LA
MORT, UNE ILLUSION!
ANNIE BESANT
Il y a dans le drame d'Hamlet une inconséquence frappante: alors qu'au début de la pièce on nous affirme que la mort est la "frontière qu'aucun voyageur ne repasse", la pièce n'est elle-même qu'un acheminement vers la preuve définitive du meurtre dont un spectre, avait le premier révélé l'existence. Des contradictions analogues sur la croyance en une autre vie et la possibilité de communiquer avec les autres mondes, le vague des opinions en ces matières, tout cela se retrouve dans notre vie moderne. Chez les Chrétiens les conceptions sont bien plus vagues que chez les peuples non chrétiens d'aujourd'hui ou d'autrefois.
A Rome, on acceptait de prêter de l'argent contre des garanties valables dans l'au-delà, et on ne saurait donner meilleure preuve de la croyance à la persistance de la personnalité humaine. Aux Indes la veuve refuse de se remarier parce qu'elle considère que le lien conjugal n'est nullement brisé par la mort. D'autres peuples encore ont cette certitude d'une vie supra-physique.
Pourquoi donc de nos jours chez les peuples les plus civilisés qui se vantent que leur religion leur procure la certitude de la vie post mortem, pourquoi donc parmi nous, cette croyance est-elle devenue pratiquement impuissante à influencer notre vie? Pourquoi est-elle devenue si vague, si nuageuse? Pourquoi est-elle devenue si faible?
Je crois que la principale raison en est la façon irrationnelle dont, pendant des siècles, le Christianisme nous a fait envisager cette autre vie. L'idée que l'éternité était déterminée par les quelques événements, si souvent insignifiants, de la courte existence comprise entre le berceau et la tombe, n'a pas peu contribué à nous faire rejeter toute conception d'une vie future. Mais autrefois cette croyance était bien réelle. Quelques-uns sans doute parmi vous se rappellent des prédicateurs chrétiens qui, pour décrire en détail les joies du paradis ou les terreurs de l'enfer, se servaient de métaphores qui seraient aujourd'hui accueillies, avec indignation ou dérision, suivant l'auditoire.
Rappelez-vous, ce prédicateur calviniste qui, voulant donner une idée de l'éternité des peines de l'enfer, disait à ses auditeurs de se représenter une montagne immense faite de grains de sable amoncelés, et donc un oiseau emporterait tous les milles an un grain dans son bec jusqu'à épuisement. Eh bien, les peines de l'enfer ne seraient pas plus près de cesser au dernier grain qu'au premier.
Qui pourrait s'étonner que la conscience humaine se soit révoltée contre une si abominable doctrine! et le fait qu'il serait aujourd'hui impossible de prêcher un tel sermon, du moins devant un auditoire cultivé, prouve que les vieilles croyances ne sont plus admises. Mais les hommes ne sachant par quoi remplacer ce à quoi ils ne pouvaient plus croire, sont restés dans le doute. Ils sentaient très bien qu'ils n'étaient ni assez mauvais pour rester éternellement en enfer, ni assez bons pour demeurer éternellement au paradis; les conceptions irrationnelles qu'on leur offrait ont affaibli chez la plupart d'entre eux toute croyance en une vie future, et baucoup, disent aujourd'hui: "En somme on peut rien savoir là dessus. Faisons de notre mieux ici-bas, et espérons que tout s'arrangera de l'autre coté.
Voilà ce qu'on entend dire communément par des gens vertueux, réfléchis, mais incapables de substituer à une croyance rejetée une conception rationnelle de la vie future. Mais est-il vraiment impossible de rien savoir ou peut-on au contraire dès maintenant connaître les faits en présence desquels nous nous trouverons un jour?
Eh bien, aujourd'hui comme autrefois, on nous affirme qu'il est possible d'acquérir la connaissance de ces autres mondes, tout comme on acquiert la connaissance des pays étrangers, c'est-à-dire en les parcourant, et en observant ce qui s'y trouve. Deux moyens sont offerts au monde moderne; l'un facile, mais peu satisfaisant, l'autre difficile, mais de plus en plus satisfaisant à mesure qu'on l'expérimente. Le premier est celui que préconisent nos amis les spirites, l'autre celui des théosophes. Voyons un peu, en quoi ils diffèrent, avant d'expliquer en détail les méthodes d'investigations théosophiques et leurs résultats.
Le moyen des
spirites est comparativement facile; il n'exige aucun mode de vie spécial,
aucune étude particulière. Il est fait pour les gens, et non
par eux. Il consiste à prendre pour intermédiaire une catégorie
de personnes qui, grâce à une constitution physique spéciale,
peuvent servir de lien entre ce monde et l'autre, les médiums. La
communication s'établit soit lorsqu'un médium quitte son corps
pour permettre à quelqu'un d'autre de l'occuper, soit lorsque l'entité
désincarnée revient dans ce monde en se matérialisant.
