homme qui a recouvert cette élection
du mot de prédestination ; les faibles en ont encore altéré
le sens, et les fanatiques ignorants en ont abusé.
Par son origine l'homme aurait pu se dire prédestiné à
manifester l'être divin, cependant il n'en a rien fait. Depuis sa chute,
quand il est appelé à l'uvre, il ne fait que rentrer dans
sa destination naturelle ; et si dans ces cas-là, il se trouve supérieur
à ses semblables comparativement, il ne fait néanmoins que rentrer
dans la ligne primitive dans laquelle il aurait dû toujours marcher, et
par conséquent il ne mérite pas le nom de prédestiné
dans le sens reçu du vulgaire ; car il est même encore bien au-dessous
de ce qu'il aurait été s'il fût resté dans sa gloire,
et bien au-dessous de ce qu'il sera à la fin des temps s'il y arrive
régénéré.
Au lieu de ce système décourageant de la prédestination,
n'auriez-vous pas pu nous apprendre qu'au contraire c'est l'homme qui, par son
amour, peut même en quelque façon gouverner Dieu ?
Car ceux qui se pressent ne voient pas que non seulement Dieu se conduit d'après
nos besoins, mais même d'après nos désirs. Il est non seulement
avec nous comme un médecin habile, qui suit pied à pied le cours
d'une maladie, et dirige à chaque instant ses remèdes en conséquence,
mais encore comme une mère attentive et tendre qui étudie tous
nos goûts, et qui, lorsque nous nous empressons de lui complaire, n'a
rien de cher pour nous, et ne voit en nous que l'objet chéri de toutes
ses complaisances. Quelle est la mère que son fils ne possède
pas toute entière, et ne domine pas quand il se conduit envers elle comme
il le doit ?
Ne soyons donc pas étonnés que loin que Dieu fût injuste
et dur avec nous si nous étions sages, il ne fût, au contraire,
occupé qu'à nous prévenir en tout point ; que notre amour
n'obtint sur lui l'empire le plus puissant, et que cet amour de notre part eût
un attrait magique, auquel il fût toujours prêt à faire toutes
sortes de sacrifices, même celui de sa suprématie et celui de sa
gloire.
Oui, oui, c'est une vérité certaine, que si nous voulions, nous
gouvernerions Dieu par notre amour, et que Dieu s'afflige de ce que nous lui
laissons tant d'autorité, pendant qu'il ne voudrait employer auprès
de nous que de la complaisance et la plus bienveillante amitié.
Lisez le 41ème chapitre d'Isaïe, à commencer du verset 8,
et vous verrez que non seulement Dieu a donné le nom de son ami à
Abraham, mais qu'en raison de ce beau nom, il l'a comblé de soins et
de toutes les faveurs de son amitié.
Lisez le 2ème des Paralipomènes (ch. 20 : 7.), vous verrez dans
la prière de Josaphat, qu'Abraham était regardé par sa
nation comme l'ami de Dieu, ainsi que Judith le rapporte (ch. 8 : 22.).
{PREMIER LIVRE DES PARALIPOMÈNES.
Les Paralipomènes sont ainsi appelés parce que beaucoup de choses
laissées de côté dans les quatre livres des Rois sont contenues
dans ces livres. Dans ce premier livre est décrite la généalogie
de toutes les tribus, depuis Adam jusqu'aux rois, par tribus, par familles,
par maisons. II est dit quels furent ceux des lévites que David établit
pour chanter devant Dieu avec la flûte et la cithare, quels autres il
consacra aux oeuvres du temple, car il fut le premier qui commença à
jeter les fondements du temple. Divers détails sur les rois et leurs
générations sont donnés, d'où il résulte
que le total des années des rois qui régnèrent à
Jérusalem depuis David est de quatre cent soixante-quatorze. Tous ces
rois furent de la race de David , et il y en eut neuf qui firent le bien; ceux
qui firent le mal sont au nombre de douze, Gotholia ! non comprise. Toutes les
années de ceux qui régnèrent à Samarie s'élevèrent
au nombre de deux cent soixante-neuf et trente jours; douze rois fuirent donnés
par huit races différentes : tous firent le mal, en imitant le péché
de Jéroboam.
1 Athalie.
DEUXIÈME LIVRE DES PARALIPOMÈNES.
Dans le deuxième livre des Paralipomènes sont consignées
les actions des rois. Ceux qui les ont écrites sont les prophètes
qui ont vécu clans les différents temps des rois. Si l'on veut
savoir en particulier quels sont ceux qui ont écrit ces choses, il faut
remarquer que ce livre renferme les actions des rois d'Israël et de Juda
qui ont été omises-. dans les livres des Rois. Or ceux qui écrivirent
en entier l'histoire des divers règnes sont les suivants : Samuel et
les prophètes Nathan et Gad ont écrit le règne de David;
les prophètes Nathan et Allias celui de Salomon; les prophètes
Semeas et Addon celui de Jéroboam; le prophète Addon celui d'Abias.
Les actions d'Asa sont dans le livre consacré aux rois de Juda; le prophète
Jéhu, fils d'Adam, qui écrivit le livre des rois d'Israël,
a écrit le règne de Josaphat. Ce que fit Joas est raconté
dans les livres des Rois. Ce que fit Amasias est dit dans le livre des rois
de Juda et d'Israël. Le prophète Isaïe a écrit le règne
d'Ozias. Les actions de Joathan sont dans le livre des rois de Juda et d'Israël,
celles d'Achaz dans le livre des rois de Juda et d'Israël. Le prophète
Isaïe, fils d'Amos, a rapporté le règne d'Ezéchias.
Ce qui concerne Manassès est dans le livre des Voyants, ce qui est relatif
à Josias dans le livre des rois de Juda et d'Israël. Ce que fit
Joachim est écrit dans le livre des rois de Juda et d'Israël. Telles
sont les matières contenues dans les Paralipomènes, et tel en
est l'ordre}
Lisez le livre de la Sagesse (ch. 7 : 27.), et vous verrez que Dieu emploie
ce doux nom d'ami envers les âmes saintes. Enfin, voyez dans le nouveau
Testament (Jean, 15), combien le réparateur se plaît à donner
ce nom à ses disciples.
Ministres des choses saintes, n'était-ce pas à vous à développer
ces vérités à notre esprit ?
L'essence première peut réellement siéger en nous, et se
plaire en nous quand nous nous rendons véritablement ses amis ; c'est
pour cela que nous sommes une vraie et vivante copie de l'être par excellence,
lorsque nous sommes régénérés, puisque alors c'est
cette essence elle-même qui se caractérise en nous.
Toutes les sensibilisations spirituelles, qui ne sont que les productions des
opérations de la Divinité, ont pour but d'avertir les régions
que l'être existe, et qu'il est présent ; elles l'oublieraient
sans cela, comme nous l'oublierions nous-mêmes à cause de sa sublime
existence ; vérité qu'on peut étendre jusqu'aux sensibilisations
physiques, et à l'existence de notre être corporel, de même
qu'à l'existence de toute la nature, puisque chacune des sensibilisations
que nous voyons, que nous entendons, que nous goûtons, n'est qu'un avertissement
et une expression de l'être tandis que sans cela nous sommeillerions près
de lui, et nous serions comme étant sans lui, tant il est, non pas loin,
mais séparé et distinct de nous.
Ne soyons donc point étonnés, quand nous nous régénérons,
de sentir renaître en nous les sept sources ou les sept puissances qui
sont les colonnes fondamentales de tous les êtres, ou d'y sentir se former,
et s'y mouvoir les sept organes de l'esprit, puisque l'esprit veut être
connu, et que c'est nous qu'il a choisis pour être ses témoins
vivants. Si les sensibilisations spirituelles ne sont que les indices des opérations
éternelles de l'essence première, il faut que nous soyons sensibilisés
spirituellement avant de pouvoir faire connaître cette essence.
Aussi, lorsque nous sommes sensibilisés spirituellement à ce degré-là,
c'est alors que la langue se tait ; elle ne peut plus rien dire, et il n'est
pas nécessaire qu'elle parle, puisque l'être agit lui-même
en nous, par nous, et qu'il le fait avec une mesure, une sagesse et une force
dont toutes les langues humaines ne seraient pas capables.
Dans ce tableau, nous apercevons comment l'homme prouve Dieu, et peut être
utile à Dieu, puisqu'il eu dû être le témoin universel.
Nous voyons aussi combien cet homme doit lui être cher, en raison de cette
sublime destination. Car selon que je l'ai exposé souvent, il est certain
que s'il n'y avait point de Dieu, nous ne pourrions plus avoir de quoi admirer
; mais que s'il n'y avait point d'âme spirituelle immortelle, Dieu n'aurait
plus d'objet permanent qui pût être comme le foyer et le réceptacle
complet de son amour.
Quant aux divers noms de l'homme, on l'a déjà vu, le premier nom
actuel de l'homme, c'est douleur, affliction : il faut que ce nom résonne
dans tout notre être, avant que nous puissions arriver aux portes de la
vie et de la parole. Mais le second nom que l'homme trouve aux portes de la
vie, c'est la sainteté, dont la racine hébraïque signifie
renouveler. Quand il a le bonheur de faire renaître ce nom-là en
lui, alors il peut espérer d'entrer dans le ministère de l'Homme-Esprit,
attendu que la parole ne demande pas mieux que d'avoir des ouvriers ; et celui
qui comprendra la dignité de ce nom, les clarifications qu'il procure,
et les délicieux et magnifiques services qu'il nous met à même
de rendre à l'universalité des choses, connaîtra ce que
c'est que le bonheur et la gloire d'être un homme.
II ne se donnera donc point de relâche qu'il ne se soit mis en état
d'être employé ; car pour être vraiment utile aux régions
universelles, ce n'est point assez que d'arriver au sentiment vif et permanent
de son titre d'esprit, s'il ne parvient en outre à se faire employer
comme tel dans le champ divin, spirituel, céleste, régionaire,
israélite, grammatical-vif, patriarcal, prophétique, apostolique,
etc., contre le mal, le vide et les ténèbres. Il ne sera point
arrêté par la honte d'être obligé de faire apprendre
à toutes ses essences et à tous ses organes spirituels, cet élément
de la langue universelle, vu l'espoir qu'il a de pouvoir aussi un jour le faire
apprendre à tout ce qui ne le connaît point, et gémit après
cette connaissance.
