Ecce
Homo
Louis Claude de Saint Martin
L'orsque dans le
champ des sciences exactes et naturelles nous recueillons quelques axiomes,
nous ne nous demandons pas pourquoi ils sont vrais ; nous sentons qu'ils portent
la réponse avec eux-mêmes.
Comment le sentons-nous ? Ce n'est que par le rapport et la convenance qui se
trouvent entre la justesse de ces axiomes et l'étincelle de vérité
qui brille dans notre conception. Ce sont comme deux rayons d'un même
flambeau, qui semblaient être éloignés l'un de l'autre,
qui se réunissent par leur analogie ; et qui, en se pénétrant
mutuellement, se rendent réciproquement plus sensibles et leur chaleur
et leur clarté.
Qu'ensuite nous fassions usage ou non des vérités, que ces axiomes
partiels nous ont apprises, cela peut être important pour notre utilité,
mais non l'existence de ces deux éléments radicaux que nous venons
de connaître savoir la justesse de l'axiome et l'étincelle de notre
conception. L'une et l'autre s'annoncent comme ayant en elles-mêmes une
vie naturelle que rien ne peut empêcher d'être et ces deux rayons
pourraient se séparer de nouveau et ne produire aucun effet, qu'ils n'en
conserveraient pas moins leur essence et leur caractère constitutif.
C'est ainsi qu'un savant géomètre a beau être plongé
dans le sommeil, cela n'empêchera pas que les vérités géométriques
n'existent et qu'il n'en ait en lui la connaissance et le don d'en faire usage
quand l'occasion s'en présentera.
Il y a une philosophie meurtrière qui n'adoptera point ces principes,
parce qu'elle ne distingue point dans les êtres, leur essence d'avec la
manifestation actuelle de leurs diverses propriétés et que ne
reconnaissant dans les choses que des résultats ou des modifications,
dès que les êtres ne sont plus en action devant ses yeux, ils ne
sont plus rien pour elle et elle condamne hardiment leur existence. Nous voulons
seulement avertir de ceci, sans nous arrêter, ceux qui n'en auraient pas
connaissance et les prévenir qu'ils trouveront dans leur être de
quoi se défendre de ces objections.
Passons outre.
Lorsque l'âme humaine, soit par l'essor qu'elle peut se donner, soit gratuitement,
est élevée jusqu'au sentiment intime de l'être universel
qui embrasse tout, qui produit tout, enfin jusqu'au sentiment de cet être
inconnu que nous appelons Dieu, elle ne cherche pas plus que dans la découverte
des axiomes partiels à se rendre compte de cette vérité
totale qui la subjugue, ni de la vive jouissance qu'elle lui procure ; elle
sent que ce grand être ou ce grand axiome est par lui-même et qu'il
y a impossibilité qu'il ne soit pas. Elle sent également en elle
dans ce contact divin la réalité de sa propre vie pensante et
immortelle. Elle n'a plus besoin de se questionner sur Dieu ni sur elle-même
; et dans la sainte et profonde affection qu'elle éprouve elle se dit
avec autant de ravissement que de sécurité : Dieu et l'homme sont
des êtres vrais qui peuvent se connaître dans la même lumière
et s'aimer dans le même amour.
Comment a-t-elle le sentiment certain de ces immuables vérités
? Par la même loi qui a manifesté à sa conception la certitude
des axiomes partiels : c'est-à-dire, qu'elle sent l'existence inattaquable
du principe de son être et la sienne propre, par la convenance et les
rapports qui se trouvent entre eux. Car sans cela la conviction de l'existence
de ces deux êtres ne pourrait ni nous frapper ni se fixer en nous et si
ce feu divin ne rencontrait en notre âme une puissante analogie, il nous
traverserait sans nous laisser de lui aucune trace, ni aucun sentiment.
Que selon la même loi ci-dessus, nous mettions à profit ou non
les trésors de vérité que ce contact divin nous fait découvrir,
c'est sans doute une chose qui doit avoir la plus grande influence sur nos véritables
satisfactions, mais qui n'en a aucune sur l'existence de ces mêmes trésors,
ni sur celle de cette portion de nous-mêmes qui se trouve être leur
réceptacle. Ainsi la privation de ce sublime sentiment dans les âmes
altérées et tous les déraisonnements, qui en résultent
ne peuvent anéantir ni le principe nécessaire et éternel
des êtres, ni l'analogie divine que nous avons tous avec lui ; car ce
qui est, un fait existant enfin peut bien être confirmé et appuyé
par des signes ou des témoignages extérieurs, mais il ne peut
attendre d'eux sa réalité, puisqu'elle leur est antérieure,
puisqu'elle en est indépendante et qu'il l'apporte avec lui-même.
Ce trait de logique naturelle en classant ainsi ces témoignages, n'abolit
point leurs privilèges ; car, si ce qui est, si un fait enfin peut bien
ne pas attendre sa réalité des signes et des témoignages
extérieurs, puisqu'elle est antérieure à eux, il n'en est
pas moins vrai, dans la région temporelle où nous sommes, que
sans leur moyen et sans leur action, cette réalité ne serait pas
manifestée hors d'elle-même et que l'on peut regarder ces signes
et ces témoignages extérieurs, comme étant la déposition
indicative du fait qu'ils nous transmettent et la fidèle expression de
l'espèce de réalité, ou de l'espèce d'idée
qui se peint en eux pour se faire connaître ; et c'est cette loi mal approfondie
qui a donné lieu à l'erreur des philosophes en leur faisant confondre
le médium avec le principe, l'organe de la manifestation avec la source
de cette manifestation.
Or, comme nous sentons qu'il n'est pas une réalité qui ne cherche
à s'étendre et à remplir sa mesure, nous devons plus que
présumer que cette immensité d'objets qui nous environnent a une
destination vaste et importante, savoir : de servir à promulguer des
réalités, chacun selon leur genre et leur classe, ou si l'on veut,
de déposer, de témoigner en faveur de ce qui est, ou d'un fait
quelconque qui a intérêt à se manifester, comme en même
temps il doit être utile à notre pensée de connaître
de fait ou cette réalité et à notre âme de les approcher
de soi pour accroître notre existence.
Pour peu qu'on soit familiarisé avec les ouvrages déjà
publiés sur ces matières, on reconnaîtra que notre être
spirituel et notre être physique ont des facultés relatives à
ce but important. En effet, nos organes matériels transmettent à
notre âme animale et sensible l'impression des formes et des images de
tous les objets qui leur sont présentés, ainsi que le sentiment
des diverses propriétés dont ces objets sont revêtus. Notre
âme pensante a ensuite la charge et le pouvoir d'analyser toutes ces propriétés,
de considérer quel est le but de l'existence de tous ces objets divers,
lorsque cette fin lui est inconnue : c'est-à-dire qu'elle a le droit
de chercher dans ces objets quelle est l'idée dont ils sont l'expression,
quels sont les faits qu'ils viennent attester, ou quelle est la réalité
qu'ils viennent manifester ; et nous devons tous avouer que nous ne sommes réellement
et complètement satisfaits que lorsque notre pensée jouit de la
connaissance de la fin et de la destination des objets, comme notre être
sensible jouit des impressions qu'il reçoit par des diverses propriétés
de ces mêmes objets ; nouveau motif pour nous convaincre que tous les
objets sont l'expression d'une idée ; car comment pourraient-ils conduire
notre intelligence à ce terme satisfaisant et lumineux s'ils n'étaient
pas eux-mêmes, comme descendus de cette région de la lumière
ou de la région des idées ?
D'ailleurs les usages les plus communs parmi les hommes ne nous éclairent-ils
pas sur cette grande vérité, que tous les objets quelconques qui
nous environnent sont l'expression d'une idée. Toutes les inventions
qu'ils appliquent journellement à leurs besoins, à leurs plaisirs,
à leurs commodités ne portent-elles pas chacune le caractère
de l'idée à laquelle elles doivent la naissance ? Un livre n'est-il
pas le signe du plan qu'un homme a formé de rassembler ses pensées
comme dans un même corps ? Un char n'est-il pas le signe du plan qu'un
homme a formé de se faire transporter rapidement et sans fatigue ? Une
maison n'est-elle pas le signe du plan qu'un homme a formé de se procurer
une vie commode et à couvert des intempéries ?
Croyons donc que la Sagesse suprême a aussi des idées et des plans
dans ses ouvrages, comme nous en avons dans les nôtres ; croyons même
qu'étant plus féconde et plus intelligente que nous, ses ouvrages,
si nous ne connaissions l'esprit, auraient le sublime avantage de procurer à
notre pensée et à notre âme de plus vives satisfactions
encore, qu'ils n'en procurent à notre vue, en étalant devant nous
la pompe de leur magnificence extérieure et de la riche mais régulière
variété de leurs formes. Croyons en même temps que ce serait
remplir le but de cette suprême sagesse, que d'appliquer notre être
à la recherche des plans qu'elle a eus, en multipliant ainsi sous nos
yeux cette immensité d'objets divers parce que s'il est vrai que toute
réalité cherche à s'étendre et à se manifester
et qu'elle ne le puisse que par ses signes ou ses témoins, ce serait
faciliter et seconder cette manifestation, que d'en interroger soigneusement
les témoins et les signes et de recueillir, avec encore plus de soin,
leurs dépositions.
Mais parmi tous ces signes ou ces témoins, quel autre que l'homme pourrait
être plus digne de notre attention et nous révéler les plus
grandes réalités ? Quel autre nous offrirait des indices plus
significatifs ? Quel autre laisserait circuler devant nous ces innombrables
fleuves de feu qui semblent sortir vivants de sa pensée et de son cur
et qui nous le montrent, pour ainsi dire, comme étant assis sur le trône
de tous les mondes, pour les juger et les gouverner sous l'il du souverain
invisible, qui est le seul être que l'homme trouve au-dessus de lui ?
Si tous les autres signes qui composent l'univers ne s'offrent à nous,
vu la fragilité qui les caractérise et leurs frappantes disparités,
que comme autant de reflets passifs et partiels des puissances spirituelles
et secondaires de la divinité, l'homme paraissant placé sous l'aspect
de la divinité même, s'annonce assez comme destiné à
la réfléchir directement et, par conséquent, à nous
la faire connaître toute entière ; et nous ne devons pas chercher
plus longtemps de quel fait, de quelle réalité, il est appelé
à être le déposant et le témoin, en présence
de tous les êtres, puisque nous apercevons en lui l'expression parlante
de l'éternel principe et l'irrécusable analogie qui les lie l'un
à l'autre et que parmi les créatures, il est comme le signe actif
de l'axiome total, ou comme la plus vaste manifestation que la pensée
intérieure divine ait laissé sortir hors d'elle-même.
Si l'homme est le seul être qui soit envoyé pour être le
témoin universel de l'universelle vérité, recueillons donc
ces témoignages, ne le quittons point que nous l'ayons soigneusement
questionné et que nous l'ayons ensuite confronté avec lui-même,
afin de fixer les différentes clartés que nous pourrons recevoir
de ses diverses dépositions.
II
Les principales des dépositions de l'homme sont premièrement que
s'il est évidemment une sainte et sublime pensée de Dieu, quoiqu'il
ne soit pas la pensée de Dieu, son essence est nécessairement
indestructible ; car comment une pensée de Dieu pourrait-elle périr
!
Secondement que Dieu ne pouvant se servir que de Sa pensée, l'homme lui
doit être infiniment cher ; car comment Dieu ne nous aimerait-Il pas,
comment ne pourrait-Il aimer Sa pensée ? Nous nous complaisons bien dans
les nôtres !
Troisièmement (et c'est ici la plus importante des dépositions
que l'homme nous présente) si l'homme est une pensée du Dieu des
êtres, nous ne pouvons nous lire que dans Dieu Lui-même et nous
comprendre que dans Sa propre splendeur, puisqu'un signe ne nous est connu qu'autant
que nous avons monté jusqu'à l'espèce de pensée
dont Il est le témoin et la manifestation et puisqu'en nous tenant loin
de cette lumière divine et créatrice dont nous devons être
l'expression dans nos facultés, comme nous le sommes dans notre essence,
nous ne serions plus qu'un témoin insignifiant, sans valeur et sans caractère.
Vérité précieuse qui démontre ici pourquoi l'homme
est un être si obscur et un problème si compliqué aux yeux
de la philosophie humaine.
Mais aussi lorsque nous nous lirons dans notre sublime source, comment pourrons-nous
peindre la dignité de notre origine, la grandeur de nos droits et la
sainteté de notre destination ?
Hommes passés, présents et futurs, vous tous qui êtes chacun
une pensée de l'Éternel, concevez-vous quelles seraient vos lumières
et vos félicités, si tous les germes divins qui vous constituent
étaient dans leur activité et dans leur développement ?
Mais si, sur ces grands privilèges, votre sort vous réduit encore
à des regrets, à des gémissements et vous interdit les
jouissances, tâchez au moins, en faisant réfléchir sur vous
les traits de votre soleil générateur, de vous retracer ce que
fut l'homme dans une époque qui est passée pour vous, mais dont
les témoignages qui vous en restent, attestent assez qu'elle ne vous
a pas été toujours étrangère.
L'homme peut n'être plus ce qu'il a été, mais il peut toujours
sentir ce qu'il devrait être. Il peut toujours sentir l'infériorité
de sa substance périssable et matérielle, qui n'a sur lui qu'un
pouvoir passif, celui d'absorber ses facultés par les désordres
et l'opacité dont elle est susceptible, tandis que son être pensant
a le pouvoir actif de créer, pour ainsi dire, mille facultés dans
son être corporel, qui ne les aurait point eues par nature et sans la
volonté de l'homme ; différence que nous présentons ici
à dessein à l'homme de matière et qui est trop marquante
pour qu'il soit excusable de ne pas apercevoir là quelques vestiges de
son ancienne dignité et de la suprématie de sa pensée ;
différence, dis-je, qui pourrait l'élever plus haut et lui prouver
combien on a eu raison de dire que les vérités intérieures
doivent être beaucoup plus sûres et plus instructives que les vérités
géométriques, parce que celles-ci ne reposent que sur des surfaces,
au lieu que les autres naissent activement du centre même et en laissent
entrevoir la profondeur.
Étant donc pénétrés de ces persuasions, transportons-nous
à notre origine. Perçons par notre activité intérieure
jusqu'à l'état où nous nous trouverions, si l'influence
créatrice de notre suprême source opérait actuellement notre
existence et qu'elle transformât en ce moment en notre nature d'homme
tous ces principes d'ordre, de perfection et de bonheur que nous sentons devoir
résister éternellement dans l'Être souverain dont nous descendons.
