De
la base profonde et sublime des six points théosophiques
Jacob Boehme
(Extrait, traduction de Louis-Claude de Saint-Martin)
1er
point
Chapitre premier
De la première croissance et vie hors du premier principe. Ce qu'il
faut regarder et considérer ainsi : savoir, au cas qu'elle fût
seule et non mêlée avec les autres, quelle pourrait être
sa puissance ; non qu'il faille l'envisager de telle manière qu'elle
fût ainsi seule en une figure ou en une créature, mais pour
qu'on apprenne à chercher et à sonder le centre de la nature
; et qu'on apprenne à distinguer l'essence divine d'avec la nature.
1. Nous voyons et nous trouvons que chaque vie est essentielle ; et ensuite
nous trouvons qu'elle consiste en volonté ; car la volonté
est l'instigateur des essences.
2. Et ainsi nous pouvons considérer comme s'il y avait dans la volonté
un feu caché, où la volonté s'élevât toujours
vers le feu, et voulût l'éveiller et l'allumer.
3. En outre, nous devons comprendre que chaque volonté sans le réveillement
des essences ignées est une impuissance, comme muette sans vie, n'ayant
ni sensibilité, ni intelligence, ni substantialité ; car elle
se compare à une ombre sans essence, d'autant qu'elle n'a aucune
sensibilité, mais elle tombe en bas, et se laisse pousser et conduire,
comme une chose morte, comme quelque chose qui ne s'appuie que sur une ombre,
laquelle est conduite sans essence.
4. Ainsi une volonté non essentielle est un être muet sans
idée et sans vie, et cependant c'est une figure dans un éternel
rien insondable ; car elle est suspendue à une chose corporelle.
5. Maintenant, puisque la volonté sans essence est muette et sans
être, elle est ainsi dans l'essence une chose et une image selon l'essence,
et elle est formée d'après l'essence, car la vie de la volonté
est engendrée de l'essence.
6. Ainsi la vie est le fils de l'essence, et la volonté dans laquelle
réside la figure de la vie, est le père de l'essence, car
aucune essence ne peut provenir sans volonté, car dans la volonté
le désir prend sa source ; et les essences prennent la leur en lui.
7. Si donc la première volonté est un sans-fond que l'on doit
considérer comme un éternel rien, alors nous la regarderons
comme un miroir, dans lequel quelqu'un voit sa propre image semblable à
une vie ; et cependant il n'y a aucune vie, mais une figure de la vie, et
de l'image dans la vie.
8. Ainsi nous regardons l'éternel sans-fond, hors de la nature, comme
un miroir. Car il est semblable à un oeil qui voit là, et
cependant ne conduit dans le voir, rien dont il puisse voir, car le voir
est sans essence, tandis qu'il est cependant engendré de l'essence,
c'est-à-dire de la vie essentielle.
9. Ainsi il nous est évident que l'éternel sans-fond hors
de la nature est une volonté, semblable à un il, où
la nature est intérieurement cachée, tel qu'un feu caché
qui ne brûle pas, qui est là et aussi n'y est pas. Ce n'est
pas un esprit, mais une forme d'esprit, comme une lueur dans un miroir.
Là toute la forme de l'esprit se peut voir en lueur ou en miroir,
et cependant il n'y a rien que l'oeil ou le miroir voie, mais son voir est
en soi-même, car il n'y a rien devant lui qui là soit plus
profond. Cela semblable à un miroir qui est comme le réservoir
de la face de la nature, et ne touche cependant pas la nature, comme la
nature ne touche pas plus la lueur de l'image dans le miroir.
10. Ainsi l'un est affranchi de l'autre, et cependant le miroir est véritablement
le réservoir de l'image. Il embrasse l'image, et cependant il est
impuissant à l'égard de la lueur, car il ne peut retenir la
lueur. Car si l'image s'éloigne du miroir, alors le miroir n'est
qu'un pur éclat, et son éclat n'est rien, et cependant toutes
les formes de la nature y demeurent cachées intérieurement,
comme un rien, et il est cependant véritable, mais non en essences.
11. Ainsi c'est là ce que nous devons reconnaître et comprendre
de l'éternelle sagesse cachée de Dieu, laquelle se compare
ainsi à éternel sans essence ; elle est le sans-fond, et cependant
elle voit tout. Tout a été caché en elle dès
l'éternité, d'où elle a son voir. Mais elle n'est pas
essentielle, de même que dans un miroir l'éclat n'est pas essentiel,
cependant il embrasse tout ce qui paraît devant lui.
