Dans
les temps anciens, sous l'ancienne Loi, les sacrifices d'animaux eurent comme
principal objet d'apaiser la colère de Dieu, de Lui rendre un culte
agréable et de rétablir, par le sang animal, l'alliance que
l'Eternel établit avec le genre humain.
« Lors de la consécration d'Aaron et de ses fils, Moïse,
selon les ordonnances de l'Eternel, les revêtit de tuniques, les ceignit
de ceintures et leur attacha des bonnets. Puis Moïse fit approcher le
taureau expiatoire et Aaron et ses fils posèrent leurs mains sur la
tête du taureau. Moïse l'égorgea, prit de son sang et en
mit, avec son doigt, sur les cornes de l'Autel, tout autour, et purifia l'Autel;
il répandit le sang au pied de l'Autel, et le sanctifia pour faire
l'expiation.... » (LEV 5, 13 à 15).
« ...Il fit approcher le bélier de l'holocauste et fit de même.
Moïse prit de son sang et en mit sur le lobe de l'oreille droite d'Aaron,
sur le pouce de sa main droite et sur le gros orteil de son pied droit. »
Toujours dans le Lévitique, au chapitre 9, versets 2 et 3, nous lisons:
« Moïse dit à Aaron: prends un jeune veau pour le sacrifice
d'expiation et un bélier pour l'holocauste, l'un et l'autre sans défaut,
et sacrifie-les devant l'Eternel.
« Tu parleras aux enfants d'Israël et tu diras: prenez un bouc,
pour le sacrifice d'expiation, un veau et un agneau, âgés d'un
an et sans défaut pour l'holocauste, un buf et un bélier,
pour le sacrifice d'actions de grâces, afin de les sacrifier devant
l'Eternel; et une offrande pétrie à l'huile. Car aujourd'hui
l'Eternel vous apparaîtra... »
Enfin, une autre indication mentionnée au CH. 10 v. 12 est significative
pour la suite de cet exposé: « Moïse dit à Aaron,
à Eléazar et à Ithamar, les deux fils qui restaient à
Aaron: prenez ce qui reste de l'offrande parmi les sacrifices consumés
par le feu devant l'Eternel, et mangez-le sans levain près de l'Autel:
car c'est une chose très sainte. »
A la lecture de ces textes, mais surtout dans ceux qui précèdent
et suivent, nous remarquons qu'à chaque faute, qu'à chaque infidélité
commise, qu'après un crime, un manquement à la Loi, il fallait
réparer en sacrifiant un animal selon des règles très
précises.
Peut-on imaginer le peuple hébreux, si souvent désobéissant,
passer le plus clair de son temps à égorger les troupeaux pour
se racheter devant l'Eternel ? Cela me semble assez improbable. Il y aurait
donc là non seulement un aspect réel et exagéré,
mais aussi un sens symbolique. Moïse, législateur des Hébreux
vécut vers 1250 av. J-C.
C'est lui la figure centrale du Pentateuque et peut-être même
l'auteur des 5 premiers livres de l'A.T. dans lesquels le réel est
adroitement mêlé à l'allégorie et au symbole.
Une première tentative d'explication pourrait se faire à la
lumière des cycles astrologiques. Tous les 2160 ans, un observateur
lié à notre planète voit le soleil changer de signe à
cause du phénomène précessionnel induit par le mouvement
gyroscopique de la terre . Ainsi vers 4320 av J-C., où nous pouvons
situer le déluge de Noé, le soleil entra dans le signe du Taureau,
puis, vers 2160 av. J-C., le soleil passa dans le signe du Bélier;
en l'an 0, nous entrâmes dans le signe des Poissons; et, actuellement,
le soleil passe dans le signe du Verseau. A titre documentaire, les 6480 années
(3 cycles de 2160 années) qui nous séparent du déluge
de Noé, constituent ce que de nombreux auteurs ont appelé l'Age
de Fer de l'actuelle humanité, âge dans lequel nous nous situons
actuellement à l'extrême limite.
Venons-en aux hypothèses:
- Moïse fait sacrifier vers le milieu de l'ère du Bélier,
des taureaux, des veaux, des béliers et des boucs. N'annonce-t-il pas
par là, de façon symbolique, une fin, un achèvement d'une
manière d'être ? Une fin qui appelle un renouveau, une amélioration?