Pour la première de ces méthodes, celle qui consiste à
sortir de son corps et à le laisser occuper par un autre, il y a
quantité de faits, non seulement spirites, mais scientifiques aussi,
qui prouvent qu'un corps humain peut être employé par plus
d'une personnalités.
Le cas de personnalités multiples étudiés aujourd'hui
par les psychologues, contribuent d'une manière intéressante
à nous faire comprendre comment un même corps peut être
occupé par plus d'une entité. Mais en acceptant ce fait, il
y a tant de preuves que le corps est parfois aussi possédé
par des entités désincarnées, qu'aucun de ceux qui
ont soigneusement étudié les faits, ne dira que tous les phénomènes
spirites sont dus à la fraude, bien qu'il y en ait de frauduleux.
Même en laissant de coté les cas douteux, il reste un petit
nombre de faits qu'on ne peut nier.
Je ne suis pas moi-même spirite, mais il est juste de reconnaître
la valeur du travail entrepris par des spirites pour démontrer la
survivance de la personnalité humaine malgré les railleries,
les menaces, les persécutions, et toutes les armes dont l'ignorance
pouvait se servir. Ils ont continué à accumuler les preuves,
et ainsi amené quantité de savants à admettre ce qu'ils
avaient nié tant d'années; c'est à leur courage qu'on
doit ces preuves. Et il n'y a pas, pour le matérialiste endurci qui
ne peut être convaincu que par le témoignage des sens, de meilleure
méthode que les investigations psychiques. Et si je suis opposée
à cette sorte de recherches, ce n'est pas parce qu'elles sont toujours
trompeuses, mais bien parce que les désincarnés qui viennent
ainsi se communiquer sont très rarement des gens capables de donner
des indications nettes et complètes. Ce sont pour la plupart des
gens restés tout près de la terre qu'ils ont quittée.
Dans la grande majorité des cas, ils ne font preuve ni d'une grand
intelligence, ni d'une vaste connaissance des conditions de la vie de l'au-delà.
Leurs dire, parfois intéressants, ne sont ni complets, ni détaillés,
sauf dans un ou deux cas qui se distinguent nettement du reste. La contribution
du spiritisme à la connaissance de l'autre vie n'a donc qu'un caractère
très limité, tout en étant absolument probante quant
au fait même de la survie. De plus je déplore la diminution
de vitalité que ces pratiques entraînent chez les médiums.
S'il n'y avait
pas d'autre moyen de se renseigner, on ne pourrait nous blâmer de
nous en servir, mais il en existe un autre meilleur et plus sûr, que
je veux signaler à votre attention. Ce moyen-là consiste à
utiliser notre nature spirituelle pour nous mettre en rapport avec ceux
qui ont rejeté leurs corps de chair. Si nous sommes des esprits de
l'autre coté de la mort, nous sommes aussi des esprits de ce coté-ci.
Notre nature spirituelle peut passer de ce monde-là dans celui-ci,
et peut quitter ce monde-ci pour aller étudier l'autre, tout en restant
capable de revenir au monde actuel. C'est la méthode suivie dans
le passé par les grands Instructeurs.
Comme elle est basée sur la nature spirituelle, la même en
chacun de nous, il ne dépend que de nous de l'employer pour nous
livrer aux mêmes recherches. Elle repose sur ce fait que nous sommes
des esprits revêtus de plusieurs corps, que ces corps sont, même
en ce moment, en contact avec d'autres mondes que le monde physique, et
qu'il est possible d'entraîner les corps physiques et psychiques pour
pouvoir travailler comme intelligence vivante dans le corps psychique aussi
bien que dans le corps physique, et d'étudier soi-même les
mondes de l'au-delà.
C'est ainsi que les recherches théosophiques ont été
entreprises. Puisque nous sommes des intelligences spirituelles, nous n'avons
pas besoin, pour savoir ce qui se passe de l'autre coté, d'attendre
que la mort nous ait délivrés de notre corps physique. Voilà
ce que l'on a si souvent proclamé, et vérifié, et pour
ce que je vais maintenant vous dire, je me baserai sur ces investigations-là.
Je n'ai pas l'intention de dire autre chose que ce dont je puis certifier
avoir par moi-même vérifié l'exactitude. Nous avons
l'habitude de contrôler à plusieurs reprises ce que l'un de
nous a observé, de façon à avoir des témoignages
suffisamment nombreux pour affirmer ce que nous disons.
