Le but de l'Initiation Jean-Baptiste Willermoz
Le texte que nous vous proposons ici est extrait de l'"Instruction secrètes aux Grands Profes". Il fut écrit au XVIIIe siècle par Jean-Baptiste Willermoz pour l'un des plus hauts grades des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte. Dans cette "instruction" on retrouve l'essentiel des enseignements de Martinès de pasqually, que son disciple lyonnais s'efforça d'introduire dans la Franc-Maçonnerie.L'extrait suivant traite de
l'origine de
l'initiation
Mon Très Respectable et cher Frère !
Si l'homme s'était conservé dans la pureté de sa première
origine, l'Initiation n'aurait jamais eu lieu pour lui, et la vérité
s'offrirait encore sans voile à ses regards, puisqu'il était
né pour la contempler, et pour lui rendre un continuel hommage. Mais
depuis qu'il est malheureusement descendu dans une région opposée
à la lumière, c'est la vérité elle-même,
qui l'a assujetti au travail de l'Initiation, en se refusant à ses
recherches.
Il suffit pour s'en convaincre de jeter les yeux sur l'homme, d'abord après
sa naissance, lorsqu'il commence à jouir de la lumière sensible
; a cette époque ses progrès sont lents et douloureux ; les
années s'écoulent, et à peine a-t'-il une idée
superficielle des objets, qui frappent ses sens ; c'est par une étude
pénible h assidue, qu'il apprend à les connaître. arrivé
à Page où il doit écarter lui-même les ténèbres,
qui arrêtent ses pas, sa marche est incertaine ; les illusions des
sens et de l'habitude le séduisent au point qu'il ne peut plus démêler
la vérité d'avec l'erreur, et s'il parvient à découvrir
quelques traits de lumière, ce n'est qu'en dégageant avec
effort 'son intelligence de tout ce qui lui est étranger.
Cette première initiation, fondée sur la dégradation
de l'homme, et ; exigée par la nature même, fut le modèle
et la règle de celle qu'établirent les anciens Sages. La Science
dont ils étaient dépositaires étant d'un ordre bien
supérieur aux connaissances naturelles, ils ne purent la dévoiler
à l'homme profane, qu'après l'avoir affermi dans la voie de
l'Intelligence et de la vertu. C'est dans ce dessein, qu'ils assujettirent
leurs disciples à des épreuves rigoureuses, et qu'ils s'assurèrent
de leur Constance et de leur amour pour la vérité en n'offrant
à leur intelligence, que des hiéroglyphes ou des emblèmes,
difficiles à pénétrer. Voilà ce qu'on voulut
vous figurer, mon Cher Frère dans les grades de la maçonnerie
par les travaux allégoriques, qu'on exigea de vous. Si vous doutiez
de la haute destinée de l'homme et de sa dégradation, qui
est l'unique fondement de tout initiation naturelle, humaine ou religieuse,
il vous serait difficile d'entrer dans la carrière, que vous vous
proposez de parcourir, puisque vous admettriez alors, que l'homme sensible
et animal, est ce qu'il doit être ; h dans cette supposition, quel
rapport pourrait-il y avoir entre lui et la vérité? Il est
vrai, que parmi les Philosophes il s'en trouve un grand nombre, qui ont
adopté cette erreur pernicieuse, n'ayant considéré
dans l'homme que sa nature matérielle. En effet si l'on ne voit en
lui, que des facultés sensibles, il faut bien convenir, que sa véritable
place est parmi les Êtres sensibles, et qu'il doit être abandonné,
comme les autres animaux aux ténèbres des sens et de la matière.
Mais quoique ces Philosophes ayant ignoré nos prérogatives
naturelles, ils auraient pu s'épargner aisément cette méprise,
car toutes les facultés de l'homme spirituel sont des preuves évidentes
de sa grandeur primitive comme son ignorance et sa faiblesse démontrent
sa dégradation. Actif par Essence, l'homme est impuissant et enchaîné
; avec une intelligence sans bornes, qui peut connaître le moindre
des Êtres de l'Univers est un mystère impénétrable
pour lui. Son il pénétrant est toujours ouvert, mais
environné d'épaisses ténèbres il ne peut rien
apercevoir ; avec un désir irrésistible du bonheur et de la
jouissance, aucun des objets qui l'entourent ne peut le contenter. Doué
enfin de facultés infinies, il est privé des moyens d'en faire
usage. Avouons le, cet homme avait une autre destinée, ou il serait
le plus inconcevable des Êtres.
