L'Apocalypse de Jean, lumières et clefs
Philippe Deschamps
extrait du chapitre I


Introduction

1 Révélation de Jésus Christ : Dieu la lui donna pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt. Il la fit connaître en envoyant son ange à Jean son serviteur, lequel a attesté comme Parole de Dieu et témoignage de Jésus Christ tout ce qu'il a vu. Heureux celui qui lit, et ceux qui écoutent les paroles de la prophétie et gardent ce qui s'y trouve écrit, car le temps est proche.

Commentaires

Le mot apocalypse, du grec apokalupsis, premier mot du texte, signifie " révélation ". Il s'agit ici de rendre compte, dans un langage exotérique mais surtout ésotérique, d'un processus qui doit être accompli d'abord dans l'homme. Cette révélation vient d'un niveau de conscience très élevé, symbolisé par Jésus-Christ. Elle est transmise par un ange à un personnage qui est dit être Jean. Autrement dit, l'auteur rapporte une expérience spirituelle que réalise Jean sur un niveau de conscience intérieure représenté par l'ange, et qui lui permet de s'harmoniser avec la conscience du Christ cosmique.

Les temps annoncés par cette révélation sont proches, puisqu'ils sont de toutes les époques. Devraient-ils ne se dérouler que dans des millions d'années, les événements décrits vont survenir " vite ", car en effet, que représentent les milliards d'années d'âge des étoiles au regard de l'éternité censée triompher à la fin des temps ? Par cet accent mis sur l'imminence de l'événement, ne cherche-t-on pas également à dramatiser la situation et à appeler le lecteur à une attention et une tension extrêmes ?

À l'instar de beaucoup d'écrits sacrés, l'Apocalypse constitue une œuvre à tiroirs. Elle possède plusieurs sens susceptibles de plusieurs niveaux d'interprétation, qui en font une œuvre de valeur éternelle. Il serait dommage par exemple d'en limiter la signification aux premiers temps de l'Église chrétienne. La plupart des textes des grandes religions possèdent en commun cette possibilité de multiples explications. Ces interprétations peuvent concerner le domaine politique, la collectivité dans son ensemble, l'individu dans son cheminement personnel, le plan matériel mais aussi psychique, émotionnel, intellectuel et enfin spirituel. Lorsqu'on est armé de cette clef fondamentale, on s'aperçoit à quel point de tels messages possèdent une valeur universelle. De manière similaire, les kabbalistes abordent l'étude des textes bibliques selon les quatre sens du mot paradis, en hébreu pardès. Ces significations, ou niveaux de lecture, sont attachées aux quatre lettres de ce mot : PRDS . Soit pechat, le sens premier ; remez, le sens figuré ; derach, le symbolisme ; et enfin sod, le sens caché, ésotérique. Le terme même d'ésotérisme possède lui-même deux significations. La première, plus connue, le rattache à la notion de secret, devenue malheureusement synonyme de sulfureux. La seconde renvoie à une connaissance ou gnose qui vient de l'intérieur, par opposition au terme exotérique, qui recouvre la culture transmise, qu'elle soit religieuse ou académique. Cette dernière acception suppose que l'homme a la possibilité d'accoucher de lui-même d'une sagesse qu'il possède à un niveau subliminal de sa conscience, au sens où le philosophe grec Socrate, qui pratiquait la maïeutique (" accouchement des âmes "), l'entendait.

Le terme d'apocryphe dont faillit être qualifié notre texte signifie en fait " tenu secret ". Ce ne sera que plus tard qu'il désignera ce qui n'est pas authentique ou canonique. L'Apocalypse représente donc une des versions de la doctrine secrète et ésotérique des premiers chrétiens.