Je commencerai
donc par cette affirmation qu'il est possible de quitter son corps et d'y
revenir. Vous allez peut-être le trouver étrange, mais c'est
ce que vous faites chaque soir. En s'endormant on quitte son corps tout
en restant une intelligence vivante. Ce fait est de plus en plus reconnu
par les savants qui utilisent ce qu'on appelle la transe, et qui n'est qu'un
sommeil pendant lequel le corps physique est, il est vrai, insensible, mais
qui n'en est pas moins essentiellement un sommeil. On a prouvé, de
façon irréfutable, qu'il est possible de quitter ainsi son
corps, et que, dans ces conditions, l'intelligence est beaucoup plus active
et plus puissante que dans les conditions physiques normales. Et c'est sur
cette possibilité de quitter le corps sans perdre l'intelligence,
que se fondent nos recherches.
Ce n'est pas cependant de l'état de rêve que nous nous servons;
nous quittons volontairement notre corps. On arrive à le faire par
entraînement, pendant le sommeil ou pendant la veille, et, graduellement
on parvient à relier les deux états, à quitter le corps
sans perte de conscience, et à rapporter au retour pour l'imprimer
sur le cerveau, le souvenir de ce que l'on à observé en dehors
de lui. On peut alors faire un pas de plus et éveiller les sens psychiques
intérieurs, si bien qu'après un certain temps il n'est plus
nécessaire de quitter le corps pour s'en servir. On apprend ainsi
graduellement à les développer de façon à en
être maître, et à pouvoir observer l'au-delà à
l'état de veille.
Rappelez-vous que l'autre monde n'est pas lointain, il est autour de vous.
Ceux de vos amis qui ont quitté leurs corps ne sont pas parties pour
un pays éloigné; ils restent près de ceux qu'ils aiment,
et son visibles pour les yeux ouverts qui peuvent voir la matière
subtile dont l'intelligence est alors revêtue.
Je dis donc que tous vous avez un corps fait de cette matière subtile,
et, que vous possédez les sens qui permettent de voir ces corps subtils.
Et si vous suivez l'entraînement dont je vous parle, vous pourrez,
tout en restant conscients des choses de ce monde-ci, examiner aussi les
choses de l'au-delà, qui peut devenir pour nous un monde connu, et
non plus seulement un monde espéré.
Voyons maintenant
ce qui arrive quand une personne rejette son corps physique au moment de
la mort. Il arrive exactement ce qui arrive chaque soir lorsque vous vous
endormez. Aucune douleur, aucune peine n'accompagne ce départ, même
s'il y a des signes de souffrance physique. La souffrance n'existe plus,
quand bien même le corps physique simulerait par ces mouvements une
souffrance qui n'est plus ressentie. L'intelligence qui s'en va ne sent
plus les dernières convulsions du corps mourant, elle est pour ainsi
dire tournée vers le dedans, vers sa propre existence immortelle,
consciente du monde qui s'ouvre à elle, et inconsciente du monde
qu'elle quitte pour la dernière fois. D'où le devoir,pour
ceux qui entourent le mourant, de ne pas troubler l'ami qui s'en va en manifestant
leur chagrin, car cela l'empêcherait de partir paisiblement, et le
rappellerait un instant aux souffrances d'ici-bas.
La plupart des religions ont sagement prescrit des prières pour les
mourants et cela encore plus pour calmer les vivants que pour celui qui
s'en va. En réalité il n'y a pas de mort; rien qui ressemble
à la cessation de la vie n'est possible.
Pendant environ trente-six heures après la mort, l'homme reste dans
un état de conscience heureux mais vague. Je veux dire par là
qu'il n'est pas conscient de ce qui l'entoure ni ici-bas ni de l'autre coté;
il est plutôt perdu dans ce qu'on pourrait appeler des rêves;
il ne souffre plus et en ressent de la joie, de la satisfaction. C'est comme
une pause entre les deux existences, et cela dure pendant un temps assez
bref. Après cela, chacun fait des expériences variant selon
la vie qui vient de se terminer.
Le mieux pour
expliquer clairement les choses est d'établir une sorte de classification,
parmi ceux qui s'en vont. Prenons donc d'abord le type humain le mois élevé:
le sauvage, le criminel né, l'homme aux passions violentes et déréglées,
celui dont les seules jouissances ont été la satisfaction
des appétits du corps. Vous avez là une large catégorie
d'humains, dont les expériences, inutile de le cacher, sont d'une
nature très pénible. Il ne saurait en être autrement
dans un monde, ou la loi est immuable, ou l'effet suit immanquablement la
cause. Que peut-il arriver à un homme dont tous les plaisirs sont
liés au monde physique, lorsque le corps physique lui échappe,
et que toutes ses passions lui restent sans pouvoir être satisfaites?