Ce second nom engendre dans l'homme tous les autres noms partiels dont sa carrière
peut lui offrir le besoin et la propriété dans les divers dons
et emplois qui peuvent lui être destinés, et selon les diverses
inactions et améliorations qui peuvent se rencontrer sur sa route. Aussi,
quand l'Homme-Esprit se livre courageusement au travail de sa régénération,
et qu'il développe l'activité des facultés qui sont en
lui, il semble que, des divers points de l'horizon spirituel il se rassemble
sur sa tête comme autant de vapeurs actives et vivantes qui viennent établir
des sources fécondes et abondantes au-dessus de lui.
Le feu de ces nuages fermente ; il éclate : la source s'entrouvre, et
il en découle mille ruisseaux de rosée divine qui descendent sur
l'homme et qui l'inondent ; ces ruisseaux vivifiants s'introduisent en lui et
le pénètrent, comme font les pluies matérielles pour les
champs terrestres. C'est le zèle et le désir de l'homme qui est
le premier centre et le premier noyau de ces nuages si salutaires ; c'est lui
qui attire et fixe les vapeurs divines et spirituelles qu'il a le pouvoir de
convoquer et de mander, pour ainsi dire, de toutes les contrées où
Dieu agit, c'est-à-dire de l'entière universalité des choses.
C'est là un des plus beaux privilèges de l'homme, et celui qui
lui montre de la manière la plus convaincante comment il a été
investi du droit d'être l'image et le représentant de la Divinité.
Dieu a produit éternellement, et il produit encore continuellement les
essences de toutes ces vapeurs : l'homme, comme image de Dieu, a le pouvoir
de les rassembler, de les rendre sensibles, et d'en former des régions
à la force desquelles rien ne peut résister. C'est en quelque
sorte en répéter la génération ou au moins c'est
la répéter dans le degré inférieur et visible ;
le degré supérieur n'étant réservé qu'à
Dieu seul.
Cependant combien ces droits de l'homme de désir ne rencontrent-ils pas
d'obstacles ! Dans quelles affligeantes limites ne se trouvent-ils pas renfermés
! Car Dieu a bien dit aux hommes du temps de Noé, qu'il n'y aurait plus
de déluge, parce que, selon les lois de la justice et de la nature, lorsque
le germe de prévarication qui tombait sur les formes corporelles, et
qui, comme tel, était analogue à l'eau, eut fait son explosion
et eut attiré la punition correspondante, il ne pouvait plus répéter
le même désordre ; et par conséquent la punition du déluge
aquatique qui y correspondait, ne pouvait pas avoir lieu non plus. Mais Dieu
n'a pas dit pour cela qu'il n'y aurait plus de déluge spirituel ; et,
en effet, loin de croire que cette espèce de déluge ne puisse
avoir lieu, on peut dire qu'il est universel et continuel en voyant les torrents
d'erreurs qui couvrent la pensée de l'homme, et qui l'inondent.
Aussi les différents Noé qui sont nommés pour présider
à tous ces déluges, ont-ils à supporter l'effort des torrents
de douleurs qui les poursuivent et traversent leur être dans tous les
sens. Ils ne se plaignent pas même quand ils se sentent ainsi assaillis
; ils aiment que ces torrents s'accumulent en eux, qu'ils s'amoncellent et se
pressent les uns et les autres jusqu'à faire des irruptions dans toutes
les facultés et toutes les puissances de leur être.
Ils attendent, avec une foi vive et une délicieuse espérance,
que les eaux s'écoulent par tous ces canaux qui s'ouvrent en eux, que
la terre reprenne autour d'eux sa fertilité, que l'olivier arrive apporté
par la colombe qui est la parole, et qu'ils puissent restituer aux régions
stériles et désertes tous les animaux qu'ils ont recueillis dans
leur arche sainte, et dont ils sont si empressés de voir perpétuer
les races.
Néanmoins dans les afflictions d'esprit que l'homme de désir éprouve
au milieu des travaux de sa régénération et de son ministère,
il en est une qui lui paraît d'abord extrêmement désolante,
et il est surpris de ne pouvoir pas en abréger le terme à son
gré ; c'est de savoir qu'on peut tout obtenir du père au nom du
réparateur, et que cependant on n'obtienne pas encore le redressement
des voies universelles, l'abolition des iniquités humaines, et la délivrance
de la nature.
Quelquefois cet homme de désir se complaît dans ses douces perspectives
que lui montre sa pensée, et qui ne vont rien moins qu'à lui persuader
que ce grand uvre doit être possible d'après la promesse.
Quelquefois même il se sent ému par de saints élans qui
l'entraînent à croire qu'il pourrait, par sa foi, parvenir à
réaliser quelques parties de ces plans sublimes ; et il n'y a pas de
joies alors qui ne s'emparent de lui. Mais quand il se consulte scrupuleusement
sur ce point, voici la réponse qu'il reçoit :
Toutes les voies divines sont dirigées par l'amour : les puissances de
Dieu sont sans bornes à la vérité, et elles peuvent tout,
excepté ce qui contrarie l'amour. Or, c'est par amour que Dieu temporise
; c'est parce qu'il aime tout qu'il veut donner à tous les moyens et
les temps nécessaires pour se remplir de lui, et pour que rien ne revienne
à lui vide de lui. En brusquant les opérations et les temps, il
pourrait sûrement faire disparaître toutes les apparences fausses
et ténébreuses qui retiennent l'esprit comme captif ; mais il
pourrait aussi par là faire disparaître l'esprit même qui
seraient entraîné avec l'apparence, s'il n'était pas encore
saturé de la teinture divine ; or cette teinture ne peut s'y infiltrer
que par degrés. Si elle y pénétrait subitement et tout
à la fois, elle le porterait dans des mesures si violentes qui excéderaient
ses forces, et auxquelles il ne pourrait pas résister.
Ainsi la longanimité divine tempère nos desseins même pour
l'avancement du règne divin ; ainsi l'homme de désir, quelles
que soient les ardeurs de son zèle, ne pourra marcher dans les voies
de la sagesse, qu'autant qu'il se pénétrera du sentiment de cet
amour universel qui dispose tout suavement ; et quand il éprouvera de
ces mouvements vifs qui le porteront à rechercher le redressement des
sentiers tortueux, il faudra qu'il porte ces désirs jusque dans le sein
de l'éternel amour, qui seul peut savoir l'emploi qu'il en doit faire
pour l'accomplissement des bienfaisantes et sages volontés divines ;
il faudra qu'il se retire dans les profondeurs de son cur, et que là,
gémissant comme la colombe, il soupire en silence après l'extension
du règne de la vie et de la parole ; il faudra qu'il y travaille dans
les douleurs de l'attente et de la patience, et qu'il n'oublie jamais que si
c'est par l'homme coupable que le mal inonde l'univers, ce ne peut être
que par l'homme redevenu juste, que le règne du bien peut reprendre sa
place.
Il faudra, en un mot, qu'il prenne garde de n'écouter que son imprudence
et son aveuglement sur ses propres ténèbres, sur sa privation
et sur son impuissance si authentiquement méritées, tandis qu'il
ne croirait au contraire écouter que sa justice, et qu'il se croirait
en droit d'exiger de Dieu plus que sa mission actuelle ne lui permet même
de lui demander.
Qu'il songe donc que l'occupation continuelle de Dieu, c'est de séparer
le pur de l'impur, et que le temps entier est consacré à ce grand
uvre. C'est ainsi qu'il l'opère en nous dès le moment de
notre naissance, et même dès notre incorporation, puisque dès
lors il ne cherche qu'à délivrer graduellement notre âme
de sa prison ; et cependant il n'opère cette délivrance qu'à
la fin de notre vie : encore cela dépend-il de la manière dont
nous avons vécu.
Nous avons vu déjà plusieurs fois que l'esprit de l'opération
divine sur l'homme et sur l'univers était une immolation perpétuelle,
un dévouement continuel de la parole à se sacrifier elle-même
sans cesse pour substituer dans tous les êtres la substance divine en
place de ce qui les gêne et les tourmente. Comme nous venons de Dieu,
ce serait ce même esprit qui devrait à tous les instants nous animer,
si nous voulons être son image et sa ressemblance, et faire revivre en
nous le contrat divin. Aussi ce n'est pas seulement par vertu que nous devrions
être sages, c'est par équité et par égard pour notre
propre titre, aussi bien que par honneur pour celui qui nous en a revêtus,
et que nous sommes chargés de représenter.
Si tous ces motifs-là n'étaient pas suffisants pour nous rendre
sages, nous devrions alors l'être par charité pour tous les êtres
et toutes les régions qui sont en rapport avec nous, puisque nous ne
pouvons cesser d'être sages sans leur donner la mort au lieu de la vie
qu'ils attendaient de nous ; or, si nous ne sommes point assez élevés
pour pouvoir leur donner la vie, au moins ne nous abaissons point assez pour
leur donner la mort ! Heureux lorsque nous pourrons monter d'un degré
! Car dès lors toutes les vertus sortiront de nous, et nous ferons activement
par devoir le bonheur de tous les êtres.
Le sage travaille pour son propre repos, en effaçant chaque jour les
taches qui obscurcissent l'homme depuis le péché, et en cherchant
à faire descendre en lui la fontaine de vie qui seule peut lui donner
la paix ; c'est là le terme où tout homme doit tendre s'il veut
être juste. L'homme de charité va plus loin ; il ne se contente
pas de son propre bonheur ; il a encore besoin du bonheur de ce qui n'est pas
lui ; et ici cet esprit de charité peut porter deux différents
caractères, l'un spirituel, et l'autre divin.
Par le premier, l'homme cherche à opérer le repos de son semblable
; par le second, il cherche même à sabbatiser la parole, et c'est
là où il y a beaucoup d'appelés, mais bien peu d'élus.
Ministres des choses saintes, ne serait-ce pas à vous à nous enseigner
ces vérités si imposantes et si peu connues ? Car, qui est-ce
qui se persuade ici-bas que nous ne soyons autre chose que les grands économes
des domaines de Dieu, et chargés de travailler à son repos ? Hélas!
on pourrait dire que l'homme ne travaille qu'à l'uvre opposée,
et qu'il se conduit comme s'il ne cherchait qu'a opérer le repos de l'ennemi,
tandis que nous ne devrions nous occuper qu'à guérir les plaies
qu'il fait sans cesse à toutes les régions ; et tout nous apprend
que nous pourrions atteindre à ce haut emploi, en nous attachant en esprit
et en vérité au ministère de la parole, puisque s'il y
a d'un côté une progression descendante des abominations de l'homme
et de son ennemi, depuis l'origine du monde, il y a aussi une progression ascendante
des trésors divins développés devant nous, depuis cette
même origine, et qui ne cesseront de se développer jusqu'à
la culture du temps.
