Discours savant et très lumineux
pour la réception d'un apprenti franc maçon,
(Note de J. B. WILLERMOZ mise au verso du discours.)
La Maçonnerie
est un secret qui subsiste depuis que le monde est créé. Ce
secret a été remis de génération en génération
jusqu'à nous, et le sera de même jusqu'à la fin des
siècles. Ce secret est non seulement impénétrable aux
profanes, il le sera même aux maçons tièdes, paresseux
et légers ; être maçon, c'est donc chercher sincèrement
à mériter d'être initié dans nos mystères.
Pour avoir l'idée de cette recherche, il faut être guidé;
lit nature se charge de nous inspirer ce sentiment. Tout homme naît
avec le désir d'être heureux, tout homme naît avec le
désir de la vertu. Mais la nature seule ne suffit pas pour perfectionner
l' homme, elle le sent bien, et l'excite elle même à consulter
la raison. Celle ci le reçoit et lui donne tous ses soins ; elle
ne les refuse jamais à ceux qui s'abandonnent à elle.
Du concours des soins ou des impressions de la nature et du la raison se
forme l'éducation. L'éducation de deux si excellents guides
ne peut rien produire que de parfait. La perfection dans l'homme, c'est
l' amour de la justice; notre troisième guide sera donc la sagesse.
La nature, la raison et la justice veulent le bonheur de l'homme, non seulement
dans l'autre vie, Mais même dans celle ci. Tout ce qui existe a été
créé pour l'homme, il faut donc qu'il en jouisse, Mais il
ne le peut qu'à titre de grâce: sa puissance n'est qu'un dépôt,
il a l'usufruit, il ne peut se croire le propriétaire. Il doit donc
faire valoir ce départ il doit jouir de ses avantages, mais il ne
peut se l'approprier, il doit toujours être prêt à y
renoncer et ne point le regarder comme son seul bien.
Avec la vie, l'homme a reçu un libre arbitre, c'est à dire
que, placé entre le bien et le mal il lui est libre de choisir. On
lui fait voir tout le bonheur qu'il doit retirer en suivant le bien qu'il
connaît déjà et on le menace des plus cruels tourments,
s 'il se livre à un ennemi dangereux qu'on lui montre aussi. Ici,
l'impie crie à l'injustice, parce qu'il veut suivre ce dernier parti
; le juste, au contraire, bénit son Créateur qui, par là,
donne à l'homme le rang au dessus des anges. Le juste et l'impie
ont leur libre arbitre, pourquoi donc ce contraste ?
C'est que la présomption se glisse dans l'homme à l'aide des
connaissances qu'il acquière, s'il n'a pas soin de tout rapporter
au seul but pour lequel elles lui sont données. Il prend une fausse
route; il y marche avec sécurité. Séduit par l'apparence,
il s'abandonne entièrement au langage flatteur de son ennemi qui
ne cherche que la ruine, jaloux de la supériorité et d'en
être supplanté.
Une fois que l'homme a perdu de vue la vraie lumière, ou que, poussé
par une criminelle curiosité, il veut se servir de celle qui lui
est donnée, pour passer les bornes qui lui sont prescrites, il ne
fait plus que tomber d'erreurs en erreurs, il parcourt des espaces immenses,
sa présomption lui fait tout envisager comme des moyens de parvenir
au terme qu'il se propose. Ce terme est bien la vérité ou
le bonheur, mais privé par sa faute du flambeau qu'il a laissé
en arrière, il murmure, par ce que les ténèbres l'empêchent
de voir qu'il n'est pas dans bonne voie : au lieu donc de la paix et de
la vérité qu'il cherche, il ne rencontre rien de semblable,
au contraire toutes sortes de peines, et, il en est trois pour l'homme.
Le remord et la confusion s'emparent de lui, il a bien voyagé, il
a bien travaillé, mais tant qu'il sera dans cette route, il ne trouvera
rien.
Ce n'est qu'après être rebuté et fatigué de tant
de recherches inutiles, qu'après un terris infini si mal employé,
qu'après avoir essuyé toutes les fatigues du corps, de l'
âme et de l'esprit, qu'enfin, revenant à ce premier penchant
pour le vrai, le bon et le beau, nous abjurons nos erreurs, nous secouons
nos préjugés et nous revenons sur nos pas à l'aide
du trouble de notre conscience. C'est le cris de nos guides bienfaisantes
qui se font entendre impérieusement ; ce sont elles qui ne cherchent
sans cesse qu'à reprendre leurs droits sur l'homme.