Tous ces germes divins qui se créeraient en nous, ne porteraient-ils
pas avec eux-mêmes une vie puissante et efficace ? Notre intelligence
ne serait-elle pas comme continuellement engendrée par la vapeur de ces
clartés innombrables et éternelles, qui lui donneraient à
la fois et l'existence et la lumière ? Notre faculté aimante ne
serait-elle pas plus que remplie par la vivante et douce universalité
de notre principe qui ne laisserait aucun intervalle à nos sublimes affections
et aux élans de notre sainte gratitude envers lui ?
Quelques-uns croient devoir considérer notre origine sous deux époques
antérieures, l'une et l'autre, à l'état où l'homme
se trouve aujourd'hui et cela pour jouir de l'idée sage et consolante
que le mal primitif n'a pas été éternel et pour laisser
à Dieu la gloire d'avoir exercé le sublime privilège qu'Il
a de produire toutes Ses créatures dans la plénitude de la joie
et d'un bonheur affranchi de toute pénible fonction et de tout dangereux
combat.
Ils disent que dans la première de ces époques, le mal n'existait
point encore, ou, ce qui est la même chose, nul être ne s'étant
encore séparé de la région divine, nos félicités
n'auraient pas eu besoin alors de s'étendre au-delà de notre propre
existence ; que, si elles s'y fussent étendues, c'eût été
pour s'accroître sans cesse dans l'infini, qui est la seule chose qui
eût existé pour nous ; qu'il ne serait sorti autre chose de nous
que l'expression de notre joie et de notre amour qui eût, sans interruption,
remonté vers notre source, comme notre source n'eût cessé
de descendre sur nous ; que nous n'aurions pas eu d'autre manifestation à
faire, parce que tout eût été plein autour de nous ; et
que la vérité, remplissant tout alors, elle ne nous eût
regardés que comme ses éternels adorateurs, mais qu'elle ne nous
eût point employés comme ses signes et ses témoins, puisque
tous les êtres auraient joui à la fois de sa vue et de sa présence
et qu'il n'aurait rien manqué à la plénitude de toutes
leurs affections et toutes leurs lumières, dès qu'ils auraient
eu en activité devant eux le spectacle de l'immensité.
Nous pouvons nous dispenser ici de porter nos regards sur un ordre de choses
si élevé ; nous nous contenterons de contempler le moment de notre
mission dans l'univers, ce qui n'est, selon l'opinion ci-dessus, que la seconde
époque de notre origine ; c'est celle qui est la plus voisine de notre
situation actuelle ; la première époque étant si loin de
nous, que nous n'aurions pas même l'idée qu'elle eût pu exister,
si la seconde ne lui servait pas d'intermédiaire.
A cette seconde époque, que nous continuerons de regarder dans cet écrit
comme notre primitive existence, nous avons reçu le caractère
de signes et de témoins de la Divinité dans l'univers ; et comme
tels, nous avons été remplis de toutes les puissances et toutes
les clartés divines, conformément à la sublimité
de notre destination et à la grandeur des droits qui devaient nous être
accordés pour la remplir. Car pour quel objet aurions-nous été
ainsi détachés de ce cercle de l'immensité divine, en qualité
de signes et de témoins, si ce n'eût été pour répéter
dans la région, où la sagesse nous envoyait, ce qui se passait
dans le cercle divin ? Et comment cette région partielle aurait-elle
pu exister, si quelques êtres se désordonnant eux-mêmes,
ne se fussent interdits par-là l'accès de la région universelle,
puisque l'unité principe cherche par sa nature à tout remplir
et que dès lors le mal ne peut être que la concentration partielle
d'un être libre et son abstraction volontaire du règne de l'universalité
?
Ainsi, de même que dans l'ordre éternel de l'immensité divine,
Dieu suffit à la plénitude de la contemplation de tous les êtres,
de même lorsque nous avons reçu une mission individuelle et une
existence détachée de Lui, nous n'aurions pu Le retracer, ni être
Ses signes et Ses témoins qu'en montrant en nous l'image réduite
de ce Dieu à des êtres, qui, s'étant concentrés dans
leur propre présence, auraient perdu de vue la présence divine
et se seraient trouvés comme enfermés dans cette atmosphère
particulière de leur erreur.
C'est ici où nous sentons tout ce qui devait se manifester hors de nous,
lors de notre origine, pour l'accomplissement de notre uvre. Il fallait
qu'il sortît de nous des pensées vives et lumineuses, des vertus
vivifiantes et des actes efficaces, pour que nous fussions les représentants
du suprême auteur de notre être ; et plus nous sonderons cette analogie,
que nous avons reconnue entre l'âme humaine et son éternel principe,
plus nous sentirons que Dieu étant la source radicale et primitive de
tout de ce qui est imparfait, nous n'avons pu sortir de Lui que revêtus
de ces sublimes caractères que nous venons de peindre et dont nos faibles
pensées, quand elles sont saines et régulières, nous retracent
encore aujourd'hui quelques images. Car la Divinité suprême n'aurait
pas choisi Sa propre pensée, ou la pensée Dieu pour être
le modèle de l'homme, que nous avons appelé la pensée de
Dieu, si elle n'eût eu dessein de Se peindre en nous dans toute Sa majesté.
Aussi les traits de ce sceau sacré, qui caractérisent l'âme
de l'homme, résisteront-ils éternellement à tous les pouvoirs
destructeurs. Malgré la longueur des temps, malgré l'épaisseur
des ténèbres, toutes les fois qu'il contemplera ses rapports avec
Dieu, il retrouvera en lui les éléments indissolubles de son essence
originelle et les indices naturels de sa glorieuse destination.
Il sentira que, selon cette glorieuse destination, une force puissante et redoutable
dût nous être donnée pour soumettre à l'autorité
divine ceux qui avaient pu la méconnaître et que, munis d'une pareille
puissance, nous devions être d'autant plus en sûreté, qu'étant
unie à notre être, rien n'eût pu nous la dérober,
si nous ne l'eussions pas livrée nous-mêmes.
Il sentira que nous aurions dominé dans notre empire après l'avoir
subjugué et que nous aurions été ornés de toutes
les marques nécessaires pour annoncer partout notre légitime souveraineté.
Il sentira que nous aurions été superbement vêtus pour rendre
notre présence plus majestueuse et pour que toutes les régions
de notre domination, étant frappées de l'éclat qui nous
aurait environnés, nous offrissent les témoignages de respect
et de soumission qui étaient dus à la mission divine, que la main
suprême nous avait confiée ; et l'homme n'eût-il aujourd'hui
d'autre moyen de se retracer son ancien état, que de considérer
ces fragiles marques, que sa puérile pensée y a substituées
sur la Terre, ce glaive des conquérants, ces sceptres, ces couronnes,
cette pompe qui environne les souverains et ce respectueux dévouement
de leurs sujets, il y pourrait au moins trouver encore quelques traces informes
de nos titres originels, quoiqu'il n'en vît nulle part la virtuelle activité.
Mais s'il est encore possible à l'homme de retrouver, et dans lui-même,
et dans les images passagères de ses puissances conventionnelles et terrestres
des vestiges de ce qu'il aurait dû être, il lui est malheureusement
plus facile encore de sentir combien il est loin aujourd'hui de cette destination
glorieuse ; et s'il a encore autour de lui quelques indices de ses droits primitifs,
il a aussi des preuves bien plus nombreuses que ces droits ne sont plus en sa
puissance.
Ne retraçons point ici toutes les démonstrations déjà
données de la dégradation de l'espèce humaine ; il faut
être désorganisé pour nier cette dégradation, qui
est plus qu'évidemment constatée par un seul des soupirs, dont
le genre humain remplit continuellement notre terre et par cette idée
radicale que l'auteur des êtres place toujours toutes ses productions
dans leur élément naturel. Car, pourquoi nous trouvons-nous si
loin du nôtre ? Pourquoi étant actifs par notre nature, sommes-nous
comme submergés et enchaînés par les choses passives ? Les
hommes ont le droit de chercher partout où ils voudront les causes de
cette affligeante et trop réelle disharmonie, excepté dans le
caprice et la cruauté de notre souverain principe, dont l'amour, la sagesse
et la justice doivent être à jamais un éternel rempart contre
nos murmures.
D'ailleurs, ne nous occupant ici que des suites et non de la cause de cette
dégradation de la famille de l'homme, nous n'avons intention de parler
qu'à ceux qui n'en nient pas l'existence et qui, malgré les difficultés
qu'ils rencontrent à expliquer le mal et son origine, trouvent qu'en
ne tranchant pas négativement sur cette question, comme le fait l'imprudente
philosophie, ils sont encore moins mal à l'aise avec une vérité
difficile et obscure, qu'ils ne le seraient avec une évidente absurdité.
Pour les peindre, ces suites désastreuses de notre dégradation,
il faut regarder l'état glorieux dont nous avons joui, comme un trésor
dont nous aurions eu tous en commun et la garde et la distribution ; il faut
reconnaître que nous aurions partagé solidairement la gloire et
les récompenses de cette magnifique manifestation, puisque nous aurions
partagé solidairement tous les travaux de ce grand uvre.
Mais puisque nous ne pouvons imputer à la suprême Sagesse d'avoir
conspiré en rien avec nous dans l'abus de ces sublimes privilèges,
nous sommes forcés d'en attribuer tous les torts à la puissance
libre de notre être, laquelle étant fragile par sa nature, (sans
quoi il y aurait eu deux Dieux) s'est livrée à sa propre illusion
et s'est précipitée dans l'abîme par sa propre faute ; vérités
assez solidement établies dans des ouvrages antérieurs, pour n'avoir
pas besoin d'être traitées ici de nouveau.
Dès lors les principes de la saine justice, impérissables comme
notre essence et qui, comme cette essence, nous resteront éternellement,
quoique nous nous égarions si souvent dans leur application, nous apprennent
clairement ce que nous sommes devenus par notre crime et nous montrent, sans
que nous puissions nous y méprendre, l'espèce de satisfaction
que cette justice exige de nous et c'est ici que le titre de cet ouvrage, ou
le sens de ces deux mots, "Ecce Homo" va commencer à se découvrir.
III
Si nous fussions restés fidèles à notre sainte destination,
nous aurions dû manifester tous en commun et chacun selon notre don, la
gloire de notre éternel principe. Mais ne pouvant plus douter que nous
ayons manqué de remplir cette loi suprême, puisque nous languissons
tous et que l'auteur de cette justice ne pourrait nous laisser injustement en
souffrance et en privation, il résulte que l'abus de nos glorieux privilèges
a dû nous réduire à la cruelle nécessité de
ne plus offrir qu'une manifestation opposée à celle qui était
attendue de nous et qu'au lieu d'être les témoins de la gloire
et de la vérité, nous ne pouvons plus être que les témoins
de l'opprobre et du mensonge.
Il résulte en outre que toute la famille humaine partageant aujourd'hui
cette punition, comme elle eût partagé les récompenses,
chaque individu devrait offrir un signe particulier de cet avilissement, comme
il eût offert un signe particulier de puissance dans l'ordre triomphal,
chacun selon le don qui lui eût été propre ; il résulte,
dis-je, que chaque individu de cette grande famille devrait offrir un signe
particulier de cette disette et de cette privation à laquelle la justice
suprême nous a tous soumis dans ce bas monde ; et cela afin qu'à
la vue de ce signe si différent de celui que nous aurions dû porter,
on pût dire de nous avec insulte et dérision : Ecce Homo, voilà
l'homme ; et que ce titre aujourd'hui si insultant pour nous, nous couvrit d'opprobre
et d'humiliation, en décelant les fruits amers que le crime a semés
en nous, au milieu de la gloire dont nous aurions brillé, si notre nom
eut conservé son vrai caractère.
Or, il ne faut que jeter les yeux sur l'état des hommes ici-bas, pour
juger avec quelle étendue cette sévère justice s'accomplit
; quel est celui de nous qui ne paye pas d'une manière ou d'une autre
ce tribut d'humiliation ? Où est notre force ? Où est notre autorité
? Où est notre puissance ? Où est notre lumière ? Excepté
l'indigence, le désordre et l'infirmité et les ténèbres,
quels autres témoignages présentent aujourd'hui nos diverses facultés
? Toutes les influences que nous répandons autour de nous, sont-elles
autre chose que des influences cadavéreuses ? Et y a-t-il sur la Terre
un seul homme qui ne soit dans le cas d'offrir un ou plusieurs signes de cette
importante réprobation ?
Ô homme ! Si tu n'es pas encore assez avancé pour verser des larmes
sur ta misère, au moins ne t'abuse pas jusqu'à la regarder comme
un état de bonheur et de santé. Ne te laisse pas prendre à
ces fascinations qui te séduisent. Ne fais pas comme un enfant malade
qui cesse de crier au bruit d'un hochet agité devant ses yeux et qui
même alors offre un visage riant et tranquille, comme si le mal qui le
ronge n'était plus à redouter pour lui, quand la vue de ce hochet
a suspendu pour un temps ses douleurs. Pour peu que tu fermes un instant les
yeux sur ces illusions qui te distraient, le mal ne tardera pas à se
faire sentir et, effrayé du danger qui te menace, tu reconnaîtras
avec quel juste fondement la sagesse cherche à t'avertir de tes infirmités
et à t'embraser du zèle de ta guérison. Cependant malgré
les rigueurs des lois que l'arrêt de la justice nous impose, les suites
de notre condamnation seraient mille fois plus douces encore qu'elles ne sont
rigoureuses si nous reconnaissions la suprême équité de
celui qui nous a jugés, si nous pensions combien les vues qu'il a sur
nous pourraient nous être profitables et si nous nous résignions
volontairement à l'inévitable puissance de ses décrets.
Les principaux avantages que nous en retirerions seraient dans l'exemple mutuel
que nous nous donnerions les uns aux autres ; car l'état infirme, languissant
et ténébreux de nos semblables serait pour nous une instruction
visible qui nous rappellerait continuellement la dégradation de la famille
de l'homme ; et de notre côté offrant à leurs yeux le même
spectacle, nous leur rendrions le même service, en leur donnant la même
instruction. Ainsi, nous avertissant respectivement de notre honte et de notre
humiliation, nous reconnaîtrions hautement la justice de la condamnation
que nous avons attirée sur nous et ce passerait comme l'entrée
dans la carrière de notre régénération qui est celle
que la Sagesse suprême s'efforce sans cesse de nous ouvrir, comme étant
la seule voie qui puisse nous ramener près de ce souverain principe d'amour
qui nous avait formés et que nous avons forcé à nous bannir
des domaines même qu'il nous avait confiés.