Les Sages parfaitement instruits de la vraie nature de l'homme et de sa
dégradation, qui le rend indigne d'approcher du sanctuaire de la
vérité, eurent grand soin d'enseigner cette doctrine à
leurs disciples. Mais quoique les Philosophes ne connussent point les Droits
de l'homme originel, ils auraient sans doute avoué l'excellence de
sa Nature, si après avoir aperçu les bornes de ses facultés
sensibles, ils eussent observé de même l'Étendue de
ses facultés intellectuelles. Ce Contraste étonnant leur aurait
prouvé la Grandeur de son origine et sa Dégradation. Car l'homme
est essentiellement doué d'une action spirituelle qui par sa Nature
n'a point de bornes, mais cette activité puissante, est tellement
resserrée et contenue, qu'elle est presque toujours sans effet. L'insuffisance
des organes par lesquels il doit nécessairement la manifester ne
lui permet jamais de l'exercer dans toute l'étendue de sa volonté,
ni d'atteindre le but qu'il se propose. Cependant malgré les obstacles
qui arrêtent à tout instant ses Efforts il est si intimement
convaincu de sa Supériorité naturelle qu'il tend sans cesse
à soumettre a son action, tous les Êtres qui l'environnent.
Il est aussi doué d'une Intelligence sans borne, aucune connaissance
ne surpasse sa pénétration et jamais on n'a fixé de
terme à la Science dont il est susceptible, cependant malgré
l'étendue de ses facultés intellectuelles, les moindres Individus
de l'univers sont des Mystères impénétrables pour lui.
Condamné à ne rien connaître que par l'entremise des
sens, ces organes matériels et composés peuvent bien lui procurer
la perception des Individus corporels parce que ces corps ne sont eux-mêmes
que des assemblages élémentaires, mais des sens organisés
sont incapables par eux-mêmes de transmettre les Vérités
de la Nature qui résident essentiellement dans l'unité et
la réalité des Êtres Spirituels. Ainsi l'homme qui pourrait
encore tout connaître, si rien ne le séparait de la Vérité,
se trouve assujetti par son corps à n'apercevoir que des apparences
sensibles et illusoires ; Il a des facultés infinies, mais il se
voit privé des moyens d'en faire usage, étant éloigné
de tous les Êtres vrais de l'Univers sur lesquels il devait les manifester,
En sorte qu'avec un désir irrésistible de l'empire et de la
jouissance, il ne voit autour de lui que résistances et limites,
et que dans cet état tous les objets qu'il aperçoit étant
finis et bornés, il ne s'en trouve aucun qui convienne à un
Être que l'Infini seul peut contenter. Or si aucun des individus de
la Nature n'a reçu du Créateur que des facultés relatives
et proportionnées à son rang dans l'Univers, il est difficile
à ceux qui observent l'homme sans préjugé de ne pas
reconnaître, conformément aux traditions religieuses qu'il
n'est point à présent dans sa place naturelle et que les facultés
spirituelles divines qui se manifestent en lui, devaient s'exercer sur des
Êtres supérieurs aux objets matériels et sensibles ;
sans quoi il serait le plus inconcevable des Être.
Voilà Mon Cher Frère ce que nous devions vous dire sur les
Droits primitifs de l'homme et sur sa Dégradation qui le rend indigne
aujourd'hui d'approcher du Sanctuaire de la Vérité, cette
Doctrine ayant toujours été la base des Initiations les Sages
qui en étaient parfaitement instruits eurent grand soin de l'enseigner
à leurs Disciples, comme on peut s'en convaincre par la multitude
de lustrations et de purifications de tous genres, qu'ils exigeaient des
Initiés, et ce ne fut qu'après les avoir ainsi préparés
qu'ils leur découvraient la seule route, qui peut conduire l'homme
à son état primitif, et ; le rétablir dans les droits,
qu'il a perdus. Voilà, mon cher frère, le vrai, le seul but
des Initiations. Telle est cette science mystérieuse et Sacrée,
dont la connaissance est un crime pour ceux, qui négligent d'en faire
usage, et qui égare ceux, qui ne seront pas élevés
au-dessus des choses sensibles.
C'est d'après ces Principes que les Initiations furent mystérieuses
et sévères. La vérité l'exigeait elle-même,
puisqu'elle se cachait eux hommes corrompus. Les emblèmes et les
allégories, que les Sages y employèrent figuraient aux apparences
sensibles et matérielles dé la Nature, qui rendent impénétrables
à nos regards, les agents moteurs de l'univers, et des Êtres
individuels qu'il renferme.