Si nous réfléchissions à ce qui est caché sous le
monde matériel universel, nous remercierions les magnificences divines
de s'être mises si fort en mouvement pour dérober à nos
yeux cet horrible spectacle.
Si nous réfléchissions au malheureux état de la famille
humaine, visible, ou invisible, nous remercierions les puissances de la nature
d'épargner à nos regards ce tableau déchirant, et nous
remercierions la sagesse suprême d'avoir permis que l'homme et la femme
puissent rallier en eux aujourd'hui et l'amour et la lumière sous le
voile de l'éternelle SOPHIE, parce qu'il n'y a pas un de ces mariages
saints qui ne soit célébré universellement dans toute la
famille de l'homme, et qui n'y porte la joie, comme nos mariages terrestres
portent la joie dans nos familles temporelles.
Si nous réfléchissions quelles sont les angoisses de la parole,
nous la remercierions d'avoir eu la charitable générosité
de se dévouer, comme elle l'a fait, à notre repos ; et nous nous
dévouerions à son repos, à notre tour, comme elle s'est
dévouée au nôtre.
C'est en marchant ainsi dans ces voies d'amour et de charité, que finalement
nous repousserions le mal et la douleur de toutes les régions, et que
nous reconnaîtrions dans quelle incommensurable proportion le bien l'emporte
sur le mal. Car il est bien vrai que le démon est si méchant,
que sans la base divine ou la bonté qui est descendue dans l'homme, nous
ne pourrions pas savoir seulement qu'il y a un Dieu ; mais aussi les hommes
sont tellement environnés de cette bonté divine, que sans la méchanceté
de l'homme, nous ne nous apercevrions seulement pas de l'existence du démon.
Il y a même dans le monde de si superbes manifestations de la parole,
et cela indépendamment des traditions connues, et surtout indépendamment
de la superbe manifestation de la nature, que quand je jette les yeux sur les
magnifiques développements découverts par la générosité
de la sagesse à quelques-uns de ses serviteurs, je ne peux m'empêcher
d'être étonné de cette prodigalité de sa part. Je
serais tenté de croire alors qu'elle ne connaît pas l'état
d'abrutissement, d'ignorance, et de grossier endurcissement où sont les
hommes relativement à la marche de la vérité, et au régime
fécond de l'esprit.
En effet, malgré son universelle surveillance, je crois qu'elle ne s'aperçoit
des écarts et de la méchanceté des hommes, qu'autant qu'ils
comblent les diverses mesures fausses où ils se trouvent, parce qu'alors
cet extralignement démesuré perce jusqu'à la régularité
de l'ordre suprême, et stimule la justice, qui sans cela aimerait à
reposer éternellement dans son voile d'amour.
L'état habituel de Dieu et des esprits par rapport aux hommes, c'est
de les croire moins mauvais qu'ils ne sont, parce que Dieu et les esprits habitant
le séjour de l'ordre, de la paix, de la vertu et de la bonté,
portent sur tout ce qui est, cette teinte de perfection qui est leur perpétuel
élément. Ils ont beau être déçus continuellement,
en quelque façon, par les abus récidivés de l'espèce
humaine, cela ne les empêche pas de lui prodiguer, l'instant d'après,
de nouvelles faveurs : vérité, dont les deux testaments des Juifs
et des Chrétiens nous offriraient comme une chaîne de témoignages
non interrompu : vérité qui ne surprend plus quand on a l'aperçu
de la racine génératrice éternelle, qui ne cesse de se
renouveler continuellement elle-même.
Cette manière d'être de la part de Dieu et des Esprits par rapport
à l'homme, ne s'oppose point à la surveillance continuelle où
ils sont à son égard pour le préserver, l'avertir et le
diriger dans les voies qui peuvent lui être ouvertes par la sagesse, parce
que toutes ces choses sont des uvres de l'amour et de la bienfaisance,
que c'est là leur élément naturel.
C'est toujours par là qu'ils commencent avec lui, et loin de soupçonner
le mal en lui, il faut qu'il soit lié complètement aux désordres,
pour qu'ils s'en aperçoivent au point de l'abandonner à lui-même
et aux suites de ses écarts, et encore ne tardent-ils pas à lui
donner de nouvelles marques de leur attention et de leur attachement.
Les deux progressions de maux et de biens se trouvent dans notre être,
et c'est par là que nous pouvons avoir des rapports avec tous les mondes,
et y exercer Mais ce n'est rien que de savoir ces choses ; l'essentiel est de
les réaliser. Le savant n'est rien aux yeux de Dieu ; il n'y a que les
ouvriers qu'il prise et qu'il récompense. A chaque degré que nous
parcourons dans l'uvre, nous acquérons de nouvelles forces ; et
l'homme qui suit les sentiers vifs de sa régénération,
peut arriver jusqu'à la montagne sainte pour y apprendre les ordonnances
du Seigneur.
Mais là l'impatience de la justice s'empare de lui, quand il voit les
abominations auxquelles se livre le peuple d'Israël.
Il brise les tables de la loi, parce que ce peuple n'est pas digne de les entendre.
Dans sa colère, il extermine tous les prévaricateurs qui engagent
l'âme humaine à se prostituer avec les nations, et qui sont armés
contre la parole.
Il lance la foudre contre les géants qui veulent assaillir le ciel, et
s'en rendre maîtres : Ô mon peuple, qu'est-ce que ton Dieu t'a fait,
pour que tu te sois irrité contre lui ! Qu'est-ce que vos pères
(Jérémie, 2: 5) ont trouvé d'iniquité en moi, pour
qu'ils se soient éloignés de moi, qu'ils aient marché après
des illusions, et qu'ils se soient rendus la vanité et le néant
!
A mesure que nous nous élevons sur cette montagne, nous nous revêtons
du manteau d'Élie, dont nous pouvons hériter dès notre
vivant, et par l'organe duquel nous pouvons faire tomber le feu du ciel, diviser
les eaux du fleuve, guérir les maladies, ressusciter les morts ; car
il n'y a que ce manteau d'Élie, ou notre vêtement pur et primitif,
qui puisse conserver la parole en nous, comme un manteau terrestre conserve
notre chaleur corporelle. L'être animal ne peut point contenir en soi
cette parole vive : il n'y a que notre corps virginal qui puisse la fixer.
L'usage d'embaumer les corps des morts, et de les remplir des aromates les plus
précieux, est une transposition de ce principe qui nous appelle tous
à notre régénération soit corporelle, soit spirituelle.
Il est certain que nous n'aurions pas d'autre tâche dans le monde, si
nous étions prudent, que de travailler continuellement à revivifier
dans nous le corps pur et l'esprit de vérité qui y sont comme
éteints et comme morts ; en sorte qu'à notre mort physique, nous
nous trouvassions parfaitement embaumés dans tous les sens corporels
de notre première forme, non pas à la manière des momies
terrestres, qui demeurent sans vie et sans mouvement, et finissent par se dissoudre
; mais comme emportant avec nous le baume vivant et incorruptible qui rendra
à tous nos membres leur agilité et leur activité primitives,
et cela dans des progressions toujours croissantes, comme l'infini et l'éternité.
Or, nous pouvons même ne pas attendre le moment de notre mort physique
pour cela. Le prophète Ahia ne pouvait plus voir, parce que ses yeux
s'étaient obscurcis à cause de son grand âge ; et cependant
il sut reconnaître la femme de Jéroboam et son dessein, lorsqu'elle
entra chez lui déguisée pour le consulter sur la maladie de son
fils qu'elle craignait de perdre.
Oui, si nous ne sommes pas des êtres égarés et liés
par notre ennemi, nous pouvons tellement ouvrir les pores de notre esprit, de
notre cur et de notre âme, que la vie divine les pénètre
tous, qu'elle nous imprègne de l'élément pur, que, malgré
le dépérissement auquel l'âge expose nos organes matériels,
nous exhalions tous les parfums de la région à venir, et que nous
soyons ainsi des organes ambulants de la lumière et de la gloire de notre
souveraine source : et telle était notre primitive destination, puisque
nous devions être unis et animés de l'esprit et de la parole qui
produit d'elle-même toutes ces choses.
En suivant la trace des grands ouvriers du Seigneur, mous devons donc orner
ainsi notre vrai corps de toutes les uvres auxquelles nous aurons concouru,
ou que nous aurons opérées nous-mêmes, comme le réparateur
orna son corps de gloire de toutes les uvres qu'il avait manifestées,
soit par lui-même, soit par les patriarches et les prophètes. C'est
par là que nous concourrons à orner ce même corps de gloire,
dans lequel le réparateur se montrera à la fin des temps, lorsqu'il
viendra pour être glorifié dans ses saints, et pour se faire admirer
dans tous ceux qui auront cru en lui (2.e Thess. 1 : 10) ; c'est par là
que nous concourrons à la destruction de cet homme de péché
qui se forme depuis longtemps, et qui se compose des iniquités des hommes
(id. 2 ; 7 ).
Car l'ennemi ne se contente pas de nous avoir dépouillés de notre
corps primitif ; il voudrait encore nous dérober notre corps élémentaire
pour couvrir sa nudité, parce qu'il ne reçoit aucun secours de
cette nature physique dans laquelle il est renfermé, et qu'il n'en éprouve
que la rudesse et l'âpreté, attendu que ce sont là les seules
qualités qu'il ait primitivement réveillées en elle, et
que ce n'est qu'en se revêtant ainsi de notre corps élémentaire,
qu'il pourra mettre un jour le comble à ses prestiges, à ses abominations
et aux illusions de ceux qui n'auront pas établi leur confiance dans
la vérité.
Ministres des choses saintes, ce serait à vous à nous instruire
de toutes ces profondeurs. Vous savez que le Seigneur dit au prophète
Jérémie (26) : Tenez-vous à l'entrée de la maison
du Seigneur, et dites à tous les habitants des villes de Judée
qui viennent adorer.
voici ce que dit le Seigneur
Si vous ne faites
ce que je vous dis, en marchant selon la loi que je vous ai donnée, et
en écoutant les paroles des prophètes qui sont mes serviteurs,
que je vous ai envoyés de bonne heure, et que j'ai conduits vers vous,
et que vous n'avez point écoutés, je réduirai cette ville
dans le même état où est Silo, et je rendrai cette ville
l'exécration de tous les peuples du monde.
Eh bien ! ministres des choses saintes, c'est vous que le Seigneur a envoyés
à l'entrée de l'âme de l'homme, et à qui il a ordonné
de lui faire connaître les lois et les ordonnances du Seigneur.
