HÆ TIBI ERUNT ARTES.
Eneide, livre VI.
1.
Flambeau surnaturel qui vient de m'apparaître,
Par toi s'explique enfin l'énigme de mon être.
C'est peu que ta chaleur te montre à mon esprit
Comme un torrent de feu qui jamais ne tarit ;
Je lis à la splendeur de ce feu qui m'éclaire,
Que je suis émané de sa propre lumière ;
Que des célestes lieux citoyen immortel,
Mes jours sont la vapeur du jour de l'Eternel.
2.
Que tout cède à l'éclat que mon titre m'imprime !
Rien ne peut éclipser le rayon qui m'anime ;
Et vouloir attenter à sa sublimité,
C'est faire outrage, même à la Divinité.
J'en atteste ces droits dont la vérité sainte
Dans l'homme incorporel voulut graver l'empreinte,
Lorsqu'elle le fit naître au sein de ses vertus
J'en atteste ces mots dans son temple entendus :
3.
« Symbole radieux de ma toute-puissance,
Homme, que j'ai formé de ma plus pure essence,
Connais la majesté de ton élection.
Si je verse sur toi la secrète onction,
C'est pour te conférer l'important ministère
D'exercer la justice en mon nom sur la terre ;
De porter ma lumière où domine l'erreur,
Et d'exprimer partout des traits de ma grandeur. »
4.
Eléments enchaînés dans vos actes serviles,
Suivez aveuglément vos aveugles mobiles,
Vous ne partagez point les fonctions des Dieux.
L'homme ici jouit seul de ce droit glorieux
D'être administrateur de la sagesse même,
D'attirer les regards de ce soleil suprême
Dont la clarté perçant l'immensité des airs,
Vient signaler dans l'homme un Dieu pour l'univers.
5.
L'homme un Dieu ! Vérité ! N'est-ce pas un prestige ?
Comment ! L'homme, ce Dieu, cet étonnant prodige
Languirait dans l'opprobre et la débilité !
Un pouvoir ennemi de son autorité
Saurait lui dérober, dans l'enceinte éthérée,
Les sons harmonieux de la lyre sacrée !
En le tenant captif dans la borne des sens
L'empêcherait d'atteindre à ces divins accents !
6.
« Autrefois établi sur tout ce qui respire,
Il dictait, sous mes yeux, la paix à son empire :
Aujourd'hui, subjugué par ses anciens sujets,
C'est à lui de venir leur demander la paix.
Autrefois il puisait au fleuve salutaire
Qui sourçait à ma voix pour féconder la terre ;
Aujourd'hui, quand il songe à le fertiliser,
Ce n'est qu'avec des pleurs qu'il la peut arroser.
7.
A nul autre qu'à lui n'impute son supplice ;
C'est lui qui provoqua les coups de ma justice :
C'est lui qui, renonçant à régner par ma loi,
Invoqua le mensonge, et s'arma contre moi.
Trompé dans un espoir qu'il fonda sur un crime,
Le Prêtre de l'idole en devint la victime ;
Et la mort, ce seul fruit du culte des faux Dieux :
Fut le prix de l'encens qu'il brûla devant eux. »
8.
Eternel, les humains faits tous à ton image,
Auraient-ils pour jamais dégradé ton ouvrage ?
Tes enfants seraient-ils à ce point corrompus,
Que ne pouvant renaître au nom de tes vertus,
Ils eussent aboli ton plus saint caractère,
Ton plus beau droit, celui d'être appelé leur père ?
Et verraient-ils tomber dans la caducité
Un nom qui leur transmit ton immortalité ?
9.
J'appris, quand j'habitais dans ta gloire ineffable,
Que ton amour, comme elle, était inaltérable,
Et qu'il ne savait point limiter ses bienfaits ;
Dieu saint, viens confirmer ces antiques décrets ;
A tes premiers présents joins des faveurs nouvelles
Qui m'enseignent encore à marcher sous tes ailes,
Et m'aident à remplir ce superbe destin
Qui distinguait mon être en sortant de ton sein.
10.
« Si le feu des volcans comprimé dans ses gouffres
Par les rocs, les torrents, les métaux et les soufres,
S'irrite, les embrase, et les dissout, pourquoi
Ne sais-tu pas saisir cette parlante loi ?
Homme timide, oppose une vigueur constante
A ces fers si gênants dont le poids te tourmente :
Tu pourras diviser leurs mortels éléments
Et laisser loin de toi leurs grossiers sédiments ;
11.
Quand l'éclair imposant, précurseur du tonnerre,
S'allume, et que soudain enflammant l'atmosphère,
Il annonce son maître aux régions de l'air ;
Cette œuvre c'est la tienne, et ce rapide éclair,
C'est toi que j'ai lancé du haut de l'empirée ;
C'est toi qui, du sommet de la voûte azurée,
Viens, comme du trait, frapper sur les terrestres lieux,
Et dois du même choc rejaillir jusqu'aux cieux.
12.
L'homme est le sens réel de tous les phénomènes.
Leur doctrine est sans art ; loin des disputes vaines,
La nature partout professe en action ;
L'astre du jour te peint ta destination :
Parmi les animaux tu trouves la prudence,
La douceur, le courage et la persévérance ;
Le diamant t'instruit par sa limpidité ;
La plante par ses sucs ; l'or par sa fixité.
13.
Mais c'est peu pour mon plan qu'en toi tout corresponde
A ces signes divers qui composent le monde,
Mon choix sacré t'appelle encore à d'autres droits ;
Il veut, réglant tes pas sur de plus vastes lois,
Que ton nom soit ton sceptre, et la terre ton trône,
Que des astres brillants te servent de couronne.
Tout l'univers, d'empire ; et qu'une illustre cour
Retrace autour de toi le céleste séjour. »
14.
Sa voix me régénère ! Agents incorruptibles
De ce Dieu qui remplit vos demeures paisibles,
Partagez mes transports ; oui, s'il paraît jaloux,
C'est de me rendre heureux et sage comme vous :
C'est de justifier ma sublime origine :
C'est d'ouvrir les trésors de ma source divine,
Pour que nous allions tous y puiser, tour à tour,
Les fruits de sa science et ceux de son amour.
15.
Si cet amour, malgré la distance où nous sommes,
Vous a fait quelquefois descendre auprès des hommes,
Ne peut-il pas aussi par ses droits virtuels,
Jusqu'à vos régions élever des mortels ?
Il unit tout : amis, que rien ne nous sépare ;
Mon être veut vous suivre aux cieux, dans le tartare ;
Il veut mêler ses chants avec vos hymnes saints,
Et siéger avec vous au conseil des destins.
16.
Tu triomphes, j'entends la voix de tes oracles,
Oh vérité ! Je touche à ces vivants spectacles
Où l'œil et le tableau, partageant ta clarté,
Sont animés tous deux par ta divinité ;
Il semble, en admirant ces foyers de lumière,
Où ton éternité fixa son sanctuaire,
Que les sentiers du temps, s'abaissent devant moi,
Et que dans l'infini je m'élance après toi.