Habiles écrivains, remplissez-vous ici d'une sainte éloquence
pour nous peindre avec des couleurs persuasives et encourageantes le tableau
instructif de la famille humaine, où tous les individus seraient l'un
pour l'autre comme autant de leçons vivantes et où la vue de leur
commune détresse les remplirait à la fois d'une salutaire horreur
d'eux-mêmes et d'un tendre intérêt pour la réhabilitation
de tous les membres de cette grande famille. Montrez-nous les se nourrissant
du pain des larmes, gardant les uns auprès des autres le silence morne
de la douleur et ne le rompant par intervalle que pour faire entendre les sons
entrecoupés de la pénitence et pour que l'homme dise à
l'homme : mon frère, c'est sur l'homme de mensonge que nous avons fondé
le règne de la mort qui nous enveloppe de ses ténèbres.
Ne cachons plus cet homme de mensonge dans ses propres décombres et dans
ses immondices, efforçons-nous de le faire paraître à découvert,
afin que l'air vif le corrode jusque dans ses racines et que le règne
de la mort, se trouvant ébranlé par-là dans ses fondements,
puisse s'écrouler et se perdre pour nous au fond de ses abîmes.
Mais, combien l'homme est loin d'offrir un pareil spectacle et de se prosterner
ainsi devant cette irréfragable justice qui ne cesse de tonner sur lui
! Le même principe de désordre qui nous a fait d'échoir
de notre poste originel nous poursuit, nous accompagne et nous anime encore
dans notre existence dégradée. Comme il nous déguisa la
source mortelle de notre égarement, il nous en déguise journellement
les fruits et les conséquences. Il ne s'occupe que du soin d'en prolonger
la durée, afin qu'en perpétuant notre illusion, il perpétue
la puissance de son règne qui, malheureusement pour nous, ne se compose
que de nos déceptions et de nos ténèbres.
Il nous persuada jadis que nous ne tomberions point en suivant ses séduisantes
insinuations ; il cherche, maintenant que nous les avons suivies, à nous
persuader que nous ne sommes pas tombés et à nous remplir sans
relâche du soin vigilant de le persuader à tout ce qui nous environne.
Au lieu de nous laisser avouer chacun le signe particulier de condamnation que
nous portons et l'espèce de privation qui nous est infligée, il
ne nous fait veiller que pour en imposer à nos semblables sur cet important
objet. Et ce soin si actif qui nous absorbe, il a eu l'art de le multiplier
à l'infini par les suites de cette dégradation même et par
ces cupides multiplicités qui nous dévorent et qui nous voilent
d'autant notre misère et les humbles sentiers qu'il nous faudrait suivre
pour marcher vers notre régénération.
De là l'attention que les hommes prennent universellement de se montrer
comme ne manquant d'aucune de ces lumières et d'aucun de ces dons qui
auraient appartenu à notre vraie nature, si nous n'avions pas creusé
un si grand abîme entre nous et la vérité ; de là
le soin perpétuel qu'ils se donnent de cacher leurs défauts de
vertus, leurs défauts de talent, leurs défauts corporels, leurs
défauts de tous les avantages conventionnels des sociétés
politiques. L'il de nos semblables est devenu pour nous comme le seul
terme et comme le seul mobile de nos affections et de nos mouvements, non point
pour notre amélioration, comme c'eût été l'intention
de la sagesse, lorsqu'en nous bannissant de sa présence, elle nous a
exilés tous dans le même lieu, mais au contraire pour notre ruine
et notre entière destruction.
Nous aurions voulu autrefois passer aux yeux de toutes les régions pour
le Dieu suprême. N'ayant pas pu y réussir, nous n'avons pas pour
cela renoncé entièrement à notre entreprise et nous tâchons
au moins d'obtenir ce nom sacré dans l'opinion de nos semblables et de
leur faire assez d'impression par notre supériorité, pour qu'ils
en soient frappés en nous regardant et pour qu'ils flattent nos oreilles
de ce doux nom, Ecce Deus, voilà le Dieu, au lieu de ce terrible, Ecce
Homo, qui nous rendrait furieux en nous couvrant d'ignominie. Nous sommes comme
autant d'êtres mutilés dans tous nos membres et qui néanmoins
prétendons encore à la beauté et à passer pour réguliers,
en masquant nos difformités par toutes sortes de membres artificiels,
n'importe de quelle vile et fragile substance ces membres artificiels sont composés.
C'est pour cela que le prêtre enseigne une foi aveugle en son caractère
et en ses décisions, quand il n'a pas en main la véritable puissance
ni la véritable lumière : c'est pour cela que le philosophe et
l'orateur suppléent par des systèmes et par les formes de l'éloquence,
aux principes fondamentaux qui leur manquent pour établir le règne
de la vérité : c'est pour cela que les législateurs exaltent
les droits des peuples et la puissance des nations quand ils ne connaissent
pas les vrais fondements de la souveraineté politique : c'est pour cela
que l'hypocrite se procure par ses dissimulations et son astuce la bonne renommée
qu'il ne peut acquérir par des vertus, sans compter ici tous les autres
égarements, toutes les bassesses, toutes les injustices qui composent
partout le civil des associations humaines.
Ainsi par toutes ces voies extralignées et corrompues, nous substituons
à l'aveu si salutaire de notre humiliation, le tableau d'une gloire qui
n'est que le fruit du mensonge. Ainsi au lieu du soulagement que les hommes
auraient pu respectivement se procurer dans leur état d'épreuve,
il n'y a point de maux qu'ils ne s'attirent les uns sur les autres et nous consommons
nos jours à nous immoler mutuellement, tandis qu'en suivant la voie que
devait nous tracer le sentiment de nos misères et de nos infirmités,
nous aurions pu mutuellement nous ressusciter.
En vain ces sentiers abusifs, dans lesquels l'homme se laisse entraîner
tous les jours, se terminent par des chutes et par des déceptions continuelles
; en vain les efforts qu'il fait pour détruire et annuler l'humiliante
sentence de sa condamnation, la rendent plus honteuse pour lui, en lui faisant
ajouter de nouvelles ignominies à celles de sa première dégradation
; en vain il sent que les moyens qu'il emploie ne sont que des suggestions qui
n'ont point une source assez profonde pour le conduire à son vrai terme
et que tous ces remèdes ne portant point eux-mêmes le principe
de la vie, sont plus funestes encore à son esprit, que les grossières
substances, employées par nos pharmacies, ne sont nuisibles à
la santé de nos corps, il n'en poursuit pas moins la marche que lui trace
perpétuellement son imprudence et il espère toujours que ce titre
humiliant d'Ecce Homo va être effacé pour lui.
IV
Indépendamment de ces moyens généraux et communs que l'erreur
et le mensonge emploient journellement pour nous aveugler sur notre misère
et pour nous bercer sans cesse d'une espérance toujours déçue,
l'esprit de ténèbres a trouvé ouvertes des voies secrètes,
beaucoup plus abusives encore et beaucoup plus funestes pour nous. Car les premières
erreurs que nous venons de peindre tombent plus sur l'homme extérieur
et sur sa marche visible, que sur l'homme intérieur et spirituel ; aussi
la simple morale serait suffisante pour les lui faire éviter et toutes
fâcheuses qu'elles soient, le plus grand préjudice qu'elles lui
causent, est de le retarder dans sa marche ; mais celles que nous avons à
peindre, ont le terrible pouvoir de l'égarer tellement, qu'il ne puisse
plus retrouver sa voie et c'est ici que le sens de ce mot Ecce Homo devient
réellement lamentable.
Notre état primitif nous avait appelés à posséder
des connaissances supérieures, à jouir visiblement du spectacle
des faits de l'esprit, revêtus de toute la splendeur de sa lumière
et à avoir même autorité sur les divers habitants de toutes
ces régions, cachées aujourd'hui pour nous par le voile épais
des éléments.
Si, depuis notre chute, il est entré quelquefois dans le plan de la sagesse
d'appeler ici-bas quelques mortels à la participation d'un si grand privilège,
malgré les ténèbres qui les enveloppaient, il est arrivé
tout aussi souvent que ces mêmes ténèbres, ranimées
d'abord par la présence de cette lumière, ont cherché ensuite
à se combiner avec elle et bientôt à en prendre place, en
répétant astucieusement les mêmes faits dont elles avaient
été les témoins, ou en puisant, dans l'esprit de l'homme,
les moyens de l'abuser lui-même ; car elles peuvent lire à la fois
dans les fertiles régions de sa pensée et dans son imprudence
plus fertile encore à tourner presque toujours contre lui cette même
pensée, qui devait faire à la fois son appui, son guide et son
universelle sécurité.
Les grâces supérieures, envoyées directement par la sagesse
à quelques mortels, avaient un double avantage, celui d'apprendre à
ces mêmes mortels combien étaient doux et magnifiques ces trésors
dont nous avons joui et combien est ignominieux le néant dans lequel
nous avons eu l'imprudence de nous plonger ; et c'est dans cet esprit que les
hommes privilégiés répandaient ensuite leurs instructions
sur les autres hommes.
Les uvres enfantées ou infectées par les ténèbres
ont un but opposé, celui de persuader à l'homme qu'il jouit encore
de tous ses droits et de lui dérober la vue de ce dénuement spirituel,
qui est le véritable signe caractéristique auquel est attaché
le nom d'Ecce Homo, dénuement dont la connaissance intime et parfaite
est, comme nous l'avons dit ci-dessus, la première condition indispensable
pour commencer notre réconciliation.
Aussi à peine l'homme fait-il un pas hors de son intérieur, que
ces fruits des ténèbres l'enveloppent et se combinent avec son
action spirituelle, comme son haleine, aussitôt qu'elle sort de lui, serait
saisie et infestée par des miasmes putrides et corrosifs, s'il respirait
au milieu d'un air corrompu.
La Sagesse suprême sait si bien que tel est l'état de nos abîmes,
qu'elle emploie les plus grandes précautions pour y percer et nous y
apporter ses secours ; encore n'est-elle malheureusement que trop souvent contrainte
de se replier sur elle-même par l'horrible corruption dont nous imprégnons
ses présents et si quelque mortel a été assez heureux pour
éprouver en lui-même l'approche de cette sainte Sagesse et pour
avoir pu apercevoir à sa lumière l'horrible poison dont nous sommes
composés et l'amertume affligeante qu'elle en ressent, il connaîtra
par expérience et par similitude combien, à son tour, l'homme
court de dangers dès qu'il sort de son centre et qu'il entre dans les
régions extérieures.
Aussi avec quelle prudence les sages ne distribuent-ils pas leurs paroles et
combien de précautions ne prennent-ils pas pour que les trésors
de la vérité ne soient pas souillés par la corruption qui
corrode tous nos abîmes ? Ils savent trop que c'est dans ce centre intérieur
et invisible que réside la source de la lumière et que la raison,
pour laquelle le monde est si peu avancé dans les sentiers sacrés
de la parole, c'est qu'il jette habituellement sa parole dans les régions
extérieures et qu'il ne prend jamais la précaution de venir la
poser sur la racine vive ou sur la parole intérieure, le seul foyer qui
puisse animer toutes nos paroles vraies, puisque c'est là seulement où
se trouve la parole vivante et créatrice de toutes les paroles ; enfin
c'est qu'il oublie continuellement que les plus précieuses des vérités
qu'il puisse connaître, sont de nature à ne pouvoir être
exprimées que par des pleurs et par le silence et que la bouche matérielle
de l'homme n'est pas digne de les prononcer, ni son oreille corporelle de les
entendre.
Aussi, par ses imprudences universelles, l'homme est plongé perpétuellement
dans des abîmes de confusion, qui deviennent d'autant plus funestes et
plus obscurs, qu'ils engendrent sans cesse de nouvelles régions opposées
les unes aux autres et qui ne font que l'homme se trouvant placé comme
au milieu d'une effroyable multitude de puissances qui le tirent et l'entraînent
dans tous les sens, ce serait vraiment un prodige qu'il lui restât dans
son cur un souffle de vie et dans son esprit une étincelle de lumière.
Quels avantages ne donnons-nous donc pas, par nos légèretés,
à ce principe de ténèbres, qui cherche aussi à étendre
son règne en imitation de la vérité ? Pour peu que nous
nous prêtions à cette faiblesse secrète, qui nous porte
tous à chercher hors de nous les appuis que nous ne pouvons trouver qu'en
nous et pour peu que nous cessions d'être aussi naturels, aussi vrais
et aussi simples que des enfants au milieu des faveurs supérieures, qui
nous sont encore quelquefois accordées ici-bas et aux missions spirituelles
et divines dont il nous est possible d'être chargés, dès
l'instant le principe des ténèbres nous aide lui-même à
nous jeter de plus en plus dans ces régions extérieures.
Après nous y avoir fait entrer, il nous y retient par les charmes et
les joies que nous commençons d'abord à y goûter et qui
nous font bientôt oublier ceux de l'intérieur, qui sont aussi calmes
et aussi paisibles que les autres sont agités et turbulents. Après
qu'il nous a retenus dans ces régions extérieures, il nous y enfonce,
pour ainsi dire, à demeure, par le venin de notre propre contemplation
et par le funeste organe de l'il de nos semblables, qui ne s'étant
pas plus établis que nous dans leur intérieur, portent leurs fausses
influences sur nos imprudentes manifestations et nous entraînent d'autant
plus par-là dans l'obscurité et dans le mensonge, en réveillant
en nous toutes les affections opposées à l'affection simple, tranquille,
humble, égale et durable, que nous aurions reçue par la voie directe
de notre intérieur, du moment que par nos sages précautions nous
l'aurions laissé ouvrir en nous.
Car ce ne serait point abuser nos semblables, que de leur dire combien l'uvre
véritable de l'homme se passe loin de tous ces mouvements extérieurs.
D'après les principes posés ci-dessus, nous sommes placés
sous l'aspect de la divinité même, c'est-à-dire que nous
reposons sur une racine vive qui doit opérer en nous toutes nos régulières
végétations ; ainsi, qu'il y ait autour de nous, et même
par nous, des faits extérieurs et hors du cours ordinaire de la nature,
bien plus, qu'il y ait une nature et un monde, ou qu'il n'y en ait pas, notre
uvre doit toujours avoir son cours, puisque notre uvre est que Dieu
dans nous soit tout, et nous rien, et puisque, dans les faits mêmes impurs
et légitimes qui peuvent s'opérer, ce ne sont pas les faits qui
doivent s'apercevoir et mériter nos hommages, mais le Dieu seul qui les
opère.
Parmi ces voies secrètes et dangereuses, dont le principe des ténèbres
profite pour nous égarer, nous ne pouvons nous dispenser de placer toutes
ces extraordinaires manifestations, dont tous les siècles ont été
inondés et qui ne nous frapperaient pas tant, si nous n'avions pas perdu
de vue le vrai caractère de notre être et surtout si nous possédions
mieux les annales spirituelles de notre histoire, depuis l'origine des choses.