Vous devriez donc vous tenir à l'entrée de l'âme de l'homme,
et là vous devriez dire à cette âme toutes les paroles que
le Seigneur vous a ordonné de lui dire ; car s'il a choisi l'homme pour
être le prophète de Dieu, comment ne pourrait-il pas se choisir
des hommes pour être les prophètes de l'homme ?
Aussi le prophète de l'homme n'est-il que le serviteur des serviteurs
de Dieu.
Tenez-vous donc à l'entrée de cette âme de l'homme, et dites-lui
ce que le Seigneur vous aura dit, sans en retrancher la moindre parole, pour
voir s'ils écouteront et s'ils se convertiront en quittant leur mauvaise
voie, afin que le Seigneur se repente du mal qu'il avait résolu de leur
faire, à cause de la malice de leur cur.
Ce serait à vous à enseigner aux hommes que pour qu'ils ne deviennent
pas la vanité et le néant, il faudrait que la parole même
habitât en eux. Enfin ce serait à vous à leur faire sentir
ce qu'ils auraient à faire pour que la parole même habitât
en eux. Ils savent que quand quelque ami chéri est attendu dans un palais,
tous ceux qui habitent ce palais, soit maîtres soit serviteurs, se mettent
en mouvement. Ils savent aussi ce qui se passe dans les places de guerre, et
dans tous les autres grands établissements publics, lorsque quelqu'un
de puissant ou quelque souverain doit y paraître. Ils y voient le même
empressement se manifester, et cela par les signes les plus marquants. C'est
à qui s'évertuera le plus pour s'acquitter de la fonction qui
lui est confiée.
Eh bien, pour les disposer à recevoir l'hôte important qui ne demande
pas mieux que de les venir visiter, il n'y a donc pas une faculté de
leur être qui ne dût sans cesse développer son zèle,
et s'acquitter de son emploi avec un empressement plus vif encore et qui annonçât
à la fois le respect et l'amour. Il faut que tout ce qui constitue leur
être, et que les diverses régions de leur existence se livrent
à une activité ardente et non interrompue, afin que tout ce qui
est en eux devienne le canal, l'organe et l'agent de la parole, ou de cet hôte
majestueux et ineffable à qui leur être même peut servir
de demeure, et dans qui il veut venir célébrer les saints mystères.
Célébrer les saints mystères ! Heureux l'homme qui aura
senti en lui-même le moindre trait de cette uvre merveilleuse et
incompréhensible, et qui aura eu le moindre aperçu de ce vivant
et magnifique prodige dont on n'a pas le loisir, ni peut-être la possibilité
de saisir l'intelligence, tant il nous absorbe dans le bonheur et dans le plaisir,
et parce qu'il appartient exclusivement au ministère de la parole !
Malheureusement à peine le réparateur ou la parole visible, eut-il
disparu de dessus la terre, que la lumière déclina, et que les
ministres des choses saintes, tombant dans la discussion des lois terrestres,
étaient obligés d'aller aux voix, parce que, hors cette parole,
nous ne trouvons plus de clarté fixe et imperturbable ; et ils oubliaient
que cette parole leur avait promis d'être avec eux jusqu'à la consommation
des siècles.
Aussi je serais inconsolable si Paul avait été chancelant dans
sa foi après son élection, parce que cette élection avait
été faite après la clôture du temple terrestre, et
après l'ouverture du temple divin ; au lieu que je ne le suis pas du
reniement de S. Pierre, qui eut lieu avant l'une et l'autre. Je ne le suis pas
non plus des fureurs du doux Jean, empêchant un homme de chasser les démons
au nom de son maître que cet homme ne suivait point.
Je ne le suis pas des fureurs du doux Jean voulant faire descendre le feu du
ciel sur un village samaritain où son maître n'avait pu être
reçu, parce qu'il paraissait qu'il allait à Jérusalem.
Le maître nous apprend quelle était l'ignorance de ses disciples
en ce temps-là, puisqu'ils ne savaient pas à quel esprit ils étaient.
Ne perdons point de vue les progressions et les époques temporelles et
spirituelles auxquelles le réparateur lui-même a été
assujetti.
Mais vous qui n'êtes entrés dans la ligne de l'administration de
la parole qu'après que toutes les portes spirituelles et divines en avaient
été ouvertes, ne croyez-vous pas avoir travaillé quelquefois
à les fermer ? Pourquoi dans toutes vos solennités ne nous donnez-vous
que pour des commémorations, ce qui ne devrait avoir lieu que pour opérer
en nous des réalités toujours croissantes ? Pour que ces solennités
fussent de vraies fêtes religieuses, il faudrait que l'esprit qui devrait
y présider par votre organe, nous fit monter réellement lors de
chaque période au degré de virtualité où la chose
divine a monté elle-même dans le monde lors de cette époque.
C'est ainsi que du temps des Juifs, lors de la fête des tabernacles, il
aurait fallu que l'homme interne et invisible montât en lui-même
par le secours des ministres sacrés, jusqu'à la région
des tabernacles spirituels et éternels vers lesquels nous devons tendre
tous en ce monde.
C'est ainsi que lors de leurs sacrifices sanglants, ils auraient dû monter
intérieurement jusqu'au sacrifice intime de tout leur être terrestre,
afin que leur ardente volonté s'élevant au travers de cette victime
qui est eux-mêmes, ils pussent s'unir au désir saint et à
l'amour sacré de la suprême sagesse, qui ne cherche qu'à
renouveler son antique alliance ou son contrat primitif avec nous.
C'est ainsi qu'en célébrant la fête du sabbat, ils auraient
dû s'élever en esprit au-dessus des six actions ou puissances élémentaires
qui emprisonnent l'homme aujourd'hui, et unir leur être intime aux sept
sources universelles dont il découle, dont il est comme une virtuelle
représentation, et dont il n'aurait jamais dû se séparer.
C'est ainsi que les enfants de la nouvelle loi, lors de la fête de la
naissance du réparateur, devraient, par votre ministère et votre
exemple, faire naître en eux ce réparateur lui-même, et lui
ouvrir la porte à l'accomplissement de toute sa mission dans leur individu,
comme il l'a accomplie pour l'universalité.
C'est ainsi qu'à la fête de la Pâque, ils devraient travailler
à le faire ressusciter en eux du tombeau, où nos éléments
corrompus, nos ténèbres et nos souillures le retiennent habituellement
enseveli.
C'est ainsi qu'à la fête des semaines, ils devraient travailler
à ressusciter en eux l'intelligence de toutes les langues que l'esprit
parle sans cesse à tous les hommes, et que notre épaisse matière
nous empêche d'entendre. Chaque année le retour de chacune de ces
fêtes devrait opérer dans le fidèle un nouveau degré
de développement, et c'est ainsi qu'il arriverait progressivement jusqu'au
terme de régénération qui lui serait accordé dans
ce bas monde.
Ne craignez-vous point que l'usage que vous lui faites faire de toutes ces mémorables
et salutaires époques, n'imprime dans sa mémoire qu'un stérile
souvenir, et ne retarde l'homme qui chercherait sous vos ailes à devenir
ouvrier du Seigneur ? Cependant où se trouvera la consolation et le sabbat
de la parole, s'il ne se forme pas des ouvriers du Seigneur ? Elle attend que
les hommes rétablis dans le ministère divin, en exercent les importantes
fonctions chacun selon son grade et selon son poste.
Or, ce ministère consiste à se remplir de merveilleuses fontaines
divines, qui s'engendrent elles-mêmes de toute éternité,
afin qu'au seul nom de son maître, l'homme précipite tous ses ennemis
dans l'abîme ; afin qu'il délivre les différentes parties
de la nature des entraves qui la resserrent et la retiennent dans l'esclavage
; afin qu'il purge l'atmosphère terrestre de tous les venins qui l'infectent
; afin qu'il préserve le corps des hommes de toutes les influences corrompues
qui le poursuivent, et de toutes les maladies qui les affligent ; afin qu'il
préserve encore plus leurs âmes de toutes les insinuations malignes
qui les altèrent, et leur esprit de toutes les images ténébreuses
qui l'obscurcissent ; afin qu'ils rendent le repos à la parole que les
fausses paroles humaines tiennent dans le deuil et dans la tristesse ; afin
qu'il satisfasse les désirs des anges qui attendent de lui le développement
des merveilles de la nature ; afin, en un mot, que l'univers devienne plein
de Dieu comme l'éternité.
Voilà ce que l'on pourrait appeler la prière journalière
de l'homme ou son bréviaire naturel ; vérité profonde,
que l'église externe a cru peut-être ne devoir pas enseigner, mais
dont elle conserve au moins la figure en mettant le bréviaire des prêtres
au nombre de leurs devoirs rigoureux ; et voilà l'emploi que l'homme
peut espérer d'obtenir quand il s'élève vers son principe,
et qu'il ose le solliciter de sortir de sa propre contemplation pour venir au
secours de la nature, au secours de l'homme, et au secours de la parole : telle
est l'époque que l'esprit attend, et pour laquelle il soupire avec des
gémissements ineffables.
Pour toi, l'homme de désir, tels sont les sentiers que tu suis, et non
seulement tu conserves des traces réelles de ta véritable destination,
mais tu sais par expérience, autant que par persuasion, que tous ceux
de nos instants qui ne sont pas pour Dieu sont contre Dieu, puisque le seul
objet de notre existence est d'aider à Dieu à rentrer dans son
royaume, et à se rétablir universellement sur son trône.
Aussi tu ne cesses de dire :
"Pleurez, pleurez, prophètes ; pleurez, âmes de désir,
de ce que le moment n'est pas encore venu, où ta parole puise verser
sur la terre toutes ses richesses ; elle pleure encore plus que vous de se voir
ainsi contrariée dans son amour. "
"Ma pensée s'est déterminée, par une sainte et ferme
résolution, à se porter toute entière à l'avancement
de son uvre ; elle s'y est fixée, et a juré de ne jamais
plus s'en détourner. Ma pensée posera son feu sur toutes les matières
combustibles et étrangères à mon essence. "
"Elle l'y laissera jusqu'à ce qu'elles s'échauffent et qu'elles
s'embrasent, et jusqu'à ce qu'il se fasse au milieu de toutes ces matières
combustibles une explosion universelle qui, à chaque instant de mon existence,
fasse entendre les sons les plus imposants."
