Les pauvres âmes
que nous sommes tous ont en eux les trois lumières: celle des sens,
celle de l'intelligence, celle du cur. Suivant leur avancement, mais
toujours à travers la lourde matière, l'une ou l'autre domine.
Souvent la troisième ne brille que par instants,. heureux quand ces
instants sont fréquents ! Tout d'abord dans la jeunesse, la pure lumière
du cur, pourtant très vive alors, tend à être éclipsée
par celle des sens qui semble plus brillante, plus attirante; l'autre, l'imagination,
ce que les hommes appellent l'esprit tend à supprimer la troisième,
parce que l'âme est ivre comme d'un parfum trop fort. Pourtant il y
a de brusques révélations: la tendresse, le pur rayon brille
soudain, voilà le ciel entr'ouvert ! Hélas, plus le rayon a
été brillant, plus l'âme est déçue ! Le
rayon a dû passer par la chair, et il l'a purifiée certes, mais
avec quelles douleurs!
D'autre part, l'Intelligence qui aspire à la lumière, l'a cherchée
auprès d'elle, parmi les hommes, ses frères; mais, comme elle
s'aperçoit vite que ce qu'elle a pris pour un flambeau n'était
qu'une vague lueur ! Tristes, découragées, elles cherchent,
elles cherchent encore les pauvres âmes, elles s'attachent à
nouveau à des corps qui les meurtrissent et les déçoivent,
jusqu'à ce qu'enfin, elles s'arrêtent éperdues. Les unes,
les moins clairvoyantes, restent dans la chair ou dans la joie amère
de leur orgueil, de leur égoïsme; les autres franchissent le cercle
fatal, parce qu'elles ont, à travers les erreurs et les mensonges,
toujours regardé le ciel, parce qu'à travers la chair, elles
ont aimé l'Amour et que ne le trouvant jamais sans alliage ici-bas,
elles y croient plus que jamais, mais aspirent à sa source. Et tout
à coup, leurs illu-sions disparaissent, la vérité leur
apparaît: les lu-mières n'en sont qu'une: l'Amour et l'Intelligence
avec la Sagesse, la bienheureuse Trinité, resplendis-sent, unique soleil.
Et tout est révélé, tout est compris, il n'y a plus de
paroles, il n'y a que l'adoration.
Désormais, l'Ame purifiée et brûlante du vrai, du seul
amour, ne connaîtra plus la solitude, dans chaque amour terrestre elle
verra l'appel anxieux et ne songera qu'à prier pour appeler le divin
amour, dans cette autre partie d'elle-même, car il y a des milliards
d'âmes et il n'y a qu'une âme; et c'est une joie de penser qu'à
travers les passions, les injures, les malédictions, les haines, les
souffrances, tous les cris s'élèvent pour l'Amour, pour Lui
seul. Et elle se sent enfin heureuse, définitivement consolée,
la pauvre Psyché, puisque l'Amour n'est pas une illusion, puisque l'étincelle
qui la vivifie saura retrouver le Soleil dont elle est venue. Sous le manteau
dont elle est couverte, sous la chair dont elle est revêtue, les autres
âmes la regarderont passer. Beaucoup, et ce sera sur celles-là
qu'elle se penchera avec le plus de sollicitude, ne la reconnaîtront
pas, la croiront ennemie, elle devra bien se cacher pour ne pas être
atteinte par leur égarement. En revanche; d'autres se sentiront attirées
et viendront pour sentir la chaleur divine. Celles-là chanteront ensemble
l'Hymne de la joie, mais combien peu nombreuses seront-elles ! Qu'importe,
l'Inconnue ira, humble et douce, tendre et con-solatrice, ne s'imposant jamais,
secourant en silence, n'attendant rien de la terre qui ne peut rien lui donner,
mais distribuant sans se lasser son inépuisable trésor. Son
ami divin, toujours présent, sera sa force, il la soutiendra toujours,
et la guidera jusqu'au bienheu-reux moment où il l'attirera si fort
qu'elle quittera sa prison de chair!
Et les trois lumières éclairent aussi l'Alchimiste qu'est l'homme.
C'est seulement un autre symbole: voici les ferments précieux, qui
doivent être enfermés dans la matière, pour être
purifiés; d'abord, c'est le noir, la lutte avec les passions, l'enfer
du doute; et puis, c'est le blanc, le pressentiment de la Beauté. Et
puis, c'est la pierre qui donne l'éternelle jeunesse, l'éternelle
santé, l'éternelle beauté ! Et puis, c'est le métal
précieux, enfin, enfin ! Je ne connais pas l'Alchimie, et n'ai jamais
rien lu là-dessus, mais je sens qu'il faut l'entendre ainsi.
Qu'est-ce que c'est jamais, pour nous, une réalisation matérielle
quelconque ? L'Or? Il est en nous, et les pierres précieuses et tout,
tout ce que nous admirons dans l'Univers, et c'est notre cur l'Athanor
Magique et Immortel.
(Texte publié dans la revue L'INITIATION de Mars 1907)