Dans tous les temps, la plupart de ces voies ont commencé à s'ouvrir
dans la bonne foi et sans aucune espèce de mauvais dessein de la part
de ceux à qui elles se faisaient connaître. Mais faute de rencontrer,
dans ces hommes favorisés, la prudence du serpent avec l'innocence de
la colombe, elles y ont opéré plutôt l'enthousiasme de l'inexpérience,
que le sentiment à la fois sublime et profond de la sainte magnificence
de leur Dieu ; et c'est alors que le principe des ténèbres est
venu se mêler à ces voies et y produire cette innombrable multitude
de combinaisons différentes et qui tendent toutes à obscurcir
la simplicité de la lumière.
Dans les unes, ce principe de ténèbres ne forme que de légères
taches, qui sont comme imperceptibles et qui sont absorbées par la surabondance
des clartés qui les balancent ; dans les autres, il y porte assez d'infection
pour qu'elle y surpasse l'élément pur. Dans d'autres, enfin, il
établit tellement sa domination, qu'il devient le seul chef et le seul
administrateur.
Des écrivains zélés et véhéments nous ont
montré, dans la constitution de l'univers, une des voies qui servent
d'instrument à ce principe de ténèbres pour propager ses
illusions. Ces écrivains ont rendu par-là aux nations égarées
le plus grand service qu'elles pussent attendre et elles ne peuvent mieux faire,
que de méditer soigneusement ce trait de lumière. Il leur révélera
clairement la source des abominations et des erreurs religieuses qui ont attiré
autrefois, sur des peuples célèbres, les vengeances éclatantes
de la colère divine ; et elles pourront y puiser les connaissances les
plus vastes et les plus utiles pour nos temps modernes, qui, sous ce rapport,
ressemblent, plus que l'on ne pense, aux temps anciens. Ainsi, cette clef étant
déjà livrée à l'intelligence des hommes, nous pouvons
nous borner, dans cet écrit, à considérer les fruits de
ces régions ténébreuses, qui ont égaré tant
de mortels et à parcourir tant les différents signes auxquels
on peut les reconnaître, que les déceptions qui sont réservées
à ceux qui s'en nourrissent.
V
Ce qui peut servir dans ces manifestations ou dans ces mouvements extérieurs
à discerner le faux, c'est lorsque les uvres, qui en résultent,
sont, pour ainsi dire, des ombres d'uvres, des uvres de surface
et, par conséquent, trop peu vivifiantes pour se lier au plan du grand
uvre de Dieu, qui est de nous rappeler à notre centre interne où
Dieu se trouve, au lieu de nous subdiviser dans les centres externes, fragiles,
ténébreux ou corrompus, où Dieu ne se trouve pas ; c'est
lorsque les missions des envoyés ont un caractère vague, confus,
indéterminé ; c'est lorsque ces envoyés sont subordonnés
à des arbitres incapables de les juger et qu'ils concourent par-là
à la ruine de leur uvre même en soumettant leurs lumières
à des conducteurs, à qui ces lumières sont étrangères
; c'est lorsque les prophéties de ces mêmes envoyés offrent,
indépendamment de ces caractères incertains, celui de s'écarter
de la destination naturelle de l'esprit de l'homme, que nous avons reconnu ci-dessus
pour le premier signe et le premier témoin de la Divinité et qui,
malgré qu'il soit bien loin d'être ici-bas au niveau de ses privilèges
et de ses clartés originelles, ne peut cependant jamais faire un seul
pas assuré, qu'à la lueur de la faible étincelle qui lui
en reste.
Car s'il doit être le signe et le témoin de la Divinité,
il ne remplirait donc pas sa destination naturelle, s'il n'était que
le signe ou le témoin de l'esprit et les anges, que le signe et le témoin
des puissances de la nature soit célestes, soit terrestres, que le signe
et le témoin de l'âme des morts : bien plus, si après s'être
annoncé comme étant le signe et le témoin de la lumière
divine, il ne devenait, par ses démarches inconsidérées,
que le signe et le témoin d'un homme ignorant, ou que le signe et le
témoin des actions ténébreuses et corrompues. (Eh ! qui
ne frissonnerait pas en apercevant avec quelle profusion et avec quelle confusion
toutes ces erreurs et tous les dangers qui les accompagnent peuvent s'introduire
dans les voies extraordinaires ?) Enfin, c'est lorsque toutes ces voies extraordinaires
ne trouvent point à s'appuyer solidement sur les Écritures Saintes.
Car les Écritures Saintes elles-mêmes ne seraient pas vraies, si
elles ne déposaient pas en faveur de ce caractère divin et distinctif
de l'homme, dont il peut se reconnaître lui-même comme étant
revêtu par la main du suprême auteur des êtres ; elles ne
seraient pas vraies, si elles n'appelaient pas l'homme à être le
signe et le témoin de la Divinité même, si elles ne ramenaient
pas l'âme humaine à ce seul but, en lui peignant les maux et les
ténèbres qui l'attendent, si elle se rend le signe et le témoin
des Dieux des nations ; enfin elles ne seraient pas vraies si, dans tous les
faits qu'elles rapportent, dans toutes les prophéties qu'elles contiennent
et dans toutes les merveilles qu'elles manifestent, elles laissaient quelque
chose à la gloire humaine des individus et qu'elles n'offrissent pas
clairement le but exclusif de l'universelle domination de la suprême et
jalouse vérité.
Or, sous tous ces rapports, les Écritures Saintes viennent à l'appui
de la nature de l'homme, de la destination qu'il a reçue par son origine
et de l'objet qui doit être le seul terme de tous ses mouvements.
Elles le montrent comme ayant été appelé à être
l'image et la ressemblance de Dieu, à dominer sur tous les ouvrages de
la puissance divine, à subjuguer la Terre et à la remplir, à
donner aux êtres les noms qui leur conviennent et tout ceci, en le plaçant
sous l'il même de la Divinité, comme devant correspondre
directement avec Elle.
Depuis sa chute, elles ne cessent de le rappeler à ce poste primitif
et de lui promettre que s'il suit avec zèle et avec courage les lois
et les ordonnances que la Sagesse suprême lui envoie pour son soulagement,
l'Éternel sera son Dieu et l'homme sera le peuple de l'Éternel.
Elles ne cessent de l'avertir des pièges que doivent lui tendre les habitants
de cette triste demeure qu'il occupe aujourd'hui ; elles ne cessent de lui peindre,
sous mille formes et avec les accents les plus expressifs, toutes les entreprises
qu'ils feront contre son bonheur, jusqu'à ce qu'ils parviennent à
l'entraîner avec eux dans leurs abominations et à le faire entrer
au service de leurs idoles.
Elles lui peignent, sous les signes les plus humiliants, l'état de détresse
où le conduira l'oubli de son Dieu et sa négligence à ne
pas se défendre des prestiges de ses ennemis ; enfin, elles nous le peignent
comme étant assez cher à l'amour divin, pour que cet ineffable
principe de toutes choses se soit lancé après lui, comme après
sa propre pensée, pour le soustraire aux poisons meurtriers auxquels
il s'était exposé par son crime et même pour payer en notre
nom cette dette de résignation dont nous sommes tous comptables à
la justice souveraine.
Car ce fleuve de l'amour divin, dans lequel nous avons puisé la naissance,
ne peut jamais cesser de couler pour nous régénérer en
lui ; de même qu'ici-bas le cur de l'homme de bien ne se tarit point
pour ses frères, malgré toutes les injustices et serait toujours
prêt à souffrir pour eux, s'il pouvait, à ce prix, leur
rendre le goût de la vertu, de même le fleuve éternel de
la vie ne s'est point tari lors de notre crime, il s'est seulement réduit
et rétréci, en nous condamnant à ne manger qu'à
la sueur de notre front le pain de vie que nous aurions dû manger non
sans travail, mais sans fatigue.
Ce fleuve s'est accru progressivement par les diverses alliances qu'il a faites
avec l'homme en différents temps ; enfin, il a repris toute son étendue,
en venant remplir pour nous la loi de notre condamnation que nous refusions
de remplir nous-mêmes et lorsque, transformant de nouveau toutes ses puissances
en notre nature d'homme, il s'est laissé couvrir, par les puissances
terrestres de tous les signes de la dérision et que, couronné
d'épines, meurtri de coups, souillé de crachats, abandonné
de tous, il a souffert qu'on le montrât publiquement armé d'un
roseau pour sceptre et que l'on dit de lui aux yeux des nations de la Terre
: Ecce Homo, voilà l'homme, voilà l'état où il a
été réduit par le crime primitif et par toutes ses prévarications
secondaires.
C'est par cet aveu humiliant que la justice a rouvert pour nous toutes les portes
de l'amour, puisque c'est à cet instant que les suites du péché
de l'homme ont été manifestées et dénoncées
par l'homme lui-même. Sans cet aveu, la mort de l'homme réparateur
aurait pu paraître une injuste atrocité et la miséricorde
divine un caprice.
Les Écritures nous tracent donc avec exactitude le lit qui a servi au
fleuve vivifiant de l'amour, pour arriver depuis la montagne sainte, jusque
dans notre être ; et leur témoignage nous doit être d'autant
moins suspect, que l'âme de l'homme n'a pas besoin de les prendre pour
preuve de tous les principes qu'elle peut lire en elle-même à tous
les moments, puisque ces principes sont antérieurs aux Écritures
; mais elles peuvent lui offrir sans cesse un appui solide et une nourriture
salutaire et comme telles, elles entrent au nombre des moyens qui nous sont
donnés pour juger les manifestations en général.
Servons-nous donc ici de tous ces principes que nous venons de présenter
et faisons-en l'application à ces voies extraordinaires, dans lesquelles
l'erreur se glisse si aisément avec la vérité, pour nous
arrêter dans notre carrière et suivons la marche du principe des
ténèbres, au milieu de ces merveilles qui nous étonnent
et des trésors qui nous environnent.
Les voies et les dons partiels ont pu et pourront avoir lieu dans tous les temps,
parce que dans tous les temps, il y a eu et il y aura des êtres qui, quoique
n'étant point adonnés au mal, sont cependant trop en bas âge,
relativement à l'esprit divin, pour en être animés dans
toute sa force et dans toute sa plénitude. Mais pour que ces voies partielles
puissent cependant être regardées comme initiatives à la
vivante lumière, il faut au moins qu'elles aient le caractère
de la vie et qu'elles soient en petit la répétition du grand uvre,
sans quoi elles ne sont que figuratives, elles séjournent dans les surfaces
et y font séjourner tous ceux qui, en s'y abandonnant, ne pénètrent
point jusqu'à l'uvre central.
Or, pour des raisons profondes que nous ne croyons pas devoir exposer, l'uvre
partielle prend aisément dans la pensée de l'homme le caractère
de l'uvre totale ; l'uvre de l'esprit lui paraît facilement
l'uvre de la Divinité ; l'uvre des puissances naturelles
lui paraît aussi facilement l'uvre de l'esprit et plus facilement
encore l'uvre des puissances aveugles et corrompus lui paraît l'uvre
des puissances naturelles.
Le principe des ténèbres profite de ce malheureux penchant de
l'homme et il l'augmente encore par les droits que nous lui avons laissé
prendre sur nous de façon que l'homme favorisé partiellement a
deux obstacles à combattre, celui de sa propre infirmité et celui
du principe des ténèbres, dans lesquelles nous nageons ici-bas,
tandis que l'homme, admis à la plénitude de l'uvre divine,
n'a point le même travail à faire, ni les mêmes dangers à
courir, quoiqu'il ait toujours à veiller sur lui pour s'acquitter dignement
de sa haute mission. Aussi l'homme qui est admis à cette uvre divine
ne tient conseil qu'entre Dieu et lui.
Malheureusement les dangers que nous venons de peindre, ont été
comme universels ; partout les hommes ont pris pour des missions divines, ce
qui n'était que des missions spirituelles, pour des missions spirituelles
ce qui n'était que des missions naturelles ; et chacun a cherché
à les propager, tandis qu'elles devaient se concentrer dans leur secrète
et partielle atmosphère, lorsqu'elles étaient vraies, ou être
repoussées à jamais si elles n'avaient pas tous les caractères
de la vérité.
Or, quels torts les agents mêmes des missions partielles n'ont-ils pas
dû se faire à eux-mêmes ; en sortant ainsi de leurs sphères
et en s'exposant si imprudemment et sans des forces suffisantes à tous
les chocs opposés ou corrompus de tant d'autres sphères qui devaient
à jamais leur rester étrangères ?
Aussi les fruits que le principe des ténèbres a recueillis de
là sont incalculables et il y a des multitudes d'institutions sur la
Terre qui n'ont pas eu d'autres principes, soit parmi celles qui ont été
honorées, comme sacrées, soit parmi celles qui, par des altérations
progressives, en sont venues à ne conserver que de puérils emblèmes
et se sont totalement transformés en pures institutions civiles ; car
entre ces deux extrêmes les points intermédiaires sont innombrables,
mais ce sont les points les plus extralignés, ou les germes les plus
inférieurs qui ont le plus communément produit leurs fruits, parce
que plus ces germes descendaient, plus ils trouvaient de terrains préparés
à les recevoir.
En même temps ces institutions ont montré l'espèce de source
dont elles sortaient, soit par les règlements bizarres qu'elles prescrivaient,
soit par l'emploi d'ingrédients et de substances dont la correspondance
décèle clairement des régions purement naturelles, que
presque tous les peuples de la Terre ont adorées comme étant divines,
vu les mélanges spirituels bons ou mauvais dont elles sont susceptibles.
Il suffira ici, pour que le lecteur instruit fasse les rapprochements nécessaires,
de nommer les cheveux et les ongles qui, par une loi très instructive,
ne sont pas sensibles ; la tête de l'homme où les sinuosités
du cerveau et du cervelet ont tant de rapports avec celles de ses intestins
; les astres où la mythologie de tous les temps a placé tant d'images
et tant d'apothéoses enfantées par le caprice de l'homme ; enfin,
le Deutéronome où le peuple juif et dans lui tous les peuples
peuvent apprendre à se prémunir contre l'idolâtrie, car
il trouvera là les bases de la relation, le magisme des effluves similaires
de nos deux régions temporelles et l'avertissement de nous garder des
Dieux des nations.
Certainement par cette marche inférieure et rétrograde, le principe
des ténèbres nous empêche puissamment d'accomplir notre
loi, puisque au lieu de nous laisser paraître dans notre dénuement
et avec notre qualité humiliante d'Ecce Homo, il fait qu'avec les simples
puissances spirituelles et avec de simples puissances élémentaires
et même avec de simples puissances figuratives, ou peut-être avec
des puissances de réprobation, nous nous croyons revêtus des puissances
de Dieu et jouissant de tous les droits de notre origine.
Car de cette facilité qu'a eu si souvent le principe des ténèbres
de trop généraliser les missions partielles et de les altérer
jusqu'à les rendre simplement figuratives, il n'y a pas loin à
avoir enfanté des missions fausses.