Que peut-il lui arriver si ce n'est le désir violent et pénible
de retrouver les plaisirs disparus, et de souffrir parce que ses désirs
ne peuvent plus être satisfaits? Qu'est-ce qu'un tel homme peut bien
ressentir, si ce n'est l'envie passionnée d'éprouver à
nouveau les sensations qui étaient sur terre son unique plaisir,
et une vive déception de se voir frustrée de ces jouissances
maintenant hors d'atteinte.
C'est ce qui a donné lieu aux histoires d'enfer dont toutes les religions
parlent, mais que leurs exagérations ont rendu sans effet. La loi
est la loi. L'ivrogne et le débauché, victimes de leurs désirs
insatiables, doivent souffrir de l'autre coté jusqu'à ce que
ces désirs s'épuisent. Ce n'est pas un châtiment, c'est
une conséquence inéluctable, l'application de la loi naturelle,
bienfaisante, mais juste, qui veut que l'homme récolte ce qu'il a
semé, et que grâce à cette récolte il comprenne
si les semailles étaient bonnes ou mauvaises. Et vous voyez là
ce qui distingue cet enfer temporaire (je veux bien employer le mot) de
l'enfer éternel.
Dans un monde régi par la loi, la souffrance est un remède;
par elle la nature nous montre ce que nous ne devons pas faire. Les choses
qui nous nuisent physiquement, moralement ou mentalement, sont toutes accompagnées
de souffrances, dans ce monde ou dans l'autre. Le débauché
après avoir joui quelque temps, paie ses plaisirs même ici,
car il se ruine la santé, et son corps en porte les traces. De l'autre
coté aussi, il récoltera la souffrance parce qu'il ne pourra
plus satisfaire les désirs qu'il n'a pas encore tués. Mais
une fois ces désirs disparus il avancera, libéré de
la souffrance qui était son oeuvre; car aussitôt débarrassée
de ses vices, qui s'éteignent faute d'aliment, il cesse de souffrir.
Et voilà comment l'homme apprend qu'il est mauvais lorsqu'on a revêtu
la forme humaine de continuer à mener la vie passionnelle de la brute.
Les souffrances qu'il endure ainsi inévitablement, le rendront plus
sage à l'avenir.
Remarquez que les anciennes religions dictaient à l'homme sa conduite
sur terre de façon à lui éviter de souffrir dans l'au-delà.
Elles lui recommandaient, lui ordonnaient même lorsqu'il arrivait
à l'âge mur, d'abandonner les plaisirs du monde, de passer
plus de temps à réfléchir qu'à s'amuser, de
consacrer plus de temps à l'étude, à la méditation
et à la prière qu'aux intérêts matériels.
L'homme pouvait ainsi se procurer de propos délibéré,
un bagage utilisable de l'autre coté, et emporter avec lui de purs
sentiments, de nobles pensées, laissant au contraire les passions
derrière lui.
Outre cette période de la vie de l'au-delà qui est une période
de souffrances, il existe parfois d'autres souffrances dues celles-là
à une cause facilement évitable. La pensée est beaucoup
plus puissante de l'autre coté qu'elle ne l'est de ce coté-ci,
et les choses auxquelles ici vous croyez deviennent par là-bas des
formes, des forces avec lesquelles vous vous trouvez en contact. Et c'est
ainsi que les prédications d'un certain Christianisme étroit,
qui présentent la vieille doctrine de l'enfer éternel, font
de l'autre coté un mal réel en causant de la terreur, et en
procurant parfois à ceux qui les ont écoutées, quelques
heures, voire même quelques jours de souffrance. Cette souffrance
est occasionnée en partie par la frayeur, mais en partie aussi par
le fait que les choses horribles redoutées ici-bas sont devenues
des réalités.
Quelques-uns d'entre nous ont, en s'occupant des habitants de l'autre monde,
rencontré parfois un de ces Chrétiens ignorants, mais convaincus,
qui, ayant cru sur terre à l'enfer, étaient absolument terrorisés
à la pensée du sort affreux qu'ils avaient imaginé
comme possible.
Les gens qui quittent ce monde avec des pensées de ce genre dans
l'esprit, endurent réellement pendant un temps les souffrances qu'ils
redoutent; pas longtemps heureusement, car nombreux sont ceux qui, de l'autre
coté, travaillent sans cesse à aider les trépassés,
à leur faire comprendre qu'ils ont tort de se laisser torturer par
de telles craintes, maintenant qu'ils ont quitté leur corps.
Ceux qui s'en vont subitement dans l'autre monde, soit qu'ils se suicident
ou qu'ils soient victimes d'un accident, ont grand besoin qu'on les aide.