Mais, pour retrouver le vrai bonheur, il faut qu'il se soumette, qu'il se
résigne, qu'il fasse le sacrifice de ce qu'il a de plus cher, qu'
il renonce à ses droits, qu'il subisse la mort et la privation de
tout ce qu'il avait possédé. et s'il se soumet à ce
châtiment trop mérité par sa révolte, l' homme
ingrat et pervers obtient sa grâce, lorsqu'il n'attendait que son
anéantissement. Quel est cet ami généreux qui intercède
pour lui ? c'est son Créateur, c'est la sagesse même
Qu'exige t on encore de l' homme ? Rien que les suites nécessaires
de son péché la honte., le remord, le travail, la peine et
les Maux.
Dés que l'homme rentre sérieusement en lui même y trouve
ce rayon de lumière que tous ont reçu, s'il fait cet examen
avec le désir sincère de se connaître, de connaître
son auteur et la perpendiculaire qui les unit, si le désir le conduit
à une pratique plus régulière de ce qu'il connaît
déjà de ses devoirs. Si au contraire le découragement
et l'étonnement stérile n'en est pas la suite, il est constant
qu'avec de la sincérité, de la constance et de la ferveur,
l'homme se servira utilement de cette lueur pour parvenir à la grande
lumière. Mais n'oublions pas que cette récompense doit être
le fruit d'un long et pénible voyage, que nous en étant déjà
une fois rendu indignes elle nous être donnée que sous les
assurances et les épreuves les plus authentiques de notre fidélité,
de notre prudence et de notre soumission.
Jusques ici l'homme que nous considérons n'est ni nu ni vêtu,
il ne sait pas encore précisément se démêler
lui même, il ne peut concilier ses penchants et ses facultés,
il s'étonne de sa liberté, il se compare; la fidélité,
l'amour et la confiance lui sont ordonnées, il s' y soumet, et son
repentir, sa pénitence et son aveu lui méritent sa grâce.
Il est porté d'autant plus que le souvenir des circonstances de sa
création lui fait concevoir toute la noblesse de son origine.
Mais l' homme n'acquiert ce qu'il désire qu'en consultant la nature,
la raison et la justice ; la première est la porte où il doit
frapper, la seconde est la route qu'il doit suivre et la troisième
est le but où il doit aspirer. Rentrez donc en vous mêmes,
étudiez vous et frappez pour être entendus ; cherchez dans
la sagesse et hors du matériel ce qu'elle seule peut vous faire trouver,
et demandez à l'auteur de toute justice l'intelligence de ce que
vous aurez cherché et trouvé.
L'homme livré à ses passions est dans les ténèbres,
il en est offusqué : son origine et sa fin ne lui sont plus présents.
Il oublie la partie spirituelle qui entre dans son existence, pour ne se
livrer qu'à la partie animale et matérielle. Il se dégrade
en ne s'occupant que du temporel, et tant qu'il est dans cet état
d'engourdissement, il ne peut s'élever au delà, il n'y aperçoit
même rien, parce qu'il met lui même un voile épais entre
la lumière et lui.
Mais lorsque le voile est tombé, il aperçoit, avec les veux
du désir et de la confiance, ce que son esprit offusqué par
les passions ne pouvait lui laisser voir. Trois grandes étoiles se
présentent à lui, ce sont les trois commandements qu'il trouve
gravés dans son cur.
L'homme avait reçu l'usage des métaux, comme un dépôt
et non comme une propriété, mais trompé par la concupiscence,
il en abuse par l'usage trop immodéré qu'il en, fait. Il fallut
l'en dépouiller. Toutes les passions peuvent être innocentes,
elles ne deviennent criminelles que par l'abus que l'homme en fait. En nous
rendant ces dons, dont nous avions mérité d'être dépouillé,
c'est nous rendre la grâce de bien user des bienfaits de la nature;
mais nous rie pouvons rentrer dans nos droits qu'avec un cur pur,
fruit du repentir et d'une bonne résolution.
L'excellence de l'homme est effectivement appuyée sur trois colonnes
ou trois impressions qu'il trouve gravées dans son cur, s'il
veut l'examiner; ce sont les trois vertus théologales. Sans leur
pratique, tout l'édifice moral s' écroule l'homme est aussi
appuyé sur la force, la sagesse et la beauté qui nous représentent
la divinité; l'homme même et les éléments; la
nature, la raison et la justice ; le spirituel, l'animal et le matériel
; l'intelligence, la conception et la volonté, etc.
Les apprentis au septentrion dans le Temple pour se faire à l'ouvrage,
en attendant qu'ils aient acquis la force et les connaissances des travaux
maçonniques, c'est à dire, que l'homme auquel on fait entrevoir
des connaissances qu'il croit au delà de la portée de son
esprit, a besoin d'un peu de terris et de réflexion pour s'accoutumer
aux idées que lui fait naître ces nouvelles notions, auxquelles
il croit que la raison répugne ; et souvent il prend pour sa raison
le corps de conséquences que ses préjugés lui font
tirer de certaines fausses notions qu'il a reçu ou qu'il s'est donné.
