LE PARDON
Au cours de notre existence, à chaque détour d'un chemin, nous nous trouvons pour la plupart confrontés, pour pouvoir le continuer, à la nécessité de pardonner ou de se faire pardonner. De ces petites choses qui jalonnent la vie, qui vont de déchirements en questionnements, de rancoeurs en oublis, nous sommes un jour amenés à remonter le temps pour atteindre l'essentiel du pardon ou plutôt des pardons, car du mot générique qui peut par sa forme masquer aussi une forme d'indifférence, découle une somme considérable de pardons que l'on pourrait classer et hiérarchiser.
Le pardon que nous recevons ou que nous donnons à l'autre est donc central dans notre trajet. Mais peut-il y avoir pardon qui soit sollicité et d'autre part accordé, sans une matérialisation préalable de l'offense ? Seule l'offense ne génère-t-elle pas le pardon, lequel puise sa réalité seulement dans l'offense ? Et la demande d'être pardonné nécessite tout d'abord une prise de conscience de la nature et de l'importance de l'offense. Cela voudrait-il dire qu'à peine reconnue et avouée, l'offense entraîne implicitement le pardon ? Je me méfie du pardon facile comme de l'anglais sans peine, vulgarisation, banalisation des gestes et des sentiments. Pardon sans réserve qui peut faire du pardonné un éternel débiteur de celui qui a accordé son pardon. Il y a jouissance à pardonner lorsque celui qui pardonne satisfait son ego en se donnant à lui-même la preuve de sa grandeur d'âme et de la noblesse de ses sentiments. Je crois au prix des choses, je m'explique: par une extraordinaire remise en question de nos certitudes, il peut nous arriver de réaliser le mal que nous avons pu faire aux autres. C'est alors que commence, si nous prenons au sérieux cet éclair de lucidité, un véritable calvaire. Si notre sincérité est totale, ne parvenons-nous pas au désespoir par le constat du terrible gâchis que nous avons causé ?
D'aucuns pensent que " tout comprendre conduit à tout pardonner ". Peut-on tout comprendre ? Peut-on tout pardonner? Si l'on se situe dans une relation personnelle, individuelle, on peut analyser les circonstances, le cheminement psycholo-gique, l'environnement social dans lequel un être fait du mal à l'autre. On peut alors tenter de comprendre et admettre des circonstances atténuantes. On peut excuser tel ou tel comportement. Mais le pardon ne sollicite aucune recherche de compréhension. Seule la faute existe, et c'est pour cette faute exclusivement que doit s'exercer le pardon.
Mais en est-il de même au plan collectif ? Les évènements de ces dernières semaines nous prouvent une fois encore que l'histoire se répète avec une constance obstinée. Rien n'est plus difficile que de tirer la leçon d'une expérience. Avons-nous pardonné au passé, avons-nous oublié ? Excusons-nous par notre laxisme les atrocités liées à la folie des hommes ? Certaines victimes ont pu parler de pardon. Quel dépassement de soi, quelle extraordinaire dimension spirituelle et transcendantale faut-il posséder pour pardonner ce qui apparaît comme impardonnable !
Le pardon serait-il la réponse de Dieu au mal du monde ? Un pardon venant de Dieu, mais où nous sommes directement impliqués dans ce mouvement, appelés à y participer. C'est nous qui allons permettre au pardon de Dieu de s'incarner et de porter le fruit. Et Jésus nous amène à la source du pardon, au Père. Jésus l'a vécu dans sa chair, et réveille pour celui qui le veut bien, la capacité de mettre fin au processus qui consiste à répondre au mal par le mal ou bien à nous enfermer dans notre faute. La parabole du fils retrouvé dans l'Évangile de Luc relate le processus du pardon en en faisant un retour à la vie. Je cite : " Mon fils était mort et il est revenu à la vie. " Le pardon apparaît non pas comme une indulgence, mais comme une véritable re-création. Il re-crée ce que l'humain a dé-créé. Il est de l'ordre de la Résurrection et Dieu seul a puissance de re-création, de Résurrection.
Nous pouvons
méditer sur la cinquième demande qui compose le Notre Père,
traduction d'après la reconstitution du texte hébreu primitif:
" Acquitte-nous nos dettes,
comme nous aussi nous avons acquitté nos débiteurs. "
... pour que le fruit de notre réflexion devienne construction commune. Une méditation qui appelle à la prière. Pour certains, c'est l'aide que l'on demande, ce lâcher-prise qui amène au pardon. En hébreu sacré, PARDON se dit: samech lamed yod heth hé, soit: 60+30+10+8+5= 113= 5. Le nombre 5 symbolise le pentagramme, l'homme inscrit dans l'étoile. Afin de passer de 5 à 6 l'être humain doit évoluer, se transformer, apprendre à pardonner. 6, l'étoile de David, deux triangles entrelacés dont la pointe en haut nous élève. Et comme tout ce qui est en bas est comme ce qui est en bas, notre travail est ici et maintenant. Sortir du monde binaire, faire confiance à notre intuition qui nous permet de voir les évènements par le dessus.
... comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés...,
" Comme
" se dit kasher en hébreu et signifie: " à l'image
de ". Le chemin est ouvert à celui qui désire s'élever
vers Dieu.
LE PARDON DE DIEU
Comme nous l'avons évoqué lors du précédent
travail, la parabole du Fils retrouvé relate le processus du pardon
du Père, le Père dans le sens de Dieu, Créateur, source
de vie.
Elle nous présente deux fils ayant perdu le chemin de leur coeur (mais l'avait-il déjà trouvé?). L'un vit le désordre, l'autre un excès d'ordre. Le cadet pense résoudre ses problèmes en partant pour un pays lointain, loin de lui-même, loin de son coeur, loin de la source, loin du Père (père). Il abandonne toute référence à la Parole, à l'Esprit, aux lois de la vie. Il s'enferme à l'extérieur de lui-même et se croit libre. Il va vivre la famine intérieure et extérieure dans l'exil. L'exil revient fréquemment dans l'histoire du peuple juif. Combien de fois mettons-nous notre âme en exil, l'éloignons-nous de notre coeur ?
L'aîné lui, se croit sans péché, donc juste. Il agit par devoir, sans désir. Il symbolise l'ego, le refus de la remise en question, l'ordre superficiel et illusoire que l'on nomme "bonne conscience", laissant apparaître une perfection qui cache la peur de vivre, la fausse soumission, le refus de la différence, l'intégrisme, une incapacité à donner et à recevoir. Il est le grain qui refuse de mourir et qui reste seul (selon St Jean). Il pourrait être comparé à Marthe, la soeur de Marie.
Mais un évènement percutant arrive: le retour de son frère, évènement qui va lui révéler sa faille cachée. Ce sont nos réactions à des situations concrètes qui nous éclairent sur ce qui se passe réellement en nous.
Mais revenons au cadet. Dans la parole de Jésus, le chemin du retour est exprimé par ces mots: "Rentrant en lui-même, il se dit..." C'est le retour au centre. Il revient vers son coeur, vers la source. Il sort de l'agitation du monde extérieur pour entrer dans le silence intérieur. Il retrouve la Présence de Dieu, du Père. Il ouvre à sa Lumière, l'intégralité de son histoire. Aucune partie de lui-même ne reste en exil. Il est rassemblé. Et là il prend conscience et dit : j'ai pêché. Il le dit sans peur, car commençant à découvrir le Père, il peut se voir lui-même comme il est, sans mensonge. De l'introspection, il passe à la révélation. Une révélation qui lui permet de se dire honnêtement mais sans justification. Il peut assumer ce qu'il est et ne se cache plus la vérité. Il est capable d'être aimé. Il se retourne. Il vit ce que la Tradition juive appelle la Techouvah qui est la véritable repentance. Dans la grâce de Dieu, il se met en route. IL retrouve le mouvement intérieur, le mouvement de la vie. Retour sans gloire, puisqu'il se préoccupe en premier lieu de sa survie. Il est prêt à vivre la rencontre librement et qui fera de lui un fils. Il reçoit l'Esprit nouveau dont parle Ezéchiel. C'est la fête (l'ouverture) au cours de laquelle il reçoit les insignes du fils: la robe, l'anneau (signe du sceau de famille), les sandales (signe de liberté).
C'est la réunion
de la chair et de l'Esprit dont le symbolisme en hébreu est le suivant:
Le chair (masculin) B Sh cH vaut 43.
La Esprit (féminin) R W R vaut 34.
Si 3 + 4 = 7 expriment l'union de l'âme et du corps,
34 + 43 = 77 qui est le nombre de Pardon.
Nous devons pardonner 77 fois à l'inverse de Lamech qui devait "être
vengé" 77 fois selon la Genèse.
Par cette parabole nous voyons que les conditions du pardon pour l'homme
passent par une véritable reconnaissance de son pêché,
la contrition, la conversion du coeur. Pour désigner cet acte de
Dieu qui met fin à l'état de culpabilité séparant
l'homme de son Créateur, l'Ancien et le Nouveau Testaments contiennent
toute une série d'expressions: remettre, ne pas imputer, abandonner,
effacer, oublier, couvrir, purifier, laver, rejeter derrière soi,
mettre sous les pieds, etc...
Si Dieu a le pouvoir de pardonner à l'homme, cela nous donne le droit à l'erreur, et d'en sortir. Nous avançons par prises de conscience successives. Ce qui nous semble important, c'est ce que nous faisons pour avancer. Le but final étant la Réintégration.