Les hautes intelligences, que l'on appelle des anges, ont en partie pour
tâche d'aider et de consoler ceux qui, passant brusquement d'un monde
à l'autre, se trouvent dépaysés dans l'au-delà.
C'est précisément à cause du choc que cause ce soudain
départ qu'on prie pour être préservé de la mort
subite.
J'ai souvent
entendu des personnes dire qu'elles ne pouvaient réciter cette prière
avec conviction, et qu'il leur semblait bien préférable de
s'en aller rapidement, sans être averties de l'approche de la mort.
Tel n'est pas l'avis de ceux qui connaissent les conditions de l'au-delà.
Mieux vaut infiniment la maladie, qui permet de relâcher peu à
peu les liens nous attachant à la vie, que le choc brusque causé
par un soudain départ. Car alors l'intelligence arrive dans l'au-delà
si rapidement qu'elle en est étourdie, troublée; et le nouveau
venu, n'étant pas préparé, ressent dans ce monde nouveau
un étonnement qui le terrifie. La mort subite n'est donc pas désirable
du point de vue de tous ceux qui savent, et la vieille prière chrétienne
est basée sur une réelle connaissance occulte.
On m'a souvent demandé quel était le sort des suicidés.
Je ne puis répondre d'une manière générale,
parce que cela dépend de la vie qui a précédé,
et non pas seulement de l'acte soudain qui sur terre a terminé cette
vie. Lorsqu'un homme essaie, par le suicide, d'échapper aux conséquences
de ses actes, lorsque par exemple, il se tue pour échapper aux poursuites
que lui ont attiré des détournements, ou autres actes analogues,
sa vie de l'autre coté n'est certainement pas heureuse, et cela plutôt
à cause du mal fait qu'à cause du suicide lui-même.
Quand un homme par des abus de confiance, des actions malhonnêtes,
répand la souffrance autour de lui, puis pour échapper aux
conséquences de ses actes,supprime son corps, il n'échappe
à rien du tout. De l'autre coté il assiste impuissant au spectacle
de la misère qu'il a causée; incapable d'aider, tourmenté
par la vue du mal dont il est l'auteur, il s'est, en se débarrassant
de son corps, rendu plus malheureux; il voit tous ceux qu'il a réduits
à la misère et qui l'entourent de leurs pensées de
colère. En supprimant son corps il a commis un acte stupide, il n'a
échappé a rien, il n'a fait qu'intensifier sa souffrance.
Mais s'il s'agit d'un suicidé qui, par suite de grandes souffrances,
ou de désespoir, avait perdu la maîtrise de lui-même,
d'un homme qui a agi sans réflexion, et non avec préméditation,
emporté peut-etre par un accès de désespoir auquel
il n'a pu résister, alors que les résultats ne sont naturellement
pas aussi terribles, car c'est la douleur et non le crime qui l'a poussé.
Mais dans tous les cas où le corps a été subitement
abandonné, qu'il s'agisse de suicide ou d'accident, l'homme n'est
pas mort au sens habituel du mot, c'est-à-dire pas mort, comme s'il
avait , auparavant vécu toute sa vie terrestre, et il lui faut continuer
celle-ci de l'autre coté. Seulement là-bas les conditions
sont moins favorables qu'ici-bas. C'est la vie terrestre sans corps physique,
l'homme reste pour ainsi dire lié à la terre, et il ne peut
la quitter avant l'heure en vue de laquelle son corps avait été
construit, l'heure de sa mort naturelle. Il est donc évident que
le suicide est toujours une folie, puisqu'au lieu d'échapper aux
difficultés et aux souffrances, l'homme se met dans des conditions
plus défavorables encore, et les seuls cas ou le suicidé s'endorme
d'un sommeil paisible sont ceux où la douleur avait réellement
affaibli sa raison, et où aucune responsabilité morale n'avait
pu etre encourue par lui du fait de l'acte inconsidéré par
lequel il a mis fin à sa vie.
La connaissance
des conditions d'outre-tombe montre aussi combien la peine de mort est mauvaise.
Il n'y a rien de plus absurde, de plus criminel aussi, que d'envoyer légalement
un meurtrier dans l'autre monde. Non seulement on lui retire ainsi toute
chance de se corriger, de s'amender, et d'être aidé, mais on
fait la chose la plus ridicule qu'on puisse imaginer: on libère une
intelligence malfaisante qu'ici-bas on pouvait, du moins, empêcher
de nuire. Le meurtrier qu'on enferme ne peut plus faire de mal, mais si
on lui enlève son corps, comment le maîtrisera-t-on de l'autre
coté? Ce sont des gens de cette espèce qui ont donné
naissance aux histoires de démons qui tentent les hommes et les incident
au mal. Car, furieux d'avoir été tués, haïssant
la société, désirant ardemment se venger, ils poussent
souvent d'autres plus faibles au crime. Aussi n'est pas rare, après
une exécution, de voir surgir un grand nombre de crimes analogues
à celui qui avait causé la condamnation du meurtrier, et cela
au même endroit.