"Pourquoi le feu de ma pensée n'opérerait-il pas une semblable
explosion ? Ne vois-je pas un feu périssable se poser sur les nuages
et les faire voler en éclats ? "
"Et toi, pensée de l'homme ; toi, rayon vivant, sorti d'un feu plus
vivant encore que toi-même, tu aurais moins de privilège que le
feu de la nature, de qui un jour les yeux de la Divinité se détourneront
et il ne sera plus ! "
"Non, non, sens ta dignité, sens ta grandeur, porte-toi toute entière
vers le but de ton uvre et de ton avancement. Ils sont là, les
ennemis de ton uvre et de ton avancement : quand même ils ne seraient
plus identifiés avec toi, ils se sont emparés du seul poste qui
soit fait pour toi, et ils n'oublient rien pour t'empêcher d'y rentrer."
"Ne te détourne point de ton uvre, jusqu'à ce que tu
aies tellement nettoyé ce poste, que toi seule y conserves de l'autorité,
et que jusqu'aux moindres traces de tous les pas de l'ennemi en soient effacées."
"Aie soin même d'allumer des feux purificateurs dans tous les lieux
où il aura habité et par lesquels il aura passé, parce
que ce poste, après avoir été un champ de meurtre et de
carnage, doit devenir le temple de la paix et de la sainteté."
"LA SAINTETÉ DE LA PAROLE, voilà le feu qu'il faut allumer
dans tous les lieux où l'ennemi aura habité et par lesquels il
aura passé ; et même ce mot seul le fera fuir et lui fera abandonner
son poste."
"N'en prononce plus d'autre le reste de tes jours ; ne séjourne
plus parmi les ténébreuses opinions des hommes, laisse-là
leurs obscures recherches. Tu es sûr d'être dans la ligue de vie,
dès que ton cur aura prononcé ce mot, LA SAINTETÉ
DE LA PAROLE !"
"Les ténébreuses opinions des hommes et leurs obscures recherches
t'imprégneraient de leurs confuses ignorances ; ne tourne plus la tête
derrière toi, dès l'instant que tu as mis la main sur le timon
de la charrue"
"Que la paix règne entre toi et tous ceux qui croiront à
LA SAINTETÉ DE LA PAROLE, et que toutes les diversités d'opinions
disparaissent. Naaman, général du roi de Syrie, avait cru à
LA SAINTETÉ DE LA PAROLE : aussi, quand il demande à Élisée,
qui l'avait guéri de la lèpre, s'il lui sera permis désormais
d'aller, avec le roi, adorer dans le temple de Remmon, le prophète lui
répond : Allez en paix. "
"Que les fantômes, que les illusions de tous les mondes, que les
puissances déchaînées des abîmes se présentent
devant toi : il faut désormais qu'elles s'y présentent en vain,
parce qu'il faut qu'elles te trouvent à ton poste, et qu'elles sachent
que tu y veux demeurer pour l'éternité"
Homme, vois quelle est la sublimité et l'étendue de tes privilèges
! L'univers est dans la souffrance ; l'âme de l'homme est sur son lit
de douleur. Le cur de Dieu attend de toi que tu procures l'accès
à sa parole, dans l'univers, et dans l'âme de l'homme. Ainsi tu
as le pouvoir de rendre le repos à l'univers, à l'âme de
l'homme, et au cur de Dieu.
Homme, n'entends-tu pas comme ils te demandent leur repos, comme ils te sollicitent
de ne pas le retenir, comme ils t'adressent ces touchantes supplications : dis
une parole et mon âme sera guérie ! supplication que toi-même
devrais sans cesse avoir à la bouche envers celui qui, le premier, t'a
tendu les bras pour te secourir dans ta détresse.
Dis-la donc, homme, cette parole, car tu n'auras pas toi même le repos
que tu ne l'aies prononcée. Fais que le cur de l'homme ne se renferme
plus dans sa froide enceinte ; fais que le centre de l'âme humaine s'entrouvre.
Elle est si grande, que c'est à son propre repos et à sa propre
gloire qu'est attaché le repos de toutes les régions ; non seulement
tu es par là comme le souverain et le dominateur établi sur les
uvres de Dieu ; mais tu es même constitué et établi
par l'éternelle charité divine, pour que ton zèle et ton
amour deviennent l'aiguillon du zèle et de l'amour de l'éternelle
puissance ; pour que ton cur devienne, en quelque sorte, le Dieu de ton
Dieu.
Mais aussi dès que ton cur peut être, en quelque sorte, ici-bas,
le Dieu de ton Dieu, vois ce qui doit résulter quand tu t'arrêtes.
Oui, l'homme ne peut cesser un instant son uvre sublime, que tout ne souffre
de sa paresse et de son indolence. Respecte ton emploi, ô homme ! glorifie-toi
de ton saint ministère, mais trembles. Tu es comptable de l'harmonie
de la nature, du repos de l'âme de tes semblables, et des joies ineffables
de celui qui est ; et qui s'appelle le TOUJOURS.
Il est donc vrai que la prière de l'homme n'est pas moins nécessaire
au bonheur des êtres, que le mouvement n'est nécessaire à
l'existence de l'univers ; mais cette prière a deux temps ; l'un doit
s'employer à atteindre à notre poste ; l'autre doit s'employer
à le remplir. Or, ni l'un ni l'autre de ces deux temps ne doit connaître
un instant de suspension.
L'homme ne devrait pas plus se reposer que Dieu même ; car le repos de
l'homme devient même une prière, lorsque cet homme a eu soin de
prier virtuellement avant de se reposer. L'action de Dieu et l'action de l'homme
sont liées l'une à l'autre, elles doivent être perpétuellement
simultanées. L'homme est esprit, Dieu est esprit ; l'homme a le pouvoir
de dire à Dieu : nous sommes esprits l'un et l'autre, coordonnons mutuellement
notre action. L'homme peut assister, sous l'il de Dieu, à l'oscillation
du balancier qui règle les mouvements des diverses régions des
êtres ; il est chargé d'en gouverner tous les battements.
Que l'homme voie là s'il doit jamais rien se permettre, que ce ne soit
de concert avec Dieu. Jacob Boehme a dit qu'un désir même était
un péché. Si un désir que nous ne partageons pas avec Dieu
est un péché, une pensée qui n'est pas de Dieu est une
embûche ; un projet qui n'est pas de Dieu est une atteinte à sa
puissance ; une parole qui n'est pas de Dieu est une usurpation sur ses droits
; une action qui n'est pas de Dieu est un vol fait à son universelle
activité ; un seul mouvement qui n'est pas de Dieu est le crime d'une
imprudente ambition.
Avant toutes choses, l'homme doit donc dire à toutes les facultés,
propriétés et formes qui le composent : je vous ordonne, comme
père et chef de famille, de vous attacher chacune à vos fonctions
en moi, et de n'être pas un instant sans concourir par votre vigilance
et votre activité à l'ordre qui doit régner en moi, pour
que l'ordre universel me trouve prêt lorsqu'il lui plaira de s'approcher
de moi. Employez constamment vos puissances à cette uvre particulière
; vous êtes des êtres d'action ; pour moi, il me suffit d'y employer
ma volonté, parce que je suis l'image du principe.
Homme, ta dégradation même ne te dispense pas de cette permanence
de ta prière ; tes mains devaient autrefois être perpétuellement
élevées vers le ciel. Le décret divin te condamne à
les baisser laborieusement jusqu'à terre pour en faire sortir ta subsistance
; mais pendant que tu remplis cette pénible tâche, tu peux élever
encore les mains de ton âme vers la source universelle de la lumière
; ce ne sont que les mains de ton corps qui sont condamnées au travail
terrestre. Garde-toi surtout de les employer à l'injustice. L'homme du
torrent, non seulement n'élève plus ses mains vers le ciel, non
seulement il ne les abaisse plus jusqu'à terre pour subir le décret
; mais il dérobe, afin de se soustraire à ce décret souverain,
et par ce crime social, il viole à la fois la loi céleste, la
loi terrestre et la loi de famille, ou celle de la fraternité.
Ô cupidité ! quels maux ne fais-tu pas au ciel, à l'homme
et à la terre ! Au ciel, parce qu'elle t'ôte la confiance dans
le suprême principe, le seul puissant, et de qui tu puisses attendre la
richesse vivante, au lieu de ces trésors morts et sans vertu que tu dérobes
et que tu entasses avec soin. A l'homme, parce qu'indépendamment de ce
qu'elle lui ôte la confiance en son principe, elle lui ôte aussi
l'industrie et l'activité, pour accomplir le grand décret, qui
condamne au travail et à la sueur l'espèce humaine. A la terre,
parce que tu lui retiens par là sa culture.
Mais si c'est pour le but le plus sublime que la parole a été
donnée à l'homme, quel sera donc un jour le sort de sa parole
après l'emploi si abusif qu'il en en fait tous les jours ?
Toute parole qui n'aura pas concouru à l'amélioration universelle,
sera mise à la refonte.
Toute parole qui aura été employée à augmenter encore
l'altération, sera mise au rebut.
Toute parole qui aura été employée à la dérision
et au blasphème, sera jetée dans l'étang corrosif, où
elle deviendra encore plus vénéneuse et plus putride.
Il faudra que la parole éternelle repompe et reprenne dans son sein toutes
les paroles fausses, nulles et infectes de l'homme, et qu'en les faisant passer
au feu puissant de son ineffable jugement, elle refonde celles qui en seront
encore susceptibles, qu'elle mette de côté celles qui auront été
viciées, et qu'elle jette dans l'étang corrosif celles qui d'avance
se seront remplies d'infections.
"Suprême agent, s'écrie l'homme de désir, quelle douleur
peut être comparable à ma douleur, lorsque je vois ainsi la parole
dont tu avais gratifié l'homme, devenir dans sa bouche un instrument
meurtrier, dirigé contre toi-même et contre la parole !
"Oh ! non, tu me mets à de trop rudes épreuves ! elles excèdent
la force de ma nature, il ne lui est pas donné de les supporter, ni de
résister à de pareilles douleurs. Quelle est donc l'immensité
inépuisable de ton âme éternelle et divine, ô puissance
suprême, puisque l'âme humaine, qui n'en est qu'un reflet, peut
sentir approcher de soi de semblables douleurs !
Pourquoi laisses-tu approcher de l'âme humaine des douleurs si aiguës
? Pourquoi aussi sont-elles d'un genre qui ne lui permet qu'il peine d'avertir
ses semblables de leur infortune ? Il faut qu'elle leur taise, en quelque façon,
leurs propres maux ; il faut qu'elle renferme en elle-même ses plus épouvantables
angoisses, comme tu renfermes dans ton cur ineffable toutes les angoisses
que lui font sentir les paroles fausses et réfractaires de l'universelle
humanité."