VI
Dans cette classe de missions fausses sont celles qui transposent les époques
et veulent appliquer à des mouvements politiques de nos temps modernes
les diverses prophéties historiques juives qui n'embrassaient que les
peuples liés d'intérêt ou de rivalité avec la Judée,
selon les plans secrets de la Divinité. Ces plans ayant été
remplis, les prophéties historiques qui leur servaient d'annonce, ont
rendu l'esprit qu'elles avaient et les Juifs eux-mêmes seront obligés,
pour en retirer les fruits qui leur sont encore promis, de monter dans la région
supérieure où cet esprit s'est retiré pour les y attendre.
En effet, qu'ils lisent Jérémie, 30 -24 Le Seigneur ne détournera
point Sa colère et Son indignation, jusqu'à ce qu'Il ait exécuté
et qu'Il ait accompli toutes les pensées de Son cur et vous les
comprendrez dans le dernier jour. Qu'ils lisent Isaïe 60 -18-22 où
les consolations et les joies dont ils doivent être comblés sont
remises à un temps où il n'y aura plus de soleil ni de lune, où
le soleil ne se couchera plus et où la lune ne souffrira plus de diminution.
Qu'ils lisent Joël 3- l-2 où après le retour des captifs
de Juda et de Jérusalem, le Seigneur dit qu'Il assemblera tous les peuples
dans la vallée de Josaphat pour entrer en jugement avec eux (Expressions
qui forcent l'intelligence à s'élever au-dessus d'une vallée
terrestre). Où enfin Il dit à ces mêmes Juifs, verset 21
: "Je purifierai alors leur sang que Je n'aurai point purifié auparavant
; et le Seigneur habitera dans Sion."
Et sur ces derniers mots rappelons-nous la sentence prononcée par Saint-Paul,
Ire Cor. 15 -50. La chair et le sang ne sauraient posséder le royaume
de Dieu et disons par la même raison que le royaume de Dieu ne peut habiter
avec la chair et le sang, que par conséquent il faudra que la chair et
le sang disparaissent, pour que les prophéties de la paix des Juifs parviennent
à leur accomplissement.
Or, si ce serait défigurer ces prophéties mêmes que de les
appliquer au rétablissement de ce peuple dans son royaume terrestre et
temporel, combien n'est-ce pas les méconnaître que de vouloir aujourd'hui
que ces prophéties s'appliquent aux mouvements de nos sociétés
politiques ? C'est les forcer de prendre une extension que l'esprit ne leur
avait point donnée et c'est en même temps s'aveugler sur l'état
de nos sociétés politiques elles-mêmes, qui ne sont malheureusement
que trop délaissées aux simples puissances humaines ; car quels
fruits attendre de ces puissances humaines ? Le royaume de l'homme n'est pas
de ce monde et l'homme réparateur et notre véritable régulateur
ne s'est point occupé de l'ordre politique des royaumes de la Terre,
mais il les a laissés livrés à toutes les puissances aveugles
qui les dirigent et qui semblent être comme si l'esprit s'en était
retiré, quoique néanmoins dans leurs mouvements les plus désordonnés,
l'il de cet esprit ne puisse jamais les perdre de vue.
Ces missions n'en sont pas moins fausses, lors même qu'elles s'annoncent
sous le nom de la Vierge humaine et sous celui d'autres créatures privilégiées.
C'était assez que par le penchant de l'homme à sanctifier tous
ses mouvements et à diviniser les objets de ses affections, les simples
prières et les simples invocations qu'il a adressées à
ces êtres privilégiés, eussent pris dans son esprit un caractère
plus élevé et plus imposant.
C'était assez pour lui de s'être comme exclusivement reposé
sur les secours que ces êtres peuvent en effet nous procurer, lorsque
Dieu veut bien nous favoriser assez pour leur permettre de venir le prier avec
nous. C'était assez pour leur permettre de venir le prier avec nous.
C'était assez d'avoir par-là si souvent transposé son culte
avec autant de facilité que d'imprudence, puisque plus il trouvait dans
ces êtres choisis de cette paix, de cette joie et de cet appui dont nous
avons tous ici-bas un si grand besoin, moins il se sentait porté à
le chercher dans la source même.
Et en effet combien de personnes en priant ces êtres secourables, se surprennent-elles
à croire prier la Divinité même et finissent par ne plus
savoir comment en faire la différence ? Combien se sont surprises à
les adorer en ne croyant faire autre chose que les prier : espèce d'idolâtrie
qui est d'autant plus dangereuse, qu'elle prend son origine dans notre sensibilité,
dans notre amour et même dans nos vertus si ce n'est pas dans nos lumières.
Or, c'est alors que le principe des ténèbres, profitant des faux
pas que nous fait faire notre sensibilité mal éclairée,
nous conduit aisément ensuite dans toutes les autres voies extralignées
qui lui sont familières ; c'est alors que sous des noms vénérables,
devenus sacrés pour nous, il peut préparer, annoncer et opérer
des événements et des merveilles tellement combinées, que
selon les avertissements qui nous en sont donnés, elles pourraient tromper
les élus mêmes.
Et pourquoi s'efforce-t-il de donner à ces noms une influence aussi considérable
et comme des pouvoirs divins, si ce n'est afin de voiler pour nous, autant qu'il
lui est possible, le nom du Dieu véritable qui ne lui laisserait aucun
mouvement et qui le tiendrait lié à ses abîmes ? Car s'il
est vrai qu'il y ait des feux qui ne fassent que rassembler des exhalaisons
et des nuages, sur lesquels les images de tous les objets peuvent former des
reflets apparents, il est encore plus vrai qu'il y a un feu vivant qui opère
dans le silence et qui, toujours caché comme celui de la nature, produit
sans cesse les objets mêmes, les montre dans toute la régularité
de leurs formes et fait fuir devant lui toutes les difformités.
Quoique le principe des ténèbres ne puisse, sous les noms qu'il
emprunte, opérer que des uvres illusoires ou inférieures,
il a l'art d'y suppléer par l'uniformité de ces uvres dans
un grand nombre de lieux différents et par une unanimité de doctrine
qui, puisée toujours dans notre dangereuse sensibilité, entraîne
le cur par des douceurs séduisantes et l'esprit par la surprise
de cette conformité de mission et de correspondance de faits.
Mais c'est cette uniformité même qui devrait cesser de nous étonner
si nous étions moins imprudents. En effet, si c'est le même agent
qui influe sur ces missions et qui dirige toutes ces merveilles, si dans les
unes et les autres, il est animé par les mêmes vues qui sont de
nous éblouir plutôt que de nous éclairer et s'il a toujours
à opérer en nous sur les mêmes bases : savoir, notre faiblesse,
notre curiosité avide qui prennent si souvent la couleur de nos vrais
besoins, il est naturel de reconnaître qu'il doit toujours retirer de
là les mêmes résultats.
Car, quoiqu'il ait dans l'uniformité de ces prophéties et de ces
missions, une ressemblance avec les auteurs sacrés, qui tous ont annoncé
aussi une seule et même chose et tenu un seul et même langage, ce
n'est pas une preuve qu'il ne puisse nous tromper avec ces apparentes couleurs
et que l'erreur ne puisse, comme la vérité, avoir un langage unanime
et des témoignages uniformes.
Il y a des signes auxquels nous pourrions du moins nous tenir sur nos gardes
contre de pareilles embûches : premièrement, c'est de voir les
éloges dont les agents de ces diverses missions accablent tous ceux qui
y sont appelés et combien ils leur promettent qu'ils auront tous des
rôles brillants à y remplir ; tandis que les vrais prophètes
ont été peu loués par l'esprit qui les employait et que
le réparateur n'a promis à ses apôtres que des outrages
et des supplices.
Secondement, c'est lorsque ces missions extraordinaires s'éloignent encore
plus du caractère que nous présente la mission du réparateur,
qui est la seule sur laquelle puissent être modelées toutes les
vraies missions. Or, les missions modernes s'éloignent de l'esprit du
réparateur, lorsqu'elles localisent terrestrement le foyer des grâces
divines qu'il a promises aux nations et auxquelles il n'a fixé aucun
lieu, d'après les paroles qu'il a dites à la Samaritaine, Jean
4 Le temps va venir que vous n'adorerez plus le Père sur cette montagne
ni dans Jérusalem... Le temps vient et il est déjà venu
que les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité
; car ce sont là les adorateurs que le Père aime.
Elles s'éloignent de l'esprit du réparateur, lorsqu'elles assujettissent
leurs agents à de puériles règles humaines et monacales
que le réparateur n'a point instituées et qui n'étant puisées
que dans les établissements conventionnels ou figuratifs, nous laissent
la carrière la plus libre sur l'opinion que nous voudrons prendre du
principe caché qui dirige ces missions.
Car si ce n'est pas le principe des ténèbres lui-même qui
les dirige et qui emploie ces puériles règles pour étouffer
la vraie piété ; il se peut que ce soient des individus déjà
sortis de ce monde, qui pendant leur vie terrestre auront été
incorporés dans ces établissements conventionnels ou figuratifs,
qui détenus encore dans des régions inférieures et n'étant
point encore montés aux régions de leur parfait renouvellement,
peuvent conserver des relations terrestres dans l'ordre de la piété
inférieure et ne savent enseigner dans ces relations que les doctrines
réduites et bornées dans lesquelles ils ont été
instruits sur la Terre et dont ils n'ont point encore eu le temps de se laver.
Un troisième signe qui peut tenir en garde contre ces missions extraordinaires,
c'est de voir combien les femmes, vu leur sensibilité, sont choisies
de préférence aux hommes pour être comme comblées
par toutes les glorieuses faveurs que ces missions promettent à leurs
agents et pour régner dans cette espèce d'empire : car Isaïe
nous éclaire assez sur ce point quand il reproche au peuple 3 12 de s'être
laissé dominer par les femmes.
Or, pour quelques hommes qui remplissent des rôles dans plusieurs de ces
merveilles et de ces manifestations revêtues du nom de la Vierge et de
plusieurs autres créatures privilégiées, les femmes s'y
livrent en foule et sont presque partout employées pour en être
les organes et les missionnaires.
Je ne parle point ici des institutions religieuses, que l'ignorance, la superstition
ou la mauvaise foi ont formées sous ces mêmes noms et dans lesquelles
les peuples grossiers sont si souvent entraînés au-delà
de la mesure ; les torts qu'ils se font par-là ne peuvent se comparer
à ceux qui résultent d'un pareil abus dans l'ordre des manifestations.
Pour se convaincre de ces abus, il suffit ici de jeter un regard sur les principes
que nous avons déjà exposés. D'abord, nous sommes appelés
à être le signe et le témoin de la divinité et non
point à être le signe et le témoin d'aucun autre être.
En outre, les Écritures Saintes qui sont les fidèles archives
de nos titres et de nos destinées nous disent du réparateur Actes
4 -12. Il n'y a point de salut par aucun autre, car nul autre nom sous le ciel
n'a été donné aux hommes par lequel nous devions être
sauvés.
En vain les partisans de ces noms nouveaux se reposent sur les paroles du réparateur
lui-même qui dans l'Apocalypse, 2 -17 promet de donner au victorieux la
nature sacrée et une pierre blanche sur laquelle sera écrit un
nom nouveau que nul ne connaît que celui qui le reçoit. Ces paroles
même tournent absolument contre eux ; car on n'attend point qu'ils soient
victorieux pour leur donner ces noms nouveaux, ce qui prouve que ce n'est point
sur ces manifestations là que tombe la promesse.
En outre, ces noms nouveaux sont connus non seulement de ceux qui les reçoivent,
mais même de ceux qui ne les reçoivent pas, tandis que le nom nouveau
promis par le réparateur n'est connu de nul autre que de celui qui le
reçoit. Ce même réparateur dit, Apocalypse 3 -12. Quiconque
sera victorieux, je ferai de lui une colonne dans le temple de mon Dieu et il
n'en sortira plus et j'écrirai sur lui le nom de mon Dieu et le nom de
la ville de mon Dieu, de la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel venant
de mon Dieu et mon nom nouveau.
Ces promesses annoncent qu'il est encore des faveurs à espérer
à l'avenir pour ceux qui auront mis à profit les dons déjà
apportés par le réparateur ; elles annoncent par conséquent
un accroissement à ce nom libérateur qu'il nous a déjà
appris. Or, dès que ces manifestations ne nous donnent pour ce prétendu
accroissement que les noms des créatures, elles nous abusent, elles contredisent
les vrais principes de notre être, elles injurient les Écritures
et elles abolissent les promesses, en prétendant faussement les accomplir.
Quant à celles de ces manifestations et de ces missions qui s'annoncent
sous le nom du réparateur lui-même, non seulement elles ne nous
donnent point non plus le nom nouveau, mais elles prêtent à ce
réparateur un rôle et un langage auquel il est plus que probable
qu'il ne se reconnaîtrait pas lui-même.
VII
C'est un pouvoir funeste, mais malheureusement trop vrai, celui que possède
le principe des ténèbres d'appuyer ainsi ses fausses doctrines
et ses manifestations par les divers témoignages des Écritures
Saintes. C'est avec de pareilles armes qu'il osa attaquer l'homme réparateur
et c'est par de pareilles armes qu'il attaque tous ceux qui, à l'exemple
des hommes légers et crédules, sont plus soumis aux traditions
qu'à la loi et ne sont point assez nourris de l'esprit, pour se défendre
des pièges de la lettre. C'est par-là qu'il détourne adroitement
notre pensée du seul être que nous devons adorer et du seul nom
qui doit nous initier à son culte, pour la faire descendre sur des êtres
et des noms inférieurs, dont nous avons d'autant plus de peine à
nous détacher, que les fruits qu'ils nous rendent sont plus faciles et
ne nous coûtent le plus souvent que l'adhésion, sans autre examen
que le mouvement de notre propre désir.
C'est par-là qu'il nous voile et nous déguise notre titre humiliant
d'Ecce Homo, en nous disant que les miséricordes du Seigneur deviennent
plus abondantes en nous ; en nous annonçant avec quelle facilité
ces miséricordes s'étendent par nous et en exaltant à nos
yeux la grandeur de notre sainteté et le pouvoir de nos prières.
C'est par-là qu'il augmente notre lenteur à travailler à
notre uvre personnelle et à notre propre résurrection.
C'est par-là qu'il entretient notre orgueilleuse et ambitieuse cupidité
de paraître et de briller par nos puissances ; c'est par-là qu'il
devient cette véritable servante qui rend des profits à notre
amour-propre, comme celle qui louait Saint-Paul apportait un grain à
ses maîtres en devinant. (Actes 16 - 14)
C'est par-là qu'il trompe les nations, comme il a trompé les Juifs,
en leur faisant dire par ses faux prophètes : la paix, la paix, lorsqu'il
n'y avait point de paix, comme le leur reprochait Jérémie, fil
; enfin, c'est par-là qu'il abuse aujourd'hui de la crédulité
des hommes, en faisant annoncer par divers oracles qui s'élèvent
de toutes parts ; une prétendue régénération terrestre
que nombre de personnes regardent comme étant certaine et prochaine.