Ce n'est donc pas sans raison que les pays qui ont aboli la peine de mort
sont précisément ceux où il y a le moins de crimes.
En punissant de mort le meurtrier, on suscite le meurtre. L'étude
des conditions post mortem nous fait comprendre la nécessité
de réformer notre répression pénale.
Laissons maintenant
cette catégorie tout-à-fait inférieure et examinons
l'être humain moyen, que l'on rencontre par centaines et par milliers
autour de soi; qui, en dehors de son gagne-pain, n'a que des jouissances
matérielles, qui ne fait rien pour stimuler son intelligence ou satisfaire
de plus nobles sentiments. Ou bien prenons ces femmes dont la vie est aussi
insignifiante, et qui n'ont pas de plus grande distraction que la toilette
et le désoeuvrement.
Que peuvent faire dans l'au-delà des gens pareils? Toute leur vitalité
est passée dans leur corps; ils ne s'intéressent qu'aux choses
matérielles, ils n'ont ni plaisirs intellectuels,ni plaisirs artistiques,
ni aucun sentiment élevé. La toilette, la mode, les jeux,
voilà les seules choses auxquelles ils s'intéressent et ces
choses-là ne les suivent pas de l'autre coté.
Ils ne souffrent pas à proprement parler; ils mènent simplement
une vie triste, monotone, misérable jusqu'à ce que le coté
supérieur de leur nature s'éveille et montre un peu d'activité.
Ils y trouvent la vie si ennuyeuse qu'elle leur paraît presque insupportable.
Or il est bon de connaître ces choses à l'avance; si on connaît
ces inconvénients dès maintenant on peut les éviter,
car cela est facile. Il suffit de limiter ses amusements comme on limite
son travail, et d'en adopter qui soient de nature à ne pas disparaître
avec la mort. Je ne condamne pas les plaisirs, tout le monde a besoin de
s'amuser, et surtout ceux dont le travail est particulièrement pénible;
il leur fut des amusements qui mettent un peu de gaieté dans leur
vie. Mais est-il nécessaire que ces plaisirs soient stupides?Voilà
le point à envisager.
Prenons la musique par exemple. La musique éveille en nous des émotions
que l'on peut emporter de l'autre coté, et qui peuvent être
là-bas utilisées sous forme de jouissances élevées.
Pourquoi, dans ces conditions, ne pas avoir ici-bas de la musique qui élève,
et non de la musique qui abaisse? Il n'est pas nécessaire que ce
soit de la musique très difficile, qui n'intéresse que les
musiciens; ce peut etre une belle romance, un chant exprimant un sentiment
élevé, une émotion pure, quelque chose de plus beau
que ces refrains stupides qui ne sont vraiment pas dignes d'êtres
écoutés par des êtres doués de raison.
Voilà encore un résultat pratique de l'étude des conditions
post mortem. Faites en sorte qu'une partie au moins de vos amusements développe
le coté de votre nature qui vous accompagnera de l'autre coté.
Ayez un passe-temps préféré, quelque chose qui cultive,
épure, sans trop fatiguer le cerveau déjà lassé
par le travail quotidien; quelque chose qui fasse vibrer la partie vraiment
humaine de votre être, et non seulement la partie physique. Vous aurez
ainsi quelque chose que vous pourrez emporter dans l'autre monde, et qui,
la-bas, vous procurera bonheur et satisfaction.
Parmi ceux qui sont partis il s'en trouve beaucoup qui sont encore dans
les régions les plus élevées du monde intermédiaire
dont je vous ai entretenu jusqu'ici. Il y a là des hommes qui s'intéressaient
à de grandes choses, qui aimaient leur groupement, leur ville, leur
pays. Ces hommes ont emporté avec eux ce qui faisait l'objet de leurs
préoccupations, et aussi le pouvoir de se rendre utiles. L'homme
d'état, le politicien honnête qui a rendu des services, celui
qui a aimé le peuple et s'est efforcé de le servir,cet homme
ne devient pas inutile parce que la mort lui a ôté son corps
physique. Dans ce monde supérieur il peut encore servir la cause
qu'il aimait, insuffler aux autres l'enthousiasme qui le faisait agir; il
a conservé ses goûts, ses facultés, et peut encore travailler
pour les autres.