"Tu aimes à être violenté ; je ne te donnerai point
de relâche que tu n'aies rendu la respiration à ma parole, pour
qu'elle puisse gémir librement sur la désharmonie de la nature,
sur les malheurs de l'homme et sur les angoisses de ton âme divine. "
"Mais le seul vrai moyen d'obtenir cette faveur de toi, c'est de travailler
sans cesse à établir dans mon être individuel l'harmonie
que tu engendres et maintiens sans cesse dans l'universalité des régions
des êtres. Oui, il faut que je travaille sans cesse à rendre ma
parole le Dieu de mon moi et de mon cercle, comme tu es le Dieu du cercle illimité
; alors devenu esprit, comme tu es esprit, je cesserai d'être un étranger
pour toi ; nous nous reconnaîtrons mutuellement pour esprits, et tu ne
craindras plus de t'approcher de moi, de frayer et de commercer avec moi. "
"Ce n'est qu'alors que je serai vivant ; ce n'est qu'alors que ma parole
pourra se faire entendre au milieu des déserts de l'esprit de l'homme.
Pour que je fasse un usage vrai et juste de ma parole, il ne faut pas que j'en
prononce une qui ne produise autour de moi l'amélioration et la vie.
Pour que je ne prononce pas une parole qui ne produise autour de moi l'amélioration
et la vie, il ne faut pas que j'en prononce une qui ne me soit suggérée,
prêtée, communiquée, commandée."
"Suprême auteur de l'ordre et de la paix, combien tu es fécond,
et inépuisable dans tes sagesses et dans tes bienfaisants trésors
! Tu as établi le ministère de l'homme et son bonheur sur la même
base ; il est destiné à n'agir et à ne parler que pour
faire le bien comme toi ; et il ne peut faire le bien qu'il n'ait commencé
par être heureux, ou vivifié par ta parole. "
"Il est destiné à jouir comme toi d'une permanente félicité
; il lui suffirait pour cela de ne jamais se séparer de ta parole, et
de ne jamais interrompre son commerce avec elle. Car pourquoi Dieu ne fait-il
que le bien ? C'est qu'il ne peut laisser sortir de lui que la parole vivifiante."
"Pourquoi est-il heureux sans interruption ? c'est qu'il ne cesse jamais
de sentir, de proférer, et d'entendre la parole de vie. Pourquoi est-il
toujours dans le repos et la sérénité ? Ou pourquoi est-il
vivant ? C'est qu'il parle toujours, et que la parole qu'il prononce intérieurement
et dans son propre centre, ne cesse d'y engendrer l'ordre et la paix, parce
qu'elle ne cesse d'y engendrer la vie".
Et toi, ô homme ! tu es destiné à être éternellement
parole active dans ta mesure, comme Dieu est éternellement parole active
dans l'universalité. Homme, homme, ne diffère pas un moment à
travailler de toutes tes forces à devenir continuellement parole active
dès ce monde ; non seulement cela ne doit pas t'être impossible,
mais cela doit être un devoir pour toi, puisque ce ne sera là que
rentrer dans tes droits, attendu que tu es destiné à être
éternellement parole active.
Oui, l'homme qui s'unit sans cesse à sa source, peut arriver à
un tel point d'activité et de sagesse, que son haleine ne rende pas un
souffle qui ne produise et ne répande de glorieux bienfaits, comme étant
une quintessence du baume purificateur universel.
Ainsi l'homme est un être indigne de ce nom : c'est un être injuste
au suprême degré, un épouvantable criminel, quand il est
un instant sans répandre la parole active et sainte autour de lui, soit
sur la nature, soit sur l'homme, soit sur la vérité affligée.
Hélas! pourquoi est-elle possible, cette effroyable, infructueuse et
aveugle consommation de paroles que les hommes font à tous les instants
? Le psalmiste a dit que la bouche de l'homme était un sépulcre
ouvert ; mais cette région terrestre, que sera-t-elle donc, puisqu'elle
ne cesse de recevoir dans son sein ces paroles mortes et cadavéreuses
qui ne cessent de sortir de la bouche de l'homme, et qui errent si librement
dans l'atmosphère ! Quelle ténébreuse obscurité
que celle dans laquelle la famille humaine presque toute entière passe
toute la longueur de ses jours !
Ils disent que le temps est trop court : hélas ! s'ils se donnaient la
peine de le mesurer, ils verraient quelle est son immense étendue ; ils
seraient étonnés de l'abondance de temps que Dieu nous prodigue.
Elle est telle que si nous pouvions employer une infiniment petite partie du
temps qui nous est donné, nous serions bientôt replacés
au-dessus du temps. En effet, il n'y a pas un homme qui, dans sa vie, n'ait
eu un instant suffisant pour atteindre et embrasser l'éternité
; car il n'y a pas un point du temps dans qui cette éternité toute
entière, pour ainsi dire, ne soit renfermée.
Comment ne connaîtrions-nous pas alors la vaste étendue du temps,
puisque nous pourrions le mesurer avec l'éternité même qui
est son échelle, au lieu que nous ne le mesurons qu'avec les résultats
morcelés de ce temps, qui sont toujours variables, indéterminés,
corrosifs ou nuls ?
Alors nous n'en sentons que le vide : voilà pourquoi il nous paraît
si court et si stérile. Oh ! si nous pouvions sentir de quoi il est plein,
combien il nous paraîtrait vaste et fertile ! L'universalité des
choses est une grande balance, l'éternité en est le sommet et
le régulateur, le temps en est les deux bassins. L'éternité
est le pivot du temps : ce n'est que sur ce point fixe et universel que le temps
repose et peut se mouvoir.
D'un autre côté, ils disent que le temps est bien long, et ils
ne cherchent qu'à l'abréger ; mais ce n'est point en pompant ce
qui est en lui qu'ils cherchent à l'abréger, c'est en le laissant
passer sur eux sans qu'ils s'en aperçoivent, c'est en le laissant expirer
sans qu'ils se remplissent de la vie qui est en lui ; et quand le temps est
écoulé, ils croient avoir atteint le terme, pendant qu'ils n'ont
fait que s'écouler aussi avec leurs projets vains, et leurs futiles occupations
pour ne pas dire avec leurs cupidités criminelles et outrageuses à
leur principe.
En effet, les hommes ne savent pas fixer le présent, puisqu'il ne se
trouve plus auprès d'eux ; mais espérant toujours qu'ils vont
rencontrer quelque chose de ce présent qui leur manque, ils saisissent
avec avidité tout ce qui s'offre journellement à leurs yeux dans
l'ordre terrestre, politique, scientifique, et dans l'ordre simplement social
et rempli de ces puérils événements dont nous sommes sans
cesse les témoins. Voir ce qui fait courir la multitude à tous
les spectacles de tout genre, depuis le théâtre jusqu'au moindres
des faits qui se passent sur les places publiques, et jusqu'aux moindres des
conversations qui se passent dans les cercles frivoles de la société.
Mais au lieu de fixer le présent par là, tout ce que leur inquiète
curiosité leur fait recueillir, ils le reportent dans le passé.
Comme, en effet, ils ne recueillent que des choses du temps, elles deviennent
toujours passées pour eux. Aussi ne s'en servent-ils que pour les réciter
ensuite ; et c'est ce qui fait qu'il y a tant de conteurs dans le monde. S'ils
s'occupaient du véritable présent ou de ce qui n'est pas dans
le temps ils porteraient leurs yeux sur l'avenir ; et peut-être qu'au
lieu de ne devenir que des conteurs, ils deviendraient naturellement des prophètes.
Ils ne songent pas qu'il y a trois éternités, l'éternité
souffrante, l'éternité militante, et l'éternité
triomphante : expressions qui ont été transposées à
l'église externe. Mais ces trois éternités peuvent n'en
faire qu'une pour l'homme et l'accompagner à tous les pas.
Par conséquent si la triple éternité accompagne l'homme
à tous les pas et que l'homme soit l'image de Dieu, il s'ensuit que l'homme
ne remplit pas son emploi, et ne peut être en repos, s'il ne participe
habituellement aux trésors de cette triple éternité ; et
ces trésors, c'est de se délivrer continuellement de la mort et
d'en délivrer tous les êtres. Ce n'est que cette espèce
de prodiges qu'il ait à opérer dans le temps : après le
temps il pourra s'appliquer à une autre sorte de prodiges, s'il a gagné
ce privilège par son zèle et son étude à cultiver
le champ des prodiges antérieurs ; et cette nouvelle espèce de
prodiges sera de concourir à faire manifester éternellement les
merveilles de la vie.
Lorsque l'homme de Dieu instruit ses semblables, il n'y a donc pas une de ses
paroles qui ne dût être confirmée par les signes virants
son élection et de la virtuelle présence de l'esprit de vie en
lui. Ainsi cet homme devrait, pour ainsi dire, n'être qu'un foyer perpétuel
et inépuisable de prodiges qui pourraient sans cesse sortir de toutes
ses facultés et de tous les organes de son être, puisque telle
devait être sa propriété dans son état primitif,
et puisque telle sera sa destination finale, quand il sera réintégré
dans l'universelle source où les prodiges et les miracles n'auront même
plus que des délices à réveiller et à répandre
puisqu'ils n'auront plus le spectacle douloureux de l'iniquité et des
désordres à contempler, ni la tâche pénible de travailler
à les combattre.
On n'a plus besoin de se demander pourquoi l'homme devrait être ainsi
en petit un foyer perpétuel et inépuisable de prodiges : c'est
que perpétuellement la vie divine devrait demeurer en lui, et perpétuellement
s'ouvrir une entrée en lui, pour y apporter sans interruption les uvres
qu'elle a à lui confier, et qui ont si innombrables, que tous les efforts
réunis de tous les hommes et à tous les instants suffiraient à
peine à les accomplir. Que doit-ce donc être quand, au contraire,
il y en a si peu qui sachent seulement le nom de cette uvre importante
de consolateur qu'il devrait sans cesse exercer ici-bas ?
Oui, la vie divine cherche continuellement à briser les portes de nos
ténèbres, et à entrer en nous pour y apporter ses plans
de la restauration de la lumière : elle y vient en frémissant,
en pleurant, eu nous suppliant, pour ainsi dire, de vouloir concourir avec elle
dans cette grande uvre ; à chacune de ses sollicitations, elle
dépose en nous un germe vivant, mais un germe concentré que c'est
à nous ensuite à développer. Or pour nous aider dans cette
divine entreprise, elle ne dépose en nous aucun de ces germes, qu'elle
n'y dépose en même temps un extrait de la substance sacramentale,
sur laquelle notre confiance peut reposer, dans la joie et dans l'espérance
que ces germes ne peuvent manquer de venir à bien, si nous nous appliquons
en esprit et en vérité à leur culture.
