Traité
sur les Moeurs et les Devoirs de Evêques
Bernard de Clairvaux
AVERTISSEMENT
SUR LA LETTRE SUIVANTE FORMANT LE SECOND OPUSCULE DE SAINT BERNARD.
1. Après les cinq livres de la Considération, adressés
au souverain Pontife, nous avons placé le Traité des moeurs
et des devoirs des évêques, qui n'est autre que la première
des cinq lettres de saint Bernard HENRI, archevêque de Sens, et la
quarante-deuxième de toutes ses lettres. Henri, surnommé APER
d'après le chronographe Hugues d'Auxerre, et GILBERT d'après
quelques autres, était chanoine quand il fut élu pour succéder
à Daimbert, en 9121, sur le siège de Sens. Il commença
par mener dans sa nouvelle dignité une conduite un peu trop relâchée,
mais il fut ramené à une pratique plus consciencieuse de ses
devoirs par Geoffroy évêque de Chartres, et par Burchard évêque
de Meaux, aux efforts desquels saint Bernard unit les siens. On voit par
la lettre neuvième de notre Saint, au pape Honorius, que l'archevêque
Henri l'eut pour défenseur contre les attaques de Louis VII.
II. Ces persécutions, qui s'attaquèrent non-seulement à
Henri, mais encore à Etienne, évêque de Paris, leur
furent attirées par leur retraite de la cour et leur résolution
de mener désormais une vie meilleure. Nous lisons, en effet, dans
la lettre quarante-neuvième " que ceux que le roi comblait de
distinctions, dont il estimait la fidélité et qu'il honorait
même de son amitié lorsqu'ils étaient dans le monde,
sont précisément ceux qu'il persécute à présent
comme ses ennemis personnels, parce qu'ils soutiennent la dignité
de leur sacerdoce et l'honneur de leur ministère. Voilà d'où
viennent les accusations et les injures atroces dont on a tâché
de flétrir l'innocence de l'évêque de Paris... Il en
est de même aujourd'hui de l'évêque de Sens. Le roi s'efforce
d'ébranler sa fermeté et de lasser sa constance, etc. "
III. Henri ne régla pourtant pas si bien sa conduite qu'il n'encourût
les censures ecclésiastiques pour avoir maltraité un archidiacre
de son Eglise, " qu'il osa déposer sans l'avoir convaincu ni
même cité en jugement, " comme saint Bernard lui-même
le lui reproche dans sa cent quatre-vingt-et-unième lettre. Il fut
suspens de ses fonctions, d'après le témoignage de Hugues
d'Auxerre le chronographe, à l'année 1136, et d'après
les Actes des évêques d'Auxerre chapitre XV, où on lit
que l'évêque Hugues, n'ayant pu être sacré à
Sens, parce que Henri, archevêque de cette ville, son métropolitain,
était suspens, le fut à Ferrières, des mains de Geoffroy,
évêque de Chartres, à la fête de saint Vincent.
" 11 est très vraisemblable qu'il avait encouru cette suspense
par l'injuste déposition de son archidiacre; en ayant été
relevé,il tint à Sens, en 1140, un concile où les erreurs
de Pierre Abélard furent condamnées. Les Pères de ce
concile écrivirent en commun au pape Innocent une lettre qui est
la cent quatre-vingt-onzième de celles de saint Bernard, dans laquelle
ils s'expriment ainsi: " Les nombreuses affaires auxquelles vous devez
prêter l'oreille nous forcent à vous exposer, en peu de mots,
une affaire très-longue par elle-même, dont l'archevêque
de Sens vous a déjà pleinement entretenu par lettre."
Or cette lettre n'est probablement autre que la cent quatre-vingt-dixième
de saint Bernard, que nous comptons maintenant au nombre des traités.
Henri mourut le 10 juin 1144 et fût remplacé sur le siège
de Sens par Hugues, dont nous avons parlé plus haut.
IV. Au reste, il n'est pas possible de douter que cette lettre n'ait été
écrite peu de temps après la conversion de Henri; car saint
Bernard s'exprime ainsi au commencement du n. 2: " Il vient de s'élever
de vos parages un vent un peu plus favorable qui commence à souffler
de nos côtés. Je reçois, en effet, sur votre compte
des nouvelles beaucoup plus agréables que celles auxquelles j'étais
habitué, et je les tiens non pas d'une rumeur incertaine, mais de
la bouche même du véridique et respectable évêque
de Meaux. " Plus loin, saint Bernard nous fait savoir que ce changement
est dû aux bons conseils de Geoffroy, évêque de Chartres.
On ne peut pas placer cette conversion à une autre époque
que sous le pontificat d'Honorius II, avant l'année 1130, comme on
est en droit de le conclure de la lettre de saint Bernard à ce pape,
pour lui recommander l'archevêque Henri, et de la cause des persécutions
dont ce dernier fut l'objet, laquelle n'est autre que sa retraite de la
cour de Louis VII et sa résolution de changer de vie, comme nous
l'avons déjà dit.
V. D'où nous concluons que cette lettre fut écrite en 1126.
A cette époque, l'évêque de Meaux, qui annonça
à saint Bernard " de meilleures nouvelles que celles auxquelles
il était habitué, " était Burchard, et non pas,
comme on l'a cru à tort jusqu'à présent, Manassès,
qui ne succéda à Burchard qu'en 1133, ainsi qu'on le voit
dans une charte authentique de Choisy, signée de sa main, en faveur
du monastère de Saint-Martin-des-Champs, où on lit. "
Fait l'an 1135 de Notre-Seigneur, indiction XIII, la sixième année
du pontificat de notre saint Père le pape Innocent, et de notre épiscopat
la seconde. On a encore une autre charte de lui donnée à Mauregard
" l'an 1140 de Notre-Seigneur, la septième année, dit-il,
de notre épiscopat. " Cette date se trouve d'ailleurs en parfait
accord avec ce que dit Orderic, livre VII, page 627, où il rapporte
qu'Etienne, évêque de Paris, et Burchard, évêque
de Meaux, engagèrent les religieux de Rebais à céder
les reliques de saint Evroult aux religieux du monastère de ce nom.
Déjà saint Bernard leur avait écrit à ce sujet.
Orderie place ce fait en 1130, d'où il suit qu'à cette époque
l'évêque de Meaux était Burchard et non point Manassès.
Il y a donc lieu à corriger les dates données par Duchesne
dans ses notes à Abélard, dans lesquelles il prétend
que Manassès commença en 1125 à occuper le siège
de Meaux; d'autant plus que nous avons vu que la charte de Choisy, citée
plus haut et qui date de 1135, ne fait remonter son épiscopat qu'à
deux ans avant cette date. On peut juger de la gravité des moeurs
de Burchard et de la sagesse de ses conseils, à ce fait que saint
Bernard félicite Henri dans cette lettre de l'avoir eu pour conseiller
avec Geoffroy, évêque de Chartres. La lettre quarante-deuxième
de notre Saint, que nous donnons ici parmi les traités, est divisée
en sept chapitres dans un manuscrit du Vatican portant le n. 663. Mais il
nous a paru préférable de suivre la division de Horstius.