Organisez donc
votre vie ici-bas de façon à y faire entrer quelques préoccupations
plus vastes, quelque souci du bien public, quelques pensées d'intérêt
général; cultivez un moi plus étendu que celui du corps
physique, et quand vous vous en irez dans l'autre monde, vous y vivrez d'une
vie élargie, et enrichie, votre activité, bien loin d'être
ralentie, sera au contraire plus grande. C'est ici-bas que vous édifiez
votre vie future, c'est d'ici que vous en emportez les matériaux.
Quittons maintenant le monde intermédiaire et passons dans le monde
céleste, ce monde qui est le monde de la croissance, de l'évolution
accélérée. Tous les homes y viennent, même les
plus pauvres en vertus,les moins développés en intelligence.
La catégorie la plus basse dont je vous ai parlé en commençant,
qui a dû faire d'abord l'expérience de la souffrance,une fois
ce stage franchi, arrive dans le monde céleste ou elle ne restera,
il est vrai, que très peu de temps, à cause du peu de matériaux
qu'elle a pu emporter. Il n'y a pas, soit dans les sentiments, soit dans
les pensées la plus petite semence de bien qui puisse être
perdue pour l'âme qui a éprouvé ces sentiments ou eu
ces pensées, et qui a éprouvé ces sentiments ou eu
ces pensées, et qui ne trouve, de l'autre coté de la mort,
un terrain pour germer et fleurir. Dans ce monde céleste aussi, la
vie sera en rapport avec la vie terrestre qui l'aura précédée.
Elle sera toujours heureuse, bien que pas également heureuse pour
tous, le bonheur étant déterminé pour chacun par sa
capacité d'en jouir.
Et d'abord toutes les affections d'ici-bas reçoivent dans le ciel
pleine satisfaction; aucun lien d'amour n'est brisé par la mort,
aucun lien d'affection ne peut se dénouer dans le monde céleste.
Sur terre l'amour est parfois contrarié, mais au ciel il remporte
la victoire qu'il n'avait pu s'assurer ici-bas. On me demande parfois: "Est-ce
que nous nous reconnaîtrons au ciel? y rencontrerons-nous la-bas ceux
que nous avons aimés?" - Que serait le ciel s'il n'était
pas le lieu où l'on pourra retrouver tous ceux qu'on a aimés
sur terre, et s'il manquait un seul au rendez-vous? Non, la chaîne
d'amour doit être complète, et elle l'est. Personne ne manque,
aucun n'est absent.
En réfléchissant
un instant vous verrez combien tout cela est rationnel. Ce n'est pas seulement
le corps que l'on aime, on aime l'âme immortelle de ceux qui ici-bas
vous sont chers. Une mère aime son fils; mais ce fils change sans
cesse, et le bébé qu'elle tenait dans ses bras devient l'homme
qui, dans sa vieillesse, la soutient et la console. Le bébé
et l'homme fait sont bien différents, cependant c'est toujours le
même fils, et c'est ce fils et non le corps que la mère chérit.
Eh bien, ce fils est sans cesse avec elle dans le ciel.
Il en est ainsi de tous les liens, même de ceux qui ont parfois paru
se briser sur la terre. Vous est-il arrivé de vous séparer
d'un ami après un malentendu? Un ami a-t-il payé de froideur
votre amour et d'ingratitude vos bienfaits? Peu importe. Continuez à
aimer, même celui qui a cessé de vous aimer. Prodiguez-lui
votre affection, même s'il vous délaisse, car dans le monde
céleste vous regagnerez l'amour de celui que vous pensiez avoir perdu.
Ne brisez pas le lien, et ce lien vous réunira dans le ciel. Toutes
nos émotions les plus pures s'intensifient et s'épanouissent
dans le monde céleste; non seulement l'amour qui unit les coeurs
des parents et des amis, mais aussi l'amour de l'humanité, cet amour
plus vaste et plus noble qui s'exprime par le service, cet amour de l'homme
si souvent contrarié ici-bas par le manque de moyens ou d'occasions,
reparaît au ciel et y devient la faculté de servir qu'ici-bas
nous n'avons pas eue. Telle est cette merveilleuse alchimie céleste
que toutes nos espérances, toutes nos affections, toutes nos pensées,
toutes nos aspirations deviennent les matériaux avec lesquels nous
construisons notre nature et évoluons vers la perfection.
Je vous ai dit que la pensée était créatrice; c'est
au ciel que ce pouvoir créateur de la pensée atteint son apogée.
Il n'y a pas une aspiration élevée, pas un désir, fut-il
passager, d'aider et de servir, que nous ne retrouvions dans ce monde pour
les faire entrer dans la trame du vêtement que nous reprendrons pour
servir sur terre à notre prochaine naissance. Le ciel est l'endroit
où nous récolterons ce que nous semons ici-bas, et la moisson
est proportionnée à la richesse et à la nature des
semences. Si donc nous voulons avoir une vie céleste riche et féconde
et progresser plus rapidement, pensons de façon élevée,
aimons avec force et pureté et toutes ces expériences terrestres
se transformeront au ciel en facultés et en aptitudes nouvelles.