Ces signes ne tarderaient pas à se manifester en nous et autour de nous,
si nous prisions cette substance sacramentale comme elle veut l'être,
et que nous la soignassions avec l'ardeur qu'elle mériterait de notre
part, et qu'elle ne cesse d'attendre de nous.
Car elle voudrait que tout devint centre et parole comme elle ; et c'est pour
cela qu'elle cherche sans cesse à nous rendre centre et parole universellement,
afin que par notre organe, toutes les régions devinssent centre et parole
à leur tour. Aussi ne nous approche-t-elle jamais sans dissoudre d'abord
quelques portions de nos substances hétérogènes et qui
s'opposent en nous à la libre et universelle communion.
Homme, c'est ton état terrestre, c'est l'univers qui est un obstacle
à ce que tu manifestes ces glorieux signes et ces témoignages
si solennels, et cela parce qu'il est un obstacle à ta prière
: aussi Isaïe avait raison de demander que l'univers se tût pour
l'écouter ; car l'univers fait trop de bruit pour que la parole se fasse
entendre.
Anime-toi d'une sainte fureur, prends l'instrument purificateur ; va dissiper
les épais nuages qui t'environnent ; va dissoudre ces substances coagulées
qui rendent opaque cet univers, qui sont cause qu'il sert d'obstacle à
ta prière, et qui t'empêchent de percer jusqu'au sanctuaire divin,
pour arracher l'agent suprême à sa propre admiration, et l'appeler
au secours de toutes les régions.
Prends le flambeau vivant qui peut tout consumer, puisqu'il peut tout produire,
et va mettre le feu à toutes les essences corrompues de cet univers qui
le rendent un obstacle à ta prière. N'est-ce pas toi, homme, qui
as été cause que toutes les essences corrompues de cet univers
se sont ainsi pesamment entassées et accumulées sur toi ? N'est-ce
donc pas toi qui dois concourir à leur clarification ?
Que dis-je ? N'est-ce pas toi qui dois l'opérer toi-même ? N'est-ce
pas toi qui es cause que ces fragiles substances se sont étendues devant
toi comme un fantôme, et qu'elles te dérobent la vue du temple
de la prière ? N'est-ce donc pas à toi à les pulvériser
et à en faire disparaître jusqu'aux moindres vestiges ?
Quelle gloire et quelle consolation pour toi, homme de désirs, si, par
tes efforts et tes larmes tu peux coopérer à cette grande victoire,
ainsi qu'au repos de l'âme humaine, et au repos de la parole ! Tous ceux
qui auront coopéré comme toi à ces sublimes uvres,
seront placés un jour comme des épées signalées
et redoutables dans les arsenaux du Seigneur ; ils y seront suspendus à
jamais aux voûtes éternelles de ses temples ; et au-dessus de chacune
de ces brillantes épées sera écrit un nom immortel qui
en proclamera les triomphes et les services pendant la durée de toutes
les éternités.
Voici donc le sentier qui te mènera à la demeure de la prière
; car c'est la prière qui doit t'investir de tous tes pouvoirs. Commence
par repousser loin de cet univers l'ennemi qui le poursuit et ne cherche qu'à
le corrompre, comme un prisonnier cherche à surprendre le geôlier
qui le surveille, et à se défaire de lui. L'ennemi aura dès
lors un grand obstacle de moins à opposer à ta prière,
et l'univers se montrera à toi dans ses simples mesures constitutives,
quoiqu'horriblement altérées.
Qu'est-ce que tu auras ensuite à combattre ? Ce sera cette âpre
fermentation qui tient dans la violence et dans une confuse agitation toutes
les bases fondamentales de la nature. Travaille à contenir et à
suspendre cette fermentation, et l'esprit de l'univers, délivré
de cette effroyable entrave, deviendra plus accessible à tes efforts
; car il faut aussi que tu l'atténues et que tu le soumettes. N'est-il
pas un ouvrier aveugle qui fait indifféremment le bien et le mal ?
Quand tu auras atténué et soumis cet esprit de l'univers, tu arriveras
à cette éternelle nature qui ne connaît pas le bien et le
mal, qui ne connaît pas l'âpre fermentation, et qui connaît
encore moins les poursuites de l'ennemi. Traverse l'enceinte de cette éternelle
nature, et tu trouveras dans sa demeure ton lieu de repos et l'autel où
tu dois déposer ton offrande ; car elle est habitée par l'esprit
pur, par l'intelligence, par l'amour, par la parole, par la majesté sainte
: et c'est alors que tu sentiras ce que c'est que la prière ; ce n'est
en effet que de ces divines sources qu'elle dérive et qu'elle pourra
découler dans ton sein, pour que tu la répandes sur les nations.
C'est-là l'uvre que chaque individu de l'espèce humaine
est chargé d'opérer sur lui-même ; c'est là l'uvre
que la sagesse suprême s'efforce de remplir en grand par rapport à
l'univers ; et c'est à concourir avec elle à cet uvre immense
que sont appelés les ouvriers du Seigneur en esprit et en vérité.
Travaillez, ouvriers du Seigneur, ne vous ralentissez point dans votre magnifique
entreprise ; des récompenses si glorieuses vous attendent !
A la fin, l'univers s'écroule ! Il s'embrase ! Il va se démolir
et se dissoudre jusque dans ses fondements ! Entendez-vous la sainte et éternelle
prière qui s'élève au travers des débris du monde
! Combien elle se presse de sortir des enceintes qui la retenaient ! Combien
ses sons plaintifs et douloureux sont pénétrants ! Enfin, homme,
tu vas donc prier, tu vas donc voir succéder à ces sons plaintifs
et douloureux les sons de la consolation et de la joie !
Réjouissez-vous, régions sacrées, voici les saints cantiques
qui se préparent, voici les harpes pures qui s'avancent ; réjouissez-vous,
les hymnes divins vont commencer ; réjouisse vous, il y a si longtemps
que vous ne les avez entendus ! Le chantre choisi vous est enfin rendu, l'homme
va entonner les chants de la jubilation, il n'y a plus d'obstacles qui puissent
retenir sa voix ; il vient de dissoudre, de démolir et d'embraser tout
ce qui servait d'obstacle à sa prière. Dieu de paix sois béni
à jamais. Amen.
Quelqu'encouragé que puisse être l'homme de désir par les
tableaux qu'il vient de parcourir, et qui ne l'appellent à rien moins
qu'à s'approcher du sanctuaire divin, et à solliciter l'éternelle
sagesse elle-même de sortir de son propre repos et de sa propre contemplation,
pour regarder et soulager tout ce qui souffre, je vois cet homme de désir,
lui-même retenu par sa propre humilité, je l'entends se dire intérieurement
:
"Suprême et éternel auteur des choses, est-ce à ta
créature défigurée et paralysée par le crime universel,
à venir stimuler le principe générateur de tout ce qui
est ordre et harmonie ? Est-ce au néant à faire sortir l'être
des êtres de sa propre contemplation ? Est-ce à la mort à
réveiller la vie ? Non, je n'aurai point cette audace".
Mais je le vois aussi poursuivi par le sentiment de l'énormité
du mal, par la douleur de tout ce qui souffre, et par le dévorant besoin
de la justice. Je le vois donc ranimer son courage ; je le vois prendre confiance
dans la parole qui lui a tout promis, pourvu qu'il demandât tout en son
nom. Je le vois s'approcher de la porte sainte, et je l'entends présenter
lui-même ses humbles supplications :
"Suprême et éternel auteur des choses, si celui que j'ose
appeler l'élu de son propre amour, m'avait regardé avec un il
de tendresse, et qu'il eût daigné faire sa demeure en moi, c'est
à lui que j'aurais recours pour me guider et me soutenir dans ma sublime
et sainte entreprise ; c'est à lui que je remettrais tous les droits
que tu m'as donnés comme homme, sur ton inépuisable munificence,
et je serais sûr alors qu'il n'y aurait pas de profondeurs en toi que
je ne pusse atteindre ; point de clartés en toi que je ne pusse voir
allumer ; point en toi de sentiments d'amour et de bienfaisance que je ne pusse
faire germer, puisque cet élu ne fait qu'un avec toi, étant liés
lui et toi par une éternelle et indissoluble alliance".
"Suprême et éternel Auteur des choses, c'est au nom de cet
élu de son propre amour, que j'oserai me présenter devant toi
; il m'a appris à le connaître, lui que tu as envoyé ; il
m'a appris à te connaître, toi par qui il est envoyé ; c'est
en son nom que je solliciterai ton amour et ton zèle bienfaisant pour
tout ce qui est comme banni de l'ordre et de l'harmonie. C'est par lui que j'essaierai
d'interrompre les paisibles ravissements que t'occasionne perpétuellement
l'admiration intime et ineffable de ton être ; c'est par lui que je te
prierai de suspendre les charmes de ta propre contemplation".
C'est en son nom que je te solliciterai de changer tes jours de joie en des
jours de tristesse, de laisser se couvrir de deuil le radieux séjour
de ta gloire, et de venir plonger dans un climat aride et froid tes regards
pleins de feu, et dans la région de la mort ta source d'amour qui porte
éternellement avec elle-même la source universelle de la vie."
"Rien de plus urgent que les motifs qui me font réclamer ton vigilant
intérêt. Il s'agit de venir au secours de la nature, au secours
de l'homme, et au secours de la parole".
Qui m'aidera à buriner profondément le tableau de ce que l'homme
de désir doit devenir pour pouvoir réveiller la majesté
suprême de l'enivrement divin que lui causent sans cesse sa propre grandeur
et l'éclat de ses propres merveilles ? Ce sera celui qui partage cet
enivrement divin, et qui siège au milieu des merveilles éternelles.
Les élans de notre volonté nous sont donnés pour empêcher
l'ennemi de nous aborder.
Les principes de notre vie élémentaire nous sont donnés,
non seulement pour garder les postes, mais encore pour battre en brèche
les remparts de la citadelle et nous ouvrir les voies, afin d'aller à
l'ennemi et de le poursuivre dans ses repaires.
L'activité des puissances de la nature est remise à notre disposition
pour consolider les principes de notre force, et renouveler continuellement
nos moyens de combattre l'ennemi lorsque la brèche est ouverte.