Les prophètes et les apôtres ont dit que les temps étaient
proches et que le règne de Dieu était près de nous, mais
ils parlaient d'une proximité d'espace et non pas d'une proximité
de temps. D'ailleurs ils ne cessaient de répéter que ces temps
et ce règne ne viendraient que pour ceux qui en auraient fait la conquête
au prix de leur sang et ils n'ouvraient aux hommes ces trésors de leurs
espérances, qu'après les avoir pressés avec importunité
de se livrer au combat avec la plus entière résolution ; c'est-à-dire
qu'aucun homme ne connaîtrait ces douleurs promises pour le règne
prochain, qu'autant qu'il se précipiterait lui-même courageusement
dans le creuset de la régénération et qu'il en serait sorti
renouvelé.
Enfin le réparateur qui lui-même était le royaume ne prêchait
que la pénitence et ne promettait la paix aux âmes qu'après
qu'elles n'auraient pris son joug sur elle, tandis que les prophètes
modernes, qui ne sont que des hommes, semblent annoncer la conquête de
ce royaume comme si facile, comme si assurée, qu'elle paraîtrait
pouvoir se faire, pour ainsi dire, par dispense, par commission, par la simple
conquête des lumières et indépendamment de notre entier
sacrifice et des sueurs de tout notre être.
N'est-il pas à craindre que les oracles, qui viennent tous à l'appui
les uns des autres aujourd'hui, sur ces grandes promesses, ne soient un piège
de ce principe de ténèbres qui, sachant en effet que le règne
de la gloire doit venir un jour, à l'adresse de nous rappeler cette vérité
pour se faire écouter de nous, mais en même temps appuie faiblement
sur les rudes combats qu'il nous faut supporter auparavant, et cela afin de
nous empêcher d'arriver à ce même règne glorieux dont
il nous parle.
Ne se conduisait-il pas ainsi du temps de Jérémie ? Lamentations
2 - 15. Vos prophètes ont eu pour vous des visions fausses et extravagantes
et ils ne vous découvraient point votre iniquité pour vous exciter
d la pénitence, mais ils ont eu pour vous des rêveries pleines
de mensonges. Ne gouvernait-il pas ainsi les Juifs du temps d'Isaïe selon
les reproches que Dieu leur fait par ce prophète 30 - 10 d'être
des enfants qui disent à ceux qui ont des yeux : ne voyez point et à
ceux qui voient : ne regardez point pour nous à ce qui est droit ajuste
; dites-nous des choses qui nous agréent ; que votre il voit des
erreurs pour nous.
Non, je ne serais point étonné que toutes ces prophéties
d'une prochaine régénération ne fussent une des ruses employées
par votre ennemi, pour retarder les hommes dans la carrière. Dieu est
près de nous, Il est vrai ; mais nous, nous sommes malheureusement presque
tous loin de Dieu ; et le travail de nous rapprocher de Lui est si fatigant
que presque personne n'ose l'entreprendre.
Comment notre croyance ne serait-elle donc pas aisément séduite
par notre paresse, lorsque des prophéties nous montrent cette régénération,
sous des couleurs moins effrayantes ? Comment l'ennemi qui ne cherche qu'à
nous arrêter dans notre chemin, manquerait-il de donner cette attrayante
idée à tous ceux qui sont dans des voies extraordinaires ? Il
sait qu'en les remplissant par-là d'une douce espérance, cette
jouissance fausse qu'ils reçoivent ainsi par avance, semble leur dire
qu'ils en obtiendront la réalité sans fatigue et sans la rigueur
horrible de l'universel dépouillement, c'est-à-dire sans ce terrible,
mais salutaire sentiment de notre lamentable état d'Ecce Homo ? Or avec
quelle facilité cette erreur ne doit-elle pas prendre sur notre fragile
et nécessiteuse humanité ?
Ce qui vient à l'appui de ce que j'avance, c'est que, pour quelques personnes
en qui ces flatteuses promesses raniment le courage et l'activité, il
en est nombre pour qui il en résulte le contraire. En effet si la plupart
de ceux qui se livrent à cette opinion veulent descendre en eux-mêmes,
ils verront que leur enthousiasme repose en partie sur leur paresse intérieure
et sur un secret espoir que cet heureux temps arrivera pour eux d'une manière
prompte et facile et que leur tâche personnelle sera ou diminuée
ou secondée par les efforts de tous les élus qui seront admis
à cette régénération ; ils reconnaîtront,
dis-je, qu'il leur semble être déjà comme emportés
par le torrent général, dans cette grande mer et que l'espérance
si séduisante de cette ravissante jouissance, suspend un peu en eux la
contemplation des rudes épreuves et des combats terribles, au prix desquels
chaque individu doit acheter la victoire, c'est-à-dire, que plus elle
leur montre le terme consolant, auquel nous pouvons tous aspirer, plus elle
leur voile les rudes sentiers qui y doivent conduire, de façon qu'ils
se voient plutôt comme étant déjà arrivés,
que comme ayant encore les plus horribles déserts à traverser
et les repaires les plus dangereux à détruire.
Il n'est pas étonnant alors qu'ils soient si remplis de joie en contemplant
ces délicieuses perspectives, puisque leur esprit les en fait jouir d'avance
et qu'ils se trouvent en quelque manière, comme s'ils en étaient
déjà en possession.
Mais s'il est vrai que nous ne puissions obtenir une pareille couronne qu'au
prix de notre sueur et de notre sang, il est bien clair que l'esprit qui nous
nourrit de semblables promesses est un esprit qui nous abuse et qui cherche
à nous faire sommeiller sur les uvres douloureuses que nous avons
à faire, afin qu'en diminuant ainsi nos travaux et nos services, il nous
mette dans le cas de voir aussi diminuer nos récompenses, lorsque le
moment du paiement sera arrivé ; car il n'y a pas de moyen qu'il n'emploie
pour opérer cet effet-là universellement sur les humains, attendu
que plus nous aurons mérité et obtenu de ces récompenses,
plus il se trouvera gêné et tourmenté dans ses abîmes
de privation.
Le règne de mille ans rapporté dans l'Apocalypse, ch. 20. est
la base sur laquelle s'appuient tous ceux qui se confient à ces promesses.
Ils auraient quelque apparence de raison d'après le texte, s'ils savaient
s'arrêter au point juste où les limites sont posées dans
ce même texte.
L'ange descend du ciel, avec la clef de l'abîme où il précipite
et scelle l'ancien serpent, afin qu'il ne séduise plus les nations, jusqu'à
ce que mille ans soient accomplis. En outre, il y a des trônes et des
personnes assises dessus, avec la puissance de juger. De plus, les âmes
de ceux à qui on a coupé la tête pour avoir rendu témoignage
à Jésus, vivront et règneront avec Lui pendant mille ans.
Il est clair d'après ces paroles qu'il y a deux régions distinctes
où s'accompliront ces diverses promesses, l'un qui est la Terre visible
laquelle pourra en effet éprouver quelque soulagement dans ses épreuves
et dans ses tentations pendant le temps où le serpent sera enchaîné
; la seconde, la région spirituelle et invisible à l'homme terrestre,
où se trouveront rassemblés les justes sous leur divin chef, pour
exercer ses jugements sur les morts qui ne seront point encore rentrés
dans la vie et qui n'auront point eu de part à la première résurrection.
Pour cet état de soulagement passager que la Terre visible peut éprouver
selon la prophétie, il n'est point nécessaire que sa face soit
changée ni renouvelée ; il n'est point nécessaire que les
cieux soient retournés comme un manteau, parce qu'elle ne sera point
rendue à sa pureté primitive et que malgré l'emprisonnement
de son ennemi, les hommes auront encore en eux-mêmes trop de mauvais levain,
pour que le royaume de Dieu puisse s'établir parmi eux.
Leur soulagement pourra cependant s'augmenter encore par l'influence de cette
assemblée sainte et invisible, qui se tiendra pendant mille ans dans
la région supérieure à la leur et qui d'un côté
contiendra l'ennemi dans l'abîme et de l'autre leur communiquera plus
directement les rayons divins sous lesquels elle sera en plein aspect. Mais
loin que les hommes profitent de tous ces avantages, ils feront fermenter en
eux le mauvais levain et ne feront par-là que se rendre plus coupables
et exciter la colère divine, en rendant nuls, ou même en abusant
des derniers secours que la miséricorde suprême leur envoyait.
Quand la mesure sera comble, l'ennemi sera déchaîné pour
un peu de temps, il viendra parmi eux faire d'autant plus de ravages qu'ils
se seront mis plus en rapport avec lui.
Ce sera l'excès de ces désordres qui, faisant déborder
les iniquités sur la Terre, attirera sur elle le feu du ciel envoyé
de Dieu pour en opérer la ruine, chap. 20 -9 C'est alors que le grand
trône blanc paraîtra et qu'à la vue de celui qui sera assis
dessus, la Terre et le ciel s'enfuiront et disparaîtront. 11. C'est alors
que les morts grands et petits comparaîtront pour être jugés
sur ce qui a été écrit dans les livres. 12. C'est alors
que l'enfer, la mort et ceux qui ne seront pas trouvés écrits
dans le livre de vie seront jetés dans l'étang de feu qui sera
la seconde mort. 13, 14, 15. C'est alors que la nouvelle Jérusalem descendra.
21-1.
Toutes les tribulations antérieures à ces épouvantables
désordres de la fin des temps ne sont que le commencement des douleurs
(Matthieu 24). Aussi elles ne produiront point la destruction du monde visible.
Elles seront même une sorte de tentative de l'amour divin envers les hommes
pour les engager à la pénitence, par les fléaux qui leur
seront envoyés. Ces fléaux seront suspendus ensuite pendant un
temps qu'on appelle mille ans, non seulement pour que les hommes puissent travailler
sur cette Terre à rentrer dans les voies de la justice, mais aussi en
répétition de ce qui s'est passé dans l'histoire universelle
spirituelle de l'homme et de ce qui se passe dans l'ordre de sa vie physique.
Avant le déluge, les nations vivaient en paix, les hommes prenaient des
femmes et les femmes prenaient des maris et cependant toutes les abominations
de la race d'Enac avaient dévoré la Terre et y avaient établi
le règne du démon et la colère de Dieu allait dans un moment
les engloutir. Les Juifs au sortir des guerres des Antiochus et des Pompée,
furent en paix sous Auguste lors de la naissance du Sauveur et pendant le temps
de Sa mission, quoique leurs Prêtres et leurs docteurs ne fussent que
des instruments d'iniquité, selon toutes les déclarations des
prophètes et quoique ce même peuple fut prêt d'être
exterminé par les Romains.
Quant à l'ordre physique, ne voit-on pas souvent que les douleurs et
les souffrances des malades se suspendent quelques moments avant la mort, soit
par l'épuisement de l'action du mal, soit pour donner à l'âme
le moyen de se reconnaître et de s'assurer son sort par la pénitence
et un sacrifice libre et volontaire. Il est probable même que dans ce
moment de suspension des douleurs du mourant, il se fait visiblement au-dessus
de lui un petit règne de mille ans, une sorte de jugement ou de confrontation
entre son livre de vie et son livre de mort, lequel jugement peut se regarder
par anticipation comme la première mort particulière, en image
de cette première mort générale qui sera prononcée
en grand lors du véritable règne de mille ans. Et si l'homme particulier
échappe à cette première mort préparatoire, il est
probable que la seconde mort partielle qui est la première mort de l'apocalypse
n'aura point de prise sur lui.
Les véritables douleurs sont donc celles qui auront lieu lorsque l'ennemi
sera délié et qu'il viendra ravager la Terre jusqu'à ce
qu'elle soit détruite, comme nous voyons que dans l'homme physique les
angoisses de la mort le saisissent et le détruisent après que
l'intervalle de la suspension momentanée a été rempli et
ces douleurs-là, au lieu de conduire les hommes coupables au renouvellement
d'eux-mêmes et au règne de la paix, les conduiront sous le glaive
du jugement final, qui ne peut avoir lieu qu'après la complète
abolition des choses visibles et matérielles ; de même ce n'est
qu'après cette complète abolition des choses visibles et matérielles,
que les justes obtiendront leur entière délivrance des régions
de l'apparence et de la vanité, en imitation du peuple juif, qui sortit
d'Égypte au soleil couchant (Deutéronome 15-6).
VIII
En appuyant, comme je l'ai fait, sur les précautions à prendre
contre les missions extraordinaires de nos temps modernes, je suis bien loin
d'inculper en rien les divers agents qui y sont employés. On ne peut,
pour la plupart, qu'estimer leur personne et qu'honorer leurs vertus ; et par
leur pieux exemple, ils peuvent être plus utiles que nuisibles à
ceux qui cherchent à alimenter la vivacité de leur foi plutôt
qu'à s'avancer dans les lumières. Mais comme ils peuvent aussi
être dangereux pour ceux qui ne s'en tiennent pas à cette sage
mesure, j'ai cru de mon devoir de prémunir contre les séduisantes
merveilles que ces agents annoncent et de montrer combien il faut se défier
de leurs inspirateurs.
Car indépendamment de ce que nous avons dit de ces inspirations dans
le n° 6, il ne faut pas oublier que la pensée, la parole et les uvres
de l'homme remplissent et rempliront l'Univers jusqu'à la fin des siècles,
d'une immensité de produits et de résultats qui conservent un
caractère et qui composent une innombrable quantité de régions
diverses où se trouvent les langues, les lumières, les découvertes
et les connaissances vraies que les hommes ont pu mettre au jour, mais où
se trouvent encore, en plus grande abondance, les illusions, les erreurs et
les langues mensongères qui sortent d'eux journellement par tous les
pores et qui doivent tellement accroître autour d'eux les ténèbres,
avec le temps, qu'ils finiront par ne pas voir plus clair que les Égyptiens,
lors de la délivrance du peuple d'Israël.
Or, à moins que la clef divine n'ouvre elle-même l'âme de
l'homme, dès l'instant qu'elle sera ouverte par une autre clef, elle
va se trouver au milieu de quelques-unes de ces régions et elle peut
involontairement nous en transmettre le langage ; alors quelque extraordinaire
que nous paraisse ce langage, il se peut qu'il n'en soit pas moins un langage
faux et trompeur ; bien plus, il peut être un langage vrai sans que ce
soit la vérité qui le prononce et, par conséquent, sans
que les fruits en soient véritablement profitables.