Ce n'est pas un petit ouvrage de vaincre ses préjugés et de
vaincre sa volonté, mais ce n'en est pas moins un sacrifice. nécessaire
et préalable pour acquérir de nouvelles connaissances
Mais ces nouvelles connaissances ne paraîtront au candidat que comme
une pierre brute entre les mains d'un maçon de pratique. Cette pierre
est informe, ses connaissances le sont aussi. Les premiers coups de ciseaux
donnés sur cette pierre, quoiqu'en l'entamant, ne paraissent pas
lui donner encore aucune forme; de même nos premières recherches
sur une vérité enveloppée ne nous donnent encore rien
de positif. Mais infailliblement, avec du désir, de l'amour, et de
la confiance, le véritable maçon se frayera un chemin à
la perfection comme celui de pratique pourra parvenir à équarrir
sa pierre dans de justes et requises proportions. L'ignorance ou l'erreur
lui feront voir ce qu'il cherche comme un chaos qu'il ne peut encore décomposer,
comme une lumière encore enveloppée des plus épaisses
ténèbres qu'il faut dissiper. Il faut du tems et de la réflexion
pour débrouiller de nouvelles idées, vaincre les préjugés
et adopter de nouvelles notions sur des objets que l'esprit ennemi de la
matière n'a pu laisser soupçonner à ceux qui l'ont
négligé.
La récompense étant proportionnée au mérite
d'un chacun, l'homme qui n'est encor que dans le cas dont nous parlons,
ne peut prétendre raisonnablement à une satisfaction au delà
de son mérite actuel. Il y a plusieurs places dans le temple; la
colonne J. est destinée à la paye des vrais apprentis elle
veut dire confiance en Dieu.
Ah ! n'est ce pas là, en effet, déjà une grande récompense
que celle d'avoir obtenu de mettre toute notre confiance en celui dont nous
avons tout reçu ! Quel autre que lui peut nous donner notre récompense
? Nous savons déjà qu'un autre que lui nous a trompé,
et que vainement nous avons cherché hors de lui, ce qui n'est qu'en
lui seul. C'est donc dans cet état d'un sincère retour sur
lui - même que l'homme reçoit sa paye, car, lorsque ce retour
est réellement sincère, est infailliblement suivi d'une douce
émotion qu'il est plus aisé de sentir que d'exprimer. L'on
sait bien que l'on n'est pas au bout de la carrière, mais du moins,
qu'elle satisfaction n'a t on pas de se voir dans la seule route qui y conduise
et quelque éloignée que soit la lumière. elle est si
grande qu'elle éclaire quiconque la cherche sincèrement.
Relégués à la partie septentrionale du porche du temple,
c'est - à dire encore absorbés par le souvenir de nos erreurs
et de nos fautes, encore environnés des suites de notre prévarication,
nous ne pouvons recevoir notre paye que sous trois conditions qui sont :
le repentir, la pénitence et l'aveu de notre faute, que par le signe
de la quadruple équerre qu'il ne nous faut représenter que
par un sincère exercice du culte qui nous est prescrit, et un saint
usage de la prière qui nous est enseignée.
Pour terminer ce discours, convenons, mes frères que l'homme ne peut
recevoir cette grâce cette faveur insigne désirée de
tous, quoi que peu connue, que lorsque, voulant absolument sortir des ténèbres
et de l'erreur, il cherche de bonne foi la solide lumière ; que lorsque,
indigné contre lui même de sa présomption, il veut ne
suivre que la vertu et que, persuadé de l'existence d'un être
parfait, il ne met sa confiance qu'en lui seul, en qui réside la
vraie loge, juste et parfaite, la force, la sagesse et la beauté.
L'apprenti qui ne sait qu'à peine épeler et qui ne sait nullement
écrire, nous représente bien l'homme timide observateur de
la loi qu'il veut suivre ; il ne peut se faire un plan fixe de ses devoirs,
ni une application juste de ses connaissances. Sortant des ténèbres
de l'ignorance et de l'erreur, il ne peut s'accoutumer que petit à
petit aux nouvelles notions qu'il ne fait qu'entrevoir, et dont il ne peut,
que par degrés, se faire une idée juste et suivie.
Ce nombre trois n'aurait il pas rapport aux trois commandements, aux trois
vertus théologales, aux trois personnes de la trinité, à
quelque époque et à quelque alliance ?
La lumière préside au travail, les ténèbres
au repos. Tout ce que l'homme fait doit être digne de la lumière,
et dès qu'il cherche les ténèbres, semblable au premier
homme, il montre le trouble de sa conscience. Il est d'ailleurs toujours
temps de bien faire, puisqu'il est toujours au dessus de midi pour se mettre
au travail. Dès que nous cherchons la lumière nous la trouvons
; le découragement est un vrai renoncement à la lumière.