Son sens premier et historique est bien connu : Jean, dont on n'est pas très sûr qu'il soit le scribe véritable du texte, se serait adressé aux communautés chrétiennes de son temps en butte aux persécutions romaines, et il leur aurait annoncé par cette vision le triomphe du christianisme et de son Église, la fin du monde antique et la disparition du joug romain. Néanmoins, la première lecture superficielle montre que les promesses spirituelles associées à l'avènement de la Jérusalem nouvelle n'ont pas été à ce jour tenues. C'est que le sens véritable de la révélation reste intemporel et que les temps annoncés sont toujours imminents à quelque époque que ce soit. Il faut donc aller chercher ailleurs que dans l'histoire le sens de ces scènes.

L'Apocalypse représente en fait, selon une des lectures possibles, le processus par lequel l'homme se transforme progressivement à travers des remises en question, des destructions et des purifications successives, pour atteindre l'ultime illumination, l'émergence de la Jérusalem céleste, " la ville de la paix ", en lui. Ce que l'on connaît sous les termes de littérature apocalyptique représente, au-delà de toutes les attentes ou les craintes superstitieuses, le rappel permanent de l'urgente nécessité pour l'homme d'accomplir ce processus de perfectionnement.

Dès le début de l'annonce, nous avons affaire à un texte sans concession. En effet, Jean se définit ni plus ni moins que comme " l'esclave de Dieu ". Le terme grec utilisé signifie bien " esclave ". Néanmoins, certains traducteurs ont préféré en adoucir le sens en le rendant moins arbitraire, par l'utilisation du mot serviteur. L'auteur indique ainsi son extrême lucidité, qui, si elle peut admettre que l'homme fut doté de cette faculté divine qu'est le libre arbitre, suppose en même temps que c'est afin qu'il choisisse volontairement d'accomplir le dessein divin. Ne le ferait-il pas qu'il deviendrait esclave, non plus de l'amour dont il devrait rester le serviteur, mais de la colère divine au sens où l'entendait Jacob Boehme, le philosophe allemand du xvii e siècle. Au lieu d'accéder à une liberté et une paix inconditionnées grâce à cette attitude d'allégeance déclarée, il resterait attaché au royaume des contingences, celui de la mort, des guerres et des souffrances les plus diverses. En cela, Jean se définit comme l'être tout d'abord soumis à Dieu, c'est-à-dire comme musulman, le terme musulman signifiant " soumis à Dieu ". Ce n'est qu'ensuite qu'il pourra se définir comme chrétien, c'est-à-dire comme participant à la divinité ou comme invité au repas du Seigneur. Cela, bien sûr, si l'on veut bien dépasser le sens de ces mots trop limités à l'acception que leur attribuent les courants officiels.

Adresse

Jean aux sept Églises qui sont en Asie : Grâce et paix vous soient données, de la part de celui qui est, qui était et qui vient, de la part des sept esprits qui sont devant son trône, et de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né d'entre les morts et le prince des rois de la terre.

À celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume, des prêtres pour Dieu son Père, à lui gloire et pouvoir pour les siècles des siècles. Amen.

Voici, il vient au milieu des nuées, et tout œil le verra, et ceux mêmes qui l'ont percé, toutes les tribus de la terre seront en deuil à cause de lui. Oui ! Amen !

Je suis l'Alpha et l'Oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant.

Commentaires

Par cette introduction, Jean s'adresse historiquement aux sept Églises. Allégoriquement, il s'adresse à la totalité des adeptes qui sont sur la voie indiquée par le Maître Jésus : " Je suis la Voie, la Vérité et la Vie. " Ils se divisent en sept groupes correspondant aux sept notes des sept esprits de Dieu. Jean ne s'adresse pas à des profanes mais à une royauté de prêtres potentiels. Autrement dit, la destination de ce message vise un groupe d'initiables qui, par leur fidélité à l'Intelligence qui règne sur les mondes, ont potentiellement réalisé en eux l'état de prêtre et de roi, c'est-à-dire d'intermédiaire et de souverain dans le monde matériel, pour le compte du Très-Haut. On peut noter d'ailleurs qu'à cet égard, Martines de pasqually, philosophe français du xviii e siècle, avait appelé son ordre les Élus Cohens, ou prêtres élus, en référence à cet état très particulier manifesté par l'homme régénéré. Cette adresse a donc pour destination, à travers le temps, tous les adeptes du christianisme ésotérique.