Je crois donc donner un avertissement salutaire à mes frères sur
ces objets en leur disant : Hommes, mes amis, défiez-vous de ces joies
et de ces transports que vous occasionnent les missions de ces êtres favorisés
et sur lesquels vous vous appuyez avec tant de délices. Car vous n'êtes
pas encore sûrs qu'ils vous fassent autant de bien qu'ils vous font de
plaisir ; vous n'êtes pas sûrs s'ils appliquent le remède
sur les vraies blessures de votre être ; vous n'êtes pas sûrs
que les jouissances qu'ils vous promettent et qu'ils vous font goûter
d'avance ne retardent pas les jouissances durables que vous auriez pu puiser
dans votre propre fonds.
D'ailleurs, fussent-ils déjà arrivés au terme de ce repos
dont ils vous parlent, vous n'y seriez pas encore rendus pour cela. Bien plus,
peut-être serait-ce une chose funeste et pour eux et pour vous, que les
temps vinssent s'accomplir si promptement et de la manière dont ils l'annoncent,
si vous et eux n'aviez eu soin de vous épurer auparavant, pour n'avoir
rien à redouter de ces terribles catastrophes qui doivent précéder
le règne glorieux qu'on vous promet.
J'ose vous le répéter, tenez-vous dans une prudente réserve
au milieu des prodiges et des prédictions qui vous environnent ; souvenez-vous
de ce que le Seigneur disait par la bouche de Jérémie 23 -31-32.
Je viens aux prophètes qui n'ont que la douceur sur la langue et qui
disent : voici ce que dit le Seigneur : Je viens aux prophètes, dit le
Seigneur, qui ont des visions de mensonge, qui les racontent à Mon peuple
et qui les séduisent par leurs mensonges et par leurs miracles, quoique
Je ne les aie point envoyés et que Je ne leur aie donné aucun
ordre, et qui n'ont aussi servi de rien à ce peuple, dit le Seigneur.
Car pour vous montrer combien les erreurs en ce genre pourront être cuisantes
et combien ces missions fausses et ces promesses illusoires d'un règne
glorieux terrestre vous abusent, apprenez à quel prix l'homme, ici-bas,
peut obtenir quelques clartés et faire quelques pas dans sa régénération.
Depuis le péché, chacun des rayons de votre essence divine s'est
trouvé comme enchaîné par une des puissances de votre matière
; les éléments n'ont cessé depuis lors de circuler autour
de vous et vous envelopper comme d'autant de liens qui s'accumulent et se serrent
à mesure que tourne la roue de vos jours. Vos négligences et vos
faiblesses postérieures à ce premier crime ont encore rendu ces
rayons divins plus ténébreux et ont augmenté par-là
l'horreur de votre prison.
A chacun des actes qui doivent s'opérer en vous, pour vous rapprocher
de la région de la lumière, il faut qu'une portion de ces entraves
matérielles se déroule péniblement de dessus vous, comme
on déroule douloureusement les bandes d'une plaie pour la visiter et
la sonder.
Il faut que sur cette portion de vos entraves, on voie empreintes les traces
de l'espèce de corruption qui vous ronge et dont vous êtes vous-mêmes
infectés.
Il faut qu'alors il se prononce hautement aux yeux de tout ce qui vous contemple
; un jugement sévère et rigoureux et que vous en reconnaissiez
humblement la justice.
Il faut que chaque portion de ces entraves qui vous emprisonnent se détache
ainsi successivement et manifeste autant de jugements contre vous.
Il faut que la longue chaîne de ces entraves et de ces jugements s'étende
ainsi depuis votre être jusqu'à ce séjour de paix dont le
crime vous a séparés, car c'est cette chaîne qui en forme
la distance.
Il faut que cette longue chaîne demeure présente à votre
vue, afin que vous ayez sans cesse devant vous le tableau redoutable de ce que
nous coûtent vos progrès dans la vérité, que vous
n'y marchiez plus qu'en tremblant et que vous avouiez que chacun des pas que
vous y faites est indispensablement une douleur et une séparation, puisque
votre être n'est composé aujourd'hui que de la science du bien
et du mal et qu'il vous en faut faire le départ et le discernement, ce
qui est le vrai sens du Deutéronome 16,3. Afin que vous vous souveniez
du jour de votre sortie d'Égypte tous les jours de votre vie.
Enfin, il faut que les entraves matérielles de tous les hommes se déroulent
ainsi et que les jugements qu'ils auront mérités soient découverts
et exposés à la face de toutes les régions, afin que toutes
les nations, connaissant le poison qui nous infecte, puissent dire avec horreur
et mépris en nous voyant : Ecce Homo. Ce n'est qu'alors que le règne
glorieux pourra descendre librement jusque dans le cur de l'homme, ce
n'est qu'alors que sans s'abuser, l'homme pourra aspirer à être
renouvelé, parce que ce n'est que lorsque ce titre d'Ecce Homo et les
jugements qui lui sont dus seront ainsi inscrits dans toutes les régions
de l'univers, que la justice sera entièrement satisfaite.
S'il est vrai que ce qui se passera alors pour l'homme universel doit se passer
dès à présent pour chacun de vous en particulier, quel
est celui qui pourra donc avancer dans cette carrière ? Vous ne pouvez
plus en douter ; c'est celui qui n'aura pas mis sa confiance dans les voies
abusives des nations, qui sentant en lui-même la dignité de sa
propre essence, se tournera exclusivement vers la source d'où il descend,
comme étant la seule où il puisse être engendré de
nouveau et qui se défiant de toutes ces espérances qui flattent
sa paresse, ou son orgueil, ne se laissera point séduire par toutes les
images ou par toutes les uvres figuratives que l'ignorance et les ténèbres
s'efforcent universellement de substituer à la place de celui qui seul
est la voie, la vérité et la vie et que nul être ne peut
remplacer.
Malheur en effet à celui d'entre vous qui se sera laissé attirer
par ces images et par ces uvres ou figuratives, ou corrompues ! Il aura
d'autant plus de peine à s'en détacher, qu'en les abandonnant,
il va se trouver d'abord dans une grande disette et c'est cette disette que
l'homme craint beaucoup plus même qu'une nourriture empoisonnée.
Prenez donc garde, dès le moment où vous sentirez cette disette,
vous ne retourniez bien vite vers vos faux dieux et que vous ne disiez comme
autrefois le peuple juif disait à Jérémie 44 17-18. Nous
exécuterons les vux que nous avons prononcés par notre bouche
en sacrifiant à la reine du ciel et en lui offrant les oblations comme
nous l'avons fait, nous et nos pères, nos rois et nos princes, dans les
villes de Juda, dans les places de Jérusalem ; car alors nous avons eu
tout en abondance, nous avons été heureux et nous n'avons souffert
aucun mal, mais depuis le temps que nous avons cessé de sacrifier à
la reine du ciel et de lui présenter nos offrandes, nous avons été
réduits à la dernière indigence et nous avons été
consumés par l'épée et par la famine.
Si vous cédez ainsi à la paresse de votre cur, vos joies
seront passagères et ne se termineront que par des regrets lamentables
sur vos déceptions et sur vos ténèbres. Le même principe
qui vous aura induits à ces déceptions vous emmènera en
triomphe dans des pays éloignés pour vous y retenir en esclavage
dans une Terre qui vous est inconnue comme elle l'a été à
vos pères ; et vous servirez là jour et nuit des dieux étrangers
qui ne vous donneront aucun repos Jérémie 16-13. Au lieu que selon
ce même Jérémie 15-19. Si vous vous étiez tournés
vers le Seigneur... et si vous aviez su distinguer ce qui est précieux
de ce qui est vil, vous seriez devenu alors comme la bouche de Dieu.
Quant à vous ministres de la religion sainte, qui avez été
appelés à veiller auprès de la véritable Arche d'Alliance
qui est la pensée de l'homme, si vous n'aviez point rempli le poste qui
vous est confié, si vous aviez laissé Dieu sous des pavillons
et sous des tentes et que vous ne Lui eussiez bâti aucune maison depuis
qu'Il a tiré d'Égypte les enfants d'Israël, selon les plaintes
qu'Il en a fait adresser autrefois à David par Son prophète Nathan.
2e Rois. 7-6 ce serait sur vous que tomberaient bien plus directement encore
les menaces dont les prophètes ont cherché à épouvanter
les serviteurs infidèles et les prévaricateurs. Si les missions
de l'illusion et des ténèbres doivent avoir des suites si terribles
sur les organes séduits qu'elles emploient et sur les âmes qu'elles
entraînent, que serait-ce des missions vraies qui se seraient converties
en missions de la cupidité, en missions de la mauvaise foi, en mission
du volontaire sacrilège ?
Sans doute, vous ne pouvez trop élever la dignité de votre caractère,
puisque, d'après Ézéchiel et Malachie, vous deviez être
les anges du Seigneur sur la Terre et les sentinelles de Son peuple.
Mais d'après les vastes tableaux qui vous ont été offerts,
pouvez-vous promettre de n'avoir jamais détourné l'intelligence
des nations de ses sources les plus instructives et les plus nourrissantes ?
De ne l'avoir jamais voulu faire plier sous le joug d'une doctrine humaine et
intéressée ? De n'avoir jamais cherché à ne laisser
aux nations que la mesure de foi qu'il leur fallait pour venir se placer sous
votre propre empire ? De n'avoir jamais dérobé par-là à
leurs yeux le sceptre vivificateur que la Sagesse éternelle a fait enfanter
à la Terre, pour être le soleil de tous les peuples ? De n'avoir
jamais composé vous-même un glaive redoutable avec la houlette
de paix qui vous avait été confiée, pour nous gouverner
dans l'amour encore plus que dans la justice ? De n'avoir jamais abandonné
le titre de pasteur lorsqu'il fallait instruire vos brebis et les conduire aux
pâturages et de ne vous en être revêtus que lorsque l'occasion
se présentait de les livrer à la dent meurtrière, ou de
les dévorer vous-même ?
Etes-vous bien persuadés que l'esprit de l'homme doive se contenter de
la réponse que vous lui faites, quand il cherche à savoir pourquoi
vous ne nous montrez plus les dons et les lumières dont ont joui ceux
dont vous êtes les successeurs ?
Vous nous dites que toutes ces choses étaient nécessaires pour
l'établissement de l'Église et qu'elles ne le sont plus depuis
qu'elle est établie.
Mais les droits de notre être nous mettent dans le cas de vous demander
de quelle Église vous prétendez parler ; car ce n'est sûrement
pas celle où l'on a vu substituer à l'esprit conciliateur de l'Évangile,
la fureur, le sang et le carnage ; ce n'est pas celle où l'on a vu substituer
aux prédications de ses fondateurs à qui l'esprit enseignait toutes
choses, des doctrines ténébreuses et contradictoires ; ce n'est
pas de celle où à la place de L'esprit du Seigneur qui devait
préserver les âmes, l'on a laissé l'entrée aux faux
prophètes qui les égarent et aux esprits de Python qui les infectent.
Les droits de notre être nous mettent aussi dans le cas d'observer que
vos fondateurs étaient admis à connaître les mystères
du royaume de Dieu, qu'ils guérissaient les maladies, qu'ils opéraient
la cène du Seigneur et qu'ils remettaient les péchés à
qui ils devaient être remis.
Or pourquoi de ces quatre pouvoirs n'avez-vous conservé que les deux
qui sont invisibles et pour lesquels encore vous demandez une foi aveugle, tandis
que vous éloignez sans cesse, des yeux de notre corps et des yeux de
notre intelligence, les deux autres dons qui étaient visibles et qui
bien loin d'être superflus pour notre croyance, auraient commandé
la foi des peuples ?
Etes-vous bien sûrs d'être irréprochables aux yeux des nations
en leur disant avec assurance qu'elles s'engraissent dans vos pâturages,
tandis que vous leur avez ainsi diminué leurs subsistances ? Et même,
dans celles des saintes institutions que vous avez conservées, n'avez-vous
jamais donné le moyen pour le terme, des formes pour le moyen et des
traditions pour la loi, comme le réparateur le reprochait aux docteurs
juifs, Matthieu 15 ? Ne craignez-vous point de faire ainsi sommeiller les nations
dans un repos apathique et d'avoir travaillé peut-être à
démolir vous-même cette Église que vous nous annoncez comme
étant si bien établie ?
Oui, elle est établie cette Église, malgré les dommages
qu'elle a pu souffrir, sans quoi, il n'y aurait de médiation entre l'amour
suprême et les crimes de la terre ; elle est établie cette Église
et les portes de l'homme ni les portes de l'enfer ne prévaudront jamais
contre elle ; elle est établie cette Église, mais c'est pour déposer
un jour contre ceux de ses ministres qui ne lui auront point été
fidèles, pour leur servir de jugement et de condamnation, quand elle
se plaindra devant le souverain tribunal, des injures qu'ils lui auront faites
en changeant ses habits de gloire contre des habits de deuil et d'indigence
; comme elle aura plaidé ici-bas la cause de l'amour, l'amour lui-même
plaidera à son tour la cause de cette Église devant le juge éternel
dont ils auront provoqué les redoutables justices et songez combien elles
seront terribles ces justices, puisqu'elles seront les justices de l'amour outragé
et blessé jusque dans ses miséricordes.
Si ces jugements à venir vous effraient, si par malheur vous avez à
vous faire quelques-uns de ces reproches dont vous venez de voir l'énumération,
rentrez au plutôt dans les sentiers de vote sublime ministère et
prévenez ces terribles justices dont sont menacés les apôtres
de mensonge, qui se sont si souvent assis dans la chaire de la vérité.
C'est à eux que s'adressait David Ps. 93-20. Le trône a-t-il été
pour vous associer à l'iniquité, vous qui vous servez de l'autorité
qui vous a été confiée pour exercer des injustices. C'est
d'eux que s'adressait Sophonie en parlant des crimes de Jérusalem 4-3.
Ses principes sont au milieu d'elle comme des lions rugissants : ses juges sont
comme des loups qui dévorent les os jusqu'à la moelle.
Comment ces ministres trompeurs sont-ils parvenus à ces injustices ?
Le voici. Ils ont commencé par fermer les yeux sur la sainteté
de notre propre nature qui nous appelait à être les signes et les
témoins du Dieu de paix dans l'univers. Ils les ont fermés encore
plus sur ce terrible arrêt qui embrasse toute la famille humaine dans
cet humiliant caractère d'Ecce Homo. Et dès lors ils n'ont plus
aperçu ce fleuve de l'amour, sur lequel leur ministère les établissait
pour désaltérer les nations.
Leur intelligence obscurcie n'a plus reconnu les confirmations de ces vérités
qui sont tracées à toutes les lignes des Écritures Saintes
et ne pouvant point expliquer ces Écritures par la vraie et seule clef
qui leur convienne, ils se sont efforcés de les expliquer d'abord par
la fausse clef de leur ignorance, puis par celle de leurs cupidités,
puis par celle de leurs fureurs.