Voilà
comment la connaissance de la vie d'outre-tombe aide à vivre ici-bas.
Ce ne sont pas là d'agréables mais vaines imaginations. On
sème ici-bas ce dont on jouira, ce dont on se servira dans les autres
mondes. Lorsqu'on le comprend ou qu'on commence à le comprendre,
on change sa vie ici-bas, et on en fait davantage une préparation
à une longue vie céleste. Rappelez-vous que la vie ici-bas
n'est que la plongée de l'oiseau qui quitte un instant l'air libre
du ciel pour l'océan; l'oiseau plonge un moment dans la mer pour
prendre la nourriture dont il a besoin; de même chacun de nous, né
au ciel et non sur la terre, plonge dans la vie terrestre, puis remporte
au séjour céleste l'expérience qu'il y a acquise. C'est
à cela que sert la vie terrestre, à donner l'expérience
qui, au ciel, sera transmuée en caractère et en facultés,
à semer les graines de la moisson que l'on récoltera là-bas,
à rendre possible une vie céleste féconde, longue et
laborieuse. Lorsqu'on le sait, on ne laisse plus passer un jour sans semer
quelque chose pour la moisson céleste. La lecture de beaux livres
qui vous mettent en contact avec les grands esprits de l'humanité,
la communion avec eux, voilà les liens que vous retrouverez au ciel.
Car ici-bas l'on n'a que rarement l'occasion de fréquenter les plus
grands hommes,les plus nobles penseurs, mais on peut ici-bas choisir la
société de ceux qu'on veut rencontrer là-haut. En étudiant
sur terre les écrits des grands penseurs de l'antiquité ou
des grands auteurs modernes, vous créez des liens qui dans le ciel
se renforcent,et alors vous aurez pour maîtres les grandes âmes,
dont vous aurez étudié avec amour les oeuvres ici-bas.
Voilà comment le ciel et la terre sont reliés l'un à
l'autre, comment la connaissance de l'avenir nous permet de faire de cet
avenir ce que nous voulons qu'il soit. Mais on ne peut rien y commencer;
c'est ici qu'il faut commencer ce que l'on continuera de l'autre coté.
A mesure que ces faits deviennent plus réels, l'existence ici-bas
s'illumine de la clarté de cette autre vie plus belle, la terre s'éclaire
de la lueur du ciel.
En réalité vous êtes au ciel par votre nature supérieure,
seuls les bruits de la terre vous rendent sourds à la subtile harmonie
des mondes célestes. Mais ils vous entourent sans cesse; les habitants
du ciel se mêlent à votre vie terrestre grossière, la
musique du ciel vous environne, la lumière céleste brille
autour de vous, vous êtes des citoyens du ciel,votre patrie,bien que
vous ne la voyez pas et que vous restiez sourd aux messages qu'elle envoie
à votre âme. Votre vie serait bien plus pleine, plus riche,
plus heureuse,si seulement vous vouliez ne pas vous attacher passionnément
aux formes de la terre mais voir les formes supérieures qui appartiennent
à votre votre lieu de naissance, à votre demeure véritable.
Un instructeur répondit jadis à ses amis qui au ciel lui demandaient
ce qu'il pensait de la terre: "C'est un pays heureux pour celui qui
peut oublier sa patrie. Mais c'est un pays plus heureux encore pour ceux
qui se rappellent leur patrie, et ceux qui connaissent plus d'une seule
vie jouissent d'un bonheur bien plus grand, bien plus élevé."
Tous les prophètes qui ont connu le ciel et vécu sur la terre,
tous les divins Révélateurs qui ont soulevé un petit
coin du voile et enseigné à leurs disciples les réalités
de cette vie plus vaste, témoignent de la réalité de
la vie d'outre-tombe, et du fait qu'elle continue celle d'ici-bas. Faites-en
donc ce qu'elle doit être: une vie toute pénétrée
de la force de l'évolution, de la certitude du progrès , de
la splendeur des potentialités divines qui sont en vous. Alors la
terre deviendra aussi le ciel, les deux s'uniront dans votre vie, et ceux
qui, encore aveuglés par la terre,ne connaissent pas cette gloire,
entreverront, grâce à la beauté de votre vie, une partie
des promesses de la vie éternelle, et vous ferez entendre aux oreilles
assourdies par la terre, quelques-unes de ces mélodies du ciel, qui
seront devenues la musique de notre vie à tous.