Pour appuyer cette idée, remarquons qu'un ancien culte d'Asie Mineure,
introduit en Italie au 2° siècle, consistait à faire couler
le sang d'un taureau égorgé sur le corps du dévot et
cette aspersion sanglante qui faisait renaître à une nouvelle
vie, pour l'éternité; l'énergie vitale de l'animal réputé
le plus vigoureux avec le lion, régénérait le corps,
peut-être l'âme de l'aspirant.
- On peut aussi imaginer que sacrifier un taureau représente de manière
symbolique le désir d'accéder à la vie de l'esprit, permettant
à l'homme de triompher de ses passions animales primitives. Et n'était-ce
pas là la préoccupation de Moïse ? sortir le peuple élu
de son état déchu et d'esclavage et l'amener vers une terre
promise, vers un état de spiritualité consciente ?
Cette longue digression n'était pas inutile, car je pense que tout
ce qui précède n'est que le signe extérieur et visible,
exotérique en somme, d'un rite plus élevé, plus ancien
et ésotérique. Je veux parler de l'offrande du pain et du vin,
coutume ancestrale d'une infinie portée dont je vais tenter de présenter
quelques aspects.
Moïse allait créer et développer dans l'intelligence du
peuple l'idée d'un Dieu unique; sa mission consistait aussi à
substituer l'horrible passion de la vengeance héréditaire des
Hébreux par l'amour fraternel du genre humain. Ce n'est que bien plus
tard que J-C. opérera ce profond changement de façon réelle.
Ces notions n'étaient cependant pas étrangères aux initiés
antiques. Ceux-ci reconnaissaient le Dieu unique, créateur, bienfaiteur
et conservateur de tout l'univers. Ils avaient coutume de Lui consacrer l'offrande
sous la forme du sacrifice de deux chastes et innocentes victimes: le pain
et le vin. L'offrande sans tache qu'un ministre de paix, initié selon
un ordre dont nous reparlerons, va présenter au seul Dieu de l'univers,
dans un lieu couvert et secret, est si différente à ce qui se
passait au-dehors, où le sang des hommes et des animaux ruisselait
sur les autels.
Les assemblées des initiés primitifs de la croyance monothéiste
se nommaient "synaxes", c'est-à-dire réunion de Frères
pour prier, célébrer l'offrande du pain et du vin. On offrait
au Grand Architecte de l'Univers, qui fit la Terre et les Cieux, des légumes,
du pain, du vin, des fruits comme prémices des moissons (dont dérivera
plus tard le mot "Messe"); du lait et du miel comme symboles de
reconnaissance. Mais surtout et toujours, du pain et du vin purs et sans taches,
créés par le Père, mûris par le Fils, pour le salut
du genre humain.
Moïse connaissait ces coutumes, mais comme la longue et pesante servitude
des Israélites les avait dégradés au point d'être
insensibles à la pureté d'une telle oblation, il se permit d'y
ajouter la victime, victus, d'un agneau nouveau-né, image du soleil
fécondateur du printemps. Et les Hébreux s'accommodèrent
de cet amalgame. Et l'on trouve dans le Temple du roi Salomon, non pas au
même endroit mais dans des lieux hiérarchisés, l'autel
des holocaustes d'une part et la table des pains de proposition d'autre part.
Mais tentons à présent de trouver une origine à l'offrande
du pain et du vin. Remontons à Abraham.
Saint Ambroise, commentant les textes, dit qu'aux temps de Moïse, Dieu
fit pleuvoir la manne du ciel pour les juifs qui murmuraient, mais la figure
de ces sacrements est venue plus tôt, au temps d'Abraham, quand il rassembla
318 serviteurs, s'en alla à la poursuite de ses ennemis et arracha
son neveu de captivité. Alors il revint victorieux, le Grand-Prêtre
Melchisédech vint à sa rencontre et offrit le pain et le vin.(Gén.
Ch. 14 v. 17).
