De l'Amour de soi et de l'Amour du monde
Emmanuel Swedenborg
De l'Amour
de soi et de l'Amour du monde
Il a été dit ci-dessus que les Amours de soi et du monde chez
l'homme constituent l'Enfer ; il sera dit maintenant quels sont ces amours,
et cela, afin que l'homme sache s'il est en eux, et par conséquent
s'il a en lui l'Enfer ou s'il a le Ciel ; car dans l'homme même il
y a ou l'Enfer ou le Ciel : que le Royaume de Dieu soit au dedans de l'homme,
c'est ce que le Seigneur enseigne dans Luc Chap. XVII, 21 ; il en est de
même par Conséquent de l'Enfer.
L'amour de soi règne chez l'homme, c'est-à-dire l'homme est
dans l'amour de soi, lorsque dans les choses' qu'il pense et fait il ne,
considère pas le prochain, ni par conséquent le publie, ni
encore moins le Seigneur mais qu'il 'le considère que lui et les
siens, ainsi lorsqu'il fait toutes choses pour lui et pour les siens, et
que quand il agit pour le publie et le prochain, c'est seulement afin d'être
vu.
Il est dit pour lui et pour les siens, parce que lui-même fait un
avec les siens, et que les siens font un avec lui ; ainsi, quand quelqu'un
fait quelque chose pour son épouse, ses enfants, ses petits-enfants,
ses gendres, ses brus, il le fait pour lui-même, parce que ceux-ci
sont les siens ; pareillement si c'est pour des alliés et pour des
amis qui sont favorables à son amour, et qui par là se conjoignent
à lui ; car par une telle conjonction ceux-ci font un avec lui, c'est-à-dire,
se regardent en lui et lui en eux.
Autant l'homme est dans l'amour de soi, autant il s'éloigne de l'amour
du prochain ; par conséquent autant l'homme est dans l'amour de soi,
autant il s'éloigne du ciel, car dans le ciel est l'amour du prochain
; de là aussi résulte qu'autant l'homme est dans l'amour de
soi, autant il est dans l'enfer, cardans l'enfer est l'amour de soi.
Dans l'amour de soi est l'homme qui méprise le prochain en le comparant
à soi-même, et qui le regarde comme un ennemi s'il ne lui est
pas favorable, et s'il ne l'honore pas ; encore plus dans l'amour de soi
est l'homme qui, pour cette raison, a de la haine pour le prochain et le
persécute ; et encore plus celui qui, pour cette raison, brûle
d'en tirer vengeance et en désire la ruine: de tels hommes enfin
aiment à sévir contre le prochain ; et si ces mêmes
hommes sont aussi adultères, ils deviennent féroces.
Le plaisir qu'ils perçoivent dans de telles actions est le plaisir
de l'amour de soi ; Ce Plaisir chez l'homme est le plaisir infernal : tout
ce qui se fait conformément à J'amour est un plaisir; on peut
donc aussi, d'après le plaisir, savoir quel est l'amour.
Par les choses qui viennent d'être rapportées, comme indices,
on connaît qui sont ceux qui sont dans l'amour de soi : peu importe
de quelle manière ils se présentent dans la forme externe,
et qu'ils soient altiers ou humbles ; car de telles choses sont dans l'homme
intérieur ; or l'homme intérieur aujourd'hui est caché
par la plupart des hommes, et l'extérieur est instruit à feindre
des choses qui concernent l'amour du publie et du prochain, par conséquent
des choses opposées ; et cela aussi pour soi-même et pour le
monde.
L'amour du monde règne chez l'homme, c'est-à-dire, l'homme
est dans l'amour du monde lorsque dans les choses qu'il pense et fait il
ne considère et n'a en vue que le lucre, sans s'inquiéter
si ce qu'il fait est préjudiciable au prochain et au public.
Dans l'amour du monde sont ceux qui désirent attirer à eux
les biens des autres par des ruses méditées, et plus encore
ceux qui emploient l'astuce et la fraude. Ceux qui sont dans cet amour envient
les biens des autres et les convoitent ; et en tant qu'ils ne craignent
point les lois, ils les en privent et même les en dépouillent.
Ces deux amours croissent autant qu'on leur lche les freins, et que
l'homme s'y laisse emporter ; et enfin, ils croissent au delà des
bornes, au point de vouloir dominer non-seulement sur tout ce qui est dans
le royaume, mais encore sur ce qui est au-delà, jusqu'aux bouts de
la terre ; bien plus, quand les freins sont lchés, ces amours
s'élèvent jusqu'au Dieu de l'univers, c'est-à-dire,
à un tel point que ceux qui sont dans ces amours veulent monter sur
le trÙne de Dieu, et être adorés à la place de
Dieu lui-même, selon ces paroles, dans Esaie, au sujet de, Lucifer,
par lequel sont entendus ceux qui sont dans ces amours et sont appelés
Babel : Toi, tu as dit dans ton cur : Je monterai aux Cieux ; par-dessus
les étoiles de Dieu j'élèverai mon trÙne, je
m'assiérai sur la montagne de la convention, aux cÙtés
du Septentrion : je monterai au-dessus des hauts lieux de la nuée,
el je deviens vraisemblable au Très Haut; mais tu as été
précis. pilé dans l'enfer. XIV. 13, 14,.15.
Maintenant, d'après ce qui vient d'être dit, on peut voir que
ces deux amours sont les origines de tous les maux, car ils sont diamétralement
opposés à l'amour à l'égard du prochain et à
l'amour envers le Seigneur, par conséquent diamétralement
opposés au Ciel, où règne l'amour envers le Seigneur
et l'amour à l'égard du prochain ; ce sont en conséquence
ces deux amours, savoir, l'amour de soi et l'amour du monde, qui font l'enfer
chez l'homme, car ces deux amours règnent dans l'enfer.
Toutefois, dans ces amours ne sont pas ceux qui aspirent aux honneurs non
pour eux-mêmes mais pour la patrie, et qui aspirent aux richesses
non pour les richesses mais pour les nécessités de leur propre
vie et de celle des leurs, puis pour un usage bon, en vue duquel l'opulence
leur plaît ; chez ceux-ci les honneurs et les richesses sont les moyens
de bien faire.