12. Secondement, il nous faut entendre de l'éternelle volonté
qui est aussi sans essence, ce que nous entendons de l'esprit de Dieu. Car
aucun voir n'est sans esprit, comme aucun esprit n'est sans voir ; et ainsi
nous devons comprendre que le voir brille de l'esprit, qu'il en est l'oeil
et le miroir, et qu'en lui la volonté est manifestée, car
le voir fait une volonté dans laquelle le sans-fond de l'abîme
sans nombre ne sait trouver ni fondement ni limite ; ainsi son miroir va
en soi, et fait en soi un fondement: cela est la volonté.
13. Ainsi le miroir de l'oeil éternel brille en volonté, et
s'engendre à soi-même en soi-même un autre éternel
fondement, lequel est son centre ou son cur, d'où le voir s'originise
continuellement de l'éternité, et par là la volonté
devient mouvante et conductrice, particulièrement de ce que le centre
engendre.
14. Car il est tout compris en volonté, et c'est une essence qui
s'originise soi-même éternellement en soi-même dans l'éternel
sans-fond, qui entre en soi-même, et fait un centre en soi-même,
et se saisit soi-même en soi, mais sort de soi avec ce qui est saisi
et se manifeste dans l'éclat de et brille ainsi en soi et de soi
hors de l'essence ; il est son propre propriétaire, et est cependant
comme un rien eu égard à la nature. Entendez, eu égard
à l'être saisissable pour parler ainsi, d'autant qu'il est
cependant tout, et que tout en provient.
15. Et nous entendons ici l'éternelle essence de la Trinité
de la Divinité avec la sagesse insondable. Car l'éternelle
volonté qui saisit l'oeil ou le miroir dans lequel se trouve le voir,
ou sa sagesse, est le père ; et ce qui est saisi dans la sagesse,
où le saisi embrasse en principe hors du sans-fond une base ou un
centre en soi-même, est le fils ou le coeur, car il est la parole
de la vie, ou son essentialité dans laquelle la volonté brille
avec éclat.
16. Et ce qui va en soi au centre de la base est l'esprit ; car il est le
trouveur qui de toute éternité trouve toujours là où
il n'y a rien. Ce même esprit sort derechef du centre de la base et
cherche dans la volonté. Alors le miroir de ou la sagesse du Père
et du Fils est manifestée. Et ainsi la sagesse est devant d'esprit
de Dieu, qui en elle manifeste le sans-fond, car ses vertus dans lesquelles
brillent les couleurs des merveilles sont, par le moyen de l'esprit qui
s'élève, manifestées du père de l'éternelle
volonté par le centre de son coeur ou de la base.
17. Car elle est le prononcé que le père prononce du centre
du cur par le Saint-Esprit, et elle reste en formation et en figuration
divine en aspect de la tri-unité de Dieu, mais comme une vierge sans
engendrer ; elle n'engendre point les couleurs et les figures qui brillent
en elle et sont manifestes dans la base et en essence ; mais le tout ensemble
est une éternelle magie, et demeure en soi avec le centre du coeur,
et de soi sort du centre par l'esprit, et se manifeste à l'infini
dans l'oeil de la sagesse virginale.
18. Car de même que l'essence de la Divinité n'a aucune base
d'où elle dérive, et d'où elle provienne ; de même
aussi l'esprit de la volonté n'a aucune base, heu, ni limite qu'il
puisse toucher ; mais il se nomme admirable, et sa parole ou son coeur,
par lequel il sort, se nomme l'éternelle puissance de la Divinité,
et la volonté qui engendre en soi le coeur et la puissance se nomme
l'éternel conseil.
19. Ainsi l'essence de la Divinité est dans tous les points et dans
tous les lieux de la profondeur du sans-fond, comme une roue, ou comme un
oeil, où le commencement a toujours la fin, et on ne peut lui trouver
aucun lieu, car elle est elle-même le lieu de tous les êtres,
et la plénitude de toutes choses ; cependant elle n'est vue ni saisie
par rien, car c'est un oeil en soi-même, comme ce que Ézéchiel
a vu en introduisant l'esprit de sa volonté en Dieu, lorsque sa figure
spirituelle a été introduite dans la sagesse de Dieu par l'esprit
de Dieu, alors il a atteint la contemplation ; et cela ne peut pas avoir
lieu autrement. . [...] .