C'est alors qu'ils se sont rendus les exterminateurs de nos intelligences et
que selon Isaïe 5-20. Ils ont donné au mal le nom de bien, au bien
le nom de mal, aux ténèbres le nom de lumière, à
la lumière le nom de ténèbres ; et qu'ils ont fait passer
pour doux ce qui est amer et pour amer ce qui est doux. Eux qui, qui selon le
même prophète 5-18 se servent du mensonge, comme de cordes pour
traîner une longue suite d'iniquités et qui tirent après
eux le péché comme les traits emportent le chariot. Eux qui 3-12
:sont les exacteurs qui ont dépouillé le peuple... qui l'ont séduit
en le disant bien heureux et qui rompent les chemins par où il devait
marcher.
En vain voudront-ils, dit Jérémie 2-32 justifier leur conduite
pour rentrer en grâce avec le Seigneur, puisqu'ils ont eux-mêmes
enseigné aux autres le mal qu'ils ont fait et qu'on a trouvé dans
leurs mains le sang des âmes qu'ils ont assassinées. C'est-à-dire,
qu'ils ont attaqué la vérité jusque dans son sanctuaire
qui est la pensée de l'homme et le véritable dépôt
dont ils doivent répondre.
IX
Pour vous, hommes de paix, hommes de désir, ne vous découragez
point. Il existe encore parmi les ministres de notre Dieu, des hommes qui suivent
eux-mêmes les traces des vrais prophètes, la sainte charité
de notre maître, et les lumières de ses disciples. Attachez-vous
à ces hommes choisis et assez heureux pour avoir fidèlement répondu
à leur élection; ils vous amèneront par les humbles sentiers
de l'Ecce Homo au terme de votre régénération, qui est
celui de votre destination primitive.
Loin de vous conduire par les voies du despotisme et de la tyrannie, ils vous
diront que nous avons tous un agneau pour maître, et que ce ne sera que
quand nous nous serons rendus des agneaux comme lui, qu'il nous reconnaîtra
pour ses disciples et pour ses frères. Loin de creuser devant vous des
précipices de ténèbres et d'ignorance, ils vous diront
que l'âme de l'homme est faite pour embrasser dans sa pensée toutes
les oeuvres que le principe des choses a laissé sortir hors de son sein;
car s'il est vrai que l'homme doive être le témoin universel de
Dieu, comment pourrait-il être ce témoin, s'il lui était
impossible d'avoir la connaissance et la vue de tous les faits, et de toutes
les réalités en faveur desquelles il est chargé de déposer.
Loin de vous laisser sommeiller dans une funeste léthargie, et de vous
montrer comme étant si facile l'accomplissement de votre haute destination,
ils vous diront que vous ne pourrez être en effet les témoins de
votre Dieu qu'autant que vous serez véridiques, vérifiés
et dans la justice, et ils vous citeront en exemple les simples tribunaux humains
où on fait jurer aux témoins de dire vérité, mais
où on ne reçoit point pour témoins des gens diffamés;
instruction simple, mais profonde, qui peut agrandir votre vue, et sur votre
nature primitive, et sur l'étendue de vos devoirs.
Loin de vous peindre comme étant si aisée la régénération
de l'homme, ils vous diront que vous ne l'obtiendrez jamais qu'en faisant manger
chaque jour à votre esprit son pain d'affliction, comme les Israëlites
mangeaient le pain azime pour se préparer à leurs solennités,
et comme l'enseigne cette recommandation faite aux premiers chrétiens,
1re corinth. 11:26. Toutes les fois que vous mangerez de ce pain, et que vous
boirez de cette coupe, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à ce
qu'il vienne.
Ils vous diront que dans notre intérieur le plus profond, il y a un homme
extérieur bien plus dangereux pour nous, et bien plus difficile à
réduire encore que l'homme matériel et visible, ils vous diront
que vous n'avancerez jamais dans cette carrière de votre régénération,
qu'autant que vous vous sentirez remplis d'indignation contre cet homme extérieur,
au lieu de murmurer contre vos semblables. Car il faut ici vous exposer une
vérité neuve, utile et fondamentale, c'est que si les hommes remontaient
chacun au principe de leur conduite et de leurs murmures les uns envers les
autres, il n'y a pas un seul des torts qu'ils reprochent à leurs semblables,
dont ils ne se trouvassent être les premiers auteurs. En effet, quel est
l'homme qui n'a pas une imprudence à se reprocher envers les personnes
qui l'environnent?
Qui peut dire ensuite que cette imprudence n'est pas comme la source de tous
les égarements de ceux dont il se plaint, et de toutes les injustices
qu'il en reçoit. D'ailleurs quel est celui de nous qui, vis-à-vis
de soi-même, ait été irréprochable dans tous les
genres, qui ait rempli tellement la mesure des dons qui lui étaient accordés
et des devoirs qui lui étaient imposés, qu'il puisse surmonter
tous les obstacles; manifester les vertus divines, et être assez lié
à son principe pour en être sans cesse le juste et puissant instrument?
Cependant si nous n'en sommes pas parvenus à ce point-là, nous
ne devons pas reprocher aux autres hommes ce qui leur manque, puisque c'était
à nous à le leur procurer par le:développement de toutes
les facultés de notre être.
Bien plus encore, si c'est la négligence ou les cupidités qui
ont été le principe des divers actes de notre conduite, devons-nous
nous en imputer les suites. Or, comme ces maux sont à peu près
universels parmi les hommes, au lieu de déclamer contre les injustices,
les inconséquences, et les fâcheux procédes de nos semblables,
nous devrions nous frapper journellement la poitrine, nous demander mutuellement
pardon, et avouer publiquement les uns et les autres que la source de tous les
torts dont nous nous plaignons nous doit être attribuée; de façon
que pour rentrer dans l'ordre de la justice et de la vérité, il
faudrait que toutes les paroles de tous les individus qui composent le genre
humain ne fussent qu'une continuelle confession générale. Confessez
vos péchés les uns aux autres, disait Saint-Jacques 5:16.
Loin de vouloir vous soumettre à leurs propres opinions. les vrais ministres
de Dieu qui existent encore marcheront toujours dans une grande défiance
d'eux-mêmes, pour ne laisser briller que le seul flambeau qui doit nous
guider tous. Ils prendront pour exemple le prince des apôtres qui, malgré
qu'il eût entendu lui-même ce qui fut dit au réparateur sur
la sainte montagne: voici mon fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mon
affection, écoutez-le, ne voulait point qu'on se reposât exclusivement
sur les instructions qu'il communiquait, et ne craignait point d'ajouter 2e
ép. 1:9. 20. Mais nous avons les oracles des prophètes dont la
certitude est plus affermie, auxquels vous faites bien de vous arrêter
comme à une lampe qui luit dans l'obscurité, jusqu'à ce
que le jour commence à paraître, et que l'étoile du matin
se lève dans nos coeurs, étant persuadés avant toute choses,
que nulle prophétie de l'écriture ne s'explique par une interprétation
particulière.
Par là, ils vous tiendront en garde contre toutes ces élections
extraordinaires, où des agents particuliers se présentent comme
nécessaires au salut des âmes, et au renouvellement de la terre,
et nous voilent ainsi la face du seul agent que nous devions suivre, puisqu'il
a lui même tout consommé, et puisque toutes les prophéties
de régénération sont expirées en Jésus-Christ,
et qu'il ne reste plus à accomplir que les prophéties de jugement,
c'est-à-dire les prophéties de récompense ou de condamnation.
Loin de vous promettre une paix assurée, lorsgu'après votre délivrance
corporelle vous serez appelé a ce jugement, ils vous diront que si vous
avez manqué autrefois de témoigner en faveur de notre origine,
ou de notre primitive révélation, laquelle eût éclairé
plus divinement les êtres égarés, que les révelations
de la nature et de l'esprit, vous n'en avez été que d'autant plus
dans l'obligation de témoigner en faveur de toutes les autres alliances
que l'amour et la miséricorde n'ont cessé depuis le premier crime,
de vouloir former avec vous, pour vous offrir la traduction fidèle de
ce texte originel que vous ne pouviez plus lire. lls vous diront que c'est sur
ces alliances-là que vous serez jugés, parce que ces diverses
alliances postérieures ont aussi leurs témoins, et que l'objet
du témoin et du témoignage est la punition de tous ceux qui se
trouveront légitimement inculpés.
Voilà pourquoi l'apparition de Moïse et d'Elie sur le Thabor est
d'une si grande importance, et ajoute si fort à la juste condamnation
des Juifs. Car ces deux prophètes venaient déposer sur deux faits
dont ils avaient été les témoins oculaires, savoir : Moïse
pour la publication de la loi et la promesse que le peuple avait faite de s'y
conformer; et Elie pour les prévarications de ce peuple infidèle,
et pour les faveurs qu'il était venu apporter de la part du ciel à
ce même peuple dans sa détresse.
A la fin des temps ces deux prophètes reviendront encore, et se tiendront
à côté au grand juge. Là, ils porteront alors chacun
un double témoignage, savoir celui de la promulgation de la première,
et de la seconde loi, ou des deux alliances, et celui de l'abus que les hommes
en auront fait. Or comment les Juifs et tous les autres hommes pourront-ils
résister à la double déposition de ces deux témoins?
Les hommes auront en outre contre eux les témoignages de tous les types
de la nature qui se seront accomplis sans qu'ils en aient profité, et
qui leur montreront physiquement toutes les merveilles qui transpirent continuellement
au travers de ce magnifique phénomène.
Ils auront contre eux les abondantes végétations que les écritures
saintes auront faites dans l'âme des justes, qui les auront écoutées,
méditées et suivies; car l'écriture sainte est une semence
sacrée, que Dieu a jetée dans la terre de l'homme qui est son
âme, et dont la sagesse attend chaque jour une moisson dont elle puisse
se nourrir. Or, la faim de cette sagesse augmentant sans cesse en proportion
de la disette où la retient la négligence de l'homme, elle rejettera
lors de la fin des temps celui qui n'aura pas su la substanter, et elle se servira
contre lui du témoignage de la moisson que l'âme des justes lui
aura fournie.
De plus, les hommes auront contre eux les témoignages de leurs propres
iniquités, et de leurs moissons d'illusions et de mensonges, de façon
que tout ce qui devait les soutenir sera employé à leur condamnation,
soit ce qui viendra d'eux, soit ce qui viendra de la nature, soit ce qui viendra
des deux alliances, soit ce qui viendra de la moisson des justes, et il n'y
a pas un homme en particulier à qui ces terribles vérites ne puissent
s'adresser, parce qu'il n'y en a pas un en qui elles ne puissent se réaliser.
Eveillez-vous donc hommes imprudents et insouciants, tremblez et priez pour
que vous ne soyez pas surpris par les dépositions de tant de témoins,
et par les justes réclamations de la sagesse lors de la moisson. Car
si l'on prononce alors sur vous ce terrible Ecce Homo, ce ne sera plus pour
vous ouvrir la porte de la pénitence, puisque cette porte a déjà
été ouverte par celui qui est venu porter lui-même ce nom
là pour vous; mais ce sera pour vous enfoncer sous le poids d'un sévère
jugement, dans la profondeur de l'abîme.
S'il n'y a pas un homme en particulier en qui toutes ces importantes vérités
ne puissent se réaliser, persuadez-vous donc, hommes de paix, hommes
de désir, que tout homme est né pour être un témoin
de tous les hauts faits que l'éternelle sagesse n'a cessé d'opérer
en faveur de cet homme chéri qui est son image.
Persuadez-vous que chacun de nous devrait offrir un témoignage actif
des dons et des faveurs que cette sagesse verse continuellement sur la terre,
et que nous devrions déposer activement et physiquement en faveur de
toutes les alliances qu'elle a faites avec nous depuis l'origine des choses.
Ne perdons pas un moment pour accomplir cette importante tâche.
Frémissons de crainte de sortir de ce bas monde avant d'avoir été
réellement les témoins des alliances saintes qui attendent notre
déposition et notre témoignage effectif et démonstratif.
Frémissons de crainte de n'en avoir pas rempli les conditions, comme
nous l'aurions pu, avant de paraître devant ce tribunal supérieur,
où l'on tient un état si fidèle de tous ces témoignages
qui auront été rendus à cette continuelle et imperturbable
munificence de notre Dieu.
Ne cessons de considérer que, quand autrefois nous sommes descendus de
notre sublime poste, nous avons attiré tout avec nous dans nos funestes
et illusoires apparences, et que par conséquent nous sommes toujours
à même de tout retrouver, si nous entrons dans les voies qui nous
ont suivi dans notre chute, et qui ne cessent de se placer au devant de nous.
Car ce n'était point assez que l'homme réparateur eût porté
pour nous aux yeux des nations le titre humiliant d'Ecce Homo; ce n'était
point assez que tous ces trésors de lumière et de vertus qu'il
avait ouverts aux hommes par ses instructions et par son exemple; il n'eut conduit
que jusqu'à la moitié du terme le grand objet de notre régénération,
s'il n'est agi que sur cette surface terrestre où nous habitons, et que
dans les liens de sa forme matérielle. Mais quand après avoir
laissé immoler cette forme, qui est le vrai signe de notre réprobation,
et cette véritable peau de bête dont fut couvert Adam prévaricateur,
il se fut élevé dans les régions supérieures, environné
d'une forme pure; quand du sein de cette forme ainsi sanctifiée, il eut
confirmé l'élection de ses apôtres, qu'il les eut chargés
de paître ses brebis, et de répandre la bonne nouvelle, quand enfin
il leur eut envoyé du haut de son trône céleste l'esprit
saint qui devait leur apprendre toutes choses, et que cette prédiction
se fût vérifiée par le don des langues, alors il ne manquait
plus rien au tableau de l'histoire universelle de l'homme, que ce divin réparateur
était venu exposer à nos yeux.
Hommes, mes frères, si vous pouvez ainsi lire dans ce réparateur
l'histoire universelle de l'homme, quel autre agent peut donc désormais
vous rien apprendre? où pouvez-vous puiser quelqu'instruction que cette
source ne vous ait pas présentée? Oui, après nous avoir
montré dans sa personne l'exécution de cet arrêt rigoureux
qui nous condamnait à porter ignominieusement, mais humblement le titre
d'Ecce Homo, il a achevé complètement son oeuvre en nous faisant
voir que si nous suivons ses traces et les sentiers qu'il nous a ouverts, nous
devons être sûrs de remonter un jour vers les régions de
la lumière, et qu'on dira de nous glorieusement à notre arrivée
dans les cercles supérieurs, ce qu'on en a dit dans notre origine: Ecce
Homo, voilà l'homme, voilà l'image et la ressemblance de notre
Dieu, voilà le signe et le témoin du principe éternel des
êtres, voilà la manifestation vivante de l'universel axiôme.