Jean donne la paix au nom de " celui qui est, qui était et qui vient ", et de ses sept esprits. Comment ne pas voir ici un plan digne de la kabbale, dont il est question dans le Sepher Yetzirah, le Livre de la formation, qui fut écrit vers le vi e siècle après J.-C. : " Ils sont trois au-dessus des sept [...] et tous sont liés ensemble " ? Ils sont liés ensemble par le témoin fidèle, le Verbe de Dieu, qui unit le visible à l'invisible. Autrement dit, pour Jean, la paix ne peut venir que de l'union avec le Tout brièvement évoqué ici. Et il annonce dès maintenant le triomphe du Verbe divin.

Ici, Jean, fidèle à la tradition de l'Église, donne la paix au nom du Père (celui qui est), du Fils (Jésus-Christ), et du Saint-Esprit (les sept esprits). Mais en les nommant de cette manière, il donne la définition ésotérique précise de cette trinité, à savoir : le Créateur, le Médiateur et le Réparateur.

La formule " il est, il était, il vient " fait allusion pour sa part à la traduction du tétragramme hébraïque, le nom divin hwhy censé rester imprononçable. Ces quatre lettres révélées à Moïse sur le mont Sinaï peuvent être traduites par " Je suis celui qui est ". Ici, la Divinité est conçue dans sa dimension d'être, qui exclut le non-être. Il s'agit du Dieu manifesté, le Dieu perpétuellement en action, maître du devenir, l'Être des êtres. On constatera d'ailleurs, dans la suite du texte, que les différents personnages auxquels nous avons affaire, correspondent à des hypostases du même principe divin. Une hypostase désigne une personne divine. En matière de théologie chrétienne, on ne retient que trois hypostases ou trois personnes divines, soit le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Mais le terme recouvre avant tout le concept philosophique de fondement du réel. Il vient du grec hupostasis, " ce qui est en dessous ". Dans la suite de nos commentaires, ce mot sera utilisé dans un sens volontairement plus large que l'explication purement théologique, puisqu'il regroupera les divers aspects de la Divinité, conçus comme autant de structures cachées derrière ce qui est.

" Je suis l'Alpha et l'Oméga ", précise l'être mystérieux, affirmant ainsi à la fois son intemporalité et son omniprésence. La kabbale remplace l'alpha et l'oméga grecs par les lettres aleph et tav. Ces deux signes sont ceux qui sont attribués à la première et à la dernière séphirah de l'arbre kabbalistique, et ainsi, ils signifient commencement et fin, impulsion primordiale et achèvement de l'œuvre.

Le terme il était fait référence à la mémoire de l'univers, il est à la pensée créatrice, il vient à la puissance créatrice, produit de l'imagination divine qui enfante magiquement des créatures avant de les émaner. Il vient fait également référence à la promesse de l'avènement de la Jérusalem céleste. Ainsi, ces trois temps du verbe être supposent une Divinité en acte gouvernant la puissance du devenir ; développement qui se fait à partir et autour d'un principe immuable qui contient tous les possibles, par-delà le temps et l'espace. Voilà pourquoi il est qualifié ici de Tout-Puissant, alors que le principe immuable porte le qualificatif de Très-Haut. Cette distinction fait écho aux paroles de Jean dans son Évangile : " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu [1]. " Cette phrase décrit la relation entre le Père et le Fils. L'immuable, inconnaissable, caché derrière les voiles de sa ténèbre, et le créé, source et retour, origine et fin du monde de l'impermanence : le Très-Haut et le Tout-Puissant.

[1] Il s'agit de la traduction de la Bible d'Osty du prologue de l'Évangile de Jean. Je lui préfère une traduction comportant une donnée plus éloquente encore, celle de la Bible " Parole vivante ". " Aux origines, avant que rien n'existe, le Fils, expression de Dieu, était là. Il était face à face avec Dieu, étant lui-même Dieu. "

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