Abraham vécut vers 1850 av. J-C., donc environ 6 siècles avant
Moïse. C'est dire l'antériorité des sacrements chrétiens
sur ceux des juifs... Et Melchisédech, personnage hors du commun, en
serait l'auteur ! Roi de justice et roi de paix, sans père ni mère,
de génération céleste comme le Christ, Melchisédech
était aussi Prêtre, car n'est-il pas écrit que Jésus-Christ
est devenu Grand Prêtre pour l'éternité selon l'ordre
de Melchisédech ? (mais ne l'était-il pas déjà
de toute éternité ?).
Le roi de Salem passait pour être Sem, fils de Noé, ce qui me
semble assez improbable, puisque entre Noé et Abraham 2500 années
se sont écoulées ! D'autres pensent qu'il est l'Esprit-Saint,
immortel. D'autres encore, qu'il est supérieur au Christ ou encore
qu'il est l'équivalent du Manu, le législateur d'un cycle d'humanité.
Certains l'imaginent comme le détenteur de la tradition primordiale,
voire l'incarnation de celle-ci. En tout état de cause, ce n'est pas
là le moment de traiter ce sujet intéressant et je ne peux que
renvoyer à l'ouvrage de J.Tourniac qui fait autorité en la matière.
Personnellement je pense, et cela éclairera la suite de mes propos,
que Melchisédech fut un envoyé de Dieu, qu'il incarnait la vocation
missionnaire et universelle du sacerdoce chrétien et préparait
la venue de l'Unique Vrai Grand Prêtre. Il est le témoin de l'aspiration
des hommes vers une relation plus étroite avec les réalités
invisibles.
Il possédait en lui une parcelle vivante et agissante du Verbe Divin
et c'est pour cette raison qu'il demeure perpétuellement et échappe
aux contin-gences temporelles.
Dans un autre registre, mais est-il autre ? n'en est-il pas de même
du disciple que Jésus aimait ? Surtout lorsque le Christ disait de
lui qu'il ne mourrait pas et demeurerait jusqu'à ce que Lui-même
reviendrait !
Enfin, la visionnaire Anne Catherine Emmerich nous dépeint Melchisédech
de façon admirable et ajoute que dans tous ses actes, il semblait poser
la pierre fondamen-tale d'une grâce future, attirer l'attention sur
un lieu consacré, commencer une oeuvre de haute importance.
Revenons maintenant au sujet qui nous préoccupe et de ce qui précède
formulons le postulat que l'offrande du pain et du vin, initiée par
Melchisédech, constituait la partie ésotérique d'une
tradition qui se perpétua jusqu'à nos jours par le canal d'organisations
régulières. Le but de ces offrandes, dans leur apparente simplicité,
dépasse de loin les effets des sacrifices animaux, coutume exotérique
et aujourd'hui presque totalement abandonnée.
Mais quel fut l'objet de ces offrandes du pain et du vin suivi du partage
fraternel de ces oblations ? Pourquoi le pain ? Pourquoi le vin ?
Le vin symbolise la connaissance ésotérique en tant que breuvage
d'immorta-lité. Il représente aussi l'esprit vivificateur. Souvenons-nous
que le premier travail qu'accomplit Noé après avoir fait sortir
tous les animaux de l'arche, fut de cultiver la terre et de planter la vigne.
Nous pourrions aussi assimiler la fabrication du vin avec le processus alchimique
qui consiste à tirer d'un élément son essence et d'en
écarter les substances inutiles par purifications successives. La fermentation
serait alors le phénomène de l'accroissement naturel des vertus.
Il n'est pas impossible que les anciens juifs aient identifié l'arbre
de vie du paradis avec une vigne. En tout cas, la vigne représente
Israël, comme propriété de Dieu. Il y trouve sa joie, en
attend les fruits et la soigne constamment. Dieu même en est le vigneron.
Le vin est souvent associé au sang. L'âme éprouve le miracle
du vin comme un divin miracle de la vie: la transformation de ce qui est terrestre
et végétatif en esprit libre de toute attache.
Le sujet est vaste et je me limiterai à ces quelques idées.
Voyons à présent ce que symbolise le pain, aliment essentiel.
Le pain représente la mémoire des origines. Le blé est
un autre don du Créateur, qui s'associe au vin et à l'huile.