Les puissantes vertus des hommes de Dieu de toutes les époques nous sont
offertes pour nous seconder et nous fortifier, afin que notre vertu spirituelle
prenne du courage et de la confiance dans le combat ; de même que pour
nous instruire des merveilles et des magnificences qui remplissent le royaume
de Dieu, et auxquelles ils ont commencé d'être admis, lors même
qu'ils habitaient encore leur forme terrestre.
L'appui virtuel et sacré du réparateur nous est accordé
pour vivifier en nous toutes nos régions et puissances antérieures,
sur lesquelles il se plaît à siéger et à s'établir
pour leur communiquer la vie de son universalité.
Âme humaine, ne perds pas un instant pour ranimer en toi toutes ces mesures,
si tu les as laissé s'altérer. Fais que toutes ces puissances,
chacune dans sa classe, procèdent toujours en avant de soi, sans regarder
ni à droite, ni à gauche ; car c'est là ce que l'on appelle
la voie de la justice.
Fais que ta volonté et les éléments préparent ainsi
un sentier libre aux puissances harmoniques de la nature.
Fais que les puissances harmoniques de la nature ouvrent un sentier libre aux
vertus vivifiantes des hommes de Dieu de toutes les époques où
ils ont manifesté ou au moins annoncé les merveilles du royaume
de vie.
Fais que les vertus vivifiantes des hommes de Dieu de toutes les époques
ouvrent un sentier libre à la voix dominante et souveraine du chef divin
et réparateur qui commande dans le ciel, sur la terre et dans les enfers
; car tu es un membre mort et bientôt mortifère, s'il cesse un
seul instant de faire parvenir réellement ses ordres par sa parole dans
tout ton être.
Homme de désir, c'est alors qu'étant agilisé, sanctifié
et harmonisé dans toute ton universalité, tu seras, par ton unité
partielle, l'image de l'universelle unité; c'est alors que par la sainte
analogie qui se trouvera entre l'agent suprême et toi, ton âme entrera
naturellement dans le sanctuaire de ce Dieu suprême ; et quand il la verra
entrer ainsi naturellement dans son sanctuaire, il ne pourra s'empêcher
de l'accueillir et de s'enivrer d'amour pour sa beauté, car tu seras
aussi une de ses merveilles.
Mais que ton cur n'oublie pas ici le dessein qui t'amène : tu ne
seras monté jusqu'au trône de la majesté divine que pour
la faire sortir en quelque sorte de cet enivrement que tu viens encore alimenter
par ta présence.
Saisis donc cet instant salutaire où tout sera divinisé pour toi
et autour de toi ; fais entendre un soupir au milieu de cette enceinte de bonheur
et de joie. A ce soupir, l'agent suprême tournera avec intérêt
ses yeux sur toi. De la part de Dieu, arrêter ses regards sur une âme,
c'est la chercher jusque dans ses profondeurs ; c'est l'inviter par une tendre
prévenance, à exprimer elle-même tout ce qui se passe en
elle. Approche toi donc encore plus près de lui dans ce moment, et dis-lui
:
"Seigneur, je n'apporte que des gémissements au milieu de tes célestes
délices ; ma voix ne saurait former que des cris de douleur au sein de
l'allégresse divine. Eh ! toi-même, Seigneur, quand tu auras entendu
les justes motifs de mon amertume, puisses-tu suspendre tes transports et tes
ravissements !"
"Les trésors que tu as donnés en dépôt à
la nature sont méconnus de l'homme que tu avais placé dans le
monde pour développer les prodiges qu'ils renferment dans leur sein,
et pour leur faire obtenir le rang qu'ils méritent aux yeux de l'intelligence
humaine ; et même par la négligence de cet administrateur insouciant
et infidèle, ils sont devenus la proie de l'ennemi qui, après
les avoir dérobés, les a dissipés, ou bien les a empoisonnés
de son venin corrosif, en sorte que l'homme ne peut plus les approcher sans
s'exposer à s'infecter à leur vapeur pestilentielle."
"Les fleuves de l'univers, au lieu de circuler librement, et de transporter
partout des eaux fertilisantes sont transformés en des masses glacées
et inutiles au monde."
"Toutes ces magnifiques productions que tu avais créées,
comme autant d'instruments chargés de nous transmettre les sons d'une
harmonie pure, sont dans le silence, parce que l'air et l'esprit ont cessé
de s'y introduire. Des voix rauques, repoussantes, ou portant l'effroi avec
elles sont seules ce qui compose le concert de la nature. En vain l'homme la
presse et lui demande de publier ta gloire, en manifestant les merveilles que
tu as déposées dans son sein ; elle ne répond point : tes
merveilles restent cachées comme dans des antres impénétrables
! et ta gloire ne parvient plus jusqu'à l'oreille de l'homme."
"Si je te parle des maux de la famille humaine, mes gémissements
vont s'accroître bien davantage. Ton homme, cette image chérie
et rayonnante de ta propre splendeur, a laissé ternir totalement ses
couleurs. Non seulement l'homme ne se souvient plus de ses titres originels,
mais il s'est tellement éloigné de sa destination primitive, qu'au
lieu de te manifester, comme c'était le vu et le droit de sa nature
essentielle et constitutive, il s'est armé coutre toi, et n'est plus
reconnu vivant par ceux qui se sont faits souverains dans les domaines de la
pensée, qu'autant qu'ils le voient prendre rang parmi tes adversaires
et servir dans les armées de tes ennemis". "
"Selon ces maîtres impérieux, il est mort, s'ils n'aperçoivent
pas en lui cet indice : c'est le seul signe auquel ils croient pouvoir le reconnaître
et l'admettre au nombre des hommes ; sans cela, il n'est plus pour eux qu'une
production informe, et dont même ils n'osent avouer l'existence".
"La bouche des hommes qui aurait dû annoncer ta gloire, et faire
retentir partout tes merveilles, n'est plus seulement un sépulcre ouvert,
comme ta parole l'a dit, mais la mort même est devenue vivante en eux.
Ce ne sont plus des ossements entassés dans des sépulcres blanchis,
ce sont des ossements actifs, sortis tout corrompus de leur tombeau, et allant
porter partout l'infection ; car en s'électrisant au foyer de l'iniquité,
ils ont fait prendre en eux le mouvement à la corruption même."
"Les âmes humaines sont devenues comme des cadavres ambulants errant
en liberté sur toute la terre, et faisant fuir de tous côtés,
par leur odeur empestée et mortifère, tout être qui a l'idée
de la vie."
"Oui, qu'un homme de désir te cherche aujourd'hui dans le cur
de ses semblables ; qu'il s'approche de ce miroir dans lequel seul sur la terre
se devaient réunir tous tes traits, il n'y en apercevra pas même
la moindre trace, il sera obligé de se retirer pénétré
de douleur en voyant qu'il ne sait plus où trouver le temple de son Dieu
: et toi-même, ô souverain Auteur des êtres, si tu ne développes
quelques nouveaux traits de ton amour et de ta puissance, tu vas bientôt
te trouver sans témoignage et sans témoins dans l'univers."
"Si ces tristes tableaux ne suffisent pas pour éveiller ta pitié
et stimuler ta gloire, je te parlerai de celui en qui réside la plénitude
de ta divinité, de celui en qui tu as comme déposé ton
propre cur pour qu'il vint sur la terre le transmettre et le distribuer
à cette même famille humaine qui s'était éloignée
de toi".
"Les hommes, au lieu de recevoir leur portion de cet ineffable présent,
ou de ce flambeau inextinguible dont la moindre étincelle aurait ranimé
tout leur être, cherchent à proscrire ce souverain remède,
et à le faire passer pour un venin pestilentiel."
"Les moins corrompus d'entre eux retiennent cet être divin dans d'épouvantables
angoisses, en ne lui donnant en eux aucun asile, et le laissant errer autour
d'eux, exposé à toutes les intempéries de l'air corrosif
de la demeure du mensonge, et aux traits aigus de tous les chefs de l'iniquité.
Les autres, mille fois plus pervers, cherchent à percer ce cur
lui-même, se promettant par là d'anéantir infailliblement
ta propre existence".
"Dieu suprême, pour l'intérêt des merveilles éternelles
que tu as semées dans la nature périssable ; pour le bonheur de
l'homme, dans qui tu daignas graver ton image ; enfin, pour l'intérêt
de ton amour et le soin de ta propre gloire, détourne un instant tes
regards de cette splendeur qui remplit tes célestes demeures, porte-les
sur toutes tes productions".
"Viens faire reprendre à la nature ses merveilleux ornements, viens
arracher l'âme humaine à la mort, en l'empêchant de s'empoisonner
elle-même."
"Hélas ! viens toi-même au secours de ton propre cur
et de ta propre parole, et par pitié pour toi, viens épargner
aux hommes un déicide ; car celui qu'ils veulent commettre est mille
fois plus criminel que celui que le peuple Juif a commis sur le corps matériel
de ton Christ".
"Au temps de Moïse tu vis l'affliction de ton peuple, et tu descendis
pour le délivrer des mains des Égyptiens ; vois aujourd'hui l'affliction
de toute la nature, l'affliction de toute la famille humaine, l'affliction de
celui que tu avais envoyé au monde comme la bonne nouvelle et le royaume
de joie, et tu ne daigneras pas de descendre et de faire pour le soulagement
de tant de maux, ce que tu fis pour le soulagement d'un seul peuple. "
"Puisque tu as permis à mon âme de pénétrer
jusque dans ton sanctuaire, et d'y apporter les gémissements de la terre,
les malheurs des hommes et les angoisses qu'éprouve de leur part ton
divin Envoyé, elle n'est sûrement pas la seule qui désire
fixer tes yeux sur cet abîme de désolations ; et il en existe,
sans doute, à plusieurs autres qui sont prêtes à remplir
tes ordres souverains, à se dévouer à l'administration
de tes bienfaits, et à voler partout où tu voudras les appeler
à une uvre à la fois si urgente et si immense."
Si elles paraissaient se défier de leur propre force et de la vérité
de leur appel, tu leur dirais, comme Moïse : "Je serai avec vous,
et ce sera là le signe qui vous fera connaître que c'est moi qui
vous aurai envoyé" {Exode 3 : 12).
Alors, homme de désir, attends en paix le fruit de ta prière,
tu ne tarderas pas à sentir le cur de ton Dieu pénétrer
dans toutes tes essence et les remplir de ses douleurs ; et quand tu te sentiras
crucifié par les propres angoisses de ce cur divin, tu reviendras
dans le temps, pour y remplir selon ta mesure et selon ta mission, le véritable
ministère de l'Homme-Esprit.