Le blé ne provient d'aucun croisement: il nous a été
donné tel quel; il symbolise le don de la vie; l'épi de blé
signifie l'abondance mais aussi l'immortalité, ce que St. Jean reprend
au CH. 12, v. 23 à 25 lorsqu'il cite: « En vérité,
en vérité, je vous le dis, si le grain de blé ne tombe
en terre et ne meurt, il reste seul; s'il meurt, il porte beaucoup de fruits.
»
Sur les pierres gravées des ruines de Tello, les Assyriens et les Babyloniens
mentionnaient le blé vers l'an 3000 av. J-C. Le pain est synonyme de
partage: "Ne mange pas de pain devant un autre sans tendre la main pour
lui en offrir" dit un vieux dicton égyptien. Il symbolise aussi
la nécessité du travail quotidien et permanent, car, dit la
Genèse CH. 3 v. 19: « c'est à la sueur de ton visage que
tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre ».
Le pain gagné à la sueur du front, image du travail et des souffrances
de l'homme, servira d'offrande et d'alliance perpétuelle entre Dieu
et les enfants d'Israël, l'humanité actuelle.
Pain et vin, dons du ciel, dons de l'Éternel.
D'un point de vue mythologique, Bacchus, qui est le Dieu du vin, est une émanation
du dieu solaire Dionysos descendant lui-même d'Apollon. Cérès,
qui est la déesse aux épis de blé est une émanation
de Déméter, mère de la nature et des moissons descendant
elle-même d'Artémis, frère jumeau d'Apollon. Dans quelle
mesure ne pourrait-on pas alors imaginer que le pain et le vin soient deux
éléments jumeaux célébrés conjointement
lors des mystérieuses agapes ?
L'importance des symboles décrits concernant le pain et le vin, l'ancienneté
de la coutume, suffisent à notre intelligence pour percevoir le caractère
sacré et les forces de vie contenues dans ces deux éléments.
Nous pourrions nous arrêter là, car partager respectueusement
le pain et le vin dans cet esprit, avec tout le poids des idées évoquées,
suffirait à élever nos curs et nos âmes. Mais le
tableau reste très incomplet; il y manque la dimension essentielle
apportée par le Christianisme, qui transcendera les éléments
pour en faire les véritables aliments de la vie éternelle.
Reprenons donc cette étude à la lumière des Évangiles.
Toute parole du Christ est une réalité vivante, une vérité
absolue. Celui qui est la Voie, la Vérité et la Vie a affirmé:
« Moi, je suis le vrai cep et mon Père est le vigneron; tout
sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruits, Il le retranche; et
tout sarment qui porte du fruit, Il l'émonde afin qu'il porte encore
plus de fruit. Moi je suis le cep; vous, les sarments. » (Jean 15, 1-6).
Beaucoup de paraboles présentent le Christ comme le maître de
la vigne et nous-mêmes en devenons les ouvriers. La parabole des vignerons
rapportée par St. Matthieu au Ch. 21 à partir du verset 33 est
particulièrement significative. Rappelons-nous les vignerons qui vont
jusqu'à tuer le fils du maître de maison, propriétaire
de la vigne, par paresse, par orgueil, par lâcheté, reculant
devant l'effort et ne voulant pas rendre au maître la part du fruit
qui lui revint de droit..... De même, nos pensées sacrilèges,
nos actes mauvais, accablent, offensent et crucifient le Verbe divin qui réside
dans le temple intérieur de notre cur.
Le pain aussi revêt un nouvel aspect: la manne du désert a en
effet nourri les Hébreux, mais tous sont cependant morts. Mais ce Pain,
ce pain vivant qui est descendu du Ciel, fournit le soutien de la vie éternelle
et quiconque le mange ne mourra jamais, car c'est le corps du Christ. Cette
manne-là était du ciel, celle-ci d'au-dessus du ciel; celle-là
appartenait au ciel, celle-ci au maître du ciel; celle-là était
sujette à la corruption si on la gardait jusqu'au lendemain, celle-ci
est étrangère à toute corruption: quiconque en goûte
avec respect ne peut éprouver la corruption.
Pour ceux-là, l'eau coula du rocher, pour toi le sang coule du Christ.
L'eau les désaltéra pour un moment, toi le sang te lave à
jamais.
Lorsque le Christ institua la Cène, le premier jour des pains sans
levain, Il dit aux disciples qu'Il ne mangera plus la Pâques jusqu'à
ce qu'elle soit accomplie dans le Royaume de Dieu. Le soir venu, Il se mit
à table avec les douze. « Pendant qu'ils mangeaient, Jésus
prit du pain, et, après avoir prononcé la bénédiction,
Il le rompit et le donna à ses disciples, en disant: Prenez et mangez,
ceci est mon corps. Il prit ensuite une coupe; et, après avoir rendu
grâces, Il la leur donna, en disant: Buvez-en tous, car ceci est mon
sang, le sang de l'alliance nouvelle, qui est répandu pour beaucoup,
pour le pardon des péchés. Je vous le dis, je ne boirai plus
désormais de ce fruit de la vigne, jusqu'au jour où j'en boirai
avec vous de nouveau dans le Royaume de mon Père. » (Matthieu
Ch. 26 v. 26 à 29).
Je pense qu'au moment où le Christ prononça ces paroles il se
produisit un changement profond dans les fibres les plus secrètes de
la terre. L'influx spirituel de ces paroles a sans nul doute transformé
et sublimé la vigne et le blé qui produisent le vin et le pain.
Dès lors, il devint possible au ministre du culte de transsubstantier
ces éléments, de les amener à leur perfection, afin qu'ils
servent de canaux au corps et au sang du Christ. On peut ou ne pas croire
en la présence réelle du Christ dans les Saintes Espèces.
On peut imaginer Sa présence mentale ou encore figurative. Toutefois
que peut-on entendre par « corps et sang du Christ » ?
Lorsqu'Il est venu sur terre depuis les régions les plus élevées,
Il a dû subir de grandes souffrances et celles-ci ont construit, sur
la terre, Son corps physique. L'amour infini qu'Il a eu pour toutes les créatures
de tous les mondes qu'Il a traversés, et qui a vivifié ses souffrances,
a constitué les molécules matérielles qui ont fait Son
sang.
Chair et sang du Christ sont donc la cristallisation de Ses souffrances et
de Son amour. Selon ce sens, manger la chair du Christ, c'est accepter de
souffrir pour les autres, et boire Son sang, c'est aimer toute la nature,
être par être, fraction de minute après fraction de minute.
Le vin, comme sang du Christ, est la fermentation ignée de la vie universelle.
Le pain et le vin du sacrifice mystique, c'est l'esprit ou le feu dans la
matière, qui, par leur union, produisent la vie.
En instituant la Cène, notre Seigneur voulait que Sa présence
soit comprise de façon objective et spirituelle à la fois. Il
souhaitait que Sa vie divine, qui soutient l'univers par Son éternel
sacrifice, soit rendue manifeste. Le pain consacré ou corps du Christ
est le véhicule par lequel Sa vie et Sa bénédiction nous
sont communiquées. Le vin est l'emblème de la vie du Verbe,
dont le Christ est le cur. Le sang du Christ devient alors la Vérité
parfaite et absolue, la rose rouge: organe de la rédemption universelle.
De Melchisédech au Christ, l'offrande du pain et du vin a revêtu
de multiples aspects, du plus immédiat, comme nourriture terrestre,
à l'aspect le plus élevé, comme corps et sang du Verbe
incarné. Chacun se fera son idée, mais il me paraît important
de s'approcher avec le plus grand respect possible de ces sacrements et de
se dire en son for intérieur: « je me rends à l'assemblée
des Frères parce que je me sens un cur de Frère. J'y louerai,
avec eux, le Grand Architecte de l'Univers, parce que nous lui devons existence
et conservation. Je dévoilerai ma conscience à la face de l'Éternel,
parce qu'elle est blanche comme l'hysope. Dieu unique et éternel, nous
osons T'offrir ces dons purs et sans taches au nom de tous les hommes. Fais
régner parmi eux l'esprit de paix, de soulagement et de fraternité.
»
Alors, partageant le pain et le vin, en proportion de notre foi, nous accéderons
consciemment au plan des vérités supérieures et en tirerons
de grands bienfaits. La Lumière extérieure, véhiculée
par le pain et le vin, réanimera notre propre Lumière intérieure,
notre cur s'illumine, la conscience christique s'éveille, notre
âme devient l'épouse du Verbe.... Et notre Dieu immanent se révèle
à nous pour opérer le mystère de notre régénération,
de notre salut, de notre rédemption; nous naissons à la liberté
spirituelle.
Voilà l'objet du christianisme !
Je citerai encore le miracle des noces de Cana, qui ne nous éloignera
pas vraiment du sujet de cette étude. A la demande de Marie, puisque
le vin venait à manquer, les serviteurs remplirent d'eau six jarres
de pierre que Jésus transforma en vin d'excellente qualité;
ce fut son premier miracle. Mais Jésus répondit aussi à
Marie: « Femme, que veux-tu de moi ? mon heure n'est pas encore venue.
» Nous pouvons comprendre que ce "vin nouveau" est meilleur
que l'autre, il est vraiment "ancien", c'est-à-dire de "tradition".
De même, si les six urnes sont vides à Cana, c'est peut-être
pour figurer que les six phases du temps sont achevées et que le Christ
nous ouvre la voie de la dernière période temporelle, à
l'issue de laquelle aura lieu la grande moisson. Le vin est ici symbole de
la tradition, elle-même véhicule de la Vérité.
Une autre remarque s'impose: ce miracle du vin est d'ordre qualitatif comme
je viens de le faire voir alors que le miracle de la multiplication des pains
reste d'ordre quantitatif. L'association du pain et du vin fait alors naître
l'idée de profusion, de profusion spirituelle si la qualité
transcende la quantité.
Lorsqu' enfin le Nazaréen remit Son Ame entre les mains de Son Père,
lorsque les dernières gouttes de sang perlèrent de Son côté,
le voile du Temple se déchira dans un grand bruit, les mystères
devinrent accessibles, mais pas nécessairement compréhensibles
à qui s'en approchait avec respect et humilité. Le vin, divin
breuvage d'immortalité, n'est-il pas le vecteur qui donne la connaissance
de ces mystères et n'est-ce pas pour cette raison que Joseph d'Arimathie
recueillit le précieux sang du crucifié dans la coupe sacrée
du Graal ?
En guise de conclusion, écoutons quelques extraits d'un rituel fort
ancien (Cène mystique des fêtes de St. André et de St.
Hugues):
« La Parole, mes biens aimés Frères, est l'émanation
vivante de l'Essence originelle, du premier Etre, du Père unique. Des
pénétrantes vibrations de l'amour et de la lumière naissent
les innombrables formes de la création... La Parole est la substance
qui surgit, par elle-même, du potentiel premier et de l'essence initiale;
c'est le pain qui renferme la vie; c'est le vin qui calme la soif de tout
être vivant qui le désire. Ce pain et ce vin, mes biens aimés
Frères, sont les symboles fondamentaux de l'Etre tout-puissant sorti
de l'abîme et qui se déploie dans la Lumière, la Vie et
l'Amour. Le pain et le vin sont pour nous l'emblème du Fils de l'Homme,
les symboles de notre propre substance
l'inépuisable source de
la vie éternelle... Dans le silence de cet instant, sentons-nous unis
dans l'unité de Dieu, que résonnent dans nos curs les
paroles qu'adressa jadis, avant le grand sacrifice et au cours de la première
Eucharistie, le Fils de Dieu à ses Apôtres, ses frères:
« Prenez et mangez ce pain: ceci est mon corps, donné pour vous
tous.
« Prenez cette coupe et buvez: ceci est mon sang, le sang de la nouvelle
Alliance, répandu pour vous tous.
« Faites ceci en mémoire de moi. »
Ce repas mystique, fait dans l'union fraternelle, doit être pour nous
le symbole de l'étroite union des curs, mais aussi celui du lien
indissoluble qui nous lie à l'humanité tout entière,
car tous les hommes sont nos frères, les enfants d'un seul Dieu.
En dépit des ténèbres qui recouvrent la terre comme un
fardeau, votre Foi dans la lumière ne doit pas chanceler et l'Espérance
et l'Amour doivent raviver la flamme de nos sentiments fraternels. Que le
Grand Architecte de l'Univers le veuille